Plan

Texte

Le Pôle Images-sons-mémoires est une initiative inter-équipes animée par Laurent Baridon, Evelyne Cohen et Anne-Marie Granet Abisset. La mise en œuvre de ce pôle correspond à la présence au sein du LARHRA d’un nombre devenu significatif de chercheurs qui travaillent sur l’image et le son ; certains depuis de très longues années sont des spécialistes dans ces domaines (histoire orale-mémoire, histoire visuelle, histoire de la télévision, images, etc.) ou y sont venus plus récemment en fonction de programmes de recherches et de croisement de problématiques autour de ces questions. Un séminaire expérimental a démarré en octobre 2012 : il s’intéresse à la fois à l’histoire et aux modes de construction des mémoires visuelles et sonores. Il prend en compte l’analyse des supports écrits, sonores, imagés de la mémoire. Il analyse les formes de narration, les modes de représentations et les formes de sensibilités qui l’expriment. Il s’intéresse aux usages qui en sont faits ainsi qu’aux façonnements des représentations qu’ils engagent comme aux comportements qu’ils révèlent. Un des objets du séminaire est de croiser les approches des historiens d’art avec celles de l’histoire sociale et culturelle. Le projet est ici de travailler à renforcer au sein du LARHRA, et en collaboration avec les institutions spécialisées (INA, BnF, INHA, Phonothèques) les travaux d’analyses des images et des sons, les méthodes de constitution de corpus de recherches dans ce domaine tout en contribuant à la réalisation de certains d’entre eux. Il s’organise autour de 3 axes : le recueil des archives et sources visuelles, orales, sonores ; le développement des méthodologies de constitution et d’exploitation de ces corpus ; les questions et les enjeux pour la recherche.

Archives et sources visuelles, orales et sonores

Il s’agit ici à la fois de recenser des sources déjà existantes, de constituer des corpus pertinents en fonction des thématiques de recherches et d’œuvrer à leur mise à disposition et leur valorisation. Depuis les années 2000, avec l’extension du numérique l’offre de sources numérisées se fait de plus en plus abondante en même temps qu’il y a une production de documents nés numériques.

En ce qui concerne le Pôle, le recensement et la collecte s’effectuent

  • en lien avec des institutions spécialisées et partenaires : BnF, BM de Lyon, INHA, INA, Phonothèques, Musées1.
  • en relation avec des collègues du LARHRA : Laurent Douzou (Deuxième guerre mondiale), Annie Claustres (Histoire de l’art contemporain XXe-XXIe siècles) Didier Nourrisson (relations film et pédagogie à travers les films fixes d’enseignement), Isabelle Gaillard (histoire économique et culturelle de la télévision), Emmanuelle Picard (fonds d’archives orales de l’éducation), Florence Charpigny, Anne Dalmasso (programme crise et récits de crise), Frédéric Abecassis (collaborateur de Medmem), Nasima Moujoud (anthropologie), etc.
  • en relation aussi avec des collègues d’institutions comme la MSH d’Aix-en-Provence (Pôle image, son, pratiques du numérique), le laboratoire CEISME (Paris 3), l’équipe Images-sociétés-représentations (ISOR-Paris 1), le laboratoire d’Études rurales de l’université Lyon 2 LER (Edouard Lynch)

Plusieurs programmes de recherche se développent autour de ces corpus :

  • Mémoires audiovisuelles des années 1970-1980 à la télévision : la période 1974-1987 (1974 : fin de l’ORTF ; 1987 privatisation de TF1) est un bon lieu d’observation : une période de transition institutionnelle, de mutation en profondeur de la société française, de passage d’un modèle de télévision d’État franco-centrée à une télévision dotée de plusieurs chaînes, insérée dans les échanges internationaux de programmes et dans laquelle cohabitent un secteur public et un secteur privé. Les enjeux de mémoire sont particulièrement aigus dans la période, comme l’a montré l’entreprise éditoriale des Lieux de mémoire (Pierre Nora dir.) publiés entre 1984 et 1992. 1980 est aussi la date de création de l’année du patrimoine. Comment et sous quelles formes se traduisent ces questions dans les programmes de la télévision française ? Du point de vue des sujets, des genres télévisuels, des fonctionnements ? Est on dans une période propice aux retours identitaires ? Un inventaire sera réalisé à partir des bases de données de l’INA.
  • Programme Images et sons de la Nationale 7

