Le service de Soin de Suite et Rééducation (SSR) permet aux personnes hospitalisées de poursuivre, après une hospitalisation courte ou très spécialisée (acte chirurgical par exemple), des soins par une thérapie appropriée à sa réinsertion.
L’objectif principal est donc de préparer un « après hôpital ». Beaucoup de ces services ont un passé de moyen-séjour à vocation gériatrique. Ils correspondent aujourd’hui à un réel besoin, soit parce que les pathologies lourdes des patients ne permettent pas un rapide retour à la vie dite normale, soit parce que les problèmes familiaux ou sociaux sont tels qu’ils ne peuvent poursuivre leurs soins en ambulatoire dans de bonnes conditions. La terminologie Soins de Suite et Rééducation recouvre en fait une activité très large. Le service peut accueillir tous les adultes, quel que soit l’âge, pour un séjour de 30 à 80 jours. Les soins palliatifs sont considérés par les instances de tutelle comme faisant partie des SSR.
Le présent article n’est représentatif que d’un exemple de pratique de Psychologue en SSR. Nous travaillons à l’hôpital de Trévoux, sur un temps très partiel (une journée hebdomadaire). Ce poste a été demandé par le médecin chef du service, le Dr Collin qui en l’occurrence est très soucieux de la prise en compte globale de l’individu. Nous collaborons pour aider au mieux le malade à comprendre ce qui lui arrive, et à conserver de l’autonomie (une capacité à choisir, à décider) dans l’ensemble des processus de soins.
Présenter le rôle du psychologue en SSR nécessite de s’interroger sur ce que représente, pour le sujet hospitalisé, son passage dans une telle structure. Pour ceux que nous rencontrons, ce séjour est vécu le plus souvent comme un temps de répit, de pause avant d’affronter un avenir encore flou, incertain et inquiétant. Que se passera-t-il pour le patient à la fin de son hospitalisation ? La vie reprendra-t-elle « comme avant » ? Faudra-t-il accepter l’aide d’une tierce personne chez soi ? Se résoudre à entrer en hébergement (maison de retraite, foyer d’accueil…) ? Retourner à l’hôpital (acte chirurgical, chimiothérapie) ? S’investir dans une démarche thérapeutique (cure de désintoxication) ? Pourra-t-il même, ce patient, « s’en sortir » ?
Notre expérience nous a appris à quel point il était difficile pour l’hospitalisé de penser cet avenir dès lors qu’il est synonyme de changement et de renoncement.
Aussi proposons-nous de penser le temps de l’hospitalisation en SSR comme temps d’élaboration possible d’une crise intrapsychique pour le sujet hospitalisé. Ce temps de transition, cet intervalle dans sa vie peut dans le meilleur des cas lui permettre d’envisager sa vie future et de participer activement aux choix qui s’offrent à lui. La maladie, la chute, la blessure viennent brutalement signifier au sujet que sa vie « ne sera plus comme avant ». René Kaës (1979) souligne le caractère éminemment subjectif de la crise, vécue par le sujet comme une rupture « qui vient mettre en cause douloureusement la continuité de Soi, l’organisation de ses identifications et de ses idéaux, l’usage de ses mécanismes de défense, la cohérence de son mode personnel de sentir, d’agir et de penser, la fiabilité de ses liens d’appartenance à des groupes ». Ce même auteur écrit que la crise est un « intervalle entre une perte assurée et une acquisition incertaine ». Nous ajouterons que la maladie, le handicap ou la vieillesse sont synonymes de blessure narcissique et que cette dimension-là est souvent la plus visible dans le contact avec le patient (« Il est très déprimé » disent les soignants).
Le psychologue peut donc être celui qui va aider le patient à élaborer ce temps de crise. Nous avons pu repérer quelques étapes dans ce processus.
Souvent, le patient que le médecin nous demande de rencontrer ne parvient pas tout simplement à raconter « ce qui lui est arrivé ». Son discours est décousu, haché, les silences fréquents et les répétitions possibles, quand il n’est pas carrément confus. Progressivement, il peut parvenir à se réapproprier son histoire récente en construisant un récit structuré des évènements qui laisse surgir tous les traumatismes possibles : la perte des cheveux au cours d’une chimiothérapie, une chute à domicile ou encore une parole maladroite d’un soignant.
