La condition communautaire

Pour une organisation sociomusicale d’aujourd’hui

DOI : 10.35562/voix-contemporaines.611

Abstracts

Dans les sociétés occidentales savantes, s’il est un modèle de communauté musicale, c’est bien celui de l’orchestre symphonique. Tel qu’il se développe à partir du xviiie siècle, l’orchestre symphonique s’offre comme un corps social à part entière. Au xixe siècle, porté par l’audace républicaine, il est érigé comme exemple modèle de la « nation » : les musiciens y travaillent en commun pour la bonne exécution de l’œuvre. Toutefois, ce corps social musicien semble répondre à l’organisation même des signes de la partition. L’existence du chef d’orchestre peut d’ailleurs apparaître comme l’allégorie de cette manière centralisatrice de penser le collectif qui se joue déjà dans la mise en place des signes musicaux. Partant d’une analyse de la verticalité et de l’autorité, cette contribution vise à conscientiser les implicites d’une musique qui suit une organisation très disciplinée et tente de penser une autre manière, pour la musique, de susciter l’organisation d’une communauté. C’est à travers l’opposition entre une organisation verticale et horizontale que peut se penser un nouveau type de « vivre-ensemble ».

If there is one model of musical community in learned Western societies, it is the symphony orchestra. As it developed from the 18th century, the symphony orchestra became a social body in its own right. In the 19th century, spurred on by republican audacity, it even became an example for the nation: the musicians worked there together to ensure the proper performance of the work. However, this social body of musicians seems to respond to the organization of the signs in the score. In this respect, the existence of the conductor can be seen as an allegory of this centralizing way of thinking about the collective experience, which is already at play in the setting up of musical signs. Starting from an analysis of verticality and horizontal authority, this contribution aims to raise awareness of the implicit aspects of a music which is highly disciplined and which tries to design another way to organize the community. It is through the opposition between a vertical and horizontal organization that a new type of vivre-ensemble can be imagined.

Outline

Text

Introduction

Faire communauté a toujours été un enjeu important pour la musique. Aussi loin qu’il soit possible de remonter, la musique a volontiers impliqué une pluralité d’individus, qu’ils soient de simples auditeurs passifs ou qu’ils participent pleinement au jeu musical. L’art musical a très tôt servi à créer du lien entre les humains, à créer du commun. Du point de vue de la musique savante occidentale, la musique a progressivement vu l’organisation de musiciens en groupes, en ensembles puis en orchestres. Or, la majorité de ces communautés musiciennes trahit une organisation similaire, tributaire de ce qui est joué. L’orchestre symphonique est un cas d’école en la matière. C’est à travers lui que peuvent être posées les critiques d’un système communautaire qui – établi sur la recherche d’ordre et d’autorité, mais aussi d’efficacité – doit être nécessairement repensé à la lumière des pensées politiques et sociales contemporaines.

Réalité disciplinaire du chef d’orchestre

Modèle de communauté moderne, l’orchestre s’avère être un corps social fortement hiérarchisé ; hiérarchisé en son sein, du fait de l’importance accordée à tel ou tel instrument, à tel ou tel pupitre, comme le montre le sociologue Bernard Lehmann (2002, 41-79), mais aussi hiérarchisé par un principe de verticalité institutionnalisé. D’un point de vue politique, le philosophe Paul Ricœur a longuement pensé à la verticalité comme une représentation privilégiée de l’exercice du pouvoir. Elle en est même une modalité. Selon Ricœur, « l’autorité garde quelque chose de hiérarchique, de verticalement dissymétrique, entre ceux qui commandent et ceux qui obéissent » (Ricœur, 2022, 154). Dans toute relation verticale, les agents concernés n’ont pas la même capacité d’action ni le même pouvoir. Ce n’est pas une situation d’égal à égal. L’autorité, la légitimité, le pouvoir décisionnel et la responsabilité sont des caractéristiques attribuées aux supérieurs hiérarchiques qui chapeautent un tel pouvoir vertical. Or, au sein d’un orchestre symphonique, cette exigence de verticalité est portée par le chef d’orchestre. En effet, tous les musiciens lui obéissent. Coordonnant l’exécution, le chef d’orchestre commande : « il donne à voir le spectacle de l’autorité sur un collectif qui est métaphore du corps social en général » (Popelard, 2015). Fort d’une telle autorité, le chef d’orchestre a parfois même été associé à la figure du dirigeant politique : « Pendant l’exécution d’une pièce musicale, le chef d’orchestre [Direktor] est le représentant de la volonté générale, comme l’est un souverain dans son État » (Weber, 1807, 51). Le chef d’orchestre centralise, par ses décisions, la compréhension de l’œuvre qu’il interprète et imprime sa vision, son interprétation, à tous les autres musiciens de l’orchestre. Il a donc une fonction toute singulière dans l’ensemble : il est, en droit, le « supérieur hiérarchique » des autres musiciens1.