En lien également avec les programmes de recherches régionaux, un projet d’histoire de la Nationale 7 participe des objectifs du pôle. En effet, une partie de ce projet sera consacrée à la manière dont cette route mythique et mythifiée autant que réelle et utilitaire a été le support de représentations construites de manière interne comme externe par les usagers directs, les voyageurs, les passeurs, ou par ceux qui ne la côtoient que de loin. En abordant dans la complémentarité les représentations et la matérialité de la route, les images matérielles et mentales, il est possible de travailler non seulement les pratiques mais aussi les mémoires qui ont nourri l’imaginaire social de la route. Un programme de recherches a été déposé auprès de la région sur ce thème. S’il est accepté, il permettra de conduire un travail de fond à partir des archives télévisuelles, en partenariat avec l’INA Lyon et d’effectuer un recensement de toutes les productions directes ou indirectes sur la N7 (JT, documentaires, émissions). Il s’agira également de travailler les différentes catégories d’images comme les productions valorisant la N7 : collections d’affiches et de guides touristiques du XIXsiècle jusqu’aux guides les plus contemporains, nouveaux supports de publicité, papier, affiches, mais aussi web. Les films de fiction, les documentaires et les photos seront inventoriés et analysés à la fois comme sources et comme produits révélateurs de ces représentations à la fois modélisées et variées.

Cette thématique sera d’ailleurs testée lors de l’un des séminaires en mars 2013, qui abordera la naissance et le déploiement du mythe, par l’image et le son : journée Images et sons de la nationale 7, 14 mars 2013, MSH –Alpes.

  • Archives orales de l’art de la période contemporaine, 1950-2010, animé par Annie Claustres (INHA, Lyon 2, LARHRA), avec Judith Delfiner (Grenoble 2, LARHRA). Une journée d’étude a eu lieu les 29 et 30 juin 2012 et un colloque sera organisé au Musée National d’Art moderne en novembre 2013. Ce programme se propose de réfléchir sur les objets et les méthodes, tout en menant un récolement systématique des archives orales de la scène artistique française. Il donnera lieu à la création d’une base de données en ligne. Des protocoles d’inventaire sont élaborés. Pour ne citer qu’un de ses fonds, les Archives de la critique d’art à Rennes intègrent des documents audiovisuels relatifs aux critiques d’art, aux galeries, ou aux manifestations artistiques. Les films et les vidéocassettes ont été numérisés en partenariat avec le Laboratoire « La présence et l’image, équipe d’accueil Arts : pratiques et poétiques » et le CREA de l’Université Rennes 2, dans le cadre du programme FILCREA (ANR 2009/2012).
  • Crises et Récits de la crise : programme de collecte conduit en partenariat avec le Rize, la commune de Saint Martin d’hères, le Conseil Général de l’Isère, l’association Repérages, animé par Anne Dalmasso et Anne Marie Granet-Abisset (LARHRA, Grenoble, équipe SET, sociétés, économie, territoires). L’idée de ce programme de collecte vient des interrogations issues de la crise de 2008 et de l’hypothèse d’un changement de « cycle », de « paradigme » qui toucherait en profondeur la réalité du monde du travail et de ses acteurs, comme celles de la société. Conscients que ce qui fait trace aujourd’hui constitue les matériaux de mémoire et d’histoire de demain, il s’agit d’expérimenter une recherche qui vise à produire et collecter des sources contemporaines au phénomène étudié, en suivant des témoins au cours des cinq années de la période retenue pour l’observation. Ce travail, en cours depuis deux ans, porte un regard, dans la durée, sur les évolutions dans le monde du travail en Rhône-Alpes, à travers une pluralité de situations sociales et professionnelles, de vécus et d’événements. Son but reste la connaissance et la compréhension du monde du travail et de ses changements, avec une finalité affirmée d’en restituer les résultats aux témoins et aux acteurs, de les partager pour contribuer à mieux saisir les enjeux actuels, sans négliger le fait de constituer aussi des sources qui seront utilisées dans les périodes ultérieures.