Dans ce premier temps de l’élaboration, la blessure, la maladie ou l’accident sont progressivement acceptés comme évènement qui compte, qui a des causes et qui aura des conséquences dans la vie du sujet. Dans un deuxième temps, le sujet semble « ouvrir les yeux » sur les conséquences de son état de santé actuel. C’est tout un lent et douloureux cheminement que fait chacun, à son rythme et à sa mesure. Le psychologue doit soutenir cette phase pendant laquelle le patient mobilise souvent de fortes résistances. Ce travail de la pensée peut être largement étayé par l’épreuve de réalité, tels que des progrès en rééducation, l’annonce de bons résultats aux examens médicaux, une amélioration de l’état général, une diminution ou un arrêt de la douleur, et bien sûr une relation chaleureuse avec tel ou tel soignant.
Il faut insister sur la qualité des apports narcissiques d’un tel contexte. Le patient se vit alors comme un « bon patient », dans un « bon service », soigné par un « bon médecin ». Nous avons vu des personnes revivre au bénéfice d’une telle expérience. Mais renoncer à une telle enveloppe sécurisante, à un tel « holding » peut être trop difficile, au risque de voir certains patients stopper ou ralentir leur travail d’élaboration de la crise en remettant à plus tard les décisions importantes et en demandant une prolongation de l’hospitalisation ou peut-être en la provoquant inconsciemment par une rechute.
À l’inverse, ce deuxième temps peut être empêché par cette même épreuve de réalité : aggravation de l’état général, peu de progrès en rééducation ou encore relations conflictuelles avec un voisin de chambre ou avec l’équipe.
Un troisième temps repérable est ensuite celui de la projection dans l’avenir. Faire des projets, entreprendre des démarches comme téléphoner à un service d’aide à domicile ou à une assistante sociale… Notre objectif est alors d’aider le patient à faire ses choix (d’abord en lui permettant de les formuler) et à se faire entendre. C’est à cette condition qu’il pourra dépasser la crise qu’il traverse en étant acteur des changements qui interviennent dans sa vie : « Je vais téléphoner à ces deux maisons de retraite et j’irais les visiter, et puis j’en parlerais à mon neveu » disait un homme de 82 ans, divorcé, qui redoutait de se retrouver seul chez lui.
Là va s’arrêter notre rôle. Bien sûr, toutes les personnes que nous avons rencontrées n’ont pas systématiquement effectué ce travail d’élaboration par la seule présence magique d’un psychologue. Certaines se débrouillent fort bien par elles-mêmes, d’autres ont simplement amorcé une réflexion, quelques-uns ont fait un bon bout de chemin.
Nous tenterons d’illustrer cette pratique en précisant notre rôle en fonction des problématiques de certains patients.
Auprès des patients alcooliques : en règle générale nous ne prenons contact avec un patient que sur indication du médecin, ou demande des soignants, et toujours après que ce patient en ait été informé et ait donné son accord. Mais beaucoup de sujets alcooliques mettent en avant un déni franc de l’alcoolisme et centrent leurs demandes de soins sur l’organe malade. Ceux qui acceptent un premier entretien font rapidement état de leur souffrance psychique. Nous leur offrons ce qu’ils rencontrent rarement : une écoute, sans jugement et sans discours moralisateur. Ces personnes ont beaucoup de difficultés à se raconter et à lier problématique psychique, symptomatologie somatique et consommation excessive d’alcool. Ces trois aspects de leur réalité sont non-liés et prises comme entités distinctes. Mais lorsque le sujet alcoolique parvient à lier souffrance psychique et recours à l’alcool, alors les défenses tombent et c’est toute la réalité du sujet qui apparaît : carences affectives et narcissiques, immaturité, deuils non-faits, dépression, situation sociale et familiale désastreuse, etc. Préparer l’après-hospitalisation, c’est dans l’idéal aider le sujet à s’investir dans un « prendre soin de Soi » global :
- prendre soin de sa vie psychique (en s’engageant dans une psychothérapie ou dans une association d’aide aux buveurs) ;
- prendre soin de son corps, de sa santé en se soignant et en modérant sa consommation d’alcool ;
- prendre soin de sa situation sociale, etc.
Auprès des patients âgés et dépendants : notre rôle est d’abord de leur re-donner la parole pour que les changements prévisibles qui s’annoncent (entrer en maison de retraite par exemple) ne se fassent pas sans qu’ils puissent participer et peser sur les décisions. Il faut donc d’abord que la personne âgée formule ses souhaits, ses questions, ses hésitations, et ensuite qu’entre la famille, la personne elle-même et le médecin la parole puisse circuler. Madame V. doit rentrer chez elle. Son mari, désorienté, l’attend, et le fils unique ne veut pas penser à la maison de retraite. Pourtant Madame V. est de plus en plus anxieuse au fur et à mesure que la date du retour à domicile se rapproche. En notre présence, elle parvient à dire qu’elle préférerait entrer en Institution car la nuit, chez elle, elle s’inquiète pour son mari qui se lève souvent et tombe. C’est d’ailleurs en voulant le retenir, une nuit, qu’elle est tombée et s’est fracturé le col du fémur, d’où son hospitalisation. Prévenu, le fils discute de la situation avec sa mère et tous les deux, avec l’accord du père, font appel à un garde de nuit. Madame V. accepte volontiers, dans ces conditions, de rentrer chez elle. Se préparer à tous ces changements nécessite pour le sujet âgé d’entreprendre un travail de deuil : deuil de son indépendance, d’une part d’autonomie, de son domicile, de certaines fonctions corporelles, etc.
