Lynda Benglis – Robert Morris (1974), une économie plastique des corps par-delà l’identité

DOI : 10.35562/marge.228

Résumés

En 1974, Lynda Benglis et Robert Morris produisent conjointement deux images au carrefour de la performance artistique et de la publicité. Elles mettent en scène une sexuation ambivalente de leur corps, entre abstraction et conrétude du genre sexué. Nous verrons comment ces deux images font résonner les attributs genrés d’un corps à l’autre et déplace ainsi le curseur identitaire pour introduire une faille qui rend révocable, selon moi, l’encadrement et la subsomption de l’analyse de ces images du point de vue du genre à partir de et vers l’identité, au singulier comme au pluriel.

New York, April 1974, on a poster realised for his double exhibition in the famous Castelli-Sonnabend Gallery, the body of the artist Robert Morris appears topless and oiled, dress up with a military helmet, sunglasses Aviator model on the face, a metal collar with chains he grasps. In November of the same year, on the right third of a “centerfold” of the as well famous Artforum magazine, the body of the artist Lynda Benglis appears totaly naked and oiled, sunglasses Cat-Eye model on the face, with a large double dildo she holds, as if it is penetrating her vagina on a side, and on the other side it is pointing a large black monochrome surface covering the left tow thirds of the double page. This tow images sparked off a lot of discursive reactions between admiration and rejection, even in the critical literature, almost starting from the feminin and masculin identity opposition.
Lynda Benglis and Robert Morris are at this moment in multiple faces relation between private and professional. In the begenning of the 1970s, they introduce an artistic collaboration through an exchange of video material, with images and comments which refer to art, politics and sex among others. Even though they are not regarded by art history as famous figures among political artists who are frontally interrogate sex identity and gender representations (both are not publicly engaged in feminism art movements of the 1970s), and perhaps because they are not subject to an instrumental political calandar, they constructed a singular personnal and artistic relation in step with the most influancial area of the sexual and homosexual liberation of the West in the 1970s whose they borrow some attributes to constructed their iconic figures.
On this essay, I claim this tow figures they manage as a real ad for Morris and a real fake one for Benglis, between art and ad, private and public areas, could not be studied starting from psycho-sociological category or concept of the identity (in his singular or a plural form) as the alpha and the omega of sexualities and genders topics and problematics. I regard the fictional and performative caracteristics of the iconic process as a different way that work as a practice above all, in a cultural and politics context, and which can be a singular strategy to go over the identity paradigm as a sufficiency of the reality of the subject. Plasticity, exchange, fetichism, pornography, S/M, etc., could be translated here in a symbolic, materialist and practice way for a such excess.

Plan

Texte

L’intéressant n’est pas de savoir si je profite de quoi que ce soit, mais s’il y a des gens qui font telle ou telle chose dans leur coin, moi dans le mien, et s’il y a des rencontres possibles, des hasards, des cas fortuits, et pas des alignements, des ralliements, toute cette merde où chacun est censé être la mauvaise conscience et le correcteur de l’autre. [...] Le problème n’a jamais consisté dans la nature de tel ou tel groupe exclusif, mais dans des relations transversales où les effets produits par telle ou telle chose (homosexualité, drogue, etc.) peuvent toujours être produits par d’autres moyens. Contre ceux qui pensent « je suis ceci, je suis cela », et qui pensent encore ainsi de manière psychanalytique (référence à leur enfance ou à leur destin), il faut penser en termes incertains, improbables : je ne sais pas ce que je suis, tant de recherches ou d’essais nécessaires, non narcissiques, non œdipiens – aucun pédé ne pourra jamais dire avec certitude « je suis pédé ». Le problème n’est pas celui d’être ceci ou cela dans l’homme, mais plutôt d’un devenir inhumain, d’un devenir universel animal : non pas se prendre pour une bête, mais défaire l’organisation humaine du corps, traverser telle ou telle zone d’intensité du corps, chacun découvrant les zones qui sont les siennes, et les groupes, les populations, les espèces qui les habitent.
Gilles Deleuze1

Actualité

Au moment où j’écris ces lignes, Paul B. Preciado2 avance un propos dans le journal Libération en forme d’impératif : « Il faut abandonner totalement le langage de la différence sexuelle et de l’identité sexuelle (même le langage de l’identité stratégique, comme le veut Spivak, ou de l’identité nomade, comme le veut Rossi Braidotti). »

I. Pour introduire

L’identité est un concept qui s’est largement élargi jusqu’à devenir une notion aux « contours flous ». C’est cette circonscription aux limites confuses qui m’interpelle actuellement dans le travail de recherche que j’ai entrepris selon un axe général questionnant l’identification du genre masculin dans la production artistique contemporaine, à partir des années 1960 et dans l’espace occidental3.

En 1974, le célèbre mensuel Artforum publie son numéro du mois de novembre avec un article de Robert Pincus-Witten sur le travail de l’artiste étasunienne Lynda Benglis et une double page d’ouverture supportant, sur le tiers droit, une photographie de la même artiste. Le crédit de cette photo comporte la mention suivante : « Lynda Benglis, courtesy of Paula Cooper Gallery copyright © 1974 Photo : Arthur Gordon ». Cette publication est une performance iconique empruntant aux codes publicitaires mais ne renvoyant à aucune actualité de l’artiste dans la galerie mentionnée dans les crédits4.

