Les corps déviants des détenues dans L’Université de Rebibbia et Les Certitudes du doute de Goliarda Sapienza

Du corps « modélisé » au corps « libéré »

DOI : 10.35562/marge.382

Plan

Texte

          Dans l’univers narratif de Goliarda Sapienza, on constate la présence envahissante de corps qui ne se conforment pas à un standard social. Il s’agit toujours de corps marginaux, qui sont marqués par un stigmate dégradant car ils échappent au pouvoir catalyseur de la norme sociale, mais que l’écrivaine cherche néanmoins à valoriser pour leur statut hors-normes1.

Les corps déviants des détenues de la prison féminine de Rebibbia dans les deux romans autobiographiques L’Université de Rebibbia et Les Certitudes du doute représentent des cas d’étude significatifs. Pour Sapienza, le traitement de corps marginalisés et enfermés dans une prison pour leur déviance permet de dévoiler la manière dont la société rejette et cherche à modéliser tout ce qui ne s’inscrit pas dans un standard homologuant. En même temps, l’écrivaine valorise ces corps en ce que leur exclusion du social semble impliquer l’émergence de leur vraie nature, dénuée de toute étiquette liée à l’appartenance à la société et en contact direct avec la corporéité. En effet, dans les deux romans, on remarque la tendance à attribuer à la communauté déviante les caractères d’un « village primitif2 » où l’individu, dépourvu de son masque social, régresse vers ses pulsions et ses instincts corporels.

Dans cette perspective, l’analyse de ces deux romans à travers les apports théoriques de Foucault, Goffman et Canguilhem fournira un éclairage important sur le rapport entre normes et corps chez Sapienza. Les études de Foucault et de Goffman, en particulier, permettront de comprendre comment le reclus perçoit son rapport à la déviance en tant qu’acte d’insertion dans une institution qui modélise constamment son corps pour normaliser son statut. Les recherches de Canguilhem, quant à elles, seront indispensables afin de saisir la valeur primitive de la déviance comme sortie de la sphère sociale et régression vers la corporéité, ce qui se condense dans deux constructions mythiques employées par l’écrivaine pour représenter la communauté déviante. En outre, au croisement de ces deux axes herméneutiques, se situe aussi une analyse des modèles de sociabilité de la communauté carcérale vouée à mettre en lumière la manière dont la problématique du rapport entre norme et corps s’inscrit au sein d’une réflexion plus générale sur l’individu et le collectif, conditionnée par les relations d’analogie et de juxtaposition entre les communautés « normale » et « déviante ».

          À travers le prisme de ces approches, nous voudrions donc montrer dans quelle mesure et de quelle manière la stigmatisation de la déviation implique simultanément, dans les œuvres de Sapienza, un processus de modélisation en tant que tentative de réinsertion à l’intérieur de la société et une libération de tout masque social déclenchant une régression des individus vers la pure corporéité. Pour ce faire, après une brève présentation de l’écrivaine et de ces deux romans, nous analyserons la problématique de la déviance par le biais d’une question qui se pose de manière préalable : celle du rapport entre l’individu et la collectivité. Cela nous permettra de retracer les deux valeurs que Sapienza attribue à la prison afin de pouvoir dégager deux typologies différentes de traitement des corps déviants.

Les romans de la prison de Goliarda Sapienza

          Goliarda Sapienza (1924-1996) est une figure excentrique dans le panorama culturel italien du xxsiècle : résistante, comédienne, actrice et metteuse en scène aux côtés de son premier compagnon, le cinéaste Francesco Maselli, elle commence sa carrière d’écrivaine vers la fin des années 1950 après une dépression qui la conduira à deux tentatives de suicide. Après avoir publié deux romans autobiographiques tirés de son expérience psychanalytique, Lettera aperta (1967) et Il Filo di mezzogiorno (1969), elle se consacre dans les années 1960-1970 à la rédaction d’un immense chef-d’œuvre maudit, L’Arte della gioia, qui verra la lumière seulement en 2005 en France. La frustration causée par le refus du manuscrit de L’Arte della gioia en Italie, qui dura une dizaine d’années, et la pauvreté qui s’ensuivit la conduisent à commettre un acte scandaleux : elle vole des bijoux chez une amie et elle est incarcérée en 1980. D’après ce que l’écrivaine déclare dans ses carnets et dans des lettres inédites, cet acte représente en réalité un prétexte pour expérimenter la détention et « voir des funérailles pirandelliennes3 », c’est-à-dire mourir socialement.

Cette expérience lui permet néanmoins de publier deux autres livres et d’entamer une nouvelle approche de l’instrument artistique où le « moi » est remplacé par le « nous », où l’exigence de raconter le présent se substitue à la recherche mémorielle, où l’écriture n’est plus considérée comme un moyen de survie pour accepter ou combattre la déviance, comme c’était le cas dans la représentation de la maladie dans les romans précédents, mais comme une manière de réfléchir sur elle, de la thématiser et de la revaloriser à travers la narration. En effet, ces deux romans qui ouvrent une nouvelle phase de l'écriture sapienzienne, L’Università di Rebibbia (1983) et Le Certezze del dubbio (1987)4, se démarquent en ce qu’ils retracent l’initiation et l’adaptation de l’écrivaine dans l’institution de la déviance par excellence, la prison, déclenchée par le fort désir de s’approprier ce stigmate. Plus spécifiquement, L’Université de Rebibbia reconstruit le récit de l’expérience carcérale de l’écrivaine dans la prison féminine de Rebibbia ; tandis que Les Certitudes du doute raconte la sortie de Sapienza de la prison en mettant en lumière une série de problématiques typiques de la phase post-carcérale, telles que le sentiment d’extranéité ou la difficulté dans la réintégration. Dans Les Certitudes du doute, l’écrivaine raconte aussi sa rencontre avec ses anciennes camarades de cellule, une rencontre qui la poussera à prendre conscience d’être affectée par le stendhalien « syndrome de l’affection carcérale5 » et à recréer un nouveau microcosme déviant au sein de la société soi-disant « normale ».

Les communautés « normale » et « déviante »

          Une lecture croisée de ces deux œuvres nous pousse, avant tout, à nous interroger sur l’identité telle qu’elle se définit dans sa relation à la communauté. En effet, Les Certitudes du doute se situe dans une optique de continuité par rapport au roman précédent, dans la mesure où il cherche à représenter le parcours spéculaire du sentiment d’appartenance de la protagoniste entre les deux communautés « normale » et « déviante ».