Auprès des patients sans domicile fixe : ils vivent l’hospitalisation comme inquiétante car elle constitue une entrave à leur liberté : les premiers entretiens vont leur permettre de raconter leur vie « au-dehors », leur errance et leur parcours atypique, le plus souvent avec une certaine fierté. La rue est presque toujours idéalisée, malgré tout ce que le sujet en sait (c’est en réalité un mode de vie très dur, brutal) et malgré le confort et la sécurité trouvés dans le service. Les aider à tenter de recoller les différents épisodes du puzzle de leur vie est toujours long car les repères temporels sont manquants, et les oublis fréquents. Cela leur permet pourtant d’entreprendre une véritable restauration narcissique, en retrouvant histoire propre et identité. Ce qui leur arrive de positif dans le service, par ailleurs, est également bénéfique en ce sens : amélioration de l’image de Soi (hygiène, vêtements propres, soins), consolidation du sentiment d’identité (nouvelle carte d’identité, reconstitution de carrière ouvrant droits à une retraite, duplicata de documents administratifs « perdus », etc.).
Ces patients ont beaucoup de réticences à imaginer leur avenir en maison de retraite, qui représente tout ce à quoi ils ont voulu échapper en vivant une vie d’errance, d’aventure et en surconsommant de l’alcool : la Loi, les contraintes, la vie sociale, la norme… Ils sont souvent dans la toute-puissance : « Je fais ce que je veux », « À Perrache, tout le monde me connaît, je suis le roi… ».
Auprès des patients dépressifs : nous tentons de les aider à dépasser le stade de la plainte douloureuse de soi. Mais lorsque la dépression du sujet fait partie de la vie d’un groupe familial depuis très longtemps, c’est une étape quasi-impossible à franchir. Même si nous expliquons à la personne les dispositifs thérapeutiques existants, rien ne change après l’hospitalisation, ou très rarement. Il faut aussi reconnaître que malgré la douleur exprimée, ces patients ont très rarement une demande thérapeutique.
Auprès des patients gravement malades ou en fin de vie : les situations sont très diverses. Certaines personnes sont très demandeuses d’un soutien privilégié, notamment pour faire un bilan de vie, se raconter et confronter la réalité aux idéaux, aux valeurs constitutrices d’une personnalité. M. R. nous attendait chaque lundi. Il voulait savoir ce qu’un « spécialiste » pensait de sa vie. Ses idéaux étaient élevés, mais sa vie semblait exemplaire. Sur sa table de chevet, la biographie de Charles de Gaulle côtoyait celle du Saint Curé d’Ars.
Mais beaucoup plus de patients sont traumatisés par ce qui leur arrive. C’est au psychologue qu’on peut confier ses peurs, ses « petites lâchetés » devant la mort… C’est surtout à lui que l’on peut décrire toute l’horreur d’une maladie incurable. À qui dire ce que l’on a ressenti en sortant d’une séance de chimiothérapie, ou en attendant les résultats d’une échographie, ou encore en observant le voisin de chambre atteint du même mal ? Pas au médecin ou aux soignants, ils n’ont pas le temps et sont les « complices » de tout cela, malgré leurs qualités humaines. Pas à la famille que l’on protège, on l’épargne. Là, le temps de l’entretien permet l’élaboration de tous ces traumatismes qui parfois s’additionnent en une vertigineuse litanie. Tout simplement, on peut pleurer devant le psychologue.
Dans certains cas, nous rencontrons le patient car le médecin se heurte à un refus de sa part concernant telle ou telle thérapeutique. Nous n’essayons jamais de convaincre cette personne de la justesse du choix proposé par le praticien, mais tentons de comprendre ce qui motive le refus. Très souvent, la compréhension des peurs et des fantasmes du sujet permet au médecin de mieux expliquer sa stratégie thérapeutique. Parfois, le médecin prend conscience d’un décalage existant entre son savoir et la représentation que se fait le malade de sa maladie. Là encore, le dialogue et des explications plus claires, plus complètes ou plus simples suffisent à permettre au patient de valider la thérapeutique qui lui est proposée. Ici, le psychologue est médiateur entre le médecin et son patient.