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Notes de la rédaction

Sylvie Pessonneaux prépare un doctorat sous la direction de Monsieur Portalier.

Texte

Le dépistage systématique des handicaps est prévu dès la naissance et à différents moments de la vie de l’enfant. Ceci s’insère dans une démarche de prévention.

En ce qui concerne la vue, certains déficits sont reconnus dès la naissance et la prise en charge est organisée d’emblée. Mais de nombreux déficits apparaissent au bout de quelques mois, parfois à la fin de la première année et souvent beaucoup plus tard.

Le dépistage des déficiences visuelles

La pratique du dépistage visuel, qui commence à se mettre en place en France, permet de protéger le patrimoine visuel avec lequel l’enfant est né. La fixation oculaire est observée avant la sortie de la maternité et, dans les meilleurs des cas, la vision est examinée périodiquement au cours de l’âge scolaire.

Un examen de dépistage précoce est maintenant offert à tout enfant français à l’âge de 9 mois (cf. nouveau carnet de santé de l’enfant). Cet examen visuel et ophtalmologique approfondi est considéré comme crucial dans le cas des enfants atteints d’un déficit sévère, même s’il n’est pas visuel, ne serait-ce que pour rassurer les parents et les aider à assurer positivement la perception de leur enfant infirme.

Les principales techniques utilisées en clinique pour mesurer les différentes capacités sont la résolution spatiale, le champ visuel, la perception du relief, l’examen orthoptique, le comportement visuellement guidé, la réfraction et le fond d’œil (la sensibilité au contraste lumineux et chromatique ne sont pas accessibles à la clinique).

  • La résolution spatiale, appelée communément acuité visuelle, peut être mesurée. Cette technique résulte de la recherche de Davida Teller qui a produit un test (Vistech) constitué d’une série de cartes imprimées avec une image située vers l’une des extrémités de la carte. La technique du regard préférentiel consiste pour l’examinateur de déterminer de quel côté de la carte est situé le motif. Plusieurs types de réponses sont utilisés par l’observateur pour faire son choix : une fixation bien stable, une saccade, un balayage suivi d’une fixation ou n’importe quel autre indice. Tout comportement est acceptable pourvu que l’observateur ne sache pas à l’avance où est situé le stimulus et que la réponse soit reproductible. Les résultats obtenus avec les cartes d’acuité sont valides et reproductibles. Des variantes de cartes existent au Royaume-Uni (Keeler Acuity Cards) et en France (Bébé-Vision-Tropique).
  • Le champ visuel : son développement est un précieux indicateur de normalité quand on soupçonne un désordre ou un retard neurologique. La périmétrie dynamique a été réalisée par Gesine Mohn et Jackie van Hof-van Duin à l’aide d’une petite boule blanche introduite le long de quatre arcs noirs. L’observateur, qui ne sait pas de quel côté est présente la boule, guette le moment où l’enfant déplace son regard ou sa tête sur le côté. La périmétrie statique a aussi été réalisée en faisant disparaître le point de fixation central quand la cible périphérique apparaît, ce qui évite une situation de compétition entre les stimuli central et périphérique. En dépit de ces différentes techniques et de quelques variantes entre les résultats, il est établi que le champ visuel est restreint pendant les premiers mois et presque de dimension adulte à la fin de la première année.
  • La perception du relief : les processus corticaux qui assurent la vision du relief apparaissent rapidement autour du quatrième mois. En clinique, la façon la plus commode d’évaluer la vision du relief est l’utilisation de la plaquette de Joseph Lang. C’est un stéréogramme de la taille d’une carte postale qui est présenté immobile après que l’examinateur a familiarisé l’enfant avec la carte en la lui faisant toucher. Si l’enfant a acquis la vision stéréoscopique, on observe un regard intense sur la voiture qui émerge de la surface dans le quadrant inférieur droit. Après quelques secondes, l’enfant essaie d’attraper l’objet en pointant son index pour attraper l’objet par dessous. Ensuite, la voiture est cachée pour faire découvrir les deux autres objets qui exigent une acuité stéréoscopique plus fine. Ensuite, on calcule les réponses positives données par l’enfant.
  • L’examen orthoptique : il est essentiel que l’alignement oculaire et la motilité oculaire soient examinés pour détecter le strabisme et confirmer le diagnostic d’amblyopie1. Un examen orthoptique comprend le test sous écran, la fixation indépendante des deux yeux aux lunettes de dépistage de Sarniguet-Badoche, la motilité oculaire et la réponse pupillaire.
  • Le comportement visuellement guidé : après un examen soigneux de la motilité oculaire qui met en jeu un feed back visuel précis pour la fixation, l’exécution des saccades, l’exploration et la poursuite lisse, il est important d’observer le développement du contrôle de la main. On le réalise en présentant une tige verticalement dans l’axe de symétrie du corps et dans chaque hémichamp et dans les deux axes obliques. On observe l’élaboration d’une réponse qui commence par la mobilisation des épaules, puis des bras, des poignets, des mains et enfin des doigts. Jusqu’à 6 mois, les deux bras se mobilisent ensemble vers l’objet présenté en face. De chaque côté, l’indépendance des bras apparaît progressivement. À 6 mois, l’enfant doit attraper avec une certaine précision en opposant le pouce et l’index. Une maladresse ou un échec de l’un de ces comportements peut signaler un retard psychomoteur.