Cette verticalité se fait jour dans la posture même des acteurs concernés : les musiciens sont assis, impassibles ; ils attendent les signes du chef placé en face de tous, debout, de manière à embrasser d’un regard la totalité du groupe. L’autorité de sa personne et de ses gestes est souvent soulignée par sa baguette2 (qui n’est au fond qu’une prolongation des bras, voire instrument d’apparat) et qui rappelle au militaire l’outil de l’officier, dérivé de l’épée, à la fois symbole du commandement et instrument du châtiment. Comme le commandant militaire, le chef d’orchestre tient son unité « à la baguette ». Lorsqu’on dit que les musiciens jouent « sous sa baguette », il s’agit d’une expression non seulement bien commune, mais qui file une nouvelle fois la verticalité à l’œuvre au sein de l’orchestre symphonique. À bien regarder cette baguette3, l’on devine l’importance du premier temps, toujours battu de haut en bas, comme pour mieux signifier la hiérarchie, la prééminence du premier temps ou « temps fort » (manière aussi de redoubler la métaphore du bas et du haut). Plus largement, la main4 péremptoire du chef d’orchestre qui s’abaisse est l’incarnation de ce pouvoir qui actualise dans son action un partage symbolique des tâches et des responsabilités. « Mener à la baguette », « obéir à la baguette », voici des expressions disciplinaires qui recouvrent toute leur vérité dans l’orchestre symphonique. Cette soumission, consentie mais néanmoins puissante, s’observe également dans la manière presque réflexe dont les musiciens obéissent au chef, une instantanéité qui dit quelque chose du degré de soumission du sujet musicien ; obéissant aveuglément aux indications du chef, l’individu se conforme à sa direction : il obéit au doigt, à la main et à l’œil.

Organisation de l’autorité musicale

Ainsi portée par la figure du chef d’orchestre, l’organisation de l’orchestre symphonique s’apparente, par sa verticalité, à un système pyramidal qui, selon Hannah Arendt, est l’organisation paradigmatique de l’autorité.

Comme image du gouvernement autoritaire, je propose la figure de la pyramide, qui est bien connue dans la pensée politique traditionnelle. La pyramide est en effet une image particulièrement adéquate pour un édifice gouvernemental qui a au-dehors de lui-même la source de son autorité, mais où le siège du pouvoir se situe au sommet, d’où l’autorité et le pouvoir descendent vers la base de telle sorte que chacune des strates successives possède quelque autorité, mais moins que la strate supérieure, et où, précisément à cause de ce prudent processus de filtrage, toutes les couches du sommet à la base sont non seulement solidement intégrées dans le tout, mais sont entre elles dans le même rapport que des rayons convergents dont le foyer commun serait le sommet de la pyramide aussi bien que la source transcendante d’autorité au-dessus de lui (Arendt, 1972, 130).

Dans son texte, Arendt dépeint un édifice dont la source d’autorité se situerait « au dehors de lui-même » ; la philosophe parle ainsi d’un « foyer commun » qui régulerait la totalité de la pyramide, d’une « force extérieure » (ibid., 129) qui aiguillerait tous les niveaux de l’organisation autoritaire – siège du pouvoir compris. Dès lors, en prenant bien en considération une telle force extérieure, comment comprendre la fonction du chef politique (ou, en l’occurrence, du chef d’orchestre) dans la mise en œuvre de cette autorité ? Au sein de la communauté symphonique, le chef d’orchestre apparaît comme le garant de la productivité musicale et le surveillant de sa bonne exécution. Il a une double fonction de gestion et de surveillance. Il est tout à la fois l’agent de maîtrise et le maton (manière de dire que le chef est aussi un exécutant : l’exécutant porte-voix d’une autorité transcendante). Or, si elle a son intérêt, cette double fonction incarnée ici par le chef d’orchestre est-elle pour autant nécessaire à la bonne effectivité de l’autorité ? Pour répondre à cette interrogation, il faut sans doute passer par un nouveau type d’organisation, dépeint successivement par Jeremy Bentham (1843, 60-64) puis Michel Foucault (2015, 474-511) : il s’agit du panoptique. C’est un dispositif carcéral qui, par sa centralisation originale, permet aux surveillants de voir sans être vus. La possibilité d’une observation discrète et continue crée une suspicion généralisée qui contribue à la bonne discipline des prisonniers. Par son agencement même, le panoptique permet l’absence de l’autorité centrale et extérieure, puisqu’elle est intériorisée et disséminée en toute partie du dispositif : les détenus se surveillent eux-mêmes. Autrement dit, chaque agent du dispositif intègre les règles et agit de telle manière qu’il les applique de lui-même, sans contrainte explicite. Dès lors, la présence des surveillants n’est pas nécessaire puisque, se pensant toujours contrôlés, les détenus modifient leur conduite, se soumettent à l’autorité. Le panoptisme a ainsi pour conséquence d’intérioriser l’autorité et gagne, ce faisant, en horizontalité : la responsabilité de la surveillance est partagée et conduit à une intersubordination des agents impliqués.