La mise en valeur et les usages de ces corpus

Celle-ci va de la simple mise à disposition pour la consultation dans des centres de recherches, jusqu’à la mise en ligne sur internet. Un premier inventaire des lieux de conservation avait été dressé dans Agnès Callu, Hervé Lemoine (dir.) Patrimoine sonore et audiovisuel français, entre archives et témoignages, guide de recherche en sciences sociales, Paris, Belin, 2005, 7 tomes. Celui-ci se poursuit en fonction des programmes et des spécialités.

Ina.fr met en ligne à destination du grand public une petite fraction des sources consultables à l’Inathèque de France ou dans les délégations régionales. La consultation de l’intégralité des sources audiovisuelles conservées par l’INA2 est appelée à s’étendre non seulement dans les délégations régionales de l’INA mais aussi dans des lieux de consultation régionaux (Bordeaux, Grenoble…) qui possèdent le dépôt légal.

L’expérience des Jalons pour l’histoire du temps présent développée par l’INA apparaît très intéressante à des fins pédagogiques et de valorisation. On peut citer plusieurs fresques dont le recensement est accessible en ligne http://www.ina.fr/dossier/fresques. Le LARHRA a contribué au projet avec Lumières sur Rhône Alpes http://www.ina.fr/ fresques/rhone-alpes/accueilRhôneAlpes, entreprise dirigée par Jean-Luc Pinol et Michelle Zancarini-Fournel.

Une nouvelle fresque est en préparation autour du tourisme, dans le cadre du Labex ITEM (Innovation et territoires de montagne), dont le LARHRA est un des acteurs majeurs par l’engagement d’un certain nombre de chercheurs ; Labex où les enquêtes orales prévues sont substantielles et déterminantes sur un certain nombre de thèmes. Seront ainsi constitués des corpus utilisables ultérieurement sur d’autres objets, d’autres sujets et d’autres thématiques.

Les méthodes pour une histoire visuelle et sonore

  • Recueil de la parole lors d’entretiens

En conduisant des entretiens oraux et de plus en plus fréquemment audio-visuels avec des témoins dont il s’agit de recueillir la mémoire, le récit de leur vie ou/et de leur expérience, les chercheurs fabriquent des sources orales et audiovisuelles. Ces documents élaborés par le truchement de l’entretien pour une recherche spécialisée ou à des fins de recueil systématique deviennent dès lors qu’ils sont utilisés à des fins d’analyse des sources, ce matériau à partir duquel historiens et historiens d’art travaillent. Mais l’important est qu’ils soient conservés dans des conditions scientifiques et techniques de sorte qu’ils puissent devenir des archives pour d’autres sujets, utilisées pour d’autres thématiques. En ce sens, si les chercheurs sont bien placés pour conduire ces collectes scientifiquement, c’est à dire avec la rigueur nécessaire à l’usage raisonné de ces documents, il est fondamental de nouer des partenariats avec des structures de conservation pour leur dépôt dans un cadre réglementaire et technique. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que ces sources « à côté » des autres, soient majoritairement conservées dans des institutions – phonothèques, musées, bibliothèques – plutôt qu’au sein des Archives (départementales ou nationales), sauf exception. Pour réaliser ces enquêtes, notamment les entretiens filmés, l’insertion du LARHRA à l’ISH est essentielle pour disposer du support des services audio-visuels de cette structure.

  • Le séminaire du Pôle a permis de montrer des convergences en partie inattendues entre les méthodes utilisées par Annie Claustres (historienne d’art) et Laurent Douzou (historien des guerres).

