Violences au travail

Éléments de compréhension sur la prise en compte de ces situations en France

DOI : 10.35562/canalpsy.2747

p. 12-15

Plan

Texte

En 1986, j’ai vécu un hold-up dans la petite agence bancaire où je travaillais. Oh, rien de terrifiant, je n’ai pas vu d’arme !

Un hold-up de « gentleman » où il m’a été demandé poliment de raccrocher le téléphone que je tenais en main. Bien sûr, j’étais dans un état second en regardant une de mes collègues, en pleurs, consolée par un agresseur ; séquence hallucinante car il tentait de la convaincre de son professionnalisme. Personne n’a perdu la vie… Cette vie qui aurait pu continuer comme avant…

Alors pourquoi cette image obsédante du regard d’un collègue pétrifié ? Pourquoi ce « blanc émotionnel » (Barrois, 1998) qui m’a détachée du monde des vivants et placée dans un « entre-deux » pour voir autour de moi des vivants futurs morts ?

Dans les jours qui ont suivi, il y a eu cette peur instinctive partagée avec l’équipe : les sursauts au moindre bruit, la panique intérieure lorsque des cris de clients mécontents survenaient. La sortie de l’agence se faisait dorénavant en groupe, les collègues se plaçant autour de celui qui fermait à clef, le regard balayant les rues adjacentes. Nous avions perdu une innocence.

Je n’oublie pas cette solidarité étrange entre nous, une vigilance pour accourir lorsque l’un de nous se trouvait en difficulté. Parallèlement, nous avons développé une amertume collectivement partagée devant le silence de nos dirigeants. Et lorsque, rétrospectivement, j’observe nos carrières respectives, je constate que nous avons tous mis au ralenti notre implication dans l’entreprise.

Personnellement, dans les années qui ont suivi, inconsciemment, j’ai mis en œuvre des stratégies pour éviter de retourner à l’agence où je travaillais. J’ai toujours apprécié la relation avec la clientèle mais rien n’était plus comme avant.

J’ai repris mes études en psychologie. Je suis aujourd’hui psychologue du travail, spécialisée dans les risques psychosociaux. En avril 2000, j’ai rencontré Michel Debout1 lors d’une conférence suite à la parution de l’avis au Conseil économique et social Travail, violences, environnement dont il était rapporteur. Il a accepté ma demande de stage et j’ai travaillé dans son équipe au cours des années qui ont suivi.

Ma pratique de psychologue s’est construite sur ces fondations où l’expérience personnelle a côtoyé la théorie, la mise en pratique dans les entreprises et l’écoute de nombreux salariés. C’est ainsi que la réflexion qui va suivre sera constituée d’allers et retours entre théorie et parole de salariés. Dans un premier temps, nous poserons le cadre de la violence au travail en reprenant l’historique de la prise en compte, en France, de cette problématique.

Dans un deuxième temps, en partant du point de vue du salarié confronté à une situation de violence sur son lieu de travail, nous analyserons les atteintes psychologiques et professionnelles et les conséquences de cette onde de choc qui va s’étendre au collectif de travail puis à l’organisation. En conclusion, nous évoquerons les réponses organisationnelles qui peuvent être proposées aux directeurs des ressources humaines pour qui ces questions deviennent un nouvel enjeu de gestion du personnel.

Historique de la prise en compte de la violence au travail en France

Les violences au travail dites « externes »

Les violences au travail regroupent généralement « tout incident au cours duquel des personnes sont victimes de comportements abusifs, de menaces ou d’attaques dans des circonstances liées à leur travail et impliquant un risque explicite ou implicite pour leur sécurité, leur bien-être et leur santé2. » Toutefois, en France, la prise en compte des violences au travail va se faire par étapes. Les professionnels (dans le cadre législatif, de la santé ou de l’entreprise) vont, dans un premier temps, s’intéresser aux violences au travail dites « externes3 » pour aborder, ensuite, les violences au travail « internes » dont le harcèlement moral.

Dans le secteur bancaire, avant les années 2000, l’accompagnement des salariés agressés peut prêter à sourire : certaines banques accordaient deux jours de « congés » rémunérés, sans justificatif, après le braquage. Pour d’autres, totaliser trois hold-up permettait d’accéder à un poste dans un service administratif. Les médecins du travail tenteront d’alerter les directions en constatant des pathologies synonymes d’un désengagement professionnel (comportements d’irritabilité qui met à distance les collègues comme les clients, arrêts maladie a répétition et plutôt longs…).

Le réseau des transports urbains et le secteur bancaire seront précurseurs pour organiser des réponses individuelles et collectives pour faire face aux phénomènes de violence. Encore aujourd’hui, les niveaux de réponses organisationnelles sont très inégaux selon les secteurs d’activité concernés par les violences au travail.