Cette intersubordination s’observe aussi dans l’orchestre : la source de l’autorité étant extérieure à l’organisation disciplinaire, tous les musiciens ont la possibilité de juger de la bonne effectivité de ce qui est énoncé par l’autorité. Cela veut dire que si – par sa position hiérarchique – le chef d’orchestre est, dans les faits, le plus à même de juger de la bonne exécution de l’œuvre (il est le seul à posséder le conducteur !), chaque musicien est capable de mesurer l’écart entre son jeu et ce qui doit être joué5. Aussi, une telle visibilité est, en un sens, réciproque : le chef surveille la bonne conduite de ses interprètes-sujets tout comme ces derniers surveillent leur chef et se surveillent les uns les autres. Cette intersubordination excède d’ailleurs le cadre de l’orchestre symphonique. En musique de chambre, cette intersubordination est comme à nu : les musiciens s’écoutent en s’épiant, subordonnés par une autorité extrinsèque et virtuelle qui excède la présence d’un chef-maton. De cette manière, si la présence d’un chef d’orchestre est bien commode pour lancer le mouvement de l’œuvre, donner les départs, maîtriser certaines agogiques6, elle n’est pas nécessaire en droit (notamment pour les petites formations du xviiie siècle). La plupart du temps, les musiciens sont en capacité de jouer une œuvre symphonique seuls7. D’ailleurs, plusieurs tentatives d’orchestre sans chef8 ont pu voir le jour, notamment dans l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) : « Les musiciens sont disposés en un large cercle, de sorte à se voir facilement les uns les autres, au prix de tourner le dos au public. » (Gil-Marchex cité dans Buch, 2002, 1020)/ Mais supprimer la présence du chef d’orchestre revient-il à supprimer l’autoritarisme de la musique ? Si ces tentatives d’orchestre sans chef nuancent la verticalité à l’œuvre et permettent d’approcher une plus grande horizontalité des échanges, elles n’ébranlent jamais la source d’autorité qui, implicite et pesant de l’extérieur, maintien le jeu collectif dans une discipline plutôt rigide. Dès lors, comment comprendre cette autorité musicale ? Quelle est donc cette « force extérieure », coercitive, qui gouverne les rapports de la communauté musicienne ? Comment l’entrevoir pour possiblement la contourner, ou du moins réduire sa puissance d’action ?

Celui qui a déjà joué dans un orchestre sait qu’il y a une force propre à la foule, cette « âme collective » dont parlait Gustave Le Bon (2022, 51), qui subsume l’ensemble des musiciens et néanmoins les dirige. Cette force propre à la communauté, si elle existe, est pourtant elle-même dirigée par une autre force, par un autre type d’ordre : le texte musical, dont les signes trahissent, par leur agencement, une discipline et même une verticalité. Dans la tradition de la musique savante occidentale, il y a quelque chose, dans l’agencement même des partitions, qui permet aux musiciens de jouer ensemble, qui les coordonne au fil de la performance. L’organisation d’une musique est ainsi faite que tous les signes, mêmes les silences, sont mesurés, obéissent à une logique, à tel point que, en l’absence du chef, la puissance suggestive du texte demeure et avec elle son autorité (c’est pourquoi les musiciens peuvent jouer ensemble malgré l’absence du chef). Chacun peut alors jouer sa partie, indépendamment du reste. Pour ainsi dire, le jeu de l’un n’a aucune conséquence structurelle sur le jeu de l’autre. La musique mensuraliste est ainsi faite que, respectant le texte qui lui est donné à exécuter, un musicien peut jouer une partition sans rien connaître de ce qui est joué par le reste du collectif.

Voici, dans une salle de concert, un ensemble d’exécutants qui forment un orchestre. Lorsque chacun d’eux joue sa partie, il a les yeux fixés sur une feuille de papier où sont reproduits des signes. Ces signes représentent des notes, leur hauteur, leur durée, les intervalles qui les séparent. Tout se passe comme si c’était là autant de signaux, placés en cet endroit pour avertir le musicien et lui indiquer ce qu’il doit faire. Ces signes ne sont pas des images de sons, qui reproduiraient les sons eux-mêmes. Entre ces traits et ces points qui frappent la vue, et des sons qui frappent l’oreille, il n’existe aucun rapport naturel. Ces traits et ces points ne représentent pas les sons, puisqu’il n’y a entre les uns et les autres aucune ressemblance, mais ils traduisent dans un langage conventionnel toute une série de commandements auxquels le musicien doit obéir, s’il veut reproduire les notes et leur suite avec les nuances et suivant le rythme qui convient (Halbwachs cité dans Popelard, 2015).

Gérard Leclerc met en perspective deux versants de l’autorité (Leclerc, 1996, 7) : un versant énonciatif et un versant institutionnel. En somme, pour Leclerc, l’autorité est l’articulation d’un principe d’autorité (qui se fait jour par un énoncé) et d’un appareil dépositaire de cette même autorité (c’est le sens de la pyramide d’Arendt ou du panoptique de Foucault). À son niveau, l’organisation de l’orchestre symphonique rend compte d’une telle articulation : la partition fait office d’autorité énonciative quand le chef d’orchestre figure l’autorité institutionnelle, personnifiant l’appareil qui permet l’exercice de l’autorité, lui qui est dépositaire de l’autorité. De ce point de vue, le chef d’orchestre incarne le texte : il est son allégorie vivante. En tant que représentant de l’autorité énonciative, il est le garant d’une certaine orthodoxie musicale, qu’il contrôle et fait respecter. Avec Leclerc, il est possible de comprendre cette orthodoxie comme la « conjonction entre l’autorité institutionnelle et l’autorité énonciative » (ibid., 112).

