Collectionneurs d’instants : poésie et photographie sur le net

DOI : 10.35562/marge.329

Plan

Texte

L’artiste et théoricien de l’art Joan Fontcuberta a récemment défini la « condition post-photographique » qui est la nôtre, avec l’inflation « pathologique » des images qui déferlent dans l’espace numérique :

Dans le contexte de la post-photographie, la vérité et la mémoire – autrefois des fondements de la photographie – cèdent le pas à la connectivité et à la communication […]. L’image perd sa dimension magique et se sécularise. La massification la rend triviale : les moments exceptionnels (instants décisifs) sont supplantés par les moments banals (instants non décisifs). Le mandat de stabilité et de permanence de la photographie se voit remplacé par celui de contamination et d’instantanéité… Le désir d’immanence et d’immortalité fait place au désir de transitivité et de simultanéité1.

Il semble ainsi que se soit déployé, mais à une toute autre échelle, le hasard, porteur de non-sens, dont Yves Bonnefoy suggère l’irruption (novatrice, mais à terme, mortifère) dans les premiers daguerréotypes, et qu’allait amplifier la photographie instantanée et la couleur2. Bonnefoy affirme que certains photographes ont su alors « opposer au néant qu’on peut découvrir dans la photographie quand elle déploie le hasard, la volonté d’être qui se marque dans cette autre saisie qu’elle permet, le regard3 », et que les poètes ont ce rôle en partage avec les photographes.

En analysant les réalisations de certains poètes photographes qui publient régulièrement dans l’espace numérique, et souvent sous la forme diaristique du blog, nous voudrions montrer comment, tout en s’inscrivant dans l’économie inflationniste et mouvante du cyberespace, ils pensent effectivement l’image photographique, dans son dialogue avec le texte poétique, à rebours des évolutions actuelles. Pour renforcer ses caractéristiques menacées, ils s’efforcent même de mettre en place des dispositifs qui valorisent l’éphémère singulier, tout en l’inscrivant dans une pérennité et dans une lignée.

Il nous semble que le poète-photographe opère alors autour de ses images un processus de densification du sens proche de celui que le collectionneur applique à ses objets, tel que l’a décrit Walter Benjamin4, et qui va bien au-delà de la simple collecte : il s’agit au contraire de réaliser un montage complexe qui permet l’inscription dans une série structurée, dans une temporalité et un espace complexes, dans un projet cognitif, affectif ou esthétique, et de réveiller ou de doter d’un pouvoir neuf l’objet ainsi recueilli et paré.5

C’est cette démarche de collectionneur, paradoxalement appliquée à l’instant, que nous voudrions examiner ici, particulièrement dans les sites « Carnets » d’Arnaud Maïsetti, et « Gammalphabet » de Jean-Yves Fick.

On se propose ainsi d’analyser un autre régime de l’image et comment le texte littéraire y contribue pour paradoxalement sertir l’instant dans l’espace flottant et dans le fil retravaillé du temps, et rendre au visuel et au textuel combinés leur magie propre.

La mise en liste

Arnaud Maïsetti dans ses « Carnets » recourt très souvent à la mise en liste de photographies, en dialogue avec un texte. Dans « Aix | entre les toits, les draps défaits de la ville6 » (24 août 2016), cette liste est complexe, et parfois redondante. Après une image liminaire qui se modifie au passage du curseur (face-à-face avec un champ de tuiles au matin vs. rue en plongée, des toits vers ces creux gris de la ville qu’ils surplombent) et sert de frontispice au texte, plusieurs séries de photos sont séparées par des citations : toits du matin en 3 photos qui déclinent l’image liminaire ; toits au crépuscule (3 photos) ; toits dans la nuit (3 photos) ; l’aube du jour d’après (5 photos, dont 4 d’un soleil intensément réverbéré dans une portion de toit vitré, symétriquement disposées autour de la rue en plongée, que l’ombre n’a pas encore gagnée). Le texte orchestre cette mise en liste en insistant d’abord sur le motif de l’unique qui contrebalance l’expansion du nombre, en imposant l’idée d’un moment rare (les vocables de « chance » ou d’« appel » reviendront dans la suite du texte, le jeu d’écho entre « privilège » et « sacrilège » souligne encore l’élection paradoxale de celui qui regarde) :

D’où vient l’appel quand, de la fenêtre, on a vue sur les toits ? Cette chance qu’on éprouve quand on vit auprès de cette vue : d’où vient qu’on l’éprouve comme un privilège secret, un peu comme un sacrilège arraché aux foules ?

Le nombre des images fait écho à cet autre nombre, celui des foules, mais la vision en surplomb semble une garantie symbolique dans cette gestion du flux. En outre le texte scande le déroulement des images, légitimées comme une palpitation organique (« Depuis les toits, l’océan de la ville, ces vagues de toits qui ondulent avec le soleil : cette lumière jamais la même. »), conjuguées à des moments de vie saillant, à des récits latents (« Et les histoires qu’on devine sous les toits tendus comme des draps : les drames et les amours dévorés sous les cris, l’ennui simple des vies ravagées ou apaisées. »), insérées dans un cycle qui fond les temps (« On voit la neige tomber et l’aube, et la nuit. La pluie tout ensevelir ; et le jour tout soulever. »), gonflant les voiles du rêveur :

On scrute sous ces ombres, d’autres ombres qui pourraient les rejoindre. Et les draps flottent : appellent plutôt que séparent. Rideau entre nous et ce théâtre : on rêve, on délire. On voit ce que personne ne verra jamais. L’appel est là : on veille, et c’est semblable aux rêves.

Les séries d’images, dont la modulation résonne ainsi avec le texte, sont en outre ponctuées par un montage de citations littéraires (Valéry : « Ce toit tranquille, où marchent des colombes » ; Éluard : « et les toits de la ville seront des beaux oiseaux mélancoliques, aux ailes décharnées », ou « je glisse sur les toits des vents », « Quand notre ciel se résoudra, Ce soir […] / Ma maison aura un toit, Ce soir » ; Breton, l’amour « bateau propice qui circule sur les toits »). Ces citations métaphoriques renouvellent, dans le sillage du texte de Maïsetti, la métamorphose des toits.