Plus spécifiquement, L’Université de Rebibbia représente le moment de la perte de l’identité sociale de la protagoniste impliquant une sortie de la communauté normale et une nouvelle redéfinition de soi-même qui passe par un processus de réidentification au groupe, celui des détenues : cette « population de ce qui est désormais, que je le veuille ou non, ma cité6 ». Contrairement à cela, Les Certitudes du doute part de la volonté initiale du personnage d’« échapper [au souvenir] de Rebibbia7 ». Cette volonté est provoquée par la prise de conscience d’avoir été rejetée par le groupe des détenues : « que croyais-tu ? que pour les quelques mois que tu as passé en prison, elles pourraient te considérer désormais comme une amie8 ? ». Plus tard, on constate la tentative acharnée de réintégration dans la communauté normale quand la protagoniste intériorise les discours figés et les lieux communs sur le stigmate carcéral : « Et je sortis, par bonheur, puisque – du moins c’est ce qu’on dit – cet endroit est un enfer et qu’il faut que je m’en convainque9. » Toutefois, l’errance de la protagoniste dans l’espace urbain romain est marquée par la spéculation immobilière et son « armée de ciment qui assaille ce peu de verdure que nous avons sous les yeux10 » ainsi que par le « stress d’accélération temporelle » qui défigure les êtres humains pour les faire devenir des êtres « convulsés, falsifiés11 ». Cela constitue le symptôme d’un sentiment d’extranéité dérivant de l’impossibilité et, plus tard, du refus délibéré de réintégrer la société normale. Enfin, cela correspond aussi à la décision de se laisser aller aux « sirènes carcérales », comme elle les définit à maintes reprises, déclenchées par les retrouvailles avec ses anciennes codétenues.

On a donc l’impression que la thématique principale de ces deux œuvres est la scission de l’individu entre deux modèles de collectivité qui sont représentés comme des systèmes complexes obligeant l’individu à s’adapter à une norme hégémonique, ce qui engendre une perception bipartie de l’identité déviante.

          Or, cette thématique assume en effet des nuances fort différentes qui sont liées à deux valeurs que l’écrivaine attribue au collectif carcéral sur la base de son rapport d’interdépendance avec le dehors au sein de ce que Claudio Besozzi appelle « la logique de l’alternance12 », expression qui indique la compénétration constante entre ces deux dimensions dans la littérature carcérale.

D’abord, pour Sapienza, la prison se nourrit d’une perpétuelle pression osmotique de la société, jusqu’à en devenir une sorte de « miroir » reproduisant fidèlement tous ses mécanismes sous-jacents à l’intérieur d’un contexte plus restreint. C’est particulièrement évident dans L’Université de Rebibbia dès lors que la protagoniste prend conscience du fait que dans la prison, on retrouve le même système de masques et de rôles que dehors :

En courant dans les escaliers, je pleurerais presque de désespoir – pour la première fois ici dedans – devant la constatation que pour nous, mortels, il n’y a pas moyen, même pas en prison, d’échapper à l’atroce fatalité de devoir toujours, en quelque coin qu’on se retrouve, prendre un parti (celui des autres), une position, un masque, et cætera et cætera : infernal13 !

De manière complémentaire, l’écrivaine cherche aussi à définir les fondements d’une communauté déviante autonome qui, contrairement à la société, se fonde principalement sur son caractère de « transparence » ou de « clarté », c’est-à-dire sur son attitude à toujours démasquer – même en la reproduisant – toute « construction idéale » afin de faire régresser l’être humain vers sa nature, vers son essence première déterminée par son corps :

Ici les échelles de valeur de chacun se manifestent avec une clarté absolue, et il n’y a pas moyen de cacher aux autres, et encore moins à nous-mêmes, notre nature. Cela m’éclaire enfin sur la vraie raison de la terreur que nous avons tous de la prison : nous savons ataviquement que là-dedans il ne nous sera plus possible de faire tenir debout la ‟construction idéale” que nous-mêmes, aidés par la culture, l’argent, les bonnes manières, nous nous sommes soigneusement édifiée dehors14.

La question de la « clarté » est essentiellement déclenchée par le processus de « dépersonnalisation permanente15 » opéré, selon Goffman, par toute « institution totalitaire16 » : il s’agit d’un mécanisme typique de l’institution pénitentiaire qui est étroitement lié à la mort civile de l’individu déviant et qui consiste dans la perte de tous les attributs physiques et virtuels, et donc de tous les rôles, que l’individu possédait dans la sphère sociale. Cela provoque une rupture nette avec le monde extérieur et un changement radical de l’identité. Comme on le verra, ce mécanisme joue une importance fondamentale dans l’émergence d’un nouveau modèle social qui s’articule autour de l’élaboration d’un système communicatif spécifique et d’une mémoire collective.

          L’importance de retracer préalablement les deux fonctions de la prison en relation à son rapport de dépendance ou d’opposition avec la société tient à la volonté de faire ressortir deux approches différentes de la problématique de la déviance qui sont au fondement d’un traitement différent de la corporéité. D’un côté, la prison, pour reprendre la théorie de Foucault, « ne fait, en enfermant, en redressant, en rendant docile, que reproduire, quitte à les accentuer un peu, tous les mécanismes qu’on trouve dans le corps social17 » et elle constitue donc la loupe à travers laquelle l’écrivaine peut observer et critiquer le « pouvoir normalisateur18 » qui marque constamment toute identité déviante. De l’autre côté, étant donné que la procédure punitive se fonde essentiellement sur la privation de tout attribut social que l’homme possédait auparavant, la prison constitue le déclencheur pour une véritable renaissance qui se construit à partir du seul élément dont l’individu n’est pas dépourvu : son corps.

Or, on pourrait classer ces deux fonctions de la prison sous le signe de deux traitements différents des corps déviants dans ces deux œuvres : une tendance à dévoiler le caractère déshumanisant et désindivindualisant des mécanismes que la société applique sur les corps déviants et, deuxièmement, un élan déshumanisant dans la description de ces corps qui met en valeur leur tendance à se libérer de toute étiquette sociale pour régresser vers leurs pulsions et leurs instincts premiers, vers leurs corps débridés.