Pouvoirs de l’écriture : de l’autorité énonciative à l’énoncé autoritaire

Les liens entre les énoncés et leur capacité à faire autorité ont beaucoup évolué au cours des siècles. Depuis le troisième siècle avant notre ère, la puissance performative du discours, mise en évidence par John L. Austin (Austin, 1991 [1962]), a été volontiers redoublée par les signes. L’écriture était alors le médium de l’autorité, le moyen par lequel le pouvoir se communiquait, se faisait savoir. En effet, la parole divine ou politique fut, dans un premier temps, dictée au peuple qui en prenait acte (Goody, 2018, 37) ; le mot « dictateur » est d’ailleurs issu étymologiquement du mot « dictée ». Très tôt donc, l’écriture dut accompagner l’énonciation performative. Dès lors, le texte se présentait comme le versant matériel du légitime. Toutefois, à mesure que l’usage de l’écrit s’est intensifié, l’écriture est non seulement devenue une propriété du pouvoir, mais un fait d’autorité sur lequel le droit put se fonder. Comme le précise l’anthropologue Jack Goody (ibid., 190), « [l]e lien entre le droit et la société se formalise avec l’avènement de l’écriture ». Ainsi que l’expose ce dernier : la loi, c’est l’écriture (alors qu’une règle orale, suivie par convenance ou tradition, est une coutume). Or ce recours à l’écriture a peu à peu conféré une autonomie signifiante au texte. En effet, « la présence du texte d’une parole, par opposition à son expression orale, ménage un rôle partiellement indépendant à l’idéologie, en lui donnant un certain degré d’autonomie structurelle » (ibid., 62). Au départ simple trace d’autorité, l’écriture est devenue progressivement une autorité indépendante. D’un régime où l’autorité est le privilège d’un individu qui énonce, l’on passe à un régime où l’énoncé est une autorité en tant que telle. L’autorité du prince – qui passait par l’énoncé – s’est peu à peu confondue avec ledit énoncé, faisant de celui-ci une autorité en tant que telle. Pleinement autonome dans les sociétés modernes, l’écriture garantit alors la permanence de l’autorité. Elle permet de dépasser les contingences temporelles et d’inscrire le pouvoir sur un temps long, voire éternel. Avec la loi du sang, l’écriture confère ainsi au monarque une autorité qui traverse les générations – c’est ainsi que le prince se soumet aux écritures, prête serment sur des textes religieux ou politiques définis comme intemporels, et c’est ce serment porté sur les écritures qui contribue à instituer l’autorité temporelle du prince.

Cette autonomisation de l’écriture conduit à penser une évolution dans la capacité qu’a un texte à faire autorité. Pour le dire autrement, au cours de l’histoire, l’autorité énonciative cède la place à un énoncé autoritaire. Si l’autorité énonciative, « c’est le pouvoir symbolique dont dispose un énonciateur » (Leclerc, 1996, 7-8), l’énoncé autoritaire renvoie plutôt à une structure abstraite (l’énoncé) qui fait acte d’autorité par sa seule condition, évacuant le sujet énonciateur en faveur d’une immanence des signes, telle qu’elle s’appréhende depuis la fin du xixe siècle par l’anonymisation structurale. Certes, dès lors qu’il est écrit, tout énoncé acquiert une dimension autoritaire, conférée par sa fixité, par son antécédence également9. En cela, toute écriture tend à être, en tant que source, une autorité canonique10. De ce point de vue, en musique, toute partition pourrait s’entendre comme un énoncé autoritaire : face au sujet-interprète, pose Esteban Buch en lisant Maurice Halbwachs, « c’est la partition comme objet qui est dans la position du commandement, voire du commandeur. » (Popelard, 2015).

Toutefois, la spécificité de l’énoncé autoritaire est concevable d’une façon plus précise et plus radicale. Par « énoncé autoritaire », il faut davantage entendre un type d’énoncé qui mettrait en jeu une hiérarchie dans son organisation interne : il y aurait un ordre possible, offert à l’entendement, dans la manière dont les signes sont hiérarchisés entre eux. Comme le pose Ricoeur, il s’agirait d’une « dimension symbolique de l’ordre » (Ricœur, 2022, 139), spécifique à tel ou tel énoncé.

Être capable d’entrer dans un ordre symbolique c’est être capable d’entrer dans un ordre de la reconnaissance, de s’inscrire à l’intérieur d’un nous qui distribue et met en partage les traits d’autorité de l’ordre symbolique (Ricœur, 2022, 146).

Fort de ce constat, il faut à présent approfondir ce que peut être un énoncé autoritaire. En effet, certains types d’écriture sont plus organisés (et donc plus autoritaires) que d’autres. Il existe des degrés dans l’élaboration d’une hiérarchie à même les signes. Pour revenir à la musique, en quoi la partition peut-elle être qualifiée d’énoncé autoritaire ? La notation dite mensuraliste (à savoir la notation du rythme et du mètre qui s’est déployée depuis le Moyen Âge en Occident) est sans aucun doute la pierre de touche de cet autoritarisme sémiotique. C’est en ce sens que la partition s’offre au musicien comme un énoncé autoritaire.