On voit ainsi comment la multiplicité des photographies est condensée en une structure complexe qui intègre un texte original et un montage citationnel, lequel était d’ailleurs triplement programmé par la citation liminaire (Valéry) et deux autres dispositifs allusifs en fin de texte : une note marginale (« "La poésie se fait dans un lit comme l’amour / Ses draps défaits sont l’aurore des choses." Breton »), un titre inséré (« Ce titre d’un recueil oublié de René Char : Fenêtres dormantes et porte sur le toit. Y penser, l’oublier sur le lit, et regarder ces toits comme une autre vie. »), qui construit finalement l’adéquation entre les toits et le déroulé d’une vie (passée à les contempler, les rêver, et les récupérer, comme les images, dans son unité).

Dans l’écriture d’Arnaud Maïsetti, on peut relever d’autres constructions similaires de la série, qui jouent sur la diversité dans l’unité7. Mais il existe aussi d’autres mises en liste qui parient quant à elles sur le leitmotiv, le refrain, la litanie comme dans « Pointe Rouge | ce qui dore, le soir8 » (3 septembre 2016). Ici le titre est immédiatement articulé à la première phrase du texte « Et veille sur nous. », dont le verbe revient ensuite à l’impératif comme une prière (« Veille sur nous depuis ce qui tremble sous le vent », « Veille sur nous infiniment », « Veille sur nous comme l’amant qui penché […] »). L’inaccessible du ciel de fin d’été, à qui s’adresse l’invocation, est ensuite désigné par un geste qui dans sa récurrence semble un rituel et donne sens aux sept images de frondaisons en contre-plongée qui suivront :

Tendre les mains vers ce qu’on ne touchera jamais : et prendre les images comme un voleur, sept fois recommencer, sept fois puiser ici le mouvement du ciel, sept fois se laisser envahir par les forces.

Un autre texte, « solstice des vies passées, et à venir9 » (21 juin 2016), évoque précisément une série de rituels (indiens, égyptiens, celtes, hindous), « rites qui voudraient conjurer le temps », et dont l’écriture littéraire et photographique, dans son ressassement (« […] retenir encore, et encore »), semble le prolongement.

Certains textes réfléchissent aussi à la façon dont la série littéraire et photographique s’inscrit dans l’espace de la page web. Dans « À l’heure dite, soleils couchés10 » (3 novembre 2011), est précisée la date d’ouverture de la page, et la façon dont elle est réactualisée par ses compléments successifs, pendant sept jours (soit 7 photos datées et légendées), dont le plus ancien (26 octobre) n’apparaît qu’à la fin (en bas donc de la page qu’on déroule) :

Page ouverte le 26 octobre et remontée chaque soir où je suis dans cette ville, à l’heure où le soleil se couche. Une image prise au même endroit, ce qui me fait face quand je travaille, sud, sud-ouest. Une image prise à la minute donnée par l’éphéméride où le soleil se couche (une minute en retrait à chaque jour, donc). Une image emportée, où. Empilement vertical d’un même lieu, d’une saison entière – car la forme des villes, sous le coup de pinceau des nuages, change plus vite, hélas ! (que le cœur des mortels).

La position du photographe (et écrivain) et le moment de la prise de vue sont précisés, ainsi que le transfert de l’image dans un lieu (ou support ?) qui reste cette fois plus difficile à définir (« Une image emportée, où. »). En résulte néanmoins cette spatialisation de la série comme « empilement vertical », qui souligne la stratification des images et des temps qui leur sont attachés, instants désormais sédimentés sur la page, mais aussi juxtaposés comme autant de tableaux, comme le suggère la métaphore picturale (« sous le coup de pinceau des nuages »), d’autant plus saillante qu’elle troue l’emprunt au « Cygne » Baudelaire (lequel place l’ensemble du texte sous le signe d’une méditation mélancolique sur les temps accumulés). La dimension plastique et poétique de la mise en page est soulignée par certaines des légendes (« 17h50, le 1er novembre – soir crié dans la soie d’or, / éparpillé » ; « 18h57, le 29 octobre – un point final de feu, encre sur le buvard, / coulée » ; « 18h58, le 28 octobre – des traces roses de lèvres, / gercées » ; « 18h59, le 27 octobre – quelques bleuissures d’or, / emportées ». Plus que d’autres, la page parie sur son exposition. On songe au désir du collectionneur de « faire un panneau », soit de composer en tableau sa série d’objets11.

La mise en liste peut aussi se constituer non à l’intérieur d’une même page regroupant une série de texte(s) et de photographies, mais entre plusieurs pages web. Cela est bien sûr souvent le cas par le biais du balisage qui va regrouper des pages incluses, à mesure de leur élaboration, dans divers ensembles thématiques (la page « Pointe Rouge | ce qui dore, le soir » est ainsi indexée sous les mots-clés « Alain Bashung _arbre _ciels _lumière _photographies _Pointe Rouge, Marseille _soir » qui constituent autant de dispositifs sériels reliés entre eux par ces nœuds du balisage). Mais ces regroupements peuvent aussi être insérés dans la rédaction même du texte qui forme l’ossature d’une page et de sa série photographique (comme dans « solstice perdu et spectres nouveaux12 », 23 juin 2017), et l’aléatoire des regroupements thématiques par le balisage est ainsi opposé à la restitution d’une chronologie stricte, mais qui s’avère vite lacunaire :

Histoire de mes solstices à travers les titres inventés pour lui résister : 2016 (solstices des vies passées, à venir), 2015 (vingt et un juin : il fera peut-être nuit, 2014 (morsure du jour et cette douceur d’ancêtres vivants), 2013 (rien), 2012, encore, 2011 (et le reste), 2010 (le dernier jour de l’année : blasphèmes), 2009 (marche) : je commence à disposer les années comme des oublis.