La prison comme miroir du social : la dénonciation des mécanismes de modélisation du corps déviant

          La représentation de la prison comme miroir du social correspond donc à la tentative de dévoiler les pratiques de vexation et de mortification corporelles qui affectent tous les individus déviants ainsi que du processus disciplinaire qui modélise leurs corps pour les transformer en rouages d’une complexe machine coercitive qui les prive de leurs droits indispensables, notamment les droits de parole et d’action. Afin d’analyser cet aspect, nous allons nous focaliser sur trois types de processus exemplaires qui affectent ces corps en tant que déviants : la stigmatisation de l’identité déviante qui passe à travers le regard d’autrui, l’isolement spatial qui définit le caractère de marginalité de la déviance et, enfin, la « disciplinisation » du corps déviant dans sa gestualité et ses mouvements.

          La première question, c’est-à-dire la stigmatisation de l’identité déviante, est mise en évidence dès l’entrée de la protagoniste à Rebibbia lorsqu’elle prend conscience de sa nouvelle « identité sociale virtuelle19 » d’être « condamnable » : « je me sens ‟condamnable”, racaille désormais digne de n’importe quelle insulte de quiconque est en règle avec la loi20. » Si cette première prise de conscience laisse transparaitre une attitude de victimisation et une légitimation de l’avilissement destiné potentiellement au corps déviant, la protagoniste change nettement de comportement dès lors que son statut déviant est étiqueté, stigmatisé par le regard d’autrui, celui des policières. Dans L’Université de Rebibbia, le regard des policières exerce une double fonction de régulation – le regard typique du système de « surveillance visuelle » carcérale21 – mais aussi de mortification, dans la mesure où, dès lors qu’il s’inscrit dans une structuration hiérarchisée et formellement connotée du rapport, il rappelle constamment à l’individu sa « déficience ». Ce mécanisme est néanmoins à la source d’une première forme de résistance de la protagoniste cherchant à faire prévaloir son statut humain sur un stigmate humiliant à travers un duel visuel :

Je décide de ne pas oublier que même si je suis ici pour payer ma transgression, les autres […] n’ont aucun droit de m’humilier. Cette pensée me rend l’orgueil qui par des voies sinistres avait abandonné mon corps, et avec détermination je me colle au judas, en attente. Je ne m’étais pas trompée : deux yeux durs et méchamment moqueurs m’observent dans l’obscurité. Pendant un grand nombre de secondes nous nous fixons à travers la grille et je pourrais continuer ainsi toute la nuit si l’autre, feignant une expression d’ennui, ne cédait pas22

          Pour ce qui est de la deuxième question, c’est-à-dire l’isolement spatial, les deux romans montrent comment la prison représente de manière emblématique le double mécanisme consistant à inscrire la marginalisation du corps déviant dans une structuration dualiste de la norme – c’est-à-dire en l’isolant du monde normal – et à sonder les possibilités et les limites de son humanité à l’intérieur d’un espace déshumanisant. La dénonciation de ce double aspect se condense, pour l’écrivaine, dans l’insistance sur les caractères de claustration, c’est-à-dire de séparation nette entre l’intérieur et l’extérieur, et de contraction de la sphère spatiale.

Pour mieux comprendre la manière dont cette problématique s’articule dans les textes, nous traiterons la description de la spatialité carcérale selon le double modèle perceptif retracé par la phénoménologie de l’espace : l’« idée de quantité » et l’« idée de lieu23 ».

L’« idée de lieu », c’est-à-dire le modèle de repérage du monde, implique pour Sapienza une perception de l’espace carcéral qui est considéré exclusivement sur la base des frontières qu’il impose dans une dialectique sous-jacente entre le « dedans » et le « dehors ». Cette appréhension dualiste de l’espace se nourrit d’une constante interrelation entre « ici » et « là-bas » traversant tous les discours de la protagoniste et des autres détenues et elle est porteuse de deux binômes sensoriels lumière/ombre et froid/chaud. Mais ce qui occupe une place de premier plan, c'est la focalisation constante de l’écrivaine sur des objets liminaux : du « grand portail vert sombre24 » à l’entrée de la prison, aux barreaux de la cellule « symbole d’isolement que nous connaissons tous et qui revient parfois dans nos rêves25 », jusqu’au judas « la seule fente toujours ouverte dans le ‟tout fermé” des cellules26. » Ces objets liminaux mettent en valeur l’état d’isolement du corps déviant et semblent représenter la recherche d’une ouverture au monde extérieur qui ne peut pas être réalisée. Il est intéressant, en effet, de constater que Les Certitudes du doute propose cette même structuration de l’espace, qui s'apparente, par ailleurs, à la féroce critique envers la spéculation immobilière qui était en train de bâtir toujours plus de frontières avec les quartiers pauvres. Dans ce dernier roman, on remarque l’importance attribuée à l’alternance et à l’opposition constante entre l’immensité des places illuminées que la protagoniste traverse tout au long de son errance romaine et les lieux fermés et isolés des retrouvailles avec ses anciennes codétenues : le sous-sol sombre d’une gare défini comme une « caverne », le magasin dépourvu de lumière de Barbara, le « bar à demi-caché par une enfilade de colonnes carrées27 » où elle rencontre souvent Roberta, lieu de rassemblement des ex-détenus dominé par « un fond obscur dont émane une humidité différente de celle qui régnait dehors28 ».

L’« idée de quantité » émergeant dans la représentation de l’espace pénitentiaire dans les romans détermine sa perception par rapport à son étendue et à sa contenance. Dans cette perspective, on remarque que l’enfermement à l’intérieur d’un lieu si restreint où sont entassés comme des objets plusieurs corps est à la source d’un véritable abrutissement des personnages, comme le montre un passage spécifique de L’Université de Rebibbia où la protagoniste cherche à échapper à la contamination corporelle provoquée par la cohabitation avec ses camarades dans une cellule qu’elle définit comme une « cage aux lions29 » :

À l’aube – ou est-ce encore la nuit, cette lueur glacée de lune qui filtre à travers les vitres ? – je cours aux douches : échapper aux griffes de la saleté doit être mon seul but.

L’eau chaude efface complètement le souvenir de la nuit que j’ai passée dans le puits pourri qu’est ma cellule30.

Enfin, la claustration corporelle est aussi, dans l’œuvre de Sapienza, l’indice d’un blocage des mouvements et d’une répétition des gestes.