En 1998, interpellé par l’agression du conducteur, Michel Debout, alors membre du Conseil économique et social à la section Travail, propose une étude sur le phénomène des violences au travail. L’accord qu’il obtient émet une réserve : il lui est demandé d’étudier seulement les violences au travail dites « externes » (braquage, hold-up, agressions verbales de la part de la clientèle ; les incivilités seront citées comme un « phénomène en émergence »…). Nous sommes en 1998 et la parution du livre de Marie France Hirigoyen (1998) n’a pas encore défrayé la chronique.

Le rapport Travail, violence, environnement, paru en 1999 au Conseil économique et social, met en évidence qu’une agression sur le lieu de travail fait deux victimes : le salarié et l’entreprise. Michel Debout précise dans son rapport : « Au-delà de la victime elle-même, les violences qui affectent les salariés à l’occasion de leur travail atteignent l’entreprise toute entière : celle-ci ne devra ni abandonner le salarié à sa souffrance, ni abandonner le terrain où elle s’est implantée. »

Les violences au travail « internes »

En 1999, le livre de Marie France Hirigoyen, Le harcèlement moral. La violence perverse au quotidien, retient particulièrement l’attention des salariés et des médias.

Après un temps de réserve de la part des professionnels de santé, ceux-ci s’aperçoivent que les salariés déclarant subir un harcèlement moral présentent les mêmes symptômes de stress post traumatique que les salariés qui ont vécu des agressions. Le 17 janvier 2001, la loi de modernisation sociale intègre cette notion :

« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. » (Article L. 122-49 du Code du travail.)

Cette loi a été particulièrement critiquée lors de sa promulgation. En effet, elle ne définit pas le harcèlement moral mais ses effets. Après avoir écouté de nombreux salariés se disant victime de harcèlement moral, il apparaît évident qu’aucune définition n’aurait recouvert l’ensemble des situations rencontrées. De la DRH mise « au placard » parce que sa place était prise par la maîtresse de son directeur, à cette salariée victime de « plaisanteries » malsaines de la part de ses trois collègues masculins, les situations sont extrêmement diverses. La France intègre cette réalité de droit, une seule personne peut qualifier une situation de harcèlement moral : le juge. Est-ce une des raisons pour laquelle la majorité des personnes qui vivent des situations « immorales » au travail empruntent la voie juridique pour faire reconnaître les faits ? Une autre voie peut être choisie qui nécessite l’engagement de l’entreprise et qui est de l’ordre de la prévention primaire : la mise en place d’un dispositif de prévention. Nous y reviendrons plus loin.

Toutes les violences au travail dénient le droit fondamental de chacun ; celui de mettre des mots sur une situation, de comprendre et de répondre aux intentions de l’autre, de donner du sens à ce qui l’atteint. Nous allons voir que tant que l’impensable et l’incompréhensible accompagnent le salarié victime de violences, sa santé mentale est atteinte mettant en péril l’organisation même de l’entreprise.

Les atteintes psychologiques des violences au travail

Parler « d’atteintes psychologiques » dans le cadre de violence, c’est se confronter au traumatisme psychique. Je n’aborderai pas les différences théoriques entre le stress post traumatique et la névrose traumatique. Nous retiendrons la définition de J. Laplanche et J.-B. Pontalis (1967, p. 499-505) :

« Événement de la vie du sujet qui se définit par son intensité, l’incapacité où se trouve le sujet d’y répondre adéquatement, le bouleversement et les effets pathogènes durables qu’il provoque dans l’organisme psychique. En terme économique, le traumatisme se caractérise par un afflux d’excitations qui est excessif, relativement à la tolérance du sujet et à la capacité de maîtriser et d’élaborer psychiquement les excitations. »

Si le courant de la victimologie s’est penché sur le traumatisme des salariés en situations d’agression, il ne faut pas oublier de situer ce traumatisme dans le contexte du travail. La psychodynamique du travail (Davezies, 1993) nous rappelle l’importance de l’activité salariée dans la construction de sa propre identité (Dessors, Molinier, 1994). Les atteintes psychiques de la violence au travail se déploient dans ce contexte. Vivre une violence au travail, qu’elle soit « externe » ou « interne », atteint toujours l’image de soi au travail. Et la fracture narcissique, inhérente à toute agression, atteint l’identité professionnelle.

Nous allons voir dans un premier temps les atteintes psychologiques et professionnelles des violences au travail dites « externes » ; elles présentent l’avantage d’être étudiées depuis plus longtemps et de donner un cadre éprouvé dans la gestion des conséquences post traumatiques.