En couleur et en pleine lumière sur fond blanc, le visage face au regardeur, la bouche entre-ouverte, les cheveux cuivrés, courts et gominés en arrière, l’artiste se met en scène nue, le corps bronzé, huilé, les fesses cambrées, la taille soulignée par la réserve blanche due au bronzage et par le geste de sa main gauche, les doigts écartés, posée sur la hanche. Seuls, les yeux sont couverts d’une paire de lunettes de soleil incrustée de strass et en forme dit « Harlequin », modèle inventé par Altani Shinasi à la fin des années 1930 et popularisé sous le vocable « Cat-Eye » (yeux de chat) par la scène féminine et glamour de Hollywood. Elle prend en main un long godemichet double, dont l’une des extrémités est placée au niveau de son pubis poilu, l’objet semblant ainsi introduit dans son vagin, tandis que l’autre extrémité, parfaitement découpée sur le fond blanc, pointe vers la gauche de la double page qui est imprimée d’un aplat monochrome noir sur les deux derniers tiers.

Sept mois auparavant, en avril de la même année, l’artiste étasunien Robert Morris, photographié par Rosalind Krauss, annonce par voie d’affiche sa prochaine exposition à la non moins célèbre galerie Castelli-Sonnabend à New York. En buste et dans un clair-obscur en noir et blanc, il se présente torse nu, le corps huilé, coiffé d’un casque militaire noir de type moderne, proche de ceux utilisés dans l’armée du IIIe Reich. Bouche fermée, face au regardeur, les yeux couverts par une paire de solaires, modèle dit Aviator, en usage exclusif dans l’armée américaine à partir de 1936 et popularisé ensuite dans les années 1960, le visage est impassible. Un large collier de chien en métal pointé enserre son cou. Ses bras sont repliés le long de son buste, faisant apparaître la contraction du biceps de son bras gauche que mettent en avant les reflets de la peau huilée. Ses deux mains sont resserrées, poings fermés au niveau de ses clavicules. Le poing, situé dans la partie éclairée, est souligné par un bracelet de force en métal qui réfléchit la lumière. Morris agrippe ainsi une grosse chaîne en métal accrochée au collier tout en esquissant ce qui semble être l’initiative d’un geste qui hésite entre l’arrachement et le serrage, pour se suspendre finalement au niveau des poings, laissant ainsi supposer le poids conséquent de la chaîne.

Ces deux images apparaissent à quelques mois d’intervalle à New York, la ville qui a vu naître, au tournant des années 1960-1970, un des mouvements de libération social et politique homosexuel qui deviendra le plus remarqué dans l’espace occidentalisé.

II. Au risque d’un essentialisme

Le cadre de réception critique de ces images est peu commun, car ces dernières ont un double statut, artistique et publicitaire, assumé comme tel par leurs auteurs, mais avec toute l’ambivalence et la complexité que cela suppose. De plus, les conflits idéologiques qui ont eu lieu à l’époque, en regard du caractère érotico-pornographique des images, ne privilégient pas le consensus, voire profitent de cette tournure sulfureuse et rumorale qui concourt à brouiller les pistes. Pour la question qui nous préoccupe aujourd’hui, Alison Lee Bracker5 nous a montré que ses images se fabriquent autour d’enjeux qui convoquent la question du genre sexuel des artistes vis-à-vis de leur autonomie en tant que producteurs de leur visibilité.

De manière générale, les textes critiques qui entourent ses images posent problème sur quelques points essentiels. Bien que les sources soient confuses et contradictoires même, elles n’ont pas été analysées et mises en relation de façon approfondie. En effet, soit les critiques isolent l’image de Robert Morris de celle de Lynda Benglis6, soit elles ne rendent pas compte de l’exactitude historique du contexte de leur apparition7. De plus, l’image de Robert Morris est réduite à une masculinité sado/masochiste (S/M) sans nuance, qui équivaut pour beaucoup à la proposition d’identité suivante : mâle = masculin = pouvoir = violence8. De même que la réception de l’image de Benglis aura suscité, et encore, les poncifs les plus élémentaires de la misogynie et du sexisme9. Enfin, les attributs qui renvoient aux imageries homoérotiques/homosexelles10 et S/M, quand ils ne sont pas carrément désavoués, ne font pas l’objet d’une analyse approfondie quant à la manière dont ils intensifient l’image. C’est alors tout un champ de l’économie du genre et de l’identité qui est évacué.

La simplification dont fait preuve la réception critique de ces images est au risque de la réduction essentialiste des genres masculins et féminins et des sexualités dites « perverses » à leurs figures idéales stéréotypées selon un paradigme binaire hétérocentré. Elles totalisent, le plus souvent, la résolution des propositions plastiques de Lynda Benglis et de Robert Morris uniquement autour de la forme phallique détectée dans les images. Cette forme est haussée directement au rang symbolique sans autres arguments que celui de l’autorité convoquée de Jacques Lacan en une lecture dogmatique de la question. Elles reconduisent ainsi une autorité du regard favorisant un phallogocentrisme, même involontaire, là où les images tentent pourtant de la distordre de manière paradoxale et complexe11. J’affirme pour ma part que ces images activent et mettent en valeur une plasticité du corps au niveau de la performance du genre irréductible à une identité, pour autant qu’elles mettent en jeu des rapports d’identifications symboliques. En suivant la logique de la philosophe Geneviève Fraisse sur la question, on peut dire que le genre comme prisme conceptuel démultiplie l’image sociale du sexe et interroge les limites de l’identité entre l’unité et le multiple (singulier/pluriel). En tant qu’adjectif, il révèle la sexuation du corps et ses modalités mais « ne propose ni définition, ni essence » qui, j’ajoute, viendrait se subsumer dans l’identité comme entéléchie, c’est-à-dire comme réalisation suffisante12. Le genre se partage ainsi entre l’abstraction et la concrétude13. Il informe sur les caractéristiques supposées des sexes tout en débordant de manière performative le cadre qui fait pré-dire les sujets-femmes et les sujets-hommes. Il peut tout aussi bien montrer que cacher la réalité corporelle des attributs qu’il est censé désigner. La question est donc la suivante : comment ces deux images font-elles résonner les attributs genrés d’un corps à l’autre et déplacent ainsi le curseur identitaire, pour introduire une faille qui rend révocable, selon moi, l’encadrement et la subsomption de l’analyse de ces images, du point de vue du genre à partir de et vers l’identité, au singulier comme au pluriel ?