En dépit donc des efforts faits pour la structurer, la liste en fait se détend, comme dans toutes les tentatives de classement confrontées aux aspects pratiques ou aléatoires de l’existence quotidienne13. Elle donne surtout à voir la tension nostalgique pour retenir le moment qui échappe (ce solstice manqué de 4 minutes, mais déjà vieux deux jours quand vient le temps de le transposer dans l’écriture, ces autres solstices des années passées, et ceux oubliés), l’effort impossible pour maintenir une cohérence et une plénitude. Lister comme en un fil de perles les instants à conserver ? Mais ils ne sont que dans la fulgurance, pleine et poignante, d’un moment :

À 6h28, le 21 juin, les premières lueurs : pour quelques minutes, je manque le solstice, qui a déchiré le ciel à 6h24 – à quoi tient une vie ? Je tends les bras, tâche de prendre la lumière qui vient, c’est trop tard : tant pis ; et pour quoi ? C’était il y a deux jours : le temps passe comme de la vie perdue. Je lis ce matin les propos du ministre de l’Intérieur qui vient à Calais dire combien sa seule préoccupation est de "contenir les réfugiés avant qu’ils arrivent dans les Alpes". C’était il y a une heure. Je regarde de nouveau la lumière sur moi, dans les arbres peut-être : quel rapport ? La lumière déchire à chaque instant chaque instant14.

Spatialité réversible et retournement du temps

Les poètes-photographes du net proposent une spatialité complexe, qui n’est pas seulement celle de leur espace d’écriture, comme on l’a vu ci-dessus, mais aussi celle de l’espace référentiel, qu’ils représentent dans leurs photographies et que leur texte dote bientôt d’une toute autre valeur.

Poursuivant avec l’exemple d’Arnaud Maïsetti, on voudrait analyser ses « villes intérieures15 » (25 mai 2010). Le texte, de tonalité fantastique (au contraire de ceux précédemment analysés qui relevaient plutôt d’une écriture diariste déployant une prose poétique), propose une écriture de la liste non encore analysée jusqu’ici, puisqu’il s’agit d’une seule phrase fragmentée en propositions de quelques lignes qui accompagnent les sept photographies d’une même série. Celles-ci représentent le déambulatoire d’un cirque antique ou d’arènes comme celles de Nîmes, d’abord en contre-plongées déréalisantes, puis dans le grossissement d’un face-à-face avec des arcades de pierre au plancher effondré qui ouvre sur une béance, enfin en une effrayante plongée au sein de cette dernière, pour finir par une vision d’extérieur bloquée dans un raccourci étroit entre deux arcades, qui donne l’impression que celui qui voit est définitivement piégé dans l’ossature de pierre.

Les portions de textes qui accompagnent cette déambulation minérale reposent sur un lexique énumératif : « villes ouvertes en mille fractures […] », « couloirs qu’on suit au bruit […] », « veines caves où sont stockés les mémoires et les oublis […] », « trachées à fonds multiples […] », « passerelles qui me disent qu’un jour j’ai dû traverser […] », « ville qui contient tant de villes […] ». Peu à peu se construit ainsi, au fil des homophonies (caves / veines caves) ou des paronomases (tranchées / trachées), une adéquation entre ce corps minéral et un corps organique, qui devient finalement celui du sujet qui parcourt ces boyaux, (« Et mon corps est une part de la ville qu’il habite : je suis son propre sang battu dans l’air. ») Cette fusion physiologique entérine aussi la lecture psychologique qui s’est peu à peu construite de ces ruines arpentées de l’intérieur :

trachées à fonds multiples ; je n’ai pas d’enfance – ni projet : je suis chaque pas que je fais : dans ma ville intérieure, les commerces sont fermés, et les places toutes longues de vent ; […]

passerelles qui me disent qu’un jour j’ai dû traverser – l’enfance, l’adolescence, quoi d’autres ? – et quand je me penche, je vois des étangs asséchés, des lits défaits de fleuves partis avec mes peaux mortes – et sur moi, la peau qui s’est posée ne m’appartient pas ; […]

Ce qui est remarquable, c’est aussi la façon dont les photographies successives de cet espace extérieur se dotent peu à peu d’une profondeur symbolique, à mesure que se construit l’équivalence métaphorique qui fait du corps de pierre le corps organique de celui-là même qui le parcourt.

On pourrait rapprocher la lecture qui s’opère alors de ces images de celle que proposait Walter Benjamin des calotypes de David Octavius Hill pris au cimetière écossais de Greyfriair vers 1845 :

De nombreux portraits de Hill furent réalisés dans le cimetière des frères franciscains d’Edimbourg […]. Et ce cimetière lui-même, tel qu’il apparaît sur l’une des photographies de Hill, ressemble bel et bien à un intérieur, à un espace réservé et secret où, adossés au mur mitoyen, des tombeaux se dressent sur le sol herbeux, comme des cheminées dans le foyer desquels, au lieu de flammes, apparaissent des épitaphes16.

On pense aussi à la réversibilité d’un espace physique extérieur et un espace psychologique intérieur, dans le premier « Spleen » de Baudelaire17, jusqu’à la minéralisation du locuteur, privé de parole et apostrophé du dehors18.

La série photographique de Maïsetti, en conjonction avec son texte, fabrique, comme chez Baudelaire et Benjamin, un espace réversible qui renvoie le locuteur à son propre mystère et à la complexité de son inscription dans le temps. Chez Baudelaire le poids du passé fossilise le présent. Chez Benjamin, le passé abrite le présent de l’instant photographique qui se déploie et perdure jusqu’à nous :

La faible sensibilité à la lumière des premières plaques photographiques nécessitait une longue exposition en extérieur. […] Le procédé lui-même contraignait les modèles à vivre, non pas au-dehors, mais dans l’instant ; pendant la longue durée de cette prise de vue, ils se déployaient pour ainsi dire dans cette photographie, ce qui contrastait absolument avec la façon dont les choses se révèlent dans une photographie instantanée […]. Tout, dans ces premières photographies, était fait pour durer19.

Chez Maïsetti la charge du passé semble déboucher sur un temps présentifié et indéfiniment suspendu dans le moment de sa mise en acte, laquelle se fait désormais à l’aveugle :

veines caves où sont stockés les mémoires et les oublis : et que chaque souvenir chasse un autre, et l’oubli fore plus loin encore – j’ai tellement hâte de l’oubli suivant que j’en oublie où je suis, où je vais et le noir qu’il fait là ne me saisit plus mais m’enveloppe comme une seconde peau ;

trachées à fonds multiples ; je n’ai pas d’enfance – ni projet : je suis chaque pas que je fais : dans ma ville intérieure, les commerces sont fermés, et les places toutes longues de vent ; […]

La citation initiale de Koltès en ouverture de cette page évoquait aussi « un retournement du sens du temps », les ruines du passé s’inversant étrangement en un futur en projet :

« Mais ce n’est pas le principal. Le principal, c’est cette révélation de se trouver devant quelque chose qui ne fait pas une minute penser à nos ruines de châteaux ou à nos cathédrales, quelque chose de tellement sophistiqué, de tellement secret, qu’on croit assister à un retournement du sens du temps, et qu’on est devant l’élaboration interminable et progressive d’un projet d’avenir très lointain. »
B.-M. Koltès, Lettre à son frère, 17 septembre 1978 — devant les ruines de Tikal.