          Cela nous introduit donc au cœur de la troisième question : la « disciplinisation », ou modélisation, des corps déviants. L’écrivaine souligne tout au long de ces deux œuvres la manière dont les corps sont modélisés par l’institution pénitentiaire qui leur impose des postures et des mouvements spécifiques dans une scansion très précise, presque mécanique, de la temporalité. Cette dernière question est particulièrement évidente dans Les Certitudes du doute à travers le personnage de Roberta, que la protagoniste définit comme « l’un des premiers exemplaires culturellement nés dans une prison31 » et dont le signe le plus évident d’éducation carcérale est la perception et l’exploitation du temps :

Le temps de Roberta est mystérieux et insaisissable, plus encore que celui dont j’ai fait l’expérience à Rebibbia : elle dit comme si depuis que nous sommes descendues du taxi dix ans, vingt ans étaient passés…

Parce qu’elle y a grandi, dans la réclusion, sur ce damier sans fin d’heures coupées jusqu’à l’insupportable en minutes et secondes, et peut-être en quelques mesures temporelles qui nous sont encore plus imperceptible, à nous gens du dehors32.

Comme on le constate tout au long du roman, cette temporalité se manifeste essentiellement par une régulation rigoureuse des tâches quotidiennes – du repas jusqu’au sommeil – et régule tout comportement ou mouvement par une allure cyclique que l’on retrouve aussi, de manière très accentuée, dès le début de L’Université de Rebibbia : « je sais parfaitement l’heure qu’il est : une heure avant l’arrivée du lait33 ».

La « disciplinisation » des corps à travers cette répartition mécanique des tâches semble engendrer l’inertie de ces corps et leur mutisme. Il s’agit de deux aspects qui ont un rôle de premier plan notamment dans L’Université de Rebibbia où l’on constate l’« immobilité forcée » de la protagoniste et de la « quantité de femmes jetées sur les lits, immobiles, les visages gonflés34 ». En miroir, dans Les Certitudes du doute, la sortie de la prison se signale principalement par un « désir démesuré de mouvement que rien ne parvient à calmer35 ». Pour ce qui est du silence, on remarque l’importance de ce que Sapienza définit comme « le non-bruit » de la prison, un « non-bruit » fabriqué exprès pour torturer l’esprit :

Nous désirons souvent le silence, mais celui de la vie est toujours sonore, même à la campagne, à la mer, même lorsque nous sommes enfermés dans notre chambre. Là où je me trouve, le non-bruit a été conçu pour terroriser l’esprit, qui se sent recouvert de sable comme dans un sépulcre36.

Ici, l’écrivaine souligne pourtant constamment le caractère « forcé » et « anormal » qui sous-tend ces actes : il s’agit toujours d’une « immobilité anormale », de « l’anormalité de leur silence37. » Sapienza veut ainsi mettre en évidence que la discipline corrective imposée à ces corps les fait devenir de véritables simulacres, ce qu’elle représente à travers des métaphores renvoyant à la sphère lexicale de la rigidité et de la stase, telle que la figure de la « pierre », ou, de manière plus emblématique, l’image du « petit soldat » qui est, selon Foucault, le prototype d'une rhétorique corporelle se fondant sur la docilité.

          Dans cette optique, on remarque la tentative constante de l’écrivaine de transmuer l'« institution disciplinaire » de la prison comme miroir du social en lieu de résistance, en « territoire fermé ou une réserve de minorités destinés à s’agrandir dans cette ère d’uniformisation absolue que nous vivons38 ». Cela s’opère par une valorisation de la déviance comme porte-identité, fondement de l’individuation de tout être humain dans une société qui tend toujours plus vers l’« uniformisation absolue ». Ce procédé s’inscrit dans la volonté de s’opposer aux pratiques sociales déshumanisantes et désindividualisantes qui affectent le corps déviant et il est à la base d’une tension sous-jacente vers l’élaboration d’un nouveau modèle social, d’une nouvelle communauté exclusivement déviante qui présente néanmoins des traits inhumains, pré-civilisés.

La nouvelle communauté déviante : l’émergence d’une dimension mythique

          La déshumanisation du corps déviant correspond à l’émergence constante, dans les deux œuvres, de deux constructions mythiques qui ont la fonction de mettre en lumière la régression de ces corps vers un état présocial et qui constituent aussi des éléments agrégatifs pour ces corps désirant sortir de la société pour créer un ailleurs, une nouvelle communauté – la « sous-communauté déviante39 » des détenues – où la notion même de déviance acquiert de nouvelles significations. Il s’agit, plus spécifiquement, des mythes de l’enfance (ou encore du retour au ventre maternel) et du chaos, ce qui condense cette double tension omniprésente dans l’œuvre de l’écrivaine entre la régression comme recherche d’un « moi » enraciné charnellement et un « moi » ontologique.

          La transition vers un espace autre est déjà évidente lors de l’entrée même de la protagoniste dans la prison de Rebibbia, ce passage comportant en effet ce que Sapienza appelle « la mort de la personne sociale40 » et impliquant un véritable rite de transition qui présente les caractères d’une catabase : « on descend encore, on descend toujours. À chaque pas on sent qu’on s’enfonce et qu’on ne pourra plus redevenir comme avant41. » Il est intéressant de constater que cette même image est reprise dans Les Certitudes du doute dès lors que la protagoniste décide de se laisser aller aux « sirènes carcérales » et de suivre son ancienne camarade Roberta : « Vomies par l’escalier glissant, à peine un peu plus éclairé que ceux de Rebibbia, nous arrivons, à travers de grandes portes […], dans un tunnel immense et si profond – que ce soit à droite ou à gauche – qu’il paraît sans fin42. » Le mouvement de descente ainsi que ce tunnel – nous renvoyant au « long boyau [qui] descend inexorablement43 » dans L’Université de Rebibbia – constituent des composantes essentielles d’un enfoncement dans ce qui est, simultanément, un lieu « infernal » et « sacré44 ». On a donc l’impression de plonger dans un espace outre-terrain, un microcosme déviant qui cherche à résister au pouvoir de la norme.

          Compte tenu de cela, afin de comprendre les fondements des constructions mythiques qui caractérisent la nouvelle communauté déviante, nous voudrions d’abord porter notre attention sur la manière dont Sapienza dévoile les mécanismes sous-jacents aux modèles de sociabilité de cette collectivité. En effet, les mécanismes agrégatifs qui sont à la base de cette communauté sous-tendent déjà deux aspects essentiels que nous verrons en détail plus tard : une tension vers la réappropriation du corps (qui passe par un défoulement incontrôlé des passions et des instincts) et une volonté de rédéfinition de soi qui cherche à se défaire de toute « construction idéale », de tout masque social, par le biais d’une régression vers son corps. Nous nous focaliserons sur les deux modèles de sociabilité typiques des prisons féminines selon la critique sociologique45 : la famille et l’homosexualité.

