Que la pub vous séduise, vous amuse, ou vous exacerbe, il n’en reste pas moins que chacun, j’imagine, a immédiatement identifié une fameuse marque de vêtements qui prétend vous prémunir, même par temps sibérien, du moindre frisson ! Bel exemple de notre perméabilité aux incessants messages qui nous bombardent au quotidien.
Au hasard de la lecture d’un magazine, une double page de publicité vantant les mérites d’un type de vêtement de la marque non citée mais par tous reconnue, a fait naître, dans la série : tout alimente la problématique de l’étudiant FPP et dans mon esprit de cible potentielle, quelques réflexions.
Ne pouvant être reproduite ici, cette double page de pub doit être décrite.
Page de droite : photo d’une parka « douce en couleur pratique et confortable » (sic). Au-dessus de la photo un slogan placé entre guillemets et non dénué semble-t-il d’intérêt : « Avec Thermolactyl la chaleur se fait maternelle ».
D’emblée, vous l’avez compris, et c’est là la réussite du message, voilà une affirmation qui donne envie d’en savoir plus.
Ainsi donc : à droite de la photo un commentaire dont j’extraie la quintessence : « Cette parka [...] vous fera vivre des moments de plaisir et de chaleur [...] double système de fermeture pour le confort [...] tissu extérieur imperméable [...] entièrement fourrée Thermolactyl ».
Page de gauche : une enfant souriante vêtue de la parka en question est aux côtés d’une femme figurant la mère, également souriante et portant la même parka mais de couleur différente. Barrant les deux pages, en dessous du nom de la fameuse marque, le slogan phare : Pour ne rien vivre à moitié.
Si cette pub a retenu plus qu’une autre mon attention, c’est qu’il m’a semblé pouvoir faire quelques liens entre elle et ce que nous dit D. Anzieu dans le moi-peau.
Cette parka figurée seule sur la page de droite, dépourvue de son contenu, évoque une enveloppe vide. À l’image du moi-peau qui est « une figuration dont le moi de l’enfant se sert au cours des phases précoces de son développement pour se représenter lui-même comme moi contenant les contenus psychiques, à partir de son expérience de la surface du corps », on peut imaginer deux feuillets à cette enveloppe :
- Un feuillet interne, fait de fourrure, en contact avec la peau (ou presque) et avec ses systèmes sensoriels perceptifs. Si l’on perçoit du froid c’est que le système protecteur est défaillant (or la pub est axée sur son infaillibilité). Ce système évoque l’enveloppe narcissique : enveloppe de chaleur suffisante pour entrer en relation avec l’autre. Son efficacité est contemporaine de la chaleur, du bien-être, du plaisir ; sa défaillance est contemporaine du froid, du mal-être, de la douleur.
- Un feuillet externe : que la pub prétend imperméable. Si le système de fermeture s’avère inopérant (la pub insiste sur un double système de fermeture), il y a risque de dépersonnalisation liée à l’image d’une enveloppe perforable : angoisse de vidage de la substance vitale.
La page de gauche figurant une mère et sa fille habillée de manière identique évoque le fantasme de la peau commune. Une même peau appartient à l’enfant et à sa mère, peau figurative de leur union symbiotique.
Cependant, toujours sur cette même page, mère et fille sont figurées séparément et distinctement par la différence de taille et de couleur de la parka. Cette distinction peut évoquer le processus de défusion et l’accès de l’enfant à l’autonomie, c’est-à-dire à une déchirure de la peau commune qui conditionne l’accès à la position dépressive contemporaine de l’individualisation et de la séparation.
Le Thermolactyl : c’est une sorte de fourrure synthétique qui donne, selon la pub, à la chaleur son caractère maternel. Cette « fourrure » évoque l’animal dépecé, l’animal écorché, ce qui rejoint la notion de déchirure. Les poils, chez l’animal, ont entre autres une fonction essentielle, celle de l’agrippement. L’observation des petits singes (Harlow) montre que les poils sont un support essentiel dans la prise d’autonomie et la gestion de l’angoisse de séparation.
Quand le petit singe quitte sa mère pour explorer l’environnement, au moindre danger, il se précipite dans ses bras et s’accroche à ses poils (notons au passage que sur la photo publicitaire il y a une identité de fourrure entre mère et fille).
Le plaisir du contact du corps maternel et de l’agrippement est donc à la base à la fois de l’attachement et de la séparation.
Hermann et Abraham ont parlé d’une véritable pulsion d’agrippement, qui serait indépendante de la problématique orale. Bowlby, quant à lui, évoque une pulsion d’attachement.
Chez l’homme, la disparition progressive des poils au cours de l’évolution, fait que l’agrippement a lieu au niveau du corps (seins, mains) et des vêtements de la mère.
Cette nécessité absolue de l’agrippement fait dire à Bion que « La catastrophe qui hanterait le psychisme naissant serait celle du décramponnement ». Ainsi toute une psychopathologie se source dans les mauvais décramponnements.
La lecture d’une affiche publicitaire implique un mouvement oculaire en forme de Z. Ce que rencontre en premier lieu le regard, c’est le croustillant : « Avec Thermolactyl la chaleur se fait maternelle », placé entre guillemets comme s’il était la parole d’un autre, une sorte de voix off donnant la tonalité du message en l’imprégnant d’un sens profond. Bien qu’il semble que la chaleur maternelle n’ait pas grand-chose de thermique, le slogan est fort en cela qu’il fait écho en nous, en évoquant quelque chose d’universel, qui instantanément produit du sens ou de l’absence de sens, mais ne nous laisse en tout cas pas indifférent.
En deuxième lieu, le regard se porte sur le couple mère-fille qui figure une certaine idée du bonheur. On suppose l’environnement des deux personnages, sinon hostile, du moins agressif par le froid. Celui-ci que l’on devine pourtant incisif, ne fait pas effraction dans cet univers commun de joie et d’amour qu’expriment les visages de la femme et de l’enfant. L’habit se veut protecteur des attaques externes. Son imperméabilité et son double système de fermeture garantissent l’inviolabilité. Il n’y a que l’étudiant FPP pour voir ici une sorte d’armure, parfaitement inefficace contre des agresseurs plus internes, et rendant, par contre, difficile la communication.
Enfin le regard s’arrête sur la photo de la fameuse parka. Celle-ci est figurée seule, je veux dire sans personne dedans ! Elle est à moitié ouverte ; ainsi cela ne donne pas l’effet d’un vêtement ôté par quelqu’un. On a plutôt le sentiment qu’un contenu mystérieux s’en est échappé. Dès lors comment expliquer qu’une enveloppe tellement confortable et protectrice puisse être ainsi déshabitée ? Faut-il voir là un changement de peau, la mue témoin du temps qui passe, mais aussi du printemps et de la fin des frimas qui rend inutile une telle protection ? Ou bien cette peau fut-elle quittée précipitamment par son contenu, qui aurait expérimenté d’autres attaques contre lesquelles elle ne le prémunissait pas ? Pour le coup cette enveloppe perd de son indispensabilité à l’accès au bonheur figuré sur les visages de la page précédente. L’illusion ne tient plus. Il existe un ailleurs où conduit le désir.
Pour finir avec une pirouette, je dois avouer que je ne m’aventurerai pas plus avant dans les élucubrations et en particulier en ce qui concerne le slogan principal de la firme dont nous faisons gratuitement la promotion, à savoir : « Pour ne rien vivre à moitié », affirmation qui vaut sans doute son pesant d’interprétations !