III. Précisions sur l’usage du concept d’identité en l’espèce

Il faut souligner une intensité de l’usage du concept d’identité au tournant des années 1970 et avec une telle ampleur qu’il est impossible aujourd’hui de nier son inflation14. En effet, provoquée par un trop grand investissement, l’inflation et l’extension de l’usage du concept d’identité créerait un déséquilibre entre une capacité de ce dernier à désigner une réalité précise et unique, et une demande pour un usage du concept à un niveau plus global qui dépasse les limites individuelles pour s’étendre au collectif. On parle aussi, en psychologie, d’inflation de la personnalité pour désigner ce type de mouvement élargi. Cette idéologie inflationniste de l’individu prend forme dans une conceptualisation moderne de l’identité comme élément indispensable à la construction du sujet occidental capitaliste. Elle se développe à la fin du xviisiècle, au cœur d’une pensée rationnelle et libérale qui entend mettre en place une nouvelle pensée juridique impérialiste et discriminante du territoire, à travers la notion d’État de droit, de contrat social et celle de libre entreprise de l’esclavagisme15. En suivant Vincent Descombes, ce qui pose problème avec le concept d’identité, c’est le passage de son emploi pragmatique et temporaire dans un cadre académique et juridique à un usage psychosociologique élargi. L’identité devient alors un véritable processus totalisant de représentation et d’assujettissement du sujet fixé à un appareil de production sociétal qui a le pouvoir de situer et d’assigner les existences ressorties à un processus psychologique d’identification, d’appartenance et de distinction. L’art et la production de masse des images sont donc des moyens privilégiés pour la formalisation de ce procédé, sa ritualisation, sa visibilité et sa diffusion. Ces machines iconiques s’inscrivent dans l’histoire plus large des techniques modernes de construction intellectuelles et visuelles du corps sexué, depuis le développement en masse des pratiques de modélisation, d’énonciation et de représentation du corps telles que le sport, l’éducation, les sciences anthropologiques, la criminologie, la physiognomonie, en passant par des instances de légitimation scientifiques telles que la médecine à une époque où le dimorphisme sexuel se stabilise médicalement et juridiquement au xviiisiècle.

Comme nous le précise aussi Paul B. Preciado16, dans un souci supposé nous prémunir de toute aliénation, les catégories aux sources des marqueurs sexuels du corps (homme, femme, hétéro, homo, par exemple) ne sont pourtant pas des « lieux identitaires », mais des fictions politiques – selon des idéologies et des valeurs historiquement marquées, et donc variantes. Le paradigme identitaire moderne est historiquement constitué comme nous l’avons évoqué plus haut. L’identité quant au sexe ne constitue pas un objet métaphysique en soi, c’est avant tout un mode de représentation pragmatique qui s’inscrit dans une logique des usages du corps par la société : « Le sexe et la sexualité ne sont pas la propriété essentielle du sujet, mais bien le produit de diverses technologies sociales et discursives, de pratiques politiques de gestion de la vérité et de la vie. […] Il n’y a pas des sexes et des sexualités mais des usages du corps reconnus naturels ou sanctionnés en tant que déviants17. »

IV. La figure de l’artiste en tant qu’objet du regard

Dans le cadre ambiant très politisé et collectif des années 1960-1970, des artistes et théoriciennes, travaillant dans le sillage d’une pensée politique et théorique féministe, revendiquent une production artistique et théorique à partir de l’expérience subjective18 en dynamique avec les structures sociétales et politiques, rompant ainsi avec le modèle masculin de l’énonciation d’un moi autoritaire (sous gouvernance transcendantale). On peut aussi dire, et sans exagérer, que le corps et la figure de l’artiste est devenu un leitmotiv de la production artistique postmoderne sous des formes diverses, interrogeant la fragmentation identitaire, la mise en scène des mythologies personnelles ou la puissance performative du corps et du langage par exemple19. Convoqué comme médium et/ou en tant que substance et matière (organes, chair, squelette, etc.), le corps s’éloigne de façon significative d’une fonction de support à la fabrication et à l’incarnation d’un symbole transcendant pour se constituer comme le lieu même où s’inscrivent véritablement les effets des technologies sociétales et des pratiques politiques dans la manière dont ils modélisent les contours, les formes et les attitudes de la figure humaine.

