Des psychologues du travail pour quoi faire ?

DOI : 10.35562/canalpsy.2377

p. 6-7

Texte

Cet intitulé d’un petit opuscule de la Société Française de Psychologie, rédigé par quelques psychologues du travail en 1968 exprime assez bien la question que peuvent se poser les utilisateurs de ces diplômés, 30 ans après la création de ce DPP en 1964, devenu DESS en 1974.

Où retrouve-t-on les quelque 330 titulaires de ce DESS ? Dans le monde du travail, certes, dans l’entreprise dans son acception la plus large qui englobe les entreprises traditionnelles du secteur secondaire (bâtiment, industrie…) mais surtout depuis quelques années presque exclusivement dans les services et entreprises du tertiaire ; publiques ou privées : collectivités territoriales, hôpitaux, SNCF, PTT, EDF, Télécom, Banques, Assurances, grande distribution, ou encore dans les Associations paritaires : CESI, AFPA, CIBC, ou privées, d’aide à l’insertion… Cabinets de consultants…

Que font tous ces anciens ? Quelles compétences particulières sont attendues de leur part par les employeurs alors que les formations en Ressources humaines se sont multipliées, dans les écoles de gestion comme dans les universités ?

D’abord certainement un certain regard sur les situations professionnelles, relationnelles et/ou organisationnelles, fait d’une qualité d’écoute, d’analyse et d’une capacité de distanciation. Puis la maîtrise d’outils d’évaluation, d’animation de groupes et de communication. Enfin des méthodologies leur permettant d’utiliser ces outils de façon « compréhensive » en cherchant à articuler les besoins individuels de ces personnes que sont d’abord les travailleurs – ou les chômeurs – avec les finalités économiques des entreprises.

Si actuellement on retrouve, moins que dans les années 70, les jeunes diplômés comme responsables de RH dans les grandes entreprises qui ne recrutent plus ou dans les PME qui n’ont pas encore de gestion sociale du personnel, on les voit plus souvent en poste de Responsables de Formation ou de communication interne, de « chargés d’étude » ou de « chargés de mission » dans des structures privées ou publiques, ou encore bien sûr consultants en Cabinet Conseil.

Depuis 3 ans en particulier beaucoup s’insèrent comme conseillers emploi – développement de carrière, en particulier dans les CIBC (Centre Inter institutionnel de Bilan de Compétence) travaillant en équipe pluridisciplinaire à l’orientation et à la réinsertion professionnelle des demandeurs d’emploi – jeunes ou adultes.

Lutter contre l’exclusion en aidant les personnes à prendre conscience de leurs atouts et à prendre en main leur devenir professionnel est en effet pour ces psychologues du travail l’occasion d’utiliser leurs compétences de psychologie en même temps que leurs connaissances des milieux professionnels et de leurs exigences socio-économiques.

Mais il ne suffit pas de lutter contre l’exclusion en aidant à s’insérer ceux qui ont été rejetés par le système économique ou qui n’ont pas encore réussi à faire leur place dans le monde du travail. Il est simultanément indispensable de prévenir l’exclusion d’autres personnes en travaillant en amont sur l’adaptation aux changements technologiques, organisationnels que notre société et les milieux professionnels, en particulier, ne peuvent pas ne pas faire.

Le psychologue du travail, là encore, peut aider les personnes à se situer positivement et activement dans ces évolutions, et par une meilleure connaissance de leurs acquis, de leurs potentiels, de leurs intérêts réels, à préparer une nécessaire mobilité à l’intérieur de leur entreprise (bilan de compétences, évaluation annuelle, plan de formation, ex. 1 000/1 000 Merlin Gerin), ou éventuellement à l’extérieur (out placement, antenne-emploi).

Ce rôle d’aide psychologique n’a un impact sur la réalité socioprofessionnelle que si le psychologue du travail approfondit simultanément ses connaissances des nouveaux métiers de l’entreprise, de l’analyse des tâches, des situations de travail auxquelles le salarié est appelé à s’adapter.

Un accompagnement des salariés, pour être efficace, implique en effet une approche sur le terrain des contenus des tâches, une mise à plat des emplois, et, en même temps qu’un constat de l’existant, une certaine anticipation des évolutions prévisibles : c’est la condition nécessaire pour que le psychologue du travail, homme (ou femme) de personnel soit co-pilote du changement, et non pas seulement témoin d’un changement imposé par ailleurs.

La crise de l’emploi que traverse la France, l’Europe, en déclenchant une crise de valeurs au-delà même de la valeur du travail, qui n’est pas une fin en soi, semble avoir une incidence sur l’importance donnée à la personne : comme l’analyse Sandra Michel (cf. Sens et contre-sens du bilan de compétence, éd. Liaisons sociales, 1993, p. 148) « Plus on se découvre impuissant collectivement, plus on accorde de l’importance à l’individu ». Et si, toujours selon S. Michel, « l’apparition du Bilan de Compétence est concomitante à un glissement de la responsabilité sociale vers la responsabilité individuelle », le psychologue du travail joue un rôle privilégié dans la société actuelle, dans le cadre des bilans d’orientation, de positionnement ou de compétences, il ne doit pas se contenter d’être un expert des bilans, mais avoir la préoccupation constante de les situer dans le contexte économico-politique.

C’est pourquoi la formation pluridisciplinaire : socio-éco-gestion-droit-informatique actuelle des étudiants du DESS du travail de Lyon 2 est réellement exigée par l’exercice d’une fonction « stratégique » d’accompagnement ou même de co-pilotage du changement, et cela afin qu’ils soient capables non seulement de remédier à l’exclusion des personnes dans notre société, mais aussi de la prévenir grâce à une meilleure intelligence des situations complexes.

Citer cet article

Référence papier

Monique Latreille, « Des psychologues du travail pour quoi faire ? », Canal Psy, 12 | 1994, 6-7.

Référence électronique

Monique Latreille, « Des psychologues du travail pour quoi faire ? », Canal Psy [En ligne], 12 | 1994, mis en ligne le 22 janvier 2021, consulté le 22 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=2377

Auteur

Monique Latreille

Équipe pédagogique du DESS de Psychologie du Travail, responsable des stages

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