Je garde en effet le souvenir d’un homme présent, accompagnant, pour ses étudiants qui arrivaient à patienter dans la longue file d’attente devant son bureau. Très vite me reviennent quelques reviviscences de « Inside the smoke » ou l’immersion dans la nébuleuse ginétienne. Dès lors que je franchissais la porte de son bureau, je guettais la pauvre trappe d’où pouvait péniblement s’évacuer la fumée dense des gitanes qu’il s’enfilait. Mais dans cette atmosphère à l’odeur pesante, j’ai toujours reçu une écoute authentique et généreuse, un accompagnement élaboratif durant l’ensemble de mon cursus universitaire.
Se départissant de la sacralisation de son rôle de maître de conférences, il s’engageait volontiers dans les échanges avec moi. Je le revois encore se pencher légèrement en avant, comme pour m’indiquer qu’il vient à moi, je sais alors qu’il va parler. J’ai peu retrouvé cette qualité de présence ailleurs à la faculté.
Parfois ardus pour le jeune étudiant que j’étais, ses cours étaient vivants et d’une grande richesse clinique et théorique. Je me souviens en licence m’être arraché quelques neurones à saisir la pensée lacanienne lors de l’étude d’un texte pour un de ses TD bien garni. Défenseur et acteur de la transmission des savoirs, Dominique Ginet soutenait des exigences de travail chez ses étudiants.
Sa disponibilité me procurait une sécurité psychique pour moi étudiant qui était alors dans l’incertitude du changement auquel je me confrontais dans la construction de ma future identité professionnelle de psychologue clinicien. Je me souviens de nos échanges constructifs autour de certains dossiers, dont celui d’entrée en dernière année d’études, sentant chez lui une conception propédeutique de ce passage.
Responsable de l’option Clinique de la formation du DESS puis du Master 2 Professionnel, il m’a inculqué l’importance de la notion de cadre, démontré les vertus contenantes et transformatrices de celui-ci, se référant avec force à la pensée de Bleger. Lors de mes interventions dans le champ de la formation auprès de travailleurs sociaux ou d’enseignants, résonnent souvent en moi les apports qu’il m’a transmis pour saisir la demande et élaborer un dispositif de formation ayant du sens, dispositif aux potentialités élaboratives.
Je me souviens de son amour du verbe, de la mélodie de ses cours et de la délicatesse de certains de ses écrits. Je me souviens de la pause, de « sa » pause obligatoire, incontournable, après une heure de cours, pour aller « s’en griller une petite ».
Je me souviens d’un Dominique Ginet furibard lorsque je décide de ne pas accueillir de stagiaire cette année-là. Alors, dans un des couloirs de la fac, je le vois qui me tourne soudainement le dos en claquant des talons et en marmonnant. À cet instant, je me dis qu’il vaut mieux faire partie de ses amis. Je me souviens de l’animation pendant deux ans, en maîtrise, d’un « Point Écoute » dans un collège ; espace d’écoute construit à son initiative et proposé d’être conduit par des étudiants, suite à une de ses célèbres conférences autour des turbulences familiales liées à l’adolescence, adolescence pour laquelle il avait un profond souci de prévenance. Je reste inscrit dans sa manière noble de penser la prévention.
Je me souviens de l’idée déployée « d’école interne », concept auquel je pense et avec lequel je travaille fréquemment lorsque je rencontre les éducateurs, les enseignants ou les parents dans leur rapport au scolaire et aux acteurs de ce champ. En écho à son intérêt pour la clinique du scolaire, j’ai le souvenir de l’accompagnement bienveillant proposé à des enseignants d’une SEGPA et par ricochet aux élèves-sujets face à eux accompagnement que Dominique Ginet s’évertuait à défendre face aux sourdes académies. Ce qu’il m’a transmis ici m’a permis de faire bouger intérieurement quelques amis instituteurs passés par l’IUFM sans véritable mise au travail de ce qui est engagé dans la relation enseignant-enseigné. Si je me souviens ainsi de ce « grand bonhomme », c’est que j’ai encore aujourd’hui un souvenir vivant de ces années universitaires que Dominique Ginet a marquées de son empreinte : le groupe issu de la dernière promotion « clinique de la formation » du DESS.
Quasiment chaque trimestre, il nous arrive encore à plusieurs d’évoquer ce temps passé, non idéalisé, mais important dans notre vie et de partager nos réalités professionnelles actuelles. Dominique Ginet nous accompagne aussi autour d’un bon verre de bordeaux ; du peu partagé, l’homme apparaissait aussi un fin gourmet.
Promotion 2004
Clinique de la formation