Cette présence du corps de l’artiste dans le champ visuel commun, entre subjectivation et objectivation, a maintenant une histoire significative dont on peut situer une des apparitions symptomatiques modernes, entre le geste artistique et le geste publicitaire, avec Marcel Duchamp se représentant travesti en Rrose Selavy. L’historienne de l’art Giovanna Zapperi situe ce portrait de Duchamp en correspondance avec l’arrivée de l’objet quotidien dans l’art en lieu et place de la toile peinte. La publicité, comme processus d’objectivation de la figure de l’artiste sur le plan de l’attitude, s’inscrit donc dans le cadre d’une « dématérialisation » de l’art, c’est-à-dire dans le sens d’une production qui ne soit pas une « re-présentation », mais le procès d’un objet déjà fabriqué (ready-made) dans le flux productiviste de la société capitaliste, sans passer par la création originale des mains de l’artiste. L’objet fonctionne ainsi comme le signal d’une activité sociale et intellectuelle plus large.

L’art est désormais considéré en termes de pratiques, d’actions et de productions. Ce sont les actes d’élaboration, de monstration et d’énonciation des objets, et non plus seulement les objets en eux-mêmes, qui sont à regarder dans leurs modalités d’apparition, pouvant faire événement et non image. C’est la pratique qui fait l’objet et non pas l’inverse. C’est aussi le caractère indiciel de l’objet-regardé ou de son image photographique, avec les objets en usage hors du champ artistique, au sens fort de ce qui nous mène vers la preuve de leur existence utilitaire, qui provoque une confusion et une réification possible du réel dans le régime fétichiste de la société capitaliste. Ainsi, l’image, en tant qu’instrument d’une économie pratique de l’identification et du marquage symbolique du corps, telle que je la considère ici, devient, avec le geste de Duchamp comme énoncé par Giovanna Zapperi, celui d’une reconnaissance du corps de l’artiste en présence et en acte, en lieu et place du transcendant « génie »20.

V. L’artiste sujet-objet

Au tout début des années 1970, Lynda Benglis et Robert Morris initient une collaboration artistique basée sur un échange dialogique, réflexif et matériel à travers un assemblage commenté d’images fixes et en mouvement, enregistrée sur des cassettes vidéos qu’ils s’échangent respectivement à distance. Chaque modification de l’un ajoutant ou transformant le matériel reçu de l’autre pour aboutir à vingt versions différentes, formalisées au final dans deux vidéos qui sont les réponses individuelles de chacun et chacune à cet échange : Mumble en 1972 par Benglis et Exchange en 1973 par Morris21. Chacune à sa manière, les vidéos présentent une superposition de plans d’images diffusées sur des moniteurs, eux-mêmes filmés en présence des artistes qui commentent ces images dans une économie visible de la production. La collaboration professionnelle, par-delà la réalité des relations des deux protagonistes dans la vie quotidienne, devient « compétition et lutte pour l’initiative »22 à un niveau individuel et personnel. Les corps des artistes sont ici totalement entrepris par la technologie, sa maîtrise et en conséquence, ses ratés. Le processus de l’identification est contraint par celui des impulsions électriques de l’écran entre fréquences et intensités, dans les entrelacs, juxtapositions et mises en abîme des images, sans pour autant abstraire totalement la production des figures diluées dans le flux, la vitesse, le mouvement, la répétition et le brouillage23.

Un deuxième exemple vient troubler et peut-être rendre raison à mon refus de considérer ces images comme de pures oppositions de genre sexuel à partir d’un axe identitaire. En 2010, la rétrospective itinérante de Lynda Benglis montre pour la première fois la totalité de la série Secret, polaroïds agencés en panneaux, réalisée entre 1974 et 1975. Dans le panneau n° 3, on reconnaît Lynda Benglis, Robert Morris et Ray Johnson prendre pose en trio, travestis et jouant avec un double godemichet dans des postures suggestives ou sexuelles caricaturales, ironiques ou idiotes. Ces panneaux ont été peu analysés et discutés24, même dans le catalogue de cette récente rétrospective. Ce « secret » questionne précisément les performances iconiques de Benglis et de Morris dans une économie trouble de la visibilité, entre un espace public et un espace privé, à l’endroit même du jeu sexuel, et en complexifie ainsi les évidentes apparences.

On voit bien avec ces deux exemples que Lynda Benglis et Robert Morris sont, à l’époque, dans une relation à plusieurs niveaux pratiques : publique et privée, professionnelle et personnelle, artistique et sexuelle, qui constitue le cadre de vérité où le dispositif artistique relationnel des protagonistes se déploie sur des fronts contradictoires en apparence, dans une économie intensive et plastique de la visibilité, sous condition d’un libéralisme individuel autorisant l’autodétermination versus l’assignation univoque et unificatrice par pression extérieure, et – faut-il le préciser encore ? – à l’endroit de l’économie libidinale, du sexe, de la sexualité et de sa maîtrise. Tel est, selon moi, l’enjeu de ces images. Et que cet enjeu n’opère pas seulement à partir des normes binaires issues du modèle patriarcal et identitaire telles qu’hétéro/homo, féminin/masculin, mais aussi sur le terrain même de la pratique de soi et de l’autre, entre sujet et objet, en dehors de tout marquage programmé, à partir de l’économie de la pulsion – et non de la jouissance – comme montage et comme jeu25, quand bien même ce montage dans les images fait un usage des réservoirs déjà disponibles des attributs de genre dans la société.

