Bernard Chouvier, Le jeu théâtralisé. Une médiation thérapeutique en groupe d’enfants

p. 44-45

Référence(s) :

Bernard Chouvier, Le jeu théâtralisé. Une médiation thérapeutique en groupe d’enfants, avec la collaboration de Lucile Papaïoannou, Paris, Dunod, coll. Psychothérapies (224 pages).

Texte

On ne s’étonnera guère que ce dernier opus de Bernard Chouvier1, témoin d’un éméritat actif, soit un ouvrage faisant la part belle à la clinique, à ce qu’elle donne à voir de ses ressorts créatifs, de ses formes sensibles et toujours plus surprenantes d’inventivité dans l’expression de la réalité psychique du sujet singulier et des sujets ensembles dans la singularité de leurs relations.

Bernard Chouvier aime les histoires (pas seulement les histoires cliniques) et il aime aussi les raconter. Ce livre est en quelque sorte une mise en abîme : l’auteur nous fait le récit de trois groupes thérapeutiques d’enfants (et une séance d’un quatrième) appelés, précisément, groupes « histoires » dans lesquels des enfants de l’âge de la latence inventent ensemble, racontent, jouent, puis dessinent des histoires. Ces groupes sont animés dans le cadre d’un centre de soin ambulatoire, par deux psychothérapeutes cliniciens (dont l’auteur) et un(e) psychologue stagiaire.

Mais au-delà des simples récits cliniques, deux ans après l’ouvrage sur la médiation par les contes2, nous sommes invités, ici, à saisir les leviers thérapeutiques d’un dispositif inspiré du psychodrame de groupe dans lequel la partie finale de reprise verbale après la séquence de mise en jeu s’effectue autour d’une table avec le support du dessin.

« De la trame narrative de l’histoire à l’expressivité graphique en passant par la mise en scène du corps dans les phases de jeu, le processus thérapeutique se déploie en prenant appui sur les différentes strates de la vie psychique, au fur et à mesure de leur apparition sur la scène groupale » (p. 187).

Le jeu, Bernard Chouvier nous le rappelle, est capital dans le travail de la latence ; lorsqu’il est empêché, c’est alors à la pathologie du jeu que nous avons à faire en tant que thérapeutes. Il est alors nécessaire de proposer une thérapeutique adaptée fondée sur la « théâtralisation du jeu ».

La latence est cette période (comme l’a défini Freud3) bornée par la résolution du conflit œdipien et l’entrée dans l’adolescence, au sein de laquelle s’effectue une réorganisation de la sexualité infantile au profit des investissements sublimatoires et de la socialisation. Les énigmes de l’infantile (et notoirement celles liées à la sexualité) sont contraintes de se résoudre dans la symbolisation à l’instar de Titeuf, le personnage de la bande dessinée de Zep, éternel enfant latent, qui au fond « ne pense qu’à ça » mais qui, contrairement à l’adolescent, précisément ne peut « pô »… Il est donc contraint de symboliser.

Le quotidien de la consultation pédopsychiatrique confronte de plus en plus souvent le clinicien à des enfants (plus fréquemment des garçons), certes de l’âge correspondant à cette période mais néanmoins en difficulté pour entrer véritablement dans ce processus de la latence. Le dispositif proposé ici vise à permettre une externalisation de la conflictualité interne « dans le champ des interactions multiples » et un déploiement du transfert, une actualisation des liens fantasmatiques dans leurs multiples dimensions, notamment verticale et horizontale. Cette perspective rejoint cette hypothèse formulée par André Carel d’une conjonction des processus du jeu symbolique et de la groupalité (au sens de la groupalité psychique interne de René Kaës), tous deux étant « … dans un rapport de commensalité, de nourrissage réciproque, de croissance partagée4 ».