Ainsi, dans le cadre de l’examen visuel précoce, on peut examiner l’acuité, le champ visuel, la motricité oculaire, le comportement visuellement guidé (la réfraction et le fond d’œil des tout-petits sont plus lourds à réaliser dans une pratique de dépistage).

L’évaluation psychologique de l’enfant handicapé

Une fois le handicap reconnu, l’évaluation psychologique va s’intégrer dans un bilan pluridisciplinaire qui devra être axé non seulement sur les carences et les déficits mais surtout sur les possibilités de l’enfant et de sa famille. Elle devra prendre en compte le moment d’apparition du handicap et son évolution possible. En ce qui concerne la date de survenue du handicap, on distinguera celui qui est présent à la naissance ou dans les premiers mois de la vie et celui qui survient plus tardivement. En effet, les handicaps qui surviennent dès la naissance ou tôt dans l’enfance ont des conséquences particulières : ils interfèrent d’abord de façon plus ou moins importante avec le développement de l’enfant et la mise en place des grandes fonctions (locomotion, langage), ce qui peut permettre indirectement leur dépistage. Ainsi, des parents inquiets n’arrivant pas à agripper le regard de leur enfant viendront consulter et un diagnostic de cécité pourra être évoqué. Par ailleurs, le handicap d’apparition précoce va s’intégrer totalement dans le développement de l’enfant.

Le rôle de la famille dans le développement de l’enfant handicapé est capital et ce d’autant plus que l’enfant est jeune, car l’adulte de son côté va s’adapter aux compétences de l’enfant et les routines interactives parents-bébé se dérouleront sur la base spécifique engendrée par le handicap. Il est souhaitable que se mettent en place une prise en charge précoce et une attitude parentale adaptée.

Le développement psychologique des enfants déficients visuels

L’approche du développement psychologique des enfants aveugles ou amblyopes doit être pluridimensionnelle et fondée sur une observation clinique rigoureuse où l’anamnèse, l’étiologie, l’examen ophtalmologique ont une place importante. Un enfant aveugle ne doit pas être considéré comme un enfant normal avec la vision en moins, son développement se fera à partir d’autres bases intégrant la cécité. Comme il a déjà été mentionné, la situation sera totalement différente si la cécité est congénitale ou acquise, totale ou partielle.

Prise en charge, éducation et insertion scolaire des enfants déficients visuels

La fonction visuelle dans son intégrité n’est pas innée. L’acuité visuelle du nourrisson est faible (3/20 à 9 mois, 3 à 4/10 à 1 an, 10/10 vers 4-5 ans). Toute perturbation apportée à l’appareil de la vision dès la petite enfance aura donc des conséquences redoutables.

Les problèmes éducatifs posés par les enfants déficients visuels dépendent du type d’altération de la vue. Il n’y a en effet rien de commun entre un aveugle complet et un enfant ayant 4/10 de vision. En fait, l’acuité ne renseigne qu’imparfaitement de la qualité de la vision ; tout dépend de la nature et de la gravité du déficit visuel, mais aussi et surtout de l’aptitude du sujet à utiliser sa vision résiduelle. Cette aptitude est liée à son éducation dans la petite enfance d’où l’importance des stimulations parentales et d’une prise en charge précoce apportée à l’enfant (dans le cadre, par exemple, des CAMSP2).