L’audibilité du pouvoir

Dans son ouvrage Surveiller et punir, Foucault (2015 [1975]) conçoit le contrôle comme une affaire de visibilité, de regard11 : la surveillance se fait avant tout par la vue. Or cette modalité visuelle n’est peut-être pas la plus adaptée aux questions musicales. Si la vue a bien sa vérité (le musicien d’orchestre est sans cesse invité à regarder le chef), la musique requiert une investigation proprement sonore des modalités de pouvoir et de contrôle. Existerait-il donc une modalité auditive de la surveillance ? Pour répondre à cette question, il faut sans doute revenir aux origines de la baguette du chef d’orchestre. L’une de ses origines établies est le « bâton de direction » qui, précisément, était un instrument permettant de faire entendre la battue pour la signifier aux autres musiciens. Devenue peu à peu inaudible, aujourd’hui pure chorégraphie aérienne, la battue du chef tient donc ses prémices dans la répétition cadencée d’une même pulsation. Précisément, le principe autoritaire et ce par quoi le contrôle de la musique peut avoir lieu tiennent tous deux de cet ordre tapé, de cette pulsation. En effet, le bon contrôle de la musique nécessite son isochronie. Réglée, la pulsation est la manifestation d’un ordre univoque, hégémonique, d’une uniformisation du temps également, quantifiable par tous. Du point de vue de la partition, les barres de mesures ne sont que l’inscription de l’énonciation autoritaire qu’est la répétition d’une pulsation. Elles instaurent un quadrillage qui participe de la constitution d’un espace-temps normatif et subordonnant. Précisément, Foucault a bien mis en évidence l’aspect temporel de tout projet disciplinaire : « est “naturel” dans notre société l’usage du temps pour mesurer les échanges » (ibid., 421). Pour organiser et contrôler une société, il s’agit bien souvent d’« ajuster le corps à des impératifs temporels. » (ibid., 422). La pulsation, qui est une condition du jeu collectif et que les interprètes suivent avec application, contribue à cela :« L’exactitude et l’application sont, avec la régularité, les vertus fondamentales du temps disciplinaire. » (ibid., 421). Au sein du type d’ordre symbolique qu’est toute musique mesurée, le tactus12 est un principe organisateur essentiel : c’est en le subdivisant, en le multipliant, en combinant l’un ou l’autre de ses dérivés numériques, que se formalisent les rythmes musicaux. La musique participerait ainsi de ces « nouvelles techniques de pouvoir, et, plus précisément, d’une nouvelle manière de gérer le temps et de le rendre utile, par découpe segmentaire, par sériation, par synthèse et totalisation. » (ibid., 433-434).

Aussi, toute autorité est en quête de conformation – l’autorité portée par la pulsation ne déroge pas à ce principe. Une telle conformation peut être appréhendée de deux façons. D’abord, l’on parle de conformation d’un principe envers lui-même : c’est la conformation comme pérennité, comme maintien (comme on parle de maintien de l’ordre). Se conformer à soi, c’est établir un souci d’identité, c’est établir temporellement (c’est-à-dire dans la succession même du temps) la permanence, la fixité de la loi qui fait que l’isochronie s’offre, dans son déploiement, comme la reproduction d’une même structure de domination. Aussi, la règle, une fois posée, en tant qu’a priori à l’édifice sémiotique (architecture de signes), peut dès lors se prévoir, de sorte que l’autorité se lie bien souvent à un déterminisme, source de compulsion et de fatalité. D’autre part, un second type de conformation a lieu lorsque, s’offrant comme un pouvoir normatif intérieur au texte, la pulsation s’impose aux figures musicales. En tant que clef de l’ordre symbolique, la pulsation agit en effet comme le supérieur hiérarchique de ces mêmes figures.