Les récits cliniques nous sont proposés par l’auteur après un chapitre où chacun des paramètres de la médiation « jeu théâtralisé » est finement analysé non sans au préalable situer le dispositif dans ses filiations à d’autres dispositifs. Ils le sont tant dans la mise en évidence de ce qu’ils stimulent comme forme d’associativité que de ce qu’ils délimitent comme niveaux de symbolisation. Les repères de cadre nécessaires à l’évaluation des processus sont posés. Ce travail apporte ainsi une pièce de taille dans l’édifice que le Centre de Recherche en Psychologie et Psychopathologie Clinique s’efforce d’ériger, depuis déjà un certain nombre d’années, comme théorie des dispositifs thérapeutiques à médiation et comme méthodologie d’évaluation clinique des processus qu’ils suscitent.

Les trois processus groupaux nous sont donnés comme des variations d’une même partition, une image « kaléidoscopique » du travail de la latence en groupe. Dans le groupe dit « du zizi électrique », on y voit s’exprimer les conflits liés à la sexualité infantile, la culpabilité et la violence. Dans le groupe dit « du chien », c’est la problématique d’affirmation de soi et des positions phalliques qui apparait au premier plan. Enfin dans le groupe dit « de Samson » le mouvement d’une position de toute puissance à l’accès au symbolique nous est montré. À chaque fois ce qui frappe, c’est l’expression subtile d’une dialectique complexe entre des mouvements progrédients et régrédients.

Le dernier chapitre est enfin consacré à une analyse précise des figures qui apparaissent de façon récurrente dans ces groupes : figure de l’animal, figures fantastiques, le robot-automate, ceci ouvrant sur une discussion autour de la problématique du double et la question de la place du corps dans le processus psychique engagé. Bernard Chouvier y articule les acquis de ces réflexions antérieures notamment sur la médiation conte.

En somme voici un ouvrage qui tombe certes à point nommé pour qui s’interroge sur les dispositifs requis dans le traitement spécifique des failles du travail de la latence. Mais il vient aussi nourrir la réflexion de celui qui, dans une perspective de recherche comparative, souhaite comprendre les ressorts thérapeutiques du jeu sous sa forme théâtralisée à partir de dispositifs différents. Enfin, plus implicitement, il ouvre également sur la question de la théâtralisation du jeu ou la théâtralisation dans le jeu en général, c’est-à-dire y compris dans les formes les plus précoces de jeux intersubjectifs.

1 Psychologue clinicien, psychanalyste, professeur émérite de psychopathologie clinique à l’université Lyon 2.

2 Chouvier, B., (2015). La médiation thérapeutique par les contes. Paris, Dunod.

3 Freud, S., (1905). Trois essais sur la théorie sexuelle. Paris, Gallimard.

4 Carel, A., (2010). « Émergences de la groupalité. Réflexions à partir d’un psychodrame analytique pour de très jeunes enfants », dans M. Pichon, H.

Notes

1 Psychologue clinicien, psychanalyste, professeur émérite de psychopathologie clinique à l’université Lyon 2.

2 Chouvier, B., (2015). La médiation thérapeutique par les contes. Paris, Dunod.

3 Freud, S., (1905). Trois essais sur la théorie sexuelle. Paris, Gallimard.

4 Carel, A., (2010). « Émergences de la groupalité. Réflexions à partir d’un psychodrame analytique pour de très jeunes enfants », dans M. Pichon, H. Vermorel, R. Kaës, L’expérience du groupe : approche de l’œuvre de René Kaës, Paris, Dunod. coll.

Citer cet article

Référence papier

Éric Jacquet, « Bernard Chouvier, Le jeu théâtralisé. Une médiation thérapeutique en groupe d’enfants », Canal Psy, 120 | 2017, 44-45.

Référence électronique

Éric Jacquet, « Bernard Chouvier, Le jeu théâtralisé. Une médiation thérapeutique en groupe d’enfants », Canal Psy [En ligne], 120 | 2017, mis en ligne le 09 avril 2021, consulté le 29 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=1812

Auteur

Éric Jacquet

Maître de conférences en psychopathologie et psychologie clinique, Centre de Recherche en Psychopathologie et Psychologie Clinique, Institut de psychologie, Université Lumière Lyon 2

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