Enregistrements sonores anciens au LARHRA

Texte

Rêver..., poésie du Kriegsgefangener , Gilbert Rudié.

Rêver..., poésie du Kriegsgefangener , Gilbert Rudié.

Disque du Stalag IV C (1944) – Photo : Henri Chamoux.

Après un processus inventif qui s’étend sur plus de 30 ans, l’industrie phonographique française est née autour de 1893. Près de 100 millions d’enregistrements commerciaux sur disques et cylindres ont été produits pour le seul marché français, avant 1914. Les cylindres encore audibles aujourd’hui ne nous sont parvenus qu’à raison d’un pour mille environ, et il ne subsiste qu’une fraction à peine plus généreuse des disques gravés à la même époque. Très fragiles, les produits de cette industrie ont désormais une valeur patrimoniale.

Auprès des instances académiques, la crédibilité de cette industrie neuve n'est acquise qu'après un processus lent : mise en place de l’application du droit d’auteur au disque (1905), création à la Sorbonne des Archives de la Parole (1911), mais il faut attendre 1925, pour une loi sur le dépôt légal des œuvres phonographiques, tandis que le décret d'application de cette loi n'est signé qu'en 1938, et n’a été appliqué au disque en France de façon vraiment systématique qu’après 1945, sans effet rétroactif. En conséquence, les bibliothèques et archives publiques françaises ne rassemblent toutes confondues qu’à peine 8 000 cylindres, tandis qu’on en compte environ cinq fois plus dans de nombreuses collections privées, et il en va de même pour les disques. Par exemple, ceux qui furent gravés à Paris en 1903 et 1904 par les plus illustres pianistes d’une génération : Louis Diémer, Claude Debussy, Edvard Grieg, Raoul Pugno ou Camille Saint-Saëns, ne figurent dans aucune collection publique française, ni même européenne. On pourrait multiplier de nombreux autres grands absents des archives sonores, pourtant bien présents en collections privées. Le cas des musiques populaires, qui ont été longtemps les plus délaissées en archives, est plus caractéristique encore.

De nombreux enregistrements de toutes époques, de surcroît jamais commercialisés, sont présents dans des collections privées et parfois menacés de disparaître, ayant échappé à toute forme de conservation académique ou d’inventaire discographique. Pour donner toute la mesure de ce vide, rappelons qu'à ce jour aucune publication historienne ne mentionne même l'existence de l’enregistrement sonore des débats de l’armistice signé le 22 juin 1940 dans le fameux wagon de Rethondes. Il existe deux copies de cette quarantaine de disques gravés en direct (4h25 au total). L'une se trouve dans une archive en Allemagne, c’est l’exemplaire d’Hitler. La deuxième, l’exemplaire de Pétain, a pu être achetée aux enchères en Allemagne en 2015 pour une somme assez modeste, par un particulier qui la conserve chez lui à Paris.

Ainsi, tels des limiers à l'affût, des collectionneurs croisent le parcours de tels documents, pour se les offrir et, dans le meilleur des cas, les faire connaître et les déposer un jour à leur place véritable, en archive publique.

Le centre de numérisation audio du LARHRA est souvent l'intercesseur entre ces collections privés et les institutions de conservation spécialistes, parmi lesquelles figurent en tête la Bibliothèque nationale de France, les Archives nationales et l'Institut national de l’audiovisuel (INA). L'action porte sur plusieurs champs : localisation des collections, sauvegarde par l'inventaire, la numérisation sonore et photographique, publication des sauvegardes le cas échéant sur la Phonobase (www.phonobase.org), et enfin : orientation des personnes désireuses de remettre des documents rares aux soins d'archives publiques.

Parmi les collections sonores les plus remarquables remises récemment aux Archives nationales, il faut citer les disques d'Elie-Jean Pascaud (1908-2003), prisonnier de guerre dès mai 1940, envoyé d’office en Allemagne pour 5 ans. Au Stalag IV C, en Bohême, il fut le représentant de ses camarades auprès des autorités allemandes, qui ont visiblement bénéficié d’une aide de la YMCA de Genève, obtenant des instruments de musique et du matériel de studio. Les disques uniques du Stalag IV C m’avaient été remis dans la plus grande simplicité, au début de l’été 2020, par les héritiers d’Élie-Jean Pascaud, à ma charge de les remettre en un lieu sûr. Après avoir été numérisés au LARHRA1, ils sont désormais aux Archives nationales, où ils complètent un fonds papier de même origine.

Voici donc, rendu accessible, le fruit d’un travail conjoint, celui d'un réseau de personnes bienveillantes, notamment autour de l'association du Phonomuseum Paris2, dans le but de sauver des documents rares ou fragiles. Le suivi du parcours d'une collection est souvent un sport d’équipe, qui mêle public et privé sur le terrain : « mais où sont cachés ces enregistrements ? » Par certains aspects, c'est de l'archéologie. Ces démarches passent aussi par la discographie, un art qui est au disque ce que la bibliographie est au livre3. Il faut aussi mettre en confiance des collectionneurs particuliers qui ne sont pas tous partageurs : les approcher, les séduire en somme, avant d’accéder à leurs trésors.

Enfin, la lecture optimale de tout support analogique demande des connaissances et des soins bien spécifiques pour la recherche des meilleures solutions techniques. La mise en œuvre de l'Archéophone, lecteur qui permet d’écouter et numériser les cylindres dans une vingtaine d’archives privées et publiques dans le monde en est un bel exemple. Cet instrument, qui avait assuré en 2014-2016 la numérisation audio des Dictabelts du procès de Nelson Mandela4, permet aujourd'hui au LARHRA, avec d'autres appareillages conçus depuis dans le même but, d'offrir un service hors pair5.

Notes

1 Pour écouter les disques du Stalag IV C : https://phonobase.hypotheses.org/289 Retour au texte

2 Phonomuseum Paris : https://phonomuseum.fr/ Retour au texte

3 Henri Chamoux, « Discographies et discographes », Bulletin de l'AFAS, HS3 | 2021. URL : http://journals.openedition.org/afas/6883 Retour au texte

4 Henri Chamoux, « La numérisation sur l'Archéophone des dictabelts du procès de Rivonia », Les pages de l'Archéophone : http://www.archeophone.org/dictabelt/index.php Retour au texte

5 Évelyne Cohen, Pascale Goetschel, « Visite dans un atelier singulier : autour de l’archéophone d’Henri Chamoux », Sociétés & Représentations, 2016/1 (N° 41), p. 149-159. Retour au texte

Illustrations

  • Rêver..., poésie du Kriegsgefangener , Gilbert Rudié.

    Disque du Stalag IV C (1944) – Photo : Henri Chamoux.

Citer cet article

Référence électronique

Henri Chamoux, « Enregistrements sonores anciens au LARHRA », Les Carnets du LARHRA [En ligne], 1 | 2023, mis en ligne le 08 décembre 2023, consulté le 17 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/larhra/index.php?id=937

Auteur

Henri Chamoux

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