Outre ce principe d’isochronie, il est un second principe qui engage plus encore l’organisation du collectif. Ce nouveau principe, c’est celui de la synchronie. En effet, le mètre permet de quantifier l’écart, voire la démesure de l’élan rythmique en des jeux d’alignements plus ou moins explicites. La barre de mesure est le signe de ce type d’alignement. Verticale, elle relie les espaces, les voies musicales portées par chaque individualité musicale. La pulsation, lorsqu’elle est partagée par un ensemble de musiciens (ce qui est bien souvent le cas), s’affirme comme une condition unitaire du jeu collectif. Occurrence après occurrence, elle trace les contours d’un temps unique, communément partagé ; la loi est la même pour tous. Ce temps commun, objectif et synchronique, mis en évidence par Henri Bergson (Bergson, 1889), fait de quantités et de mesures, est celui qui domine la production musicale depuis des siècles. Bien entendu, cette exigence de synchronicité dépend d’une contrainte d’ordre harmonique. En effet, si les définitions et les qualités des consonances ont pu évoluer au cours des siècles, l’harmonie a toujours supposé une simultanéité de ses parties : c’est-à-dire, leur conjonction (l’étymologie grecque du mot « harmonie » renvoie à une « union »). En effet, l’approche harmonique du phénomène musical induit un rapport au temps, via la simultanéité de ce qui est présenté, le souci de consonance requérant de penser la coexistence des fréquences impliquées. Autrement dit, c’est la verticalité harmonique induite par le déploiement du spectre sonore qui a appelé, en retour, une approche synchronique du temps musical. Faut-il rappeler que, outre les techniques de bourdon, les premières polyphonies telles que l’organum ont d’abord été homorythmiques ? Dans son Traité historique d’analyse harmonique, Jacques Chailley (Chailley, 1976) voit l’évolution de la musique occidentale comme la conquête progressive d’une verticalité harmonique, une dimension qui atteindrait son apogée avec l’écriture des basses continues caractéristiques de l’époque baroque. Initiée par l’Ars nova, la notation métrique n’a fait que s’adosser à cette évolution harmonique, jusqu’à demeurer encore aujourd’hui un a priori coercitif tenace : une manière d’approcher l’organisation du collectif. Ce type de verticalité, rendu visible par les barres de mesure, normalise l’écriture rythmique de telle manière qu’il signe la prévalence hiérarchique du temps fort sur le temps faible et opère une distinction, sinon un assujettissement de certains signes de la partition envers d’autres. Du point de vue de l’écriture musicale, la verticalité à l’œuvre est donc moins affaire de surplomb (avec sa bipartition entre haut et bas) que d’alignement, alignement qui est l’une des marques de la discipline. La ligne discrimine alors un dehors et un dedans tout en permettant un contrôle simultané de chacune des parties.

Vers l’horizontal : des responsabilités partagées

Depuis l’absolutisme du xviiie siècle qui, historiquement, apparaît comme l’apogée d’une telle verticalité, les sociétés modernes traversent une crise de l’autorité13. Elles doivent faire face à une critique des pouvoirs centralisateurs, verticaux et autoritaires. Loin d’être exclues de ces problématiques, les organisations musicales s’avèrent tout à fait concernées par ces révolutions politiques et sociales, elles qui, encore aujourd’hui, sont trop redevables d’une telle verticalité. Ce type vertical d’ordre symbolique est loin d’être une abstraction. Comme toute idéologie en acte, elle a des conséquences concrètes sur le travail des interprètes, sur l’efficacité de sa mise en œuvre (l’œuvre mensuraliste est montée en moins de temps, puisqu’on ne tergiverse pas : le signe est prescriptif) et la rentabilité des répétitions (« Le temps, c’est de l’argent, » comme le dit l’adage).

Toute la vulnérabilité qui fait contrepoint au sens de la responsabilité se laisse en effet résumer dans la difficulté qu’il y a pour chacun à inscrire son action et son comportement dans un ordre symbolique et dans l’impossibilité dans laquelle sont nombre de nos contemporains, principalement ceux que le système sociopolitique exclut, à comprendre le sens et la nécessité de cette inscription (Ricœur, 2022, 142).

Dans le même temps, cet ordre symbolique de type vertical norme14 l’existence des individus, entrave les dispositions subjectives. En effet, la relation d’obéissance quasi réflexe entre le chef d’orchestre et le reste des musiciens met en suspens la subjectivité de ces derniers : les musiciens délèguent une grande part de leur responsabilité musicale au chef. En ce sens, ce type d’organisation collective (légitimée et rendue possible par des partitions tirées au cordeau) instaure des espaces symboliques de désubjectivation : chaque musicien se dessaisit d’une partie de ses décisions interprétatives et de sa subjectivité musicale. L’écriture mensuraliste devient alors facteur d’aliénation, le sujet étant démis d’une part de sa responsabilité individuelle.

Afin de repenser une organisation communautaire qui conscientise et prend acte d’une nécessaire critique de l’autorité, il faut reconsidérer le régime de cette autorité. Car comme le montre Arendt (1972), la verticalité politique se nourrit d’une force extérieure qui en légitime et instruit l’effectivité. Pour repenser l’organisation verticale de la société, il faut donc s’attaquer aux racines de l’autorité, il faut remonter à sa source, autrement dit à l’organisation de la musique elle-même. En d’autres termes, pour que d’autres manières de penser la communauté soient possibles, il faut reconcevoir les conditions qui permettent de rendre effectif le commun – les mécanismes d’autorité et de pouvoir qui leur sont associés. Il faut que ces conditions soient réinterrogées et refondées. Il s’agit dès lors de défaire l’autorité symbolique propre à l’écriture mensuraliste pour permettre un autre ordre communautaire. Pour y arriver, il y a bien sûr la possibilité d’un abandon de l’écriture : si l’écriture, c’est l’autorité, une manière de se défaire de l’autorité serait de se défaire de l’écriture. Dans cet horizon, le recours à l’improvisation est une solution possible qui fut incitée par l’expansion du jazz et des musiques populaires. Mais il n’est point question d’écriture ici… Il faudrait davantage parler d’un relâchement de l’écriture et de son autorité.