Nous citerons ici quelques caractéristiques d’une éducation adaptée à trois types de déficience visuelle :

  • Les aveugles de naissance : l’enfant aveugle va utiliser intensément tous les autres sens à titre compensatoire. Tous les apprentissages de la vie quotidienne devront se mettre en place sans le support de l’imitation visuelle qui joue un rôle essentiel dans le développement de l’enfant voyant. Il est souhaitable que se mette en place une prise en charge précoce et une attitude parentale adaptée. Dans l’entourage de l’enfant, une place importante devrait être accordée au langage qui permet de garder le contact avec l’enfant à distance ; c’est par lui que vont passer la plupart des stimulations (sans parler aussi des autres sens : toucher, olfaction, kinesthésie…).
  • Les amblyopes pouvant utiliser une vision résiduelle : la qualité de la vision résiduelle est variable d’un enfant à l’autre et peut évoluer dans le temps chez un même enfant. Si faible soit elle, elle devrait être utilisée au maximum en respectant les possibilités de l’enfant qui, pour certaines activités, pourront se conduire comme les voyants alors que d’autres activités nécessiteront des aménagements, comme par exemple des conditions de fort éclairement pour la lecture et l’écriture, le grossissement des textes, l’utilisation d’ampoules adaptées (halogènes) à la nature de l’amblyopie, des loupes. De plus, il paraît important pour ces enfants vite fatigables de multiplier les expériences bimodales (Hatwell, 1992) qui permettront la coordination de la vision et du toucher, modalité principale de leur connaissance du monde extérieur.
  • Les aveugles tardifs : il s’agit de ceux dont la cécité ne survient qu’au-delà des premières années. Ce sont donc des enfants ou des adultes ayant déjà reçu une éducation intégrant le sens de la vue, qui se sont constitué un ensemble de connaissances et de souvenirs visuels. L’éducation doit les adapter à leur nouvel état et mettre en place l’utilisation de techniques de compensation (apprentissage du braille, magnétophone, informatique…).

L’importance de la prévention précoce par rapport à la déficience visuelle (comme cela l’est aussi pour d’autres types de handicaps) est primordiale. En effet, si ce handicap occupe une place déterminante dans la vie des personnes qui en sont affectées, la problématique ne se réduit pas, comme elle l’a été trop longtemps perçue, à celle du seul déficit visuel. Elle est en fait indissociable du cadre de la vie quotidienne, de la vie dans son intégralité, organique et existentielle.

De même, l’importance du chercheur n’est plus à démontrer dans ce domaine, les quelques personnes citées ci-dessus en sont le témoignage.

Le rôle du psychologue est, lui-aussi, capital. Avec lui, un projet global de rééducation peut être établi pour chaque sujet en fonction de ses moyens (visuels, physiques…) et de ses besoins (personnels mais aussi dans leur dimension familiale). Ce projet initial résulte d’un travail de synthèse fait en équipe par l’équipe pluridisciplinaire (ophtalmologiste, psychologue, médecin, rééducateur basse vision, rééducateurs spécialisés). Il peut être repris, modulé en cours de rééducation, en fonction des acquisitions réalisées par le sujet ou des difficultés persistantes.

Bibliographie

Guidetti M. & Tourrette C., Handicaps et développement psychologique de l’enfant, Paris, A. Colin, 1996.

Hatwell Y., Privation sensorielle et intelligence, Paris, PUF, 1966.

Safran A.B. & Assimacopoulos A., Le déficit visuel : de la neurophysiologie à la pratique de la réadaptation, Paris, Masson, 1995.

Vital-Durand, F., Mon enfant voit mal, Bruxelles, De Boeck, 1995.

Notes

1 Amblyopie : faible vision qui ne s’explique pas par une anomalie de l’œil, mais par un défaut d’utilisation de cet œil.

2 CAMSP : Centre d’Aide Médico-Social Psychologique.

Citer cet article

Référence papier

Sylvie Pessonneaux, « Prévention et déficit visuel », Canal Psy, 35 | 1998, 6-7.

Référence électronique

Sylvie Pessonneaux, « Prévention et déficit visuel », Canal Psy [En ligne], 35 | 1998, mis en ligne le 05 novembre 2021, consulté le 23 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=2171

Auteur

Sylvie Pessonneaux

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