Lors d’un séminaire Laurent Douzou a décomposé en trois phases sa méthodologie de l’entretien. La première consiste à élucider et élaborer ses propres hypothèses, ce qui suppose une forme d’expertise préalable. Le deuxième moment, celui de la collecte, doit être le plus neutre possible de façon à recueillir le témoignage sans le mettre en doute à la lumière de son propre savoir. Le contenu autant que les circonstances ont leur importance et tout le contexte fait partie de l’entretien. Enfin le dernier stade est celui de l’interprétation du témoignage et de sa critique. Devenu une source il est intégré au récit historique. L’ultime stade est probablement celui où le témoin lit ce récit en le confrontant à sa conception des faits.

La constitution des archives orales de l’art s’inscrit dans une longue perspective historique. Depuis Vasari, l’histoire de l’art, qui est souvent une histoire des artistes, s’écrit sans leur donner directement la parole. Ce phénomène irrita d’ailleurs Michel-Ange lui-même puisqu’il fit écrire sa Vita par un de ses élèves, Ascanio Condivi, pour répondre à celle qu’avait écrite Vasari. Celui-ci, en réaction, dans la seconde édition de ses Vite, introduisit une seule citation de Michel-Ange qui, s’adressant à lui, indique qu’ils sont natifs de la même ville, qu’ils ont respiré le même air. Et Vasari semble se prévaloir de cette parenté d’origine pour s’autoriser à prendre la parole à la place du génie à la gloire duquel il a rédigé son livre. Depuis lors, les historiens de l’art contemporains des artistes qu’ils étudiaient ont toujours insisté sur le fait qu’ils les avaient rencontrés, tout en les tenant soigneusement à distance de leur récit. Ce phénomène relève parfois d’un détournement voire d’une captation de la parole de l’artiste, mais aussi, paradoxalement, du risque de la réifier. En n’extrayant le plus souvent que quelques mots auxquels il confère volontiers un caractère oraculaire, l’historien de l’art se fait l’exégète du discours de l’artiste. Les grandes phrases des grands hommes ont le même statut dans l’Histoire. Tronquée et réduite, la parole acquiert un caractère prophétique dont les ellipses peuvent servir toutes les interprétations.

La constitution d’archives orales et audiovisuelles, en rétablissant la continuité du discours, porte l’espoir de pallier un certain nombre de ses apories. Mais l’histoire et l’histoire de l’art recèlent une dimension mythique dont les acteurs se saisissent souvent. La tentation est forte, pour un témoin, de mêler ce qu’il a vu et fait à ce qu’il a su et entendu. Tout témoin est a priori sujet à l’autofiction, quelle que soit sa bonne foi. Le témoignage oral est une archive subjective que l’historien doit tout à la fois recueillir et filtrer pour la porter au statut de source, avec l’exigence d’objectivité que cela suppose. Mais comment douter du propos de celui qui a conçu, agi, vécu, les événements ou les objets étudiés ? Probablement en faisant apparaître les contradictions qui ne manqueront pas d’apparaître car elles procèdent de la part inconsciente de projection et de reconstruction qui marque toute constitution de la mémoire humaine.

L’établissement des faits réside parfois dans les failles du discours et plus encore dans les silences. Lors d’une séance du séminaire Laurent Douzou et Annie Claustres ont fait part de leur expérience de cette mutité des résistants et des artistes. Pour des raisons diverses, la part la plus personnelle et la plus essentielle de leur expérience est aussi la plus douloureuse ou la plus secrète. L’archive audiovisuelle peut porter témoignage de ce moment où le silence substitue son éloquence à celle de la parole. Alors le regard se concentre sur l’expression ou l’attitude du témoin en prise à l’émotion. S’agit-il alors de la partager pour pénétrer dans le domaine d’une sensibilité historique propre aux images et aux sons ou, au contraire, au nom de l’objectivité, de taire l’indicible ?