La recréation de l’institution familiale concerne particulièrement le rapport entre la protagoniste de L’Université de Rebibbia et ses premières camarades de cellule, en particulier, Annunciazione, substitut de mère. Cette question sera reprise lors de la première rencontre avec les anciennes codétenues dans Les Certitudes du doute, où la protagoniste se rend véritablement compte de « ces échanges de rôles par lesquels les détenues – ça ne m’apparaît que maintenant avec clarté – compensaient l’atroce absence de leur père, de leur mère, de leur amant, de leur enfant, de leur frère… » en ajoutant cependant :

Et voici qu’un énième comportement collectif alors placé par moi, de façon erronée, dans les modalités réductrices du jeu (le jeu existe-t-il, d’ailleurs ?), se révèle maintenant comme l’une des soupapes d’échappement des passions, indispensable pour ne pas périr sous cette véritable pierre tombale qu’est la prison46.

Dans ce passage, on constate que la reproduction du modèle familial est engendrée exclusivement par les stratégies compensatoires des personnages, en tant que forme d’« adaptation secondaire47 » aux institutions pénitentiaires, et qu'elle ne constitue donc que des « soupapes d’échappement de [leurs] passions ».

La question des rôles sexuels dans les relations homosexuelles entre les prisonnières traverse toute la deuxième partie de L’Université de Rebibbia, où elle assume une position de relief lors d’un dialogue entre les détenues :

« Oh ! Moi, comme je vous ai déjà dit, si je devais rester ici des années, je crois que je m’arrangerais pour qu’elles [les femmes] me plaisent, mais à condition de faire l’homme cette fois… oh oui, enfin, à la limite sans rôles… Tu as déjà vu un couple sans distribution de rôles, Roberta ? » « Jamais ! » « Alors si l’une ou l’autre me veut, elle doit me laisser faire l’homme… » « Tu ne peux rien faire d’autre que la femme, Barbara, résigne-toi48… »

Dans ce deuxième passage, on se rend compte que l’indispensable définition et reproduction de rôles sont d’emblée démasquées et renversées dès lors que ces rôles sont prédéterminés par la nature des individus, et que – selon le principe de la « transparence » – « ici il ne vous est pas permis de vous prélasser dans le faux problème de savoir qui l’on est, de chercher ‟votre identité”, comme on dit depuis quelque temps49 ».

          Or, on constate que pour condenser cette double tendance à se défaire de toute construction idéale et à régresser vers les passions et les instincts corporels, les textes ont recours notamment à la figure de la déshumanisation du corps. L’assimilation de ces corps à la sphère animale se nourrit, en particulier, d’un dense répertoire métaphorique : la camarade de cellule est un « hippopotame », les détenues sont des « animaux préhistoriques » ou encore des « animaux sauvages », le bruit qu’elles émettent sont des « mugissement », leur masturbation est « l’assouvissement naturel d’un troupeau de singes en pleine forêt50. »

Dans cette perspective, on souligne aussi l’importance de ce que Helmuth Plessner définit comme des « gestes liminaux » du comportement humain, c’est-à-dire des actes qui rapprochent l’existence humaine de celle de l’animal51 : soit les larmes, le cri et le rire. Alors que les larmes caractérisent plus spécifiquement la situation initiale de la protagoniste dans L’Université de Rebibbia, les cris et les rires parcourent tout le roman : depuis l’entrée en prison du personnage où le « non-bruit » artificiel est soudainement interrompu par un « cri inhumain […] faisant vibrer l’obscurité52 » – un cri porteur de « volupté », spécifie-t-elle juste après – jusqu’au premier contact avec une détenue où le rire puissant du personnage se transmue en un « ricanement furieux53 » devenant plus tard cet élan vers le « fou-rire libérateur54 » du corps-prison. Ces gestes renversent le code normalisateur imposé à ces corps car ils s’inscrivent dans un élan dynamique et irrationnel à l’antithèse d’une discipline fondée sur le mutisme et l’inaction. En outre, selon Plessner, le cri, le rire et les pleurs impliquent également une régression de l’être humain dans son rapport avec la corporéité. Ainsi, dès lors que la dimension purement organique de ces personnages prédomine, ces corps débridés parviennent à régresser vers leur état instinctif et passionnel que l’on ne peut plus « surveiller », ce qui constitue une prérogative exclusive de ces corps déviants :

Une fois franchi le mur de ce qu’à l’intérieur de nous-mêmes nous concevons comme licite, le sol sauvage des passions interdites s’ouvre tout grand devant nous, immense prairie que nul ne peut plus surveiller55.

Comme on le constate plus clairement dans Les Certitudes du doute, où c’est la reproduction de ces gestes lors de la rencontre avec les anciennes camarades qui représente la source « pour remettre ce temps en mouvement, avec murs, voix, odeurs56 », le rire et le cri constituent aussi de véritables traits d’union entre ces corps déviants au sein d’une régression vers un état pré-normatif.

          Cet état est évoqué par Canguilhem comme constituant les « termes mythiques de la relation normative fondamentale57 », c’est-à-dire le mythe de l’âge d’or – correspondant, pour l’écrivaine, à l’enfance – et le mythe du chaos.

Le mythe de l’enfance est déjà présent dès le début de L’Université de Rebibbia à travers la métaphore du premier jour d’école qui, en reprenant un topos typique de la littérature carcérale, représente la panique de la protagoniste face à la déresponsabilisation forcée des institutions totalitaires. Il assume néanmoins une importance fondamentale dès lors que la prison devient véritablement pour l’héroïne un retour au ventre maternel et désigne son adaptation au groupe déviant comme un nouveau rapprochement du monde typique de l’enfance. La protagoniste devra donc rapprendre ses gestes et ses mouvements pour s’adapter aux autres détenues, ce qui définira les contours d’une appartenance à la communauté à partir de certains actes tels que « le fou rire typique de la régression infantile de la prisonnière58 ».

Le mythe du chaos, lui, réside dans ce dynamisme sonore et énergétique de la prison, connoté par le désordre, l’excès et cette même reproduction de rires et cris incontrôlés. Il se condense particulièrement dans l’image très suggestive que Sapienza utilise pour signifier l’union de tous les corps des détenues en un seul corps-prison : la « centrifugeuse alimentée par les radiations énergétiques de cent corps exaspérés59 », dont elle décrit minutieusement le fonctionnement :

Tout cela entassé dans un récipient qui semble toujours sur le point d’exploser sous la pression des énergies qui se répandent en tourbillonnant mais qui, n’ayant aucun moyen de sortir, reviennent sur elles-mêmes avec une violence démultipliée.