Cette déprise partielle de l’écriture (bien souvent tue) traverse plusieurs formes d’écriture du xxe siècle. Une première façon de déjouer l’autorité impérative de l’uniformité du mètre a été, depuis Igor Stravinsky, de changer d’indications de mesures aussi souvent que nécessaire. Une autre façon a été de déjouer la prévisibilité de la structure, de l’abstraire de toute succession temporelle. Ce fut tout l’enjeu de ces écritures mobiles, flexibles, de ces « œuvres ouvertes15 » comme l’a thématisé Umberto Eco qui firent florès dans les années 1960 (Eco, 1979). Si ces œuvres ouvertes s’attachaient avant tout à rendre interchangeables les sous-structures de la partition, perpétuant à leur manière toute une tradition formaliste, d’autres musiciens dits « spectraux », nourris par une approche phénoménologique, ont tenu à éclairer une telle ouverture d’un point de vue proprement sonore. Le son, ouvert et à l’écoute de son devenir, engendra la forme processus (à noter que, avant cela, le temps lisse boulézien consistait déjà à permettre la mise en suspens de l’écriture par le phénomène résonnant, mettant en jeu une écriture suspendue aux lèvres du son). De leurs propres aveux, les compositeurs de telles œuvres ouvertes voyaient leur responsabilité artistique partagée avec les interprètes, eux qui, en dernière instance, choisissaient la manière dont l’œuvre s’organisait en plein concert. Mais qu’elle soit rendue possible par un éclatement structurel ou par une indépendance donnée au son, l’ouverture de l’œuvre n’a pas su éviter le péril d’une indétermination parfois très grande au sein de ses agencements. L’interprète gagnait en responsabilité, quand l’écriture elle-même perdait en cohésion interne. Dès lors, comment conférer une plus grande responsabilité créatrice aux interprètes tout en ménageant une puissance structurelle à la composition musicale ? Comment l’écriture peut-elle permettre de replacer la question de l’humain et de la communauté au centre de sa condition sans renier sa fixité ?

Prenant toujours appui sur Ricœur et sur sa distinction entre « un axe vertical de subordination » et « un axe horizontal de coordination » (Ricœur, 2019, 115), il s’agirait donc d’amener l’écriture musicale à favoriser un plus grand partage des responsabilités et une plus grande horizontalité des échanges. Il s’agirait aussi de faire en sorte que la communauté ne soit pas la somme aveugle de contributions individuelles, alors régies par un système centralisateur, mais qu’elle devienne, d’un point de vue structurel, la condition même d’une interprétation musicale. Pour ce faire, il s’agirait alors de nuancer, voire de contrecarrer la fonction normalisatrice de l’écriture musicale, de dépasser ce mode coercitif de cohésion, non par indétermination mais par excès de détermination : par surdétermination. Certes, une telle surdétermination a déjà pu être mise en œuvre par les musiciens associés au courant de la Nouvelle complexité16. La complexité de l’écriture permet en effet de donner à l’interprétation une valeur particulière : le musicien est conduit à rendre sa performance plus actuelle que jamais. Une dose sentie de complexité redonne donc une responsabilité au sujet musicien. Mais force est de constater que les œuvres issues de la Nouvelle complexité ne s’avèrent être que la radicalisation de l’arborescence17 propre au système mensuraliste. Il manque à ces œuvres une approche véritablement rhizomatique : un principe de décentrement essentiel à l’horizontalité recherchée. L’utilisation de rythmes irrationnels, plus encore lorsqu’ils sont fragmentés, l’imbrication de rythmes en dehors de toute exigence pulsative et hiérarchique sont des moyens qui permettent au texte de s’affranchir d’une pareille arborescence. Cette double méthode d’écriture rythmique, qui se déploie hors des impératifs mensuralistes traditionnels, permet de préserver au sein du système sémiotique une part suffisante d’irrationalité et de mystère qui le rend, de fait, imprévisible. Ce type de surdétermination implique, en retour, des zones de non-dits : l’irrationalité du signe coexiste alors avec une irrationalité de l’absence. Complexes, les signes se mettent eux-mêmes en danger ; le texte se vulnérabilise et, par son mystère, remet en question l’intangibilité et l’indubitabilité du signe. Ces zones parcimonieuses de complexité permettent au musicien de retrouver un sens à son action. La puissance impérative du texte s’efface ici et là au profit d’une subjectivité aux aguets. Pour ainsi dire, l’irrationalité du signe place l’architecture du texte dans une instabilité transitoire qui, par ses failles, permet l’intrusion du sujet libre. À la subordination verticale, ce type d’écriture fait de rythmes imbriqués les uns aux autres offre un modèle de coopération qui va dans le sens d’une horizontalité du vivre-ensemble. Cette horizontalité s’observe dans la façon dont chaque interprète se fait chef, à tour de rôle, donnant telle impulsion à un autre musicien, provoquant telle conséquence sur un autre. Porter cette responsabilité partagée dans la manière dont la structure musicale se déploie, c’est dès lors porter, dans l’écriture même de la musique, l’efficience et la conséquentialité du jeu d’autrui. C’est faire que la musique soit toujours une réponse, dont la modalité ne soit pas donnée a priori, et restreindre la structure du texte musical à la hauteur de cet enjeu. Par ces moyens, la partition cesse d’être un énoncé autoritaire, elle évacue toute verticalité centralisée. Ou plutôt : la verticalité n’est plus centralisée, elle n’est plus une modalité impérative venue du dehors, mais le fait de micropouvoirs, la trace d’une rencontre et d’un échange, une main tendue qui n’a qu’un seul usage de reconnexion et de lien. C’est la tâche que je poursuis en tant que compositeur.