Il apparaît essentiel de reposer cet ensemble de questions de méthode dans un contexte de modification radicale des modalités de collecte, de conservation et de diffusion. Celle-ci est liée au rôle du numérique et à la « mise en ligne » des informations, possible et encouragée. Cette nouvelle donne procure des moyens inédits et génère de nouvelles responsabilités scientifiques, juridiques et déontologiques. Qui plus est, elle s’inscrit dans un contexte où le témoignage est particulièrement prégnant. S’il l’est moins dans les instances universitaires, en revanche il l’est particulièrement dans les secteurs associatifs qui engagent des séries de collecte. Il l’est aussi dans les médias qui font la part belle à la parole des témoins à défaut de la prendre réellement en compte, mais qui ont construit un mode de témoigner. Ces questions se posent au chercheur comme à l’enseignant. En dirigeant des mémoires de master qui utilisent la source orale, il participe, à l’instar des étudiants, à la fabrication des sources par le biais de la collecte des récits de témoins, comme il le fait en tant que chercheur. Au-delà, c’est le devenir de ces matériaux qui est posé, leur usage dans un autre cadre et pour des projets distincts de celui de la collecte initiale. Or actuellement, la mise en ligne rapide et directe des témoignages devient un principe, aussi bien de la part des institutions de conservation que des financeurs, au prétexte légitime et prometteur d’ouverture des archives au public, d’accessibilité des documents par l’avancée technologique. Cela rend d’autant plus prégnante une réflexion sur les droits afférant aux usages élargis et médiatisés de ces témoignages, collectés dans le cadre de la recherche.

Or, il est tout à fait loisible voire même passionnant de questionner les mêmes archives à partir d’interrogations nouvelles, de les utiliser comme matériau pour construire de nouveaux objets, investiguer des sujets neufs et lancer des problématiques inédites. Cette possibilité tient à la richesse intrinsèque des témoignages et de la mémoire orale, pour peu que la collecte ait été faite dans de réelles conditions de qualité scientifique, méthodologique et technique. Cela renvoie à la complexité du récit et aux niveaux variés de lecture que l’on peut en faire. En effet, lorsque l’on réalise des entretiens, surtout si l’on n’est pas un enquêteur trop directif et trop centré sur son seul sujet, on obtient des récits qui vont bien au-delà des seules thématiques attendues ou retenues, des seuls éléments que l’on cherche a priori. La richesse du récit suscite de nouvelles interrogations, de nouvelles entrées et d’ailleurs, on peut rarement aborder l’ensemble de la matière fournie lors d’une première recherche.

  • Les sources télévisuelles

Les conditions du travail scientifique sur les sources audiovisuelles et écrites de la télévision ont été radicalement transformées par la loi du 20 juin 1992 sur le dépôt légal des documents audiovisuels télédiffusés et radiodiffusés d’origine française qui a permis l’accès aux archives des programmes de télévision pour les chercheurs et enclenché un mouvement de récupération des archives des périodes antérieures. Il est difficile de dissocier l’étude de la télévision de celle des autres médias. Le chercheur historien utilise donc une approche externe qui contextualise les sources audiovisuelles, les resitue au sein de circulations intermédiatiques (presse, radio, télévision, internet). Il développe des approches internes d’analyse visuelle des documents. Celles-ci bénéficient de l’héritage des études menées depuis les années 1970 par des historiens du cinéma comme Marc Ferro ou Pierre Sorlin qui ont les premiers mis en œuvre une histoire des représentations par l’image animée et le film. Un préalable est de constituer des corpus exhaustifs que l’on peut traiter statistiquement. Il est nécessaire de situer ces images dans les programmes, les grilles, les genres télévisuels. Il faut ensuite, de façon détaillée, procéder à l’analyse des plans, des gestes, des dispositifs, comme de la bande-son.