À rebours, semble-t-il, de la post-photographie, pour laquelle, comme l’analyse Suzanne Paquier, « il y aurait comme une perpétuation – une reproduction – infinie ou indéfinie de l’instant présent, correspondant vraisemblablement au temps vécu aujourd’hui20 », nous voici donc devant des photographies qui construisent des intrications de temporalités, à l’encontre d’une perception du temps limité au présent immédiat21.

C’est aussi ce que Benjamin décèle dans les productions des origines de la photographie :

[…] l’observateur, en contemplant une telle image, se sent irrésistiblement conduit à y déceler, hic et nunc, la plus petite étincelle de hasard par laquelle la réalité a en quelque sorte brûlé le sujet photographié, à trouver le lieu invisible où, dans l’instant de cette minute depuis longtemps écoulée, l’avenir se niche encore aujourd’hui22, et avec tant d’éloquence que nous pouvons, rétrospectivement, le dévoiler23.

On pourrait voir ici un exemple de ces « intrications de temporalités hétérogènes dont toute image est faite », comme le dit Georges Didi-Huberman24. Le théoricien de l’art, dans son ouvrage sur l’empreinte ou « la ressemblance par contact », analysant une empreinte de pas fossilisée, évoque « la coexistence poignante du temps le plus bref – le pas qui passe … et du temps le plus long, celui de la prise de forme qu’est la fossilisation », et évoque les « temps contradictoires intriqués dans la même image25 ». Benjamin et Maïsetti, citant Koltès, conscients de ces pouvoirs de l’image, semblent encore aller au-delà, puisqu’ils vont jusqu’à suggérer un avenir en germe, un futur à développer dans ces replis de la représentation, même si demeure, chez Maïsetti, l’angoisse d’un temps bloqué sur le présent, qui domine dans la perception contemporaine d’un présent constamment « actualisé » dans les données qui le représentent dans l’information en réseau.

Cette perception d’un retournement du temps semble également figurée dans les créations d’un autre poète-photographe du net, Jean-Yves Fick. Dans sa série photographique « Lignes de vie26 », on repère par exemple deux images d’une souche puissante excavée et d’amas imposants de branches coupées à terre. Le titre de ces deux images, « Lignes comme de vie27 », avec sa modalisation (« comme de vie »), la date de publication (4 décembre 2016), évoquent une nature figée, entrant dans la mort, n’ayant plus que l’apparence de l’élancement vital, fonctionnant plutôt comme des objets inertes, des ancres qui auraient pour mission, comme l’indique le sous-titre, de « tenir les îles », soit d’immobiliser les terres en dérive où elles semblent accrochées. Or ces photographies sont mises en rapport en bas de page avec deux poèmes, « infimes-15 » (4 janvier 2016) et « hs 39 » (25 mars 2017)28. Dans le premier, les signes de vie semblent compromis (« sans fruits », « laisse choir / au sein de la friche ») : les feuilles ne sont plus que « ronce » ; non « encore vive », mais seulement « verte », cette ronce immobilise les « coudriers » (et bloque l’élan des sources ?) ; comme eux la clématite délaisse ses graines, « et nul ne voit plus l’éclat bref » de la vie qui pourtant chemine en secret : « depuis l’hiver / le temps mêle des lignes de vie à la nuit ». Il est trop tôt pour dire « sauvé », l’incertitude égare encore dans des questionnements incohérents et juxtaposés (« mais pourquoi que fait »), mais finalement s’impose nettement « vivre ».

ces feuilles
la ronce
encore vive verte s’enroule
sans fruits autour des coudriers
et la clématite laisse choir
au sein de la friche
comme des fleurs les grains ailés blancs
depuis l’hiver
le temps mêle des lignes de vie à la nuit
et nul ne voit plus l’éclat bref

sauvé mais pourquoi que fait vivre29.

Le potentiel vital, le futur en projet dans les photographies « lignes comme de vie » semble révélé : « tenir des îles » non à la manière d’un objet inerte, mais comme une force vitale qui serait réactivée dans un projet nouveau. C’est encore plus net dans « hs 39 » (25 mars 2017) :

friche
mais rêche encore
au sortir des hivers
comme souffle

une ombre et rien ne nomme le vent
quoi échevelle les haies
blanches de s’éveiller
et mêlées

toutes aux lignes de vie vivre30.

Ce retournement du temps qu’illustrent les photographies comme les textes de Jean-Yves Fick (raturés et pourtant lisibles) renvoie peut-être, plus profondément, à la réversibilité à laquelle le numérique nous accoutume désormais. Au-delà des instants photographiques ou poétiques eux-mêmes, et des référents qu’ils captent, c’est sans doute la condition même de notre nouvel être au monde, dans les modifications qu’induit notre appareillage numérique, qui cherche à se dire.

L’inconscient de l’image

Ainsi les poètes-photographes du net parviennent-ils à révéler une sorte d’inconscient de l’image, qui tient tant aux techniques de prises de vue qu’au texte poétique qui en dévoile les potentialités. Cet inconscient renvoie à la fois à l’héritage photographique et littéraire, et à ses nouvelles conditions d’existence en ligne. Benjamin avait déjà souligné ce pouvoir de révélation de la photographie :

La nature qui parle à l’appareil photographique diffère de celle qui s’adresse à l’œil ; elle est autre, avant tout parce qu’au lieu d’un espace consciemment élaboré par des hommes, c’est un champ tramé par l’inconscient. […] Grâce à ses moyens d’action – ralentis, agrandissements – la photographie met en évidence ce moment. À travers elle, nous est révélé pour la première fois cet inconscient optique, comme la psychanalyse nous familiarise avec l’inconscient pulsionnel. Les propriétés structurelles, le tissu cellulaire, sur lesquels la technique, la médecine, ont coutume de travailler […], des images du monde blotties dans les plus petites choses, suffisamment distinctes et dissimulées pour qu’elles aient trouvé refuge dans les rêves éveillés, autant de choses qui sont désormais tellement agrandies, tellement énonçables, qu’elles mettent en évidence que la différence entre technique et magie est de part en part une variable historique. Ainsi, Blossfeldt, à travers ses étonnantes photographies, a fait apparaître dans les prêles les plus anciennes formes de colonnes, dans la fougère allemande la crosse de l’évêque, dans les surgeons de châtaignier et d’érable grossis dix fois des arbres totémiques […]31.

