Introduction : quel travail clinique en Missions Locales ?

DOI : 10.35562/canalpsy.263

p. 3

Texte

 

 

A.Stella (www.astellaa.com)

S’interroger sur le travail des psychologues dans les Missions Locales (ML) pour l’insertion des jeunes 16-25 ans, c’est ouvrir la question d’une clinique du social qui puisse appréhender la double existence d’un individu qui est lui-même sa propre fin et maillon d’une chaîne (S. Freud, 1914).

En effet, aborder la question sous cet angle, c’est à la fois planter le décor d’une société néolibérale qui se caractérise par la précarisation du travail et la fragilisation du lien social à laquelle nous sommes tous assujettis et mettre le focus sur la renégociation du contrat narcissique qui opère à la fin de l’adolescence, avec la possible remise en scène et figuration de certains pactes dénégatifs (R. Kaës, 2009).

Les Missions Locales sont de petites associations locales financées par l’état et les collectivités territoriales. Elles ont été créées à partir du rapport fondateur de B. Schwartz « l’insertion sociale et professionnelle des jeunes », paru en 1982. Initialement destinées à accueillir les jeunes les plus en difficultés sortis de l’Éducation Nationale sans diplôme et habitant des quartiers et zones sensibles, elles se sont progressivement développées sur tout le territoire français et accueillent actuellement plus de 1 200 000 jeunes par an. Organisées en réseau régional et national, les ML proposent à tout jeune 16-25 ans sorti de scolarité un accompagnement global, tout au long de son « parcours d’insertion », par un conseiller généraliste, qui écoute, soutient, conseille et peut mobiliser des dispositifs d’orientation, de formation et d’emploi, mais aussi des aides en matière de logement, de mobilité et de santé et ce, en articulation avec les autres professionnels de l’institution et les partenaires locaux.

Les psychologues arrivent dans les ML à partir des années 1995, suite au rapport Strohl/Lazarus « Une souffrance qu’on ne peut plus cacher », afin de proposer « un soutien aux professionnels de la première ligne et une écoute spécialisée aux jeunes en mal-être ». Ces postes émergent dans le cadre d’actions expérimentales et resteront longtemps précaires. Certains sont actuellement rattachés au secteur psychiatrique ou aux Maisons des Adolescents, d’autres à des PAEJ ou encore directement aux ML. Nous observons, par ailleurs, une grande disparité au niveau des financements, qui varient d’une région à l’autre. Le lecteur attentif de ce dossier pourra remarquer quelques petites différences de pratiques, qui pourraient être liées au rattachement du poste et à la culture institutionnelle du psychologue.

Malgré (ou devrions-nous plutôt dire grâce à…) l’absence de tout référentiel métier proposé par les institutions ou les financeurs, des pratiques cliniques se sont « bricolées » et développées dans ces lieux, puis discutées et réajustées au sein des groupes régionaux et du réseau national, qui se sont mis en place à l’initiative de ces psychologues pour rompre leur isolement professionnel.

Ainsi, alors que la psychiatrie publique continuait majoritairement à ne pas accueillir les jeunes en insertion, en dehors de périodes de crise et de décompensations nécessitant une hospitalisation, les permanences des psychologues dans les ML ne désemplissaient pas et battaient en brèche l’hypothèse d’un public refusant tout soin psychique.

Ce sont les spécificités des pratiques cliniques développées au cours des vingt dernières années dans les ML que nous tentons de mettre en lumière dans ce dossier.

Ces pratiques s’adressent à un public en très grande vulnérabilité sociale, qui présente des risques bien plus importants que les autres jeunes en matière de santé mentale, comme le démontre une récente étude menée par le CETAF et présentée dans ce dossier par C. Chatain et ses collaborateurs.

En Missions Locales, il s’agit comme le suggèrent M. Amato, C. Blanchard, F. Mollier et B. Wolfrom-Bertier, psychologues rattachées à un Centre hospitalier, d’accompagner l’émergence et la construction d’une éventuelle demande de soin, en ouvrant un espace de jeu, suffisamment malléable, entre l’insertion et le soin.

Cet espace de jeu est composé de dispositifs cliniques individuels et groupaux dont C. Demetriades tente, ensuite, de dégager les principales caractéristiques qui leur conféreraient ce qu’il appelle leur qualité orioplastique, du grec orio = limite et plassein = façonner-mouler, c’est-à-dire des dispositifs aux limites suffisamment malléables et au cadre suffisamment solide pour soutenir le travail de la double limite (A. Green, 1982).

M. Debard étudie les spécificités de ces dispositifs sous l’angle de la co-construction d’un espace de pensée, avec la médiation des objets sociaux, utilisés comme dans un squiggle (D.W. Winnicott, 1975).

J.-M. Hinaux nous propose de compléter le travail d’entretien par des groupes à médiation dont le rythme et la fréquence s’ajustent au plus près des capacités d’investissement des jeunes et permettent l’émergence, le partage et la contenance d’émotions et d’affects gelés, brûlants ou enfouis.

C’est encore de groupe dont il est question avec M.-O. Aïlane, qui étudie le travail en réseau local sous l’angle de la métaphore du rugby de mouvement (R. Deleplace), pour conclure : l’improvisation des liens réseaux ça se travaille !

Enfin, J. Methivier nous invite à remettre continuellement en question nos lunettes sociales, que nos pratiques cliniques peuvent contribuer à construire, en nous appuyant sur des études de terrain dont les résultats sont discutés en équipe.

Pour conclure, nous découvrirons en rubrique les particularités d’un Point Accueil Écoute Jeune itinérant qui, au moyen d’un bus, sillonne son territoire pour aller à la rencontre des jeunes. Cette contribution métaphorise, dans sa simplicité, la plupart des éléments présentés dans ce dossier. Elle nous est proposée par C. Garnier, psychologue en PAEJ et en ML, et L. Clouzeau, psychologue clinicienne et fondatrice du dispositif, qui nous a récemment quittés en nous laissant en héritage sa fraîcheur et son envie d’innover.

En filigrane, ces nouvelles pratiques cliniques repositionnent le psychologue comme acteur social dans la cité dont l’action révèle un inévitable sens et engagement politique.

Elles posent, comme toutes les pratiques d’équipes de liaison, d’équipes d’interface ou encore d’équipes dites carrefour précarité, la question d’une éventuelle nouvelle étape de décloisonnement de la psychiatrie, après celle de la création des CMP dans les années 70.

N’est-ce pas souvent à la marge que s’expérimentent, s’ajustent et s’affinent les nouveaux dispositifs de prévention et de soins ?

Illustrations

 

Citer cet article

Référence papier

Christis Demetriades, « Introduction : quel travail clinique en Missions Locales ? », Canal Psy, 104 | 2013, 3.

Référence électronique

Christis Demetriades, « Introduction : quel travail clinique en Missions Locales ? », Canal Psy [En ligne], 104 | 2013, mis en ligne le 10 décembre 2020, consulté le 19 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=263

Auteur

Christis Demetriades

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