À cette même époque, les actions menées par les minorités sexuelles, raciales et de classe dans l’espace occidental, afin de faire valoir leurs droits civiques, s’inscrivent aussi dans cette possibilité d’une autodétermination. Aussi, bien que se déployant et s’appuyant sur des structures permanentes de domination, la condition sociologique du sujet contemporain tente alors de s’exprimer en puissance de visibilité et d’expansion des corps, en dehors de toute substantification du pouvoir. Si les systèmes totalisants ont inventé les figures des minorités à travers des pratiques discursives et iconiques comme figures-contretypes, ce sera pour renforcer la croyance en un sujet idéalisé exprimé comme « normal », dans un régime d’oppositions reproductif se voulant stable et trans-historique. Il serait donc question ici d’une réappropriation des marqueurs identitaires totalisants en une fonction performative et productrice de forces visibles dans l’espace public. Pour dire que, dans les images de Benglis et de Morris, cette puissance auto-déterminative se laisse appréhender par-delà un rapport d’opposition franc et indépassable autour du symbole phallique, mais de manière empirique et constructiviste dans une économie de la visibilité de soi entendue comme pratique, au sens foucaldien du terme, renvoyant à des formes de conscience explicables et non opposables à la théorie. Cette puissance de visibilité n’est pas entreprise comme la propriété exclusive de domaines totalisant. Elle est aussi une affaire d’individu à individu, où chacun se construit à travers des actions ayant des conséquences directes sur l’un et sur l’autre (Mumble, Exchange).

VI. Pour conclure temporairement

Afin de conclure et pour livrer ici un exemple court et pertinent de cette dynamique et de ce champ de forces, regardons ce qui se trame dans ces images, en termes de gestuel, du côté de la maîtrise du sexe, entre le geste qui signale la prise en main du godemichet par Benglis et celui qui signale l’empoignement de la silhouette militaro-phallique et auto-enchaînée de Morris.

À mon sens, l’aspect dit « pervers » des pratiques sexuelles S/M et homoérotiques/homosexuelles mises en geste et en scène dans ces images – et c’est peut-être là le point le plus pertinent – les inscrit dans un ordre symbolique de la sexualité « non tourné vers le père », donc en dehors de toute logique œdipienne, familialiste et utilitaire de la reproduction, en dehors d’une idéologie hétéronormative qui oppose nécessairement masculin et féminin, et qui soulève en première instance la question de la « maîtrise » d’un point de vue de l’autodétermination du corps sexué et de sa ritualisation26. Ce qui nous montre déjà que ces images s’ancrent dans une machinerie constructiviste et volontaire de l’image de soi, autrement active dans la société occidentale de cette époque.

Mis en scène dans une circulation des contraires chez Robert Morris, les attributs de domination et de soumission sont activés à partir d’une théâtralité masochiste homoérotique/homosexuelle sur un seul corps où la posture inébranlable de la figure militaire conquérante à tendance monolithique vient contredire celle soumise de l’esclave enchaîné, ou inversement. Cette image s’inscrit déjà dans une histoire des marqueurs esthétiques du modèle figuré et incarné d’un idéal masculin moderne qui se stabilise au tournant des années 1930, dans une économie monolithique de l’esthétique fasciste qui inclut en même temps la construction de ses contretypes corporels identifiés au paradigme du Paria, à travers les figures transcendées de l’Homosexuel, du Juif, et de la Femme27. Étrange combinaison donc, sur un seul corps, d’antinomies idéologiques et historiques. C’est vers l’érotologie de la pratique masochiste du mâle homosexuel occidental qu’il nous faudra nous tourner pour interroger ce couplage contradictoire et ses attributs (casque, chaînes, poignets de force, etc.). C’est Jean Allouch28 qui nous a menés avec précision vers l’analyse érotologique de ce champ pratique, qui se distingue par une non-dépendance à la jouissance et au pénis – ce dernier pouvant même dans la pratique du fist-fucking29 être substitué par le poing –, et à la conscience d’un autre voile historique du phallus où il nous montre que le moins discuté est celui de la sexualité du « Maître » (sous les figures du Père, du Souverain, ou de Dieu). Cette sexualité, il la situe précisément à l’endroit du Katapugon, de l’anus, élément qu’il nous faudra alors questionner dans son aspect historique, symbolique et pratique comme impensé dans la lecture de ces images. Cela nous fait dire momentanément avec Allouch que, si le phallus peut voiler quelque chose dans l’image de Robert Morris, ce n’est pas une tentative d’occulter sa part réaliste et organique-génitale ici absente – (et comme l’énonce Amelia Jones via Mira Shor, au profit d’une sorte de « transsubstantiation » iconique du phallus entreprenant une totalité monolithique du corps) – mais peut-être la maîtrise elle-même et sa ritualisation dans un redéploiement des contacts scopiques (et érogènes a fortiori) sur une corporéité poreuse. Il s’agirait donc de se dépendre ici du phallus et de tout son arsenal symbolique hétérocentré (de la castration à son incorporation exclusive sur le corps-mâle) au profit d’une création de soi all-over, hors zone génitale, et qui déborde le cadre épistémologique géniteur et binaire (homme/femme) de la représentation sexuelle.