Je suis dans une centrifugeuse : courir, me presser, hurler comme elles, ne me conduirait à rien d’autre qu’à être absorbée par la fureur passionnelle de cette centrifugeuse60

Il est intéressant de constater comment ces mêmes images d’un espace circulaire et d’une rondeur pleine, représentant, dans la poétique de l’espace de Bachelard, la marque primitive de l’être61 seront reprises dans Les Certitudes du doute : dans la scène où les trois ex-détenues prennent une douche ensemble, l’union de leurs corps est définie comme un « cercle crépitant d’eau et de rires62 » ; puis, dans une autre scène où les ex-détenus sont « assis autour d’une immense table improvisée et branlante, ou debout autour de l’unique radiateur électrique, en pleine syntonie avec les autres63 ». Ces espaces circulaires en tant que lieu de communion corporelle s’opposent nettement au système de quadrillage typique de l’espace disciplinaire. Ils établissent les fondements d’une nouvelle forme agrégative où le caractère déviant même de ces corps semble se dissoudre dès lors que le processus identitaire de ces personnages ne se construit pas par rapport à une norme hégémonique, mais plutôt sur un rapport de synergie et de sympathie avec autrui.

          L’importance des caractères de synergie et de sympathie dans la construction du collectif déviant est très évidente dans la fonction même du regard de l’autre qui, cette fois-ci, est nécessaire à la protagoniste de L’Université de Rebibbia pour prendre conscience de son existence charnelle : « Pour voir si j’ai une consistance, si j’ai un poids quelconque, je me dirige vers l’autre banc. [...] Une grosse femme qui y est assise se pousse pour me faire de la place. Elle m’a vue, donc j’existe64. ». À la fin du roman, le poids de ce regard aura une importance fondamentale dans l’explication des raisons de l’affection carcérale des détenues : « je sais que me reprendra le désir d’ici. Il n’y a pas de vie sans communauté […] il n’y a pas de vie sans le miroir des autres65… »

Ce que Sapienza appelle le principe de la « Beauté » s’inscrit dans cette même perspective. Dans L’Université de Rebibbia, la beauté est à la source d’un véritable retour sur la notion de cohérence : « Qu’est-ce que la beauté, sinon de la cohérence66 ? », s’exclame la protagoniste au début du roman. Elle ne se fonde pas sur un jugement conditionné par la conformité de l’individu à un standard esthétique mais elle fait référence à l’empathie corporelle, à ce que l’écrivaine appelle « la puissance du plaisir collectif des sens67 ». La protagoniste définit ainsi la beauté, lors de la rencontre avec une détenue de la prison :

Comment ai-je pu tomber dans le piège d’adhérer à chaque mouvement intérieur, à chaque soupir de cette pauvre fille au lieu de faire glisser entre elle et moi la vitre qui isole des germes de la névrose ? La Beauté ! […] La Beauté avec le B majuscule a ce pouvoir néfaste, on le sait68.

Enfin, ce même postulat servira à la constitution d’un nouveau modèle interactionnel entre les êtres, d’une nouvelle communauté qui se fonde, premièrement, sur une mémoire collective : la « ‟mémoire de la prison”, oralement transmise69 ». La mémoire orale de la prison tiendra une place de premier plan dans Les Certitudes du doute où la reconnaissance du corps-prison passe par le souvenir partagé des perceptions corporelles. Deuxièmement, cette nouvelle communauté élabore aussi un système communicatif spécifique que Sapienza appelle significativement « le langage premier », c’est-à-dire un langage dont l’efficacité communicative est déterminée par le partage de pulsions et de sensations corporelles entre les êtres :

La petite Chinoise me connait déjà. Comme toutes celles qui sont là, elle est parvenue au langage profond et simple des émotions, de telle sorte que langues, dialectes, différences de classes et d’éducation ont été balayés comme d’inutiles camouflages des vraies forces (et exigences) des profondeurs : cela fait de Rebibbia une grande université cosmopolite où chacun, s’il le veut, peut apprendre le langage premier70.

          Sapienza cherche ainsi à renouveler la notion même de conformité, d’homologation à la norme au sein d’une collectivité par le biais de cette tension entre la communion et la fusion corporelle entre les individus, ce qui a le mérite de les lier sans effacer leur différence préalable. Enfin, au sein de cette communauté exclusivement déviante, le sens même de la « liberté » se transmue et, par le renversement de la valeur même de la délimitation spatiale imposée par l’enfermement, se définit en tant que tentative de réappropriation de son propre corps, en tant que « sensation de libération qu’on éprouve au moment où l’on vous ‟enferme” hors de la société et de vous-mêmes71 ».

Conclusion

          Pour conclure, nous pourrions donc affirmer que dans ces deux romans la question de la déviance pivote autour de la question du rapport entre l’individu et le collectif, conditionnant ainsi un traitement différent de la corporéité. En effet, d’un côté, la prison est un miroir du monde du dehors et montre, de manière encore plus accentuée, comment la société stigmatise, isole, cherche à modéliser tout corps qui s’éloigne de la norme sous le signe d’une cohérence homologuante. D’un autre côté, Sapienza semble tracer les contours d’un nouveau modèle social – la communauté déviante des détenues – où l’on retrouve des mécanismes agrégatifs qui ne se fondent pas sur l’homologation et la conformité à un standard, mais sur l’empathie et la communion entre les êtres, ce qui est seulement possible quand ces personnages se libèrent de leur masque et retrouvent leur corporéité débridée.

Bibliographie

Gaston Bachelard, La Poétique de l’espace, Paris, Presses universitaires de France, 1961.

Claudio Besozzi, Les Prisons des écrivains. Enfermement et Littérature aux xixe et xxe siècles, Vevey, Éditions de l’Aire, 2015.

Georges Canguilhem, « Du social au vital », dans Georges Canguilhem, Le normal et le pathologique, Paris, Presses universitaires de France, (Quadrige ), 2013, p. 225-246.

Mara Capraro, « Corps hybridés, mutilés, altérés : pour une nouvelle “mythologie” du corps dans l’œuvre narrative de Goliarda Sapienza », Ad Hoc, nº 7 « Valeur des corps », décembre 2018.