Cet inconscient de l’image ne tient pas ici à un hors-champ, comme le suggérait Yves Bonnefoy32, mais se loge plutôt au sein même de l’image, dans le changement d’échelle apporté au modèle, dans le cadrage qui mettra l’accent sur un détail coupé du reste (et permettant alors de fait d’imaginer un hors-champ tout différent du contexte du modèle), dans le choix d’un éclairage qui apportera une modulation radicalement nouvelle. On peut voir cela à l’œuvre dans les photographies d’écorces en gros plan de la série « Lignes de vie » de Jean-Yves Fick. Le gigantisme de l’image qu’il est encore possible d’agrandir en l’affichant en pleine page (voire en usant de l’outil de grossissement figuré par l’icône de la loupe), son extraordinaire relief accentué encore par la lumière et les contrastes du noir et blanc, l’intitulé ouvert (« énigme », ou « (autre) énigme » 33) qui libère l’imaginaire interprétatif, incitent à voir dans ces écorces structurées ou feuilletées comme des roches des cités troglodytes. Ou bien on pense aux architectures imaginaires infiniment complexes de Rimbaud, qui parient aussi sur le changement d’échelle et l’inversion des logiques ordinaires : « Ce sont des villes… »34. On voit ici comment l’image à l’écran acquiert une dimension non plus seulement représentative, mais surtout performative, dans la façon dont elle fait sens avec ce qui l’accompagne et dans les gestes qu’elle permet35.

L’aura et le flux

On est tenté de parler d’aura pour de telles photographies. La notion d’aura pourrait pourtant sembler périmée, à l’heure où la circulation démultipliée des images en réseau et la capacité offerte à tout un chacun de l’appropriation et de la transformation aggrave radicalement les conséquences de la reproductibilité technique soulignées par Benjamin. Il faut néanmoins revenir sur le concept d’aura défini par le philosophe, et voir comment l’insertion des photographies dans les projets poétiques de sites comme les « Carnets » d’Arnaud Maïsetti ou le « Gammalphabet » de Jean-Yves Fick leur confère ce halo, qui est aussi celui du texte, car comme le dit Benjamin, « Les mots aussi ont leur aura. Karl Kraus l’a décrite de la façon suivante : « plus on regarde un mot de près, plus il vous regarde de loin36. »

Benjamin définit ainsi l’aura lors de la première apparition du concept, dans sa Petite Histoire de la photographie (1931) :

Qu’est-ce à vrai dire que l’aura ? un étrange tissu d’espace et de temps : l’apparition unique d’un lointain, aussi proche soit-il. Parcourir du regard, un calme après-midi d’été, une chaîne de montagnes à l’horizon ou une branche qui projette son ombre sur celui qui contemple, jusqu’à ce que l’instant ou l’heure prenne part à leur apparition – cela veut dire respirer l’aura de ces montagnes et de cette branche37.

Benjamin ne décrit pas seulement une expérience de vision : l’apparition est unique parce qu’il s’y associe une méditation spécifique, qui déploie la résonance singulière de l’objet observé, laquelle relève de l’association d’un proche et d’un lointain, un inaccessible dont nous percevons pourtant le contact dans un moment précis (« l’instant ou l’heure » de leur « apparition »). Un proche qui se révèle lointain, parce qu’on prend conscience de sa transcendance, de son caractère « inapprochable38 », mais aussi un lointain qui inversement se laisse appréhender, se rapproche dans la trace que nous pouvons en conserver. Georges Didi-Huberman dit du paradigme de l’empreinte qu’il relève d’une « dialectique du proche et du lointain », et qu’il permet d’approfondir la notion d’aura, que Benjamin maintenait séparée de la trace39, en faisant valoir ce double mouvement : « rapprocher le lointain jusqu’à la sensation tactile (trace) ; éloigner le contact jusqu’à la distance infranchissable (aura)40 ».

La photographie en noir et blanc de Jean-Yves Fick intitulée Ceci n’est pas une ombre41  (23 octobre 2016) semble détacher une branche noire du fond plus clair mais complexe d’un mur dont le crépi laisse une place vers le bas aux tâches arborescentes des mousses ou de l’humidité. Mais est-ce bien la branche, silhouettée par le noir de la photographie, ou son ombre portée ? En outre, l’image recèle d’autres indécisions (d’emblée suggérées par le titre qui, paraphrasant Magritte, interroge sur l’identité même de la représentation photographique) : une bande de mur nu vers le haut semble aussi l’arche d’une voûte qui borde un fond, cette fois de ciel, d’où se détacherait la branche. Au-delà de la proximité thématique avec l’exemple choisi par Benjamin pour définir l’aura (« une branche qui projette son ombre… »), ce qui interpelle ici, outre les qualités propres de formes et de lumière de l’image qui contribuent à son indécision et à sa figuration d’un insaisissable, c’est la fragilité et l’humilité de ce référent (une simple branche sur fond d’un mur usé) qui semble à portée de main. Proche et inaccessible, comme l’est aussi cette photographie en ligne. Certains des poèmes qui l’accompagnent selon les liens établis par le poète soulignent cette dialectique du proche et du lointain qui est en propre celle de l’ombre, autre forme d’empreinte42 :

« formes de peu – 22843 » (14 mai 2016)

ce vol delà nous
comme une ombre tombe
des étoiles loin
parsemer les jours. nos pas

« infimes _ 11744 » (21 juillet 2016)

est-ce encore d’ici
l’ombre a même foulée
que le temps

mais rien
qui ne soit d’elle
ne reste à même le sol

pas même une note obscure.