De plus la question de la constitution de l’audiovisuel comme patrimoine mis à la disposition des chercheurs – domaine pour lequel la France bénéficie d’une reconnaissance internationale pour des raisons historiques – a fait l’objet de journées d’études avec des chercheurs brésiliens (Itania Gomes, Université de Salvador de Bahia), britanniques et suisses (François Vallotton, Université de Lausanne), afin de comparer des univers où le rapport à l’histoire et à la mémoire est différent3. Ces échanges d’expériences se poursuivront lors de journées d’études au Brésil en juin 2013. La confrontation avec les approches d’autres pays éclaire en retour le regard spécifiquement français.

  • Apports de l’histoire de l’art

Les premiers programmes destinés à recueillir les archives orales ont vu le jour aux Etats-Unis dans les années 1960 (Oral History / Archives of American Art de la Smithsonian Institution à Washington, MoMA de New York et Getty Research Institute de Los Angeles). Le fait est significatif. Au même moment, certains artistes se saisissaient des nouveaux médiums artistiques que constituaient le cinéma, la télévision et la vidéo. Ils les utilisaient parfois en tant que médias. Andy Warhol s’est mis en scène dans des films. Il en est l’auteur et le sujet, il en fait directement partie et sa parole vaut autant comme œuvre que comme source. Ce faisant, il déplace une partie du travail du critique et de l’historien de l’art, les contraignant à d’autres relations avec la parole de l’artiste. Elle devient un des matériaux de l’enquête, plus important que les sources traditionnelles.

Plus récemment le Kunsthistorisches Institut der Universität Zurich a lancé un programme sur les archives orales relatives à la scène artistique en Suisse et le projet Voices in Art History : AAH Oral Histories est apparu en Grande Bretagne.

  • Enracinement historique

Dans une approche historienne il convient de développer la mise en contexte de ces sources. Travailler sur l’audiovisuel, c’est aussi travailler sur l’écrit afin d’éclairer les conditions de production, le rôle des acteurs, les phénomènes de réception.

Enfin il apparaît nécessaire de poser la question de l’écriture de l’histoire à partir de ce type de sources qui peuvent être soit des sources complémentaires des corpus des historiens, soit des sources principales. Écrire sur des images, à partir des images, s’avère souvent difficile à partir du moment où l’image n’a pas uniquement une fonction d’illustration. Les historiens d’art en possèdent le savoir-faire. Mais tous les chercheurs sont confrontés à la question du droit aux images d’une part dans l’exercice de leur métier d’enseignant (question de l’exception pédagogique) mais aussi du droit à la citation des images pour l’écriture de leurs recherches. Tout en respectant le droit d’auteur il apparaît de plus en plus nécessaire de réfléchir aux usages scientifiques des images à l’heure de la publication sur internet en prenant en compte les impératifs de la recherche scientifique.

Questions et enjeux : la constitution de mémoires visuelles et sonores

Un premier objectif est de comprendre et d’analyser les processus de sédimentation et de construction des mémoires visuelles et sonores. De ce point de vue l’apport des recherches sur l’intermédialité s’avère particulièrement fructueux4. Par « intermédialité », on entend en particulier la définition qu’en a donnée Silvestra Mariniello (Centre de recherche sur l’intermédialité, 1999) :

« On entend l’intermédialité comme hétérogénéité ; comme conjonction de plusieurs systèmes de communication et de représentation ; comme recyclage dans une pratique médiatique, le cinéma par exemple, d’autres pratiques médiatiques, la bande dessinée, l’Opéra comique etc. ; comme convergence de plusieurs médias ; comme interaction entre médias ; comme emprunt ; comme interaction de différents supports ; comme intégration d’une pratique avec d’autres ; comme adaptation ; comme assimilation progressive de procédés variés ; comme flux d’expériences sensorielles et esthétiques plutôt qu’interaction entre textes clos ; comme faisceau de liens entre médias ; comme l’événement des relations médiatiques variables entre les médias […]. »

Le second objectif est de participer à une histoire des sensibilités à travers les images, les voix, les couleurs.