Mais aussi, voir comment des artistes identifiés dans un cadre relationnel hétérosexuel et une socialité hétéronormée, se réapproprient en 1974 des codes et des attributs qui empruntent pourtant à toute une panoplie de pratiques dites « sub-culturelles », développées ostensiblement en cette période marquée par des événements qui auront cristallisé l’histoire longue des mouvements de libération homosexuels à New York. Ces pratiques distribuant autrement les intensités sujet/objet, dominant/dominé, etc., et déployant d’autres valeurs symboliques. Il s’agira de décentrer la focale sur le phallus totalisant à partir des signes contradictoires utilisés par Benglis et par Morris. Il nous faudra analyser la mise en forme très élaborée de ces détails (décor, accessoires, lumière) qui produisent dans l’image un champ de forces, réduisant l’intensité esquissée du contour de ces corps qui tentent une performance phallique. Éléments contradictoires aux frontières poreuses, qui nous font dire qu’on ne peut les soumettre à une lecture aussi nivelante qu’elle fut faite, mais sans doute analyser la façon dont ces images fonctionnent plutôt que d’élaborer des chaînes causales abstraites trop évidentes et/ou hors champ épistémologique.

Chez Lynda Benglis, par exemple, on notera tout d’abord la posture du corps dans son allure sportive et compétitive. Elle s’inscrit, elle aussi, dans une histoire plus large de l’hygiène corporelle que l’idéologie du fascisme historique, et sa tendance monolithique, aura de même entrepris à partir du corps-femelle30. Esthétique qui aura inspiré une imagerie de puissance féminine, de la working-girl à la culturiste, très courante dans les années 1970-1980. Ensuite, il faudra lire cette image depuis l’usage du godemichet qui renvoie à une imagerie sexuelle lesbienne que l’artiste exploite déjà à plusieurs reprises dont, en 1973, la vidéo Female Sensybility. Mais aussi, lire la double direction du godemichet : d’un côté vers le corps de l’artiste dans une illusion pénétrante, de l’autre vers une absence corporelle dans l’image occupée alors par une surface monochrome noire. Sous sa facture artificielle, le pénis devient ici pur objet de manipulation, accessoire non nécessaire. Sous l’apparence de l’évidence, l’image de Benglis renforce l’illusion inébranlable de celle de Morris ; en même temps, elle propose une version tout aussi partielle du phallus/pénis, mais d’une autre manière. Ce n’est plus un organe avec une fonction précise, ni un attribut facteur de symbolisation qu’il faudrait voiler, mais un objet inerte, détaché de l’organisation biologique, et manipulable en toute direction, partageable, tel qu’il est mis en scène aussi dans la série « Secret ». On y voit Ray Johnson manipuler l’objet dans un geste indéfini qui affecte l’objet d’une précarité fonctionnelle et symbolique totalisante. En ce sens, Benglis et Morris se rejoignent paradoxalement avec la mise en scène d’une sexuation dans l’indifférence des regards (celui des artistes est voilé et donc perturbe tout processus d’appropriation) où le phallus n’est pas indispensable, et donc renvoie à une sexualité où le lien femme/homme est non nécessaire.

Nous avons donc, d’un côté, un objet sur-montré dans son détachement inorganique, inessentiel, réduction à l’objet, à la matière, la plasticité, la pragmatique (Benglis) ; d’un autre, une absence de monstration (Morris) qui défocalise et dilate l’objet vers une corporéité totale, mais cette totalité est opérée à travers une symbolique rituelle du renoncement consenti. Cette absence agit donc sur un double registre de maîtrise et de soumission à la fois. Les choix plastiques ne donnent pas la primeur à une silhouette monolithique, cette dernière est seulement esquissée à partir d’un montage de codes sociologiques ready-made, elle est une illusion dans l’économie temporelle des images, un piège augmenté du regard, un leurre en somme. Ce que ces artistes ne réussissent pas ici, si tant est qu’ils doivent réussir quelque chose, c’est à monopoliser l’attention sur une totalité. Ce sont les gestes et les détails qui appellent (empoignement, prise en main, brillance, reliefs, accessoires, etc.), c’est une économie du geste, du détail, du factice, du fétiche, de la surface, qui dilate des fragments du corps plus qu’elle ne les totalise et les unifie. Ce que ces images mettent en scène, c’est une économie plastique des corps et une performativité du visuel et du regard dans le trop-plein de codes (la vulgarité, le pornographique) qui prévaut à son objet et à son identité.

Bibliographie

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Locke John, Identité et différence. Essai sur l’entendement humain. Livre I, Étienne Balibar (trad.), Paris, Seuil, 1998.

Meyer Richard, « Miss Lynda » [en ligne], Artforum, janvier 2010, disponible sur http://www.locksgallery.com/attachment/en/558176bf278e1af86c88ecaf/Press/55c10e1c4ad7504f240626dc

Mosse George L., L’Image de l’homme. L’invention de la virilité moderne, Paris, Abbevile, 1997.

Preciado Paul B., « Le courage d’être soi » [en ligne], Libération, 21 novembre 2014, disponible sur http://www.liberation.fr/chroniques/2014/11/21/le-courage-d-etre-soi_1147950

Renault Matthieu, L’Amérique de John Locke. L’expansion coloniale de la philosophie européenne, Paris, Éditions Amsterdam, 2014.

Rubin Gayle, Surveiller et jouir. Anthropologie politique du sexe, Paris, Epel, 2011.

Locke John, Identité et différence. Essai sur l’entendement humain, Livre II, Chapitre XXVII, trad. Étienne Balibar, revue par G. Brykman, Seuil, 1998.

Renault Matthieu, L’Amérique de John Locke. L’expansion coloniale de la philosophie européenne, Paris, Éditions Amsterdam, 2014.