Les titres mêmes de ces poèmes, qui ne sont que l’inscription dans une série de textes de même inspiration, révèlent la modestie d’une poésie de la trace infime. Mais si le texte réfléchit sur la présence de la trace si proche, dans « l’ici », près de « nous », sur le « sol », ce qui « tombe », « parsemé », et « foulé », il médite aussi sur la distance : les ombres si modestes et familières elles-mêmes très rapidement se déplacent, on les perd : « est-ce encore d’ici », « mais rien / […] / ne reste / […] / pas même », elles demeurent sans nul écho que le texte voudrait traquer : « rien / […] à même le sol / pas même une note obscure. ». Les « formes de peu » nous renvoient quand même au lointain du « vol delà nous / […] / des étoiles loin ».
On voit comment la photographie et la poésie fixent, par-delà le flux, l’aura d’une perception transposée en textes et en images qui orchestrent cette palpitation du proche et du lointain45.

L’autre caractéristique de l’expérience auratique selon Benjamin, tient à l’échange d’un regard et relève ainsi d’un anthropomorphisme qui devient la figuration de l’aura46. Or Benjamin souligne le rôle de la poésie dans cette expérience :

Le regard est habité par l’attente d’une réponse de celui auquel il s’offre. Que cette attente reçoive une réponse (dans la pensée, elle peut s’attacher au regard intentionnel de l’attention aussi bien qu’à un regard au sens littéral du terme), l’expérience de l’aura connaît alors sa plénitude. […] L’expérience de l’aura repose donc sur un transfert, au niveau des rapports entre l’inanimé – ou la nature – et l’homme, d’une forme de réaction courante dans la société humaine. Dès qu’on est – se croit – regardé, on lève les yeux. Sentir l’aura d’un phénomène, c’est lui conférer le pouvoir de lever les yeux47.

[Note] : L’octroi d’un tel pouvoir est une des sources de la poésie. Quand un homme, un animal ou un être inanimé, investi de ce pouvoir par le poète, lève les yeux, c’est pour attirer le regard au loin ; le regard de la nature ainsi éveillée rêve et entraîne le poète dans son rêve.

Dans plusieurs poèmes, Jean-Yves Fick semble ainsi mettre en scène, dans deux vers détachés de l’ensemble, ce regard précieux, cet accueil souriant qui s’articule de façon parfois surprenante avec un lointain inaccessible :

« nulle part18 », (13 décembre 2016)

aux bords de ciels
pauvres sans couleur
l’espace nie avoir été
jamais
ouvert
un puit sans fond
éloigne chaque instant
et toute mesure vraie

delà la chute
quelle eau rare brille ici48.

« nulle part 19 », (14 décembre 2016)

la lisière
nue transparente
traversée toute
de nuit
au loin
une brume
est-ce un peu d’être
qui va parmi rien

mais quelle main
ici qui nous accueille49.

« nulle part 66 », (6 février 2017)

lisières
et la brume
de soi va
à même vivre
d’un pas l’autre
cela s’efface
où le jour commence
la tâche de finir

quel regard point
tout à son vertige50.

***

Comme le poète est vates, devin, le photographe est « héritier des augures et des haruspices51 » : ils ont une même intelligence du sensible dont ils lisent les signes et les liens cachés mais étroits avec le lointain. Ils savent déceler les faux-semblants, qu’ils écartent, « Somme / d’objets creux clinquants / rien que des souffles coupés / court / au couperet / de toute langue52. ». C’est « le dire du poème » qui persiste, qui renaît à chaque ciel lavé, et qui demeure, même si « serait tout autre langue morte ». Il s’associe à la « couleur neuve » du matin, image que transpose aussi la photographie. Magie du monde que dégagent, sous les flux sans nombre, les collectionneurs d’instants.

« hs 73 », (3 mai 2017)

d’après l’averse
ce séjour ici
un matin qu’échevèle
la couleur neuve

on ébroue ici
comme de toujours cela qui
en soi demeure encore
le dire du poème

serait toute autre langue morte53.

Les poètes-photographes du net savent ainsi suggérer les prestiges persistants d’une alliance de la langue et de l’image photographique, alors même qu’elles ne relèvent plus d’un geste d’inscription, mais sont désormais des artefacts informatiques. Elles conservent leur valeur référentielle et leur pouvoir d’évocation du monde, mais elles illustrent également les caractéristiques de la nouvelle ontologie numérique54 : la versatilité (les instants captés sont d’autant plus fragiles que sous leur format numérique, ils peuvent aussi disparaître à jamais), la réticularité (le feuilletage de sens est aussi désormais mise en réseau amplifiée par les algorithmes), l’infinie reproductibilité (la mise en liste fait écho aux variations infinies qui peuvent affecter une même image), la réversibilité (de même qu’un geste effectué peut souvent être annulé puis rétabli, un mot rayé peut se donner encore à lire, et le passé redevenir un présent…). L’instant précieux des poètes-photographes du net n’est plus seulement l’instant capté, c’est l’instant conscientisé dans tous les gestes de la manipulation numérique qui font advenir l’image, et dont on essaie d’approfondir les enjeux ontologiques et esthétiques en les confrontant à des pratiques anciennes et élaborées de la collecte.

Notes

1 La Condition post-photographique, dir. Joan Foncuberta, Mois de la photo à Montréal / Kerber Verlag, 2015, introduction, p. 6. Retour au texte

2 Yves. Bonnefoy, Poésie et photographie, Galilée, 2014, p. 58. Ce néant de la photo contamine qui la regarde : « le regardeur se vide de soi, ontologiquement parlant ; s’il se laisse aller, comme pourtant il le faut, à voir le hasard dans l’image » (ibid., p. 25). Cette perte à soi-même semble expérimentée au centuple par celui qui visionne aujourd’hui les flux d’images, comme le suggère l’aléatoire exacerbé des montages d’artistes comme Roy Arden, Dina Kelberman, Paul Wong (La Condition post-photographique, op. cit., p. 32-43). Retour au texte