Alison Carton-Vincent, « Le Certezze del dubbio de Goliarda Sapienza : une évasion romaine a rovescio », Cahiers d’études romanes, nº 22, 2010, mis en ligne le 28 janvier 2013, consulté le 20 février 2020. URL : http://journals.openedition.org/etudesromanes/553

Michel Foucault, Surveiller et Punir, Paris, Gallimard, 1993.

Erving Goffman, Asiles : études sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus, Paris, Éditions de Minuit, 1968.

Erving Goffman, Stigmate, les usages sociaux des handicaps, Paris, Éditions de Minuit, 1975.

Abraham Moles et Elisabeth Rohmer, Labyrinthes du vécu : l’espace, matière d’actions, Paris, Librairie des Méridiens, 1982.

Helmuth Plessner, Le Rire et le Pleurer. Une étude des limites du comportement humain, Paris, Maison des sciences de l’Homme, 1995.

Goliarda Sapienza, L’Université de Rebibbia, Paris, Le Tripode, 2013.

Goliarda Sapienza, Les Certitudes du doute, Paris, Le Tripode, 2015.

Maria Rizzarelli, Goliarda Sapienza. Gli spazi della libertà, il tempo della gioia, Rome, Carocci, 2018.

Corinne Rostaing, La relation carcérale. Identités et rapports sociaux dans les prisons pour femmes, Paris, Presses universitaires de France, 1997.

Alessandra Trevisan, « ‘Fermare la fantasia’ : leggere L’Università di Rebibbia di Goliarda Sapienza attraverso lettere e documenti inediti », Diacritica, vol. IV, fasc. 24, décembre 2018.

Notes

1 Nous nous permettons de renvoyer à notre précédent travail « Corps hybridés, mutilés, altérés : pour une nouvelle “mythologie” du corps dans l’œuvre narrative de Goliarda Sapienza », Ad Hoc, nº 7 « Valeur des corps », décembre 2018. Dans cet article, nous observons la question de la déviance dans les trois romans L’art de la joie, Le Fil de midi et L’Université de Rebibbia, mais nous ne traitons pas de manière spécifique la manière dont cette problématique se décline par rapport à la question de la prison. Retour au texte

2 Cette expression est tirée de l’interview de Goliarda Sapienza par Grazia Central publiée sous le titre « Orrore e fascinazione a Rebibbia » dans Il Manifesto le 15 février 1983. Cette interview est reprise par Alessandra Trevisan dans « ‘Fermare la fantasia’ : leggere L’Università di Rebibbia di Goliarda Sapienza attraverso lettere e documenti inediti », Diacritica, vol. 4, fasc. 24, décembre 2018, p. 7. Retour au texte

3 Cette citation est tirée d’une lettre que l’écrivaine envoie à l’éditeur Sergio Pautasso en 1983 et elle est reprise par Alessandra Trevisan, « ‘Fermare la fantasia’ : leggere L’Università di Rebibbia di Goliarda Sapienza attraverso lettere e documenti inediti », op. cit., p. 14. En outre, la même référence est présente à plusieurs reprises dans les carnets de l’écrivaine. Retour au texte

4 Dans cet article, nous utiliserons les traductions en français de ces deux romans par Nathalie Castagné : Goliarda Sapienza, L’Université de Rebibbia, Paris, Le Tripode, 2013 ; Goliarda Sapienza, Les Certitudes du doute, Paris, Le Tripode, 2015. Retour au texte

5 Dans les deux romans, Sapienza parle d’un syndrome affectif qui pousse les détenues à vouloir toujours retourner en prison et elle explique, dans Les Certitudes du doute, que c’est Stendhal qui a été le premier à avoir ancré cet attachement à la prison dans notre imaginaire. Retour au texte

6 Goliarda Sapienza, L’Université de Rebibbia, op. cit., p. 29. Retour au texte

7 Goliarda Sapienza, Les Certitudes du doute, op. cit., p. 52 : « et puis je me dis : je suis en train de m’échapper de Rebibbia, et cela apaise ma conscience ». Retour au texte

8 Ibid., p. 17. Retour au texte

9 Ibid., p. 51. Retour au texte

10 Ibid., p. 17. Retour au texte

11 Ibid., p. 58. Retour au texte

12 Claudio Besozzi, Les Prisons des écrivains. Enfermement et littérature aux xixe et xxe siècles, Vevey, Éditions de l’Aire, 2015, p. 189 : « Chez certains écrivains ayant fait l’expérience de la prison, la signification de la peine privative de la liberté se construit à partir d’une dynamique, dont le moteur est alimenté par l’alternance entre le dedans et le dehors, entre les tranches de vie passées d’un côté et de l’autre des barreaux. » Retour au texte

13 Goliarda Sapienza, L’Université de Rebibbia, op. cit., p. 82. Retour au texte

14 Ibid., p. 132-133. Retour au texte

15 Erving Goffman, Asiles : études sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus, Paris, Éditions de Minuit, 1968. Retour au texte

16 La notion d’« institution totalitaire » est expliquée par Goffman dans le même ouvrage et fait référence à tout « lieu de résidence et de travail où un grand nombre d’individus, placés dans la même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées. » Ibid., p. 41. Retour au texte

17 Michel Foucault, Surveiller et Punir, Paris, Gallimard, 1993, p. 269. Retour au texte

18 Ce terme est employé par Foucault à plusieurs reprises dans Surveiller et Punir. Retour au texte

19 Dans son ouvrage Stigmate, les usages sociaux des handicaps, Goffman fait une distinction entre l’« identité sociale réelle », soit l’ensemble des attributs qu’un individu possède réellement, et l’« identité sociale virtuelle », soit l’ensemble des caractéristiques que nous attribuons à un individu « de façon potentiellement rétrospective, c’est-à-dire par une caractérisation ‟en puissance” » (Erving Goffman, Stigmate, les usages sociaux des handicaps, Paris, Éditions de Minuit, 1975, p. 12). Le processus de stigmatisation dérive justement, pour Goffman, d’un décalage dans la perception de ces deux types d’identités. Il est intéressant de remarquer, dans le roman de Sapienza, l’utilisation du mot « condamnable » qui exprime cette potentialité dans la prise de conscience de son stigmate. Retour au texte