Notes

1  Gilles Deleuze, « Lettre à un critique sévère », in Gilles Deleuze, Pourparlers, Paris, Éditions de Minuit, 1990. Retour au texte

2  Paul B. Preciado, « Le courage d’être soi » [en ligne], Libération, 21 novembre 2014, disponible sur www.liberation.fr/chroniques/2014/11/21/le-courage-d-etre-soi_1147950 Retour au texte

3  Je remercie sincèrement Michèle Didier et l’équipe de la galerie MFC Michèle Didier à Paris pour leur disponibilité, leur générosité et leur accueil chaleureux. Retour au texte

4  Afin de clore la rumeur sur les conditions troubles qui ont favorisé l’achat de cette publication par l’artiste elle-même, nous renvoyons à la thèse d’Alison Lee Bracker, Critical History of the International Art Journal Artforum, thèse de doctorat, University of Leeds, 1995. Il y est bien démontré que John Coplans, alors rédacteur en chef du magazine Artforum, aura d’abord refusé à Lynda Benglis cette publication en tant que projet artistique et éditorial, pour lui proposer ensuite l’achat d’un espace publicitaire, alors que le magazine avait auparavant autorisé plusieurs artistes mâles à publier gratuitement leurs images comme projet éditorial et non publicitaire. Retour au texte

5  Dans l’enquête archéologique que j’ai entamée, la thèse d’Alison Lee Bracker sur l’histoire critique du magazine Artforum m’a permis de reconstruire suffisamment les contours périphériques de l’histoire de ces images pour combler des manques essentiels et qui font d’elles plus que de simples publicités au message efficace, plus que de la rumeur sulfureuse. Retour au texte

6  Anna C. Chave, « Minimalism and the Rhetoric of Power », Arts Magazine, vol. 64, n° 5, 1990, p. 44-63. Retour au texte

7  Cette décontextualisation exclut, au passage, toute une distribution de l’échange et de la circulation opérante dans ce travail artistique de Benglis et de Morris, enrôlé de façon plus large dans un échange interpersonnel, intellectuel et artistique, entamé depuis le tout début des années 1970 et qui informe au niveau de l’incarnation et de l’incorporation des attributs mis en scène dans ces images. Retour au texte

8  Comme distinguer les sexualités sadiques des sexualités masochistes par exemple. L’article d’Anna C. Chave cité précédemment est caractéristique d’une analyse de la masculinité réduite à des poncifs du genre non réévalués à l’aune de leur contexte historique et de la manière dont les artistes les performent et les incarnent de manière incomplète et ambiguë. Retour au texte

9  Voire d’importantes critiques de la part de certaines femmes voyant, dans son geste, une réification du stéréotype de la femme-objet, ne reconnaissant pas ainsi à Lynda Benglis la qualité d’auteur de sa propre image. Précisons ici que la publication de cette photo a été à l’origine du schisme bien connu entre les membres du comité de rédaction d’Artforum, dont Annette Michelson et Rosalind Krauss qui fondèrent en 1976 la revue October. Retour au texte

10  J’emploie cette graphie afin de ne pas enfermer les imageries dont je parle dans un essentialisme identitaire de l’homosexualité, puisque l’histoire de cette production iconographique traverse des périodes où les pratiques sexuelles entre hommes ne sont pas encore systématiquement vécues et considérées autour d’une communauté d’identité mais de genre. Pour une étude approfondie de la question, voir George Chauncey, Gay New York (1890-1940), Didier Eribon (trad.), Paris, Fayard, 2003. Retour au texte

11  Comme nous le verrons, Lynda Benglis et Robert Morris font usage de la forme phallique sans pour autant donner pleine autorité à sa valeur symbolique, tout au contraire. Retour au texte

12  Par exemple sous le terme hyperbolique et contradictoire à mon sens d'« identité de genre », quand ce n’est pas une soumission totale de la question du genre au concept d’identité. Retour au texte

13  Le genre rend compte de la manière dont un corps est agencé selon des attributs stabilisés historiquement comme féminins et masculins sur un corps-femelle, un corps-mâle ou un corps-intersexué, pour construire une représentation interprétée dans un contexte social donné, soit en tant que corps-femme, soit en tant que corps-homme, ou bien autres. Retour au texte

14  Vincent Descombes, Les Embarras de l’identité, Paris, Gallimard, 2013. Retour au texte

15  Pour une lecture approfondie de cette construction moderne de l’identité, voir le chapitre 27 de John Locke, Identité et différence. Essai sur l’entendement humain. Livre I, Étienne Balibar (trad.), Paris, Seuil, 1998. Il y est développé tout un questionnement autour de la problématique de l’incarnation relativement à l’identité comme propriété, qui devra faire l’objet dans ma recherche d’une lecture critique à l’aune de l’essai de Matthieu Renault, L’Amérique de John Locke. L’expansion coloniale de la philosophie européenne, Paris, Éditions Amsterdam, 2014. Ce dernier est une lecture critique de la pensée de Locke où se noue libéralisme, colonialisme, construction étatique et formation impériale. Le lien que Locke réalise entre identité et propriété y est analysé à travers ses biais idéologiques. Retour au texte

16  Beatriz Preciado, « Contre-fictions », conférence présentée dans le cadre du festival Trouble de Bruxelles, 27 avril 2013. Retour au texte