Les sources visuelles et sonores sont particulièrement aptes à contribuer à une histoire des sensibilités. Le film d’un amateur pourrait à première vue sembler insignifiant, maladroit et, en tant que tel, inopérant pour rendre compte de façon synthétique d’un moment. C’est au contraire sa maladresse même, son manque de maitrise des techniques et des codes qui font qu’il constitue un matériau brut plus personnel et plus authentique. Pour autant il ne faudrait pas négliger le fait que la sensibilité, c’est-à-dire la façon de voir un événement, est aussi déterminée par des modes de perception qui sont collectifs et culturels. Or, ces modes de perception ont été eux-mêmes forgés par les formes de discours du cinéma, du reportage ou du documentaire. Plus que l’écrit sans doute, l’audiovisuel transmet tout à la fois l’objet perçu et la façon de le percevoir. Il agit sur nos sens et forge nos sensibilités, enrichissant nos mémoires individuelles de toutes ces perceptions collectives auxquelles les individus n’ont pu avoir accès directement.

En ce sens les archives privées, notamment les films familiaux produits dans les années 1930 mais surtout à partir des années 1950 sont des sources particulièrement passionnantes pour l’approche de l’histoire sociale et culturelle. Au-delà de leur répétitivité ou de leur aspect anecdotique, on touche là à des modèles de comportements et de représentations que le film, concentrant les données dans l’espace et le temps, donne à voir, à lire dans le champ et le hors champ de la caméra : une proximité avec le témoignage qu’il est intéressant de travailler tant sur le plan méthodologique que dans les thématiques croisées qu’ils autorisent.

Enfin, il faudra réfléchir aux enjeux et aux usages pour la recherche historienne de l’archivage du web5 partagé par la BnF et l’INA (loi Davdsi, août 2006), l’INA assurant au titre du dépôt légal la conservation des sites animés. Un atelier animé par Louise Merzeau et Claude Mussou6 développe les réflexions à cet égard depuis deux ans.

Ce texte n’est qu’une première approche de l’ensemble des travaux qui peuvent être stimulés par l’existence d’un Pôle Images-sons-mémoires au sein du LARHRA. Il devra être complété grâce aux travaux de chacun.

Notes

1 À titre d’exemples : la Conservation du patrimoine de l’Isère qui possède des collections à la fois très importantes, notamment des photos, mais aussi sonores (c’était la première phonothèque régionale dans les années 1970-1980) ; l’association le CMTRA (Centre des musiques traditionnelles en Rhône Alpes (Villeurbanne) mène du point de vue des démarches anthropologiques et des associations patrimoniales un projet de collecte et de mise en valeur. Retour au texte

2 Consultables à l’Inathèque, dans l’emprise de la BnF. Retour au texte

3 Cette thématique sera au cœur de la publication du numéro 35 « Archives et patrimoines visuels et sonores » de la revue Sociétés & Représentations, Publications de la Sorbonne, à paraître en 2013. Retour au texte

4 Voir à ce sujet Pascale Goetschel, François Jost, Myriam Tsikounas (dir.) Lire, voir, entendre. La réception des objets médiatiques, Paris, Publications de la Sorbonne, 2010, 400 p. Voir aussi les recherches menées par l’ARIAS, atelier de recherches sur l’intermédialité et les arts du spectacle. http://www.arias.cnrs.fr/index.html Retour au texte

5 Consulter le blog http://atelier-dlweb.fr/blog/ Retour au texte

6 Claude Mussou, « Et le Web devint archive : enjeux et défis », Le Temps des médias 2/2012 (n° 19), p. 259-266. Retour au texte

Citer cet article

Référence papier

Laurent Baridon, Évelyne Cohen et Anne-Marie Granet-Abisset, « Le Pôle Images-sons-mémoires », Les Carnets du LARHRA, 1 | 2013, 69-81.

Référence électronique

Laurent Baridon, Évelyne Cohen et Anne-Marie Granet-Abisset, « Le Pôle Images-sons-mémoires », Les Carnets du LARHRA [En ligne], 1 | 2013, mis en ligne le 04 avril 2025, consulté le 22 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/larhra/index.php?id=1219

Auteurs

Laurent Baridon

LARHRA UMR 5190 Lyon 2

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