Une suite aux états généraux de la psychologie ? ou « la psychologie, une vieille dame indigne »

DOI : 10.35562/canalpsy.1073

p. 13-14

Texte

La psychologie a attendu d’avoir cent ans pour tenir ses états généraux (les 23 et 24 mars derniers). C’était la première fois depuis qu’elle existe, qu’elle est constituée en discipline universitaire (depuis 50 ans) et qu’elle s’est dotée d’un code de déontologie (en 1996).

La vieille dame est beaucoup plus jeune qu’elle n’en a l’air et elle est surtout très vivace. Coups de gueule et prises de position : elle s’exprime en famille et s’apprête à le faire au-delà, dans la sphère publique.

Parmi les nombreuses questions soulevées deux m’ont amenée à m’interroger plus particulièrement :

À qui la « psychologie » appartient-elle ? Aux seuls psychologues, à quelques autres professions connexes ou… à tout le monde ?

Quelle est la responsabilité des psychologues dans la société ? Un simple droit d’alerte ou une participation à la prise en compte de la dimension psychologique partout où il y a lieu ?

Liées à ces questions il y en a bien d’autres qui ont été également débattues, parfois fortement : la formation, la reconnaissance, les statuts des psychologues, des psychothérapeutes… Elles m’ont paru subsidiaires parce que finalement leurs réponses ne sont que la conséquence des positions pouvant être prises par rapport à une définition plus juste de la place de la psychologie dans la société.

Étudiante, j’ai trouvé rassurant, encourageant de voir cette profession, à laquelle peut-être j’appartiendrai un jour, s’interroger, au-delà des clivages institutionnels, théoriques ou à ceux liés à des pratiques multiples, sur ce qui la rassemble, la justifie, l’expose aussi. C’est preuve de son dynamisme et de sa jeunesse. Selon la perspective clairement annoncée, ces débats ne sont pas clos : les EGP laissent ouvert un chantier de réflexion qui se prolonge au niveau d’instances européennes.

Plusieurs intervenants ont souligné que la psychologie est désormais partout : le nombre d’étudiants s’accroît, il est de 45 000 aujourd’hui, la demande de son exercice augmente, même si de ce fait il est confié à des non-psychologues qui « font fonction de » ou si les emplois de psychologues sont précarisés dans la justice, la santé…

Certains dénoncent le risque de psychologisation allant de pair avec un malaise croissant de la psychologie, qu’ils repèrent dans la divergence des missions demandées au psychologue : adaptation, orientation, expertise. Ces missions sont parfois antinomiques par rapport au sens que les psychologues entendent leur donner. Cette problématique est complexifiée par la multiplication des fonctions sur la même personne dans les mêmes lieux : école, hôpital…

En effet, dès lors les psychologues peuvent être pris dans des contradictions insurmontables faisant d’eux s’ils n’y prennent pas garde des « mercenaires ».

La psychologie deviendrait la « bonne à tout faire », avec ou sans psychologues, autour de quelques grandes questions « de société » : le vieillissement de la population, le SIDA, la violence des jeunes, le harcèlement moral…

Que faire, après s’être interrogé, voire fustigé ?

  • La déontologie oblige à une analyse rigoureuse des situations dans lesquelles intervient le psychologue pour assurer la congruence entre formation et exercice de la compétence. Elle confère une identité à la profession dans l’inscription sociale. La (développer le sigle) est d’ailleurs sollicité aux 2/3 par des psychologues sur le contenu du code de déontologie, ses difficultés d’applications, les possibilités d’interprétations et de transmissions.
  • Certains appellent les psychologues à prendre une position non de pouvoir mais « de puissance », en aidant à décoder le réel c’est-à-dire l’organisation sociale et à exercer une responsabilité sociale en traitant de concert l’intra psychique et l’interpersonnel.
  • Pour d’autres il faut revenir aux fondements théoriques :
    Lorsque le psychologue s’intéresse à la cité il rencontre le politologue, le sociologue, ou le philosophe qui l’accusent alors de vouloir expliquer les conduites sociales, politiques, morales par des caractéristiques individuelles, psychiques.
    À titre d’exemple la description du harcèlement moral n’évite pas le psychologisme :
    On peut en effet considérer tout agresseur comme un pervers narcissique ou toute victime comme parfaitement innocente. Mais on peut aussi voir que lorsqu’il s’exerce dans le cadre du travail, le harcèlement moral est davantage le résultat de formes d’organisations sociales conduisant à la fragmentation et à l’individualisation des rapports du travail, à l’isolement voire à la désolation des victimes, que dû à la multiplication des pervers dans les lieux de travail.
  • Enfin pour prendre part au débat public, le psychologue doit quitter la position d’observateur qui le caractérise bien souvent.