17  Paul B. Preciado, op. cit., 2014. Retour au texte

18  L’expérience subjective est ici considérée selon un prisme kaléidoscopique en correspondance avec les singularités qu’en proposent les artistes concernés. Dans tous les cas, elle n’est pas réductible au compte rendu d’un pur espace intérieur émotionnel, et considère la conscience intellectuelle et politique de soi et de sa place dans la société. Retour au texte

19  L’exposition récente aux Palais des Beaux-arts de Bruxelles, Woman. The Feminist Avant-Garde of the 1970s. Works from the Sammling Verbund (commissaire : Gabriele Schor), nous aura permis de faire l’expérience concrète de ce leitmotiv. Une grande majorité des 29 artistes présentes dans l’exposition ont réalisé au moins une fois un travail de déconstruction de l’identité dans des mises en scènes photographiques en série où le corps de l’artiste est travesti, fragmenté, déformé, etc. Pour un exemple plus précis, je renvoie à une série des pièces de Tania Mouraud au début des années 1970, telles que People call me Tania Mouraud, Can I be anything which, I say, I posses ? Retour au texte

20  On quitte le paradigme géniteur de la figure de l’artiste tel qu’on pouvait encore le rencontrer dans certains mouvements sous inspiration rosicrucienne des avant-gardes historiques au tournant du xixe et du xxsiècle. Pour un regard plus complet sur cette période et cette question, nous renvoyons aux études de Pascal Rousseau et à un cycle de journées d’études qu’il organise avec Marcella Liste à l’Inha en 2014 et 2015 : « Les intermédiaires. Utopies du troisième genre dans les arts visuels du passage du siècle (1880/1920) », et particulièrement à l’intervention de Flaurette Gautier, « Évolution. Autopsie de l’hermaphrodisme spirituel chez Piet Mondrian ». Retour au texte

21  Ces deux vidéos sont visibles sur Internet : Lynda Benglis, Mumble [en ligne], 1972, disponible sur http://ubu.com/film/benglis_mumble.html ; Robert Morris, Exchange [en ligne], 1973, http://ubu.com/film/morris_exchange.html Retour au texte

22  Elisabeth Lebovici, « Lynda Benglis, “De toutes les matières…” », in Gautherot Franck, Hancock Caroline et Kim Seungduk (dir.), Lynda Benglis, Dijon, Les Presses du réel, 2010. Je reviendrai sur ce texte dans ma recherche car il dessine des pistes plus que prometteuses quant à l’économie de la sexualité dans le travail de Lynda Benglis. Retour au texte

23  Il faudrait aussi entreprendre une analyse de cette figuration, comment elle joue avec une drôle de platitude, reprenant des positions proches d’un ordre figural qui rompt avec la hiérarchisation et une finalité figurative, mimétique, pour tendre vers une défiguration. Retour au texte

24  Richard Meyer, « Miss Lynda » [en ligne], Artforum, janvier 2010, disponible sur http://www.locksgallery.com/attachment/en/558176bf278e1af86c88ecaf/Press/55c10e1c4ad7504f240626dc Retour au texte

25  On se réfère ici à la nosologie freudienne de la pulsion. Retour au texte

26  C’est précisément sur ce point qu’il me faudra interroger ultérieurement la décision de la plupart des auteurs critiques sur ces images de faire usage de manière dogmatique et littérale d’outils théoriques prioritairement puisés dans la pensée de Jacques Lacan et sans la relire au prisme des développements philosophiques sur le genre qui, dans les années 1990, ont vécu un bouleversement sans précédent dans le monde universitaire anglo-saxon. Je m’interroge aussi sur cette convocation primaire, par des historiennes de l’art, qui s’inscrivent dans le déroulement d’une pensée féministe qui aura pourtant déjà réalisé un travail de déconstruction de cette pensée afin d’en éviter les pièges dogmatiques et réifiants. On pense notamment à la philosophe Judith Butler qui était déjà largement lisible dans les années 1990 par certaines des critiques étasuniennes que j’ai lues. Retour au texte

27  George L. Mosse, L’Image de l’homme. L’invention de la virilité moderne, Paris, Abbevile, 1997. Retour au texte

28  Jean Allouch, Le Sexe du maître. L’érotisme d’après Lacan, Paris, Exils Éditeur, 2001. Retour au texte

29  Pour un regard anthropologique sur les pratiques dites S/M homosexuelles, voir Gayle Rubin, Surveiller et jouir. Anthropologie politique du sexe, Paris, Epel, 2011. Retour au texte

30  George L. Mosse, op. cit., 1997. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Stéphane Léger, « Lynda Benglis – Robert Morris (1974), une économie plastique des corps par-delà l’identité », Nouveaux cahiers de Marge [En ligne], 1 | 2017, mis en ligne le 12 février 2018, consulté le 19 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/marge/index.php?id=228

Auteur

Stéphane Léger

Critique d'art et chercheur indépendant. Ses travaux s’inscrivent à la croisée des études sur le genre, de l’histoire et de la critique des arts, et de l’esthétique. Il s'intéresse aux stratégies de sortie du paradigme identitaire dans les représentations contemporaines. Il poursuit actuellement un travail de recherche indépendant autour d’une articulation théorique et historique entre le genre, l’identité et le territoire, comme outils conceptuels et critiques. Dans ce cadre, il interroge particulièrement l'identification du genre « masculin » dans les arts visuels à partir des années 1960, et la réception critique du courant de l’art minimal et post-minimal étasunien par les discours théoriques, historiques et critiques féministes.www.coloscopic.wordpress.com

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