3 Yves Bonnefoy, Poésie et photographie, op. cit., p. 32. Retour au texte

4 « Pour le vrai collectionneur, chaque chose particulière devient, dans ce système, une encyclopédie rassemblant tout ce qu’on sait de l’époque, du paysage, de l’industrie, du propriétaire dont elle provient. Le sortilège le plus profond du collectionneur consiste à enfermer la chose particulière dans un cercle magique […] Tout ce qui est présent à la mémoire, à la pensée, à la conscience devient socle, encadrement, piédestal, coffret de l’objet en sa possession. » (Walter Benjamin, « Le collectionneur », dans Paris, capitale du xixe siècle. Le livre des passages, trad. J. Lacoste, éd. R. Tiedeman, Paris, Cerf, 2009, p. 221-222) Retour au texte

5 La photographie d’auteur sédimente tout un savoir du rapport à l’image et de sa fabrication, comme les mots du poète dans le domaine du langage, ainsi que le suggère le photographe Bernard Plossu (« L’appareil photo est pour moi une manière d’écrire. Le processus mental est le même : on accumule pendant vingt ans une culture, un savoir, une sensibilité, et puis tout vient sous la plume en une seconde. C’est la même chose pour la photographie. » ; propos cités p. 44 par François Soulages, « Les frontières Image & Texte, la photo-graphie », p. 37-48 dans Texte et Image 2, éd. M. Veyrat, Ed. Université Savoie Mont Blanc, 2017). On suggère ici que le montage conjoint, sur le modèle de la collection, de la photographie d’auteur et des mots du poète, décuple encore le feuilletage du sens autour des représentations proposées d’un instant capté. Retour au texte

6 http://www.arnaudmaisetti.net/spip/spip.php?article1804, consulté le 6 août 2017. Retour au texte

7 Voir par exemple « BNF | je passai » (16 novembre 2011) » : « En passant, c’est autant pour la beauté des lieux que pour l’immobilité du temps ; je m’arrête et prends ces images. Ce n’est jamais la même lumière, évidemment. Ni les reflets sur les vitres ; jamais le même ciel. […] Les tours sont les mêmes. » La diversité des cadrages et des prises de vue réalise la démultiplication, la modulation et la métamorphose, non seulement du ciel, mais aussi des tours (http://www.arnaudmaisetti.net/spip/spip.php?article767, consulté le 6 août 2017). Retour au texte

8 http://www.arnaudmaisetti.net/spip/spip.php?article1811, consulté le 7 août 2017. Retour au texte

9 http://arnaudmaisetti.net/spip/spip.php?article1733, consulté le 7 août 2017. Retour au texte

10 http://www.arnaudmaisetti.net/spip/spip.php?article750, consulté le 6 août 2017. Sur ce principe sériel, exploité sur une plus longue durée, voir notamment Christophe Sanchez, « Morning à la fenêtre » (http://www.fut-il.net/2016/01/morning-la-fenetre-s10.html, consulté le 6 août 2017), désormais disponible en livre, Tarmac Editions, 2016. Retour au texte

11 Je renvoie à mes analyses sur la « structure-tableau » dans Les Goncourt et la collection. De l’objet d’art à l’art d’écrire, Droz, 2003, p. 145 sq. Ce que j’ai appelé la « structure-bibelot », soit le dispositif d’encadrement spatial et d’enrichissement sémantique de chaque pièce de la collection, qui prélude à sa mise en liste, peut aussi se retrouver dans les processus de soulignement qui s’opèrent sur certaines pages web, comme « Pointe Rouge | ce qui dore, le soir » (op. cit.) : dispositif liminaire (titre / date / image photographique / citation), adjonction sonore qui enveloppe la lecture du texte et de l’image mais qui est d’abord visualisée par sa barre noire de défilement, doublée par les mots qui la référencent (« Bachar Mar-Khalifé, Ya Ballad ("Ya Balad"), 2017) ; le texte lui-même est encadré par deux images qui se font écho (rayon naissant qui troue une frondaison, soleil couchant bordé de silhouettes d’ombre). Retour au texte

12 http://www.arnaudmaisetti.net/spip/spip.php?article1955, consulté le 6 août 2017. Retour au texte

13 Voir Les Goncourt et la collection, op. cit., « L’ordre domestique », p. 108 sq., et « Combler les manques », p. 227 sq. Retour au texte

14 Je souligne. Retour au texte

15 http://www.arnaudmaisetti.net/spip/spip.php?article335, consulté le 6 août 2017. Retour au texte

16 Walter Benjamin, Petite Histoire de la photographie, trad. L. Duvoy, Allia, 2015, p. 22-23. Retour au texte

17 « Un gros meuble à tiroirs encombré de bilans, / […] Cache moins de secrets que mon triste cerveau. / C'est une pyramide, un immense caveau, / Qui contient plus de morts que la fosse commune. / – Je suis un cimetière abhorré de la lune […] » (Les Fleurs du mal, 1857, « Spleen et idéal », LXXVI, « J’ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans »). Retour au texte

18 « Désormais tu n'es plus, ô matière vivante ! / Qu'un granit entouré d'une vague épouvante, / Assoupi dans le fond d'un Saharah brumeux ; / Un vieux sphinx ignoré du monde insoucieux, / Oublié sur la carte, et dont l'humeur farouche / Ne chante qu'aux rayons du soleil qui se couche. » Retour au texte

19 Walter Benjamin, Petite Histoire de la photographie, op. cit., p. 23-24.  Retour au texte

20 S. Paquet, Intermédialités, n° 17, printemps 2011, « Reproduire », « Introduction : le multiple et le transmissible », p. 13, http://id.erudit.org/iderudit/1005745ar, consulté le 5 août 2017. Retour au texte

21 Notons cependant que d’autres théoriciens de la photographie numérique, comme Servanne Monjour, proposent des représentations plus complexes de la temporalité associée à l’image numérique, à travers par exemple la notion d’anamorphose : celle-ci suggère les dimensions multiples et hétérogènes qui coexistent désormais dans l’image, « ces paradoxes qui convoquent le passé dans le présent, le tout dans le détail, l’image dans le texte » (Mythologies postphotographiques, Presses de l’Université de Montréal, 2018, p. 155). Retour au texte

22 Je souligne. Retour au texte

23 Walter Benjamin, Petite Histoire de la photographie, op. cit., p. 16.  Retour au texte

24 Georges Didi-Huberman, La Ressemblance par contact, Minuit, 2008 (4e de couverture). Retour au texte

25 Ibid., p. 324-325. Il conclut plus largement sur « la complexité du temps à l’œuvre dans les choses visuelles ». Retour au texte

