Non, M. Ginet, vous n’êtes pas « sans dommage… réduit au son de votre voix ». Étudiante EAD l’année dernière, CFP cette année, de-ceux-qui-ont-essuyé-les-plâtres-mais-qui-n’ont-pas-envie-de-renoncer-pour-autant, je m’explique.
S’il y a un VŒU qui revient sans cesse dans nos groupes du samedi, c’est bien de pouvoir rencontrer au moins une fois en début d’année, nos professeurs : il s’agit bien là de pouvoir imaginer, d’ajuster, d’halluciner un corps, un regard, une démarche, une mimique, une barbe, des cheveux, bref quelqu’un d’éminemment VIVANT en liaison avec sa voix. C’est bien parce qu’il y a un auditoire physiquement présent, et son interaction avec vous, même si ce ne sont que des murmures ou des sièges qui claquent en début de pause, que nous tenons le coup derrière nos écouteurs. C’est bien parce que toute la vie de l’amphi s’entend, se sent au magnéto que le transfert peut avoir lieu aussi avec nous.
Bien sûr, nous sommes des aveugles du « théâtre », mais nous avons envie d’être là, il y a aussi la musique du théâtre. Cela réduit considérablement l’intérêt de la pièce jouée, j’en conviens, mais pour nous, souvenez-vous, c’était cela ou RIEN. Nous avons justement choisi cette formule parce que nous n’avions pas vocation d’autodidacte ; parce que nos essais en la matière ont tous échoué par le passé ; parce que les livres seuls, ou les cours écrits sont restés clos pour nous (je n’ose dire muets !) ; parce qu’il nous faut le professeur, et que malgré ce que vous pouvez penser, vous êtes bien présent. Peut-être cela est-il moins confortable pour vous parce que vidé du retour immédiat de la présence physique, et de l’étayage qu’elle représente pour le prof.
Mais nous avons ENVIE d’être là, à l’écoute. Nos emplois du temps éclatés, notre éloignement, nos charges familiales parfois, ne nous permettent pas de nous raccrocher au train des cours magistraux de semaine. Nous ne sommes probablement pas des étudiants classiques. De plus, notre grand âge nous marque irrévocablement. Mais nous ne sommes pas des OVNIS de Lyon 2.
Suivre un cursus universitaire en regard de notre pratique professionnelle met du sens, de la dynamique dans nos connaissances lointaines, éparses, incertaines ou nouvelles découvertes.
Notre pratique s’éclaire par les cours écoutés, voire ré-écoutés, transcrits, discutés parfois fort tard au téléphone avec tel ou tel collègue.
Nous sommes portés par le fonctionnement du cours magistral. Ce n’est que parce que quelque part dans un amphi il y a un « direct » vivant avec toute son « hystéricité », sa bougeotte, ses sons incongrus, que nous pouvons nous y accrocher. Sinon nous serions des wagons égarés sans locomotive au fond d’une gare de triage.
Ce n’est QUE parce qu’il y a une source de vie dans vos cours que nous pouvons – de façon qui ne peut rester que marginale – nous y alimenter.
Reste une question à laquelle nous ne sommes pas en mesure de répondre depuis notre place de marginaux : l’Université et ses professeurs sont-ils suffisamment riches, solides et construits pour s’offrir le luxe de nous laisser vivre tranquillement de leurs nuances, sans se sentir volés ou dépossédés de quelque chose ? Franchement, le rapport des forces me semble bien dérisoire. Nous ne nous sentons pas voleurs ; et nous aimons le théâtre. Mais sans doute l’avez-vous déjà compris Monsieur Ginet, Monsieur Alain-Noël Henri, Madame Houel, Madame Mercader… et les autres qui nous permettent l’accès à leur voix, et qui nous ont ouvert la voie des voix.