20 Goliarda Sapienza, L’Université de Rebibbia, op. cit., p. 23. Retour au texte

21 Le lien entre le regard et le « pouvoir normalisateur » dans L’Université de Rebibbia a été souligné par Maria Rizzarelli, qui repère dans le roman les deux mécanismes disciplinaires décrit par Michel Foucault dans son ouvrage Surveiller et Punir : « [...] sembrerebbe così che a Rebibbia si ritrovino condensati due modelli di controllo tipici dei meccanismi disciplinari descritti da Foucault : la disciplina-blocco fondata sulla chiusura e la disciplina-meccanismo che trova nel panoptismo”, cioè nella sorveglianza visiva di ogni aspetto della vita degli individui, la sua incarnazione più rappresentativa. » Maria Rizzarelli, Goliarda Sapienza. Gli spazi della libertà, il tempo della gioia, Rome, Carocci, 2018, p. 144-145 Retour au texte

22 Goliarda Sapienza, L’Université de Rebibbia, op. cit., p. 23. Retour au texte

23 Abraham Moles et Elisabeth Rohmer, Labyrinthes du vécu : l’espace, matière d’actions, Paris, Librairie des Méridiens, 1982. Retour au texte

24 Goliarda Sapienza, L’Université de Rebibbia, op. cit., p. 12. Retour au texte

25 Ibid., p. 15. Retour au texte

26 Ibid. Retour au texte

27 Goliarda Sapienza, Les Certitudes du doute, op. cit., p. 163. Retour au texte

28 Ibid., p. 179. Retour au texte

29 Goliarda Sapienza, L’Université de Rebibbia, op. cit., 173. Retour au texte

30 Ibid., p. 181. Retour au texte

31 Goliarda Sapienza, Les Certitudes du doute, op. cit., p. 82. Retour au texte

32 Ibid., p. 81. Retour au texte

33 Goliarda Sapienza, L’Université de Rebibbia, op. cit., p. 25. Retour au texte

34 Ibid., p. 84. Retour au texte

35 Goliarda Sapienza, Les Certitudes du doute, op. cit., p. 83. Retour au texte

36 Goliarda Sapienza, L’Université de Rebibbia, op. cit., p. 15-16. Retour au texte

37 Ibid. Retour au texte

38 Goliarda Sapienza, Les Certitudes du doute, op. cit., p. 82. Retour au texte

39 L’expression « sous-communauté déviante » est utilisée par Erving Goffman dans son ouvrage Stigmate, les usages sociaux des handicaps, où le chercheur parle des différents modèles qui s’instaurent à l’intérieur d’un groupe exclusivement déviant. Retour au texte

40 Goliarda Sapienza, L’Université de Rebibbia, op. cit., p. 14. L’expression « mort de la personne sociale » semble renvoyer à la notion de « Mort Civile » utilisée par Goffman et donc à ce processus de « dépersonnalisation permanente » dont nous avons parlé précédemment. Retour au texte

41 Ibid., p. 13. Retour au texte

42 Goliarda Sapienza, Les Certitudes du doute, op. cit., p. 30. Retour au texte

43 Goliarda Sapienza, L’Université de Rebibbia, op. cit., p. 13. Retour au texte

44 Dans L’Université de Rebibbia, on retrouve de manière récurrente l’image de la Vierge qui sera reprise, de manière significative, dans Les Certitudes du doute dès lors que la protagoniste a l’impression que les espaces qu’elle traverse ne sont que des souvenirs de Rebibbia. Retour au texte

45 Corinne Rostaing, La relation carcérale. Identités et rapports sociaux dans les prisons pour femmes, Paris, Presses universitaires de France, 1997. Retour au texte

46 Goliarda Sapienza, Les Certitudes du doute, op. cit., p. 110-111. Retour au texte

47 Le « système d’adaptation secondaire » consiste « en pratiques qui, sans provoquer directement le personnel, permettent au reclus d’obtenir des satisfactions interdites ou bien des satisfactions autorisées par des moyens défendus. Le reclus y voit la preuve importante qu’il est encore son propre maitre ». Erving Goffman, Asiles : études sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus, op. cit., p. 98. Retour au texte

48 Goliarda Sapienza, L’Université de Rebibbia, op. cit., p. 190. Retour au texte

49 Ibid., p. 84. Retour au texte

50 Ibid., p. 181. Retour au texte

51 Helmuth Plessner, Le Rire et le Pleurer. Une étude des limites du comportement humain, Paris, Maison des sciences de l’Homme, 1995, p. 37 : « l’animal ne se ressent pas lui-même coupé de son existence physique, comme un intérieur et un moi, et il n’a pas, par conséquent, de fracture à surmonter entre soi et soi, entre soi et cette existence ». Retour au texte

52 Goliarda Sapienza, L’Université de Rebibbia, op. cit., p. 15. Retour au texte

53 Ibid., p. 28. Retour au texte

54 Ibid., p. 154. Retour au texte

55 Ibid., p. 132. Retour au texte

56 Goliarda Sapienza, Les Certitudes du doute, op. cit., p. 90. Retour au texte

57 Georges Canguilhem, « Du social au vital », dans Georges Canguilhem, Le normal et le pathologique, Paris, Presses universitaires de France, (Quadrige), 2013, p. 225-246. Retour au texte

58 Goliarda Sapienza, Les Certitudes du doute, op. cit., p. 156. Retour au texte

59 Goliarda Sapienza, L’Université de Rebibbia, op. cit., p. 87. Retour au texte

60 Ibid., p. 64-65. Retour au texte

61 Gaston Bachelard, La Poétique de l’espace, Paris, Presses universitaires de France, 1961. Retour au texte

62 Goliarda Sapienza, Les Certitudes du doute, op. cit., p. 111. Retour au texte

63 Ibid., p. 180. Retour au texte

64 Goliarda Sapienza, L’Université de Rebibbia, op. cit., p. 43. Retour au texte

65 Ibid., p. 220. Retour au texte

66 Ibid, p. 26. Retour au texte

67 Ibid, p. 207. Retour au texte

68 Ibid., p. 102. Retour au texte

69 Ibid., p. 184. Retour au texte

70 Ibid., p. 146-147. Retour au texte

71 Goliarda Sapienza, Les Certitudes du doute, op. cit., p. 167. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Mara Capraro, « Les corps déviants des détenues dans L’Université de Rebibbia et Les Certitudes du doute de Goliarda Sapienza », Nouveaux cahiers de Marge [En ligne], 4 | 2021, mis en ligne le 15 décembre 2021, consulté le 30 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/marge/index.php?id=382

Auteur

Mara Capraro

Université Grenoble Alpes

Autres ressources du même auteur

  • IDREF

Droits d'auteur

CC BY-NC-SA