Des journalistes ont également exhorté les psychologues à plus de présence dans les organes de presse, précisément pour préserver la qualité d’une expression qui s’efforce de répondre, de toute façon, aux attentes des lecteurs. Si la vulgarisation scientifique en sciences humaines n’a aucune tradition contrairement aux sciences dites dures et s’il y a une réelle difficulté à vulgariser dans ce domaine il demeure une exigence à la fois morale et politique qui s’impose au chercheur de diffuser son savoir, fut-il psychologue.

Au fond n’est-il pas normal que les psychologues soient les garants de la sérénité des débats qui touchent des questions très profondes de l’évolution de la société et puissent justement, par la diversité de leurs représentations, aider à préserver la différence des points de vue et des places d’où ils s’expriment : l’université, du côté des étudiants, des enseignants et des chercheurs, le terrain et ses multiples formes du côté des institutions ou des entreprises comme du côté du libéral.

Suivre un cursus FPP n’est pas tout à fait faire des études ordinaires : on y chemine, parfois longtemps et tôt ou tard on s’interroge sur ce qu’on veut en faire. S’agit-il vraiment de devenir psychologue, s’agit-il d’intégrer dans sa pratique un enrichissement venu d’autres pratiques, s’agit-il de rafraîchir ou acquérir des bases théoriques, etc. Il y a probablement autant de réponses que d’inscrits, plus celles de l’Université, ces réponses évoluant de surcroît dans le temps.

Sans doute se trouve-t-il des étudiants de FPP désireux de participer à ces débats, volontaires pour préparer leur place dans la société comme futurs psychologues, dans des positions encore à inventer et qui ne souhaitent pas laisser à d’autres le soin de définir cette place ?

Sans doute certains aimeraient-ils proposer, discuter des solutions avancées, s’impliquer dans la mise au point d’un discours et sa propagation dans la société ?

Car FPP est une formation exemplaire en ce qu’elle répond à des attentes conjointes d’universitaires et de praticiens de la psychologie :

L’expérience professionnelle y est prise comme point de départ de la formation : cela marque le fait que la psychologie est ou peut être partout et constitue une voie d’ancrage de l’Université sur le terrain ainsi qu’une chance pour qu’elle suive les évolutions de celui-ci, les interroge, apporte ses réponses.

L’université apporte sa garantie aux réflexions et au travail personnel d’élaboration par l’intermédiaire des professeurs qui dirigent ces travaux et les valident dans les jurys : si la psychologie est partout elle ne doit pas être n’importe quoi ni n’importe comment.

Pourquoi Lyon 2 est-elle la seule université à pratiquer de cette manière ?

Pourquoi ne pas imaginer étendre ce modèle d’un dispositif de formation continue pour des professionnels qui ne trouvent pas toujours dans le cadre de leur intervention des moyens d’enrichir leur pratique, de la préserver des influences institutionnelles ou des demandes en contradiction avec la vocation et le sens de l’action des psychologues ?

Pourquoi ne créerions-nous pas une association des étudiants FPP (ce serait la 248e association regroupant des psychologues – pardonnez-nous d’anticiper, nous qui n’avons pas encore conquis le titre – pour marquer ce souci d’exister dans une profession qui s’organise pour définir ses droits, ses devoirs et sa volonté d’exercer toute sa responsabilité dans la défense du respect des personnes.

Aux organisateurs des états généraux, victimes de leur propre succès, nous pourrions demander pour commencer :

  • de faire connaître aux participants les coordonnées des intervenants et des organismes qu’ils représentent,
  • d’ouvrir un mode de communication simple avec les professionnels – actuels et futurs – de la psychologie en vue de poursuivre le débat, par exemple en publiant les interventions de ces deux jours en un ouvrage de large diffusion,
  • de développer des modes de communications efficaces avec les médias, comme cela serait naturel afin de répondre à une demande croissante du public.

Au-delà des clivages, dans des convictions communes qui transcendent les pratiques, les écoles, les groupes d’appartenance, les limites de chacun y a-t-il moyen de faire porter loin et fort une même voix, ainsi que le souhaitait l’un des intervenants en conclusion ?

Je fais partie d’une chorale et je témoigne que c’est par le travail de chacun pour déchiffrer sa partition, travailler sa voix, et le travail commun pour adapter son rythme, la puissance de sa voix, accepter d’écouter les autres, que l’on parvient à entendre s’élever l’harmonie, la satisfaction d’une création et parfois à partager son plaisir avec un public.

Citer cet article

Référence papier

Christine Jakubowicz, « Une suite aux états généraux de la psychologie ? ou « la psychologie, une vieille dame indigne » », Canal Psy, 50 | 2001, 13-14.

Référence électronique

Christine Jakubowicz, « Une suite aux états généraux de la psychologie ? ou « la psychologie, une vieille dame indigne » », Canal Psy [En ligne], 50 | 2001, mis en ligne le 25 juin 2021, consulté le 22 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=1073

Auteur

Christine Jakubowicz

Étudiante FPP

Autres ressources du même auteur

  • IDREF

Droits d'auteur

CC BY 4.0