26 https://gammalphabets.org/category/photographies/lignes-de-vie/, consulté le 7 août 2017. Retour au texte

27 https://gammalphabets.org/2016/12/04/lignes-comme-de-vie/, consulté le 7 août 2017. Retour au texte

28 Jean-Yves Fick a précisé que ces mises en relations sont le fait d’un algorithme. La lecture appareillée permet ainsi le repérage de récurrences lexicales entre éléments textuels divers (ici poèmes et légendes des photos) sur l’ensemble de l’énorme corpus d’auteur que constitue à ce jour le site « Gammalphabet » ; elle contribue aux montages poétiques à géométrie variable qui s’esquissent tantôt autour d’un poème, tantôt autour d’une image… Retour au texte

29 https://gammalphabets.org/2016/01/04/infimes_-15/, consulté le 7 août 2017. Retour au texte

30 https://gammalphabets.org/2017/03/25/hs-39/, consulté le 7 août 2017. Retour au texte

31 Walter Benjamin, Petite Histoire de la photographie, op. cit., p. 17-20. Je souligne. Retour au texte

32 « Il y a dans bien des images l’affleurement d’un niveau – leur inconscient – où demeurent sues cette limite et la pensée qu’il existe un monde en dehors d’elle. » (Poésie et photographie, op. cit., p. 14). Retour au texte

33 https://gammalphabets.org/2015/09/24/enigme/ et https://gammalphabets.org/2015/09/24/autre-enigme/, consulté le 7 août 2017. Retour au texte

34 Voir aussi le travail du photographe Mickaël Puiravau, qui s’efforce « d’explorer l’inconscient du monde représenté ». Le titre de son site a une valeur programmatique : http://danslesplis.org/. Les propos ici cités sont rapportés par Pierre Ménard, dans un article qui analyse la façon dont les artistes s’approprient Instagram en s’opposant à la standardisation des images à l’œuvre dans cette application (« Panorama des pratiques artistiques sur internet », 3 avril 2016, http://www.liminaire.fr/entre-les-lignes/article/une-nouvelle-maniere-de-voir-le; sites consultés le 7 août 2017).  Retour au texte

35 Nous suivons de nouveau ici les analyses de Servanne Monjour (Mythologies postphotographiques, op. cit., p. 85). Retour au texte

36 Walter Benjamin, « Sur quelques thèmes baudelairiens » (1939-1940), p. 382, note, dans Œuvres III, trad. M. de Gandillac, R. Rochlitz et P. Rusch, Gallimard (Folio essais), 2000. Retour au texte

37 Walter Benjamin, Petite Histoire de la photographie, op. cit., p. 39-40. Nous donnons ici la traduction de Lionel Duvoy qui souligne mieux la dimension contemplative propre à la perception de l’aura. Retour au texte

38 « Ce qui est essentiellement lointain est l’inapprochable. » (Walter Benjamin, « Sur quelques thèmes baudelairiens », art. cit., p. 382). Retour au texte

39 « La trace est l’apparition d’une proximité, quelque lointain que puisse être ce qui l’a laissée. L’aura est l’apparition d’un lointain, quelque proche que puisse être ce qui l’évoque. Avec la trace, nous nous emparons de la chose ; avec l’aura, c’est elle qui s’empare de nous. » (Walter Benjamin, Paris, capitale du xixe siècle. Le livre des passages, op. cit. p. 464). Retour au texte

40 Georges Didi-Huberman, La Ressemblance par contact, op. cit., p. 80-84. Retour au texte

41 https://gammalphabets.org/2016/10/23/ceci-nest-pas-une-ombre/, consulté le 7 août 2017. Retour au texte

42 Les déclinaisons de ce paradigme de l’empreinte, dont Servanne Monjour a bien montré la persistance tenace dans l’imaginaire de la photographie, rejoignent sans doute ici un questionnement sur le devenir de la photographie en ligne dans ses enjeux ontologiques. Retour au texte

43 https://gammalphabets.org/2016/05/14/formes-de-peu-228/, consulté le 7 août 2017. Retour au texte

44 https://gammalphabets.org/2016/07/21/infimes-_-117/, consulté le 7 août 2017. Retour au texte

45 Voir aussi cette photographie au titre emblématique « porche/exils » (23 octobre 2016), https://gammalphabets.org/2016/10/23/porcheexils/. Elle est mise en lien avec le poème« nulle part – 59 » (29 janvier 2017) : « […]/ l’ombre ouvre / on ne sait quel porche / des pas résonnent mais qui sait / s’ils s’éloignent ou viennent ici » https://gammalphabets.org/2017/01/29/nulle-part-59/. Sites consultés le 7 août 2017). Retour au texte

46 Voir Georges Didi-Huberman, La Ressemblance par contact, op. cit., p. 85 (« la phénoménologie de la distance apparaissante se complète d’une phénoménologie du regard échangé »). Retour au texte

47 Walter Benjamin, « Sur quelques thèmes baudelairiens » (1939-1940) p. 381-382, dans Œuvres III, trad. M. de Gandillac, R. Rochlitz et P. Rusch, Gallimard (Folio essais), 2000. Retour au texte

48 https://gammalphabets.org/2016/12/13/nulle-part18/, consulté le 7 août 2017. Retour au texte

49 https://gammalphabets.org/2016/12/14/nulle-part-19/, consulté le 7 août 2017. Retour au texte

50 https://gammalphabets.org/2017/02/06/nulle-part-66/, consulté le 7 août 2017. Retour au texte

51 Walter Benjamin, Petite Histoire de la photographie, op. cit., p. 57. Retour au texte

52 https://gammalphabets.org/2016/12/ 07/nulle-part-15/, consulté le 7 août 2017. Retour au texte

53 https://gammalphabets.org/2017/05/03/hs-73/, consulté le 7 août 2017. Retour au texte

54 Nous renvoyons notamment à l’ouvrage de Stéphane Vial, L’Être et l’écran, PUF, 2013. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Dominique Pety, « Collectionneurs d’instants : poésie et photographie sur le net », Nouveaux cahiers de Marge [En ligne], 2 | 2020, mis en ligne le 23 avril 2021, consulté le 19 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/marge/index.php?id=329

Auteur

Dominique Pety

Université Savoie Mont Blanc (Laboratoire LLSETI)

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