Bibliography

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Ravet Hyacinthe, 2015, L’orchestre au travail. Interactions, négociations, coopérations, Paris, Vrin, coll. « Musicologies ».

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Ricoeur Paul, 2019, « Le pouvoir politique. Fin du théologico-politique ? », Esprit, no 9, p. 111-129.

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Weber Gottfried, 1807, « Praktische Bemerkungen », Allgemeine musikalische Zeitung, vol. 9, no 51, p. 51-52.

Notes

1 Il ne faudrait pas oublier, d’un point de vue sociologique, la force de résistance des musiciens envers l’autorité du chef. L’importance des syndicats de musiciens d’orchestre est fondamentale (Ravet, 2015).

2 Les origines de la baguette du chef d’orchestre sont plurielles (l’archet du premier violon en est une possible ; historiquement, le « bâton de direction » de Lully en est une autre).

3 La baguette peut être vue comme un instrument au même titre que les autres instruments musicaux de l’orchestre, mais c’est l’instrument du pouvoir, de l’autorité.

4 En effet, depuis les années 1970, de nombreux chefs dirigent sans baguette (Pierre Boulez, Pierre Stoll ou plus récemment Yannick Nézet-Séguin) ; mais la baguette n’est que le prolongement de l’autorité figurée par la main.

5 Il faut préciser ici que cela concerne avant tout le régime des musiques modales et tonales. Les œuvres atonales rendent problématique cet aspect.

6 L’agogique renvoie à ces légères variations de rythme dans l’interprétation musicale, et s’oppose ainsi à une exécution trop mécanique.

7 Dire cela, c’est bien sûr occulter toute la part interprétative du chef d’orchestre : c’est omettre sa singularité et restreindre sa fonction à ces seules conditions techniques d’exécution. À ce sujet, le romantisme a pu distinguer le simple « batteur de mesure » du génial chef d’orchestre. « La singularité du chef moderne tenait à sa capacité à s’affranchir de ce carcan, avant même qu’on ne parle de rationalisation ou de machinisme. » (Popelard, 2015).

8 Outre le Persimfans, évoqué ci-après, on notera l’existence de l’ensemble contemporain Les Dissonances, mené par son premier violon David Grimal.

9 « [L’autorité du chef d’orchestre] procède d’un texte, d’une instance, qui précède le moment même de l’exécution » précise Esteban Buch (Popelard, 2015) ; à noter que l’antécédence est l’un des trois traits de l’autorité selon Ricœur (2022, 140).

10 Lire Ricœur (2005).

11 Lire, en contrepoint, Leclerc (2006).

12 Pulsation de base servant d’unité rythmique à une œuvre musicale.

13 C’est le constat d’Arendt (1972, 121) et de Leclerc (1996, 139-178).

14 « En somme, l’art de punir, dans le régime du pouvoir disciplinaire, ne vise ni l’expiation, ni même exactement la répression. Il met en œuvre cinq opérations bien distinctes : référer les actes, les performances, les conduites singulières à un ensemble qui est à la fois champ de comparaison, espace de différenciation et principe d’une règle à suivre. Différencier les individus les uns par rapport aux autres et en fonction de cette règle d’ensemble – qu’on la fasse fonctionner comme seuil minimal, comme moyenne à respecter ou comme optimum dont il faut s’approcher. Mesurer en termes quantitatifs et hiérarchiser en termes de valeur les capacités, le niveau, la “nature” des individus. Faire jouer, à travers cette mesure “valorisante”, la contrainte d’une conformité à réaliser. Enfin tracer la limite qui définira la différence par rapport à toutes les différences, la frontière extérieure de l’anormal (la “classe honteuse” de l’École militaire). La pénalité perpétuelle qui traverse tous les points, et contrôle tous les instants des institutions disciplinaires compare, différencie, hiérarchise, homogénéise, exclut. En un mot elle normalise. » (Foucault, 2015, 461-462).

15 Référence ici faite aux œuvres de Boulez (Troisième sonate, Éclat), de Karlheinz Stockhausen (Klavierstücke XI, Zyklus) ou d’André Boucourechliev (cycle des Archipels) qui laissent aux interprètes le soin de décider de la trajectoire formelle de l’œuvre.

16 La Nouvelle complexité naît en Angleterre et englobe une production d’œuvres chargées de signes, notamment composées par Brian Ferneyhough.

17 En effet, la manière dont Ferneyhough pense ses partitions reste sur le schéma d’une subdivision des valeurs musicales (arbres rythmiques), retraduisant la hiérarchie intérieure de la pulsation.

References

Electronic reference

Damien Bonnec, « La condition communautaire », Voix contemporaines [Online], 05 | 2023, Online since 06 mars 2024, connection on 07 septembre 2025. URL : https://publications-prairial.fr/voix-contemporaines/index.php?id=611

Author

Damien Bonnec

Enseignant contractuel, Caphi (UR 7463), Nantes Université

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