Les violences au travail dites « externes » : les quatre temps de l’agression…

Au préalable, il est fondamental de préciser que la nature ou la violence de l’événement ne nous donne jamais la gravité de l’impact psychologique sur la personne qui en est victime. Une salariée, dans le secteur des mutuelles, me racontait une agression verbale qu’elle avait vécue avec ses deux collègues d’agence. Un individu les avait menacées de mort. Ce qui avait été une « banale » altercation pour ses collègues s’était traduit par un traumatisme pour elle qui avait « vu » le fusil dans le sac de sport de l’individu. Un autre salarié, du secteur bancaire, précisait : « Personne ne peut comprendre ce que ça fait s’il ne l’a pas vécu. »

L’impact psychique de l’événement peut prendre deux directions différentes : celle d’un vécu de stress pris dans le sens donné par Hans Seyle, physiologiste américain. Dans cette conception, le stress est un réflexe permettant à l’organisme de se préparer à échapper ou à faire face à un danger. Une fois la menace disparue, le sujet retrouve son état « normal » dans un laps de temps plus ou moins long.

La seconde direction que peut prendre l’événement est celui du traumatisme. En 1889, Pierre Janet, est le premier à cerner ce concept. Sous le choc émotionnel, le psychisme est « effracté » et va introduire dans l’appareil psychique un « corps étranger » qui n’en sortira plus. Pour François Lebigot, ce qui fait essentiellement trauma est la confrontation avec le « réel » de la mort.

Il n’est pas toujours simple de faire la distinction entre le stress et le traumatisme lorsque nous entendons les salariés parler de l’agression dans les jours qui suivent l’événement. Toutefois, pour chaque salarié concerné, que ce soit une violence verbale ou un braquage, nous pouvons constater le même schéma chronologique en quatre temps.

1 - Le choc

Au moment où l’événement se produit, le salarié perd son statut d’être humain pour être réduit à celui d’objet. Cette situation le met dans un état de vulnérabilité extrême.

« Vous vous dites que vous n’êtes pas grand-chose », méditait un salarié agressé sur son lieu de travail. Pilier de notre confiance en nous, celui-ci s’effondre au moment de l’agression avec le sentiment de ne plus avoir de défense.

« Je trouvais inadmissible de me faire agresser dans mon travail » répète plusieurs fois un agent EDF-GDF lors du témoignage de son agression ; comme si, son travail constituait un environnement protecteur, une reconnaissance renforcée par son costume de travail. C’est ici, toute la posture professionnelle qui s’effondre.

Perte du sentiment d’invulnérabilité, de la certitude qu’autrui est secourable, d’un lien d’humanité, ces trois convictions fondamentales à notre confiance parlent de la fracture narcissique qui se produit au moment de l’événement.

2 - La stupeur

Dans les instants qui vont suivre l’agression, alors que la menace directe s’estompe, les salariés vont vivre des sentiments ambivalents. Honte d’avoir été passif devant le regard des collègues, de voir son image, construite au travail (et parfois pour le travail), s’effondrer.

Si aucun accompagnement psychologique n’est assuré, ces sentiments se traduiront par une perte de confiance en soi et en ses capacités professionnelles. L’orientation des atteintes psychiques va dépendre de cette gestion post-agression. Nous pouvons constater que, livré à lui-même, le salarié va développer un sentiment d’abandon par sa hiérarchie, de la colère suivie d’un processus de burn out (épuisement professionnel conduisant à développer des attitudes de désengagement). Dans ce temps-là de l’agression, nous avons constaté que l’accompagnement le plus pertinent doit être organisé et réalisé par des membres de l’entreprise (CHSCT, DRH, préventeurs) formés à recevoir la décharge émotionnelle.

3 - La solitude

Ce temps de solitude intervient au moment du coucher. Auparavant, les salariés ont la possibilité de raconter l’événement à leurs proches professionnels ou privés. Par contre, ils se retrouvent seuls au moment de l’endormissement. Généralement, l’appareil psychique va s’emparer de cet espace-temps pour tenter de remettre du sens à l’événement. Les cauchemars, les reviviscences dont se plaignent les personnes agressées sont bien sûr désagréables mais ont pour fonction de redonner la place d’acteur au sujet qui s’était trouvé en position passive, « chosifié ».

Le débriefing individuel et collectif doit intervenir au minimum 48 heures après l’événement et doit s’organiser dans un cadre strict. Ils sont régulés par un professionnel, psychologue formé sur la question du traumatisme. Contrairement à nos collègues des États-Unis, les faits nous importent peu. Pour nous, au cours d’un débriefing collectif, il est essentiel que les participants (uniquement ceux qui ont été en contact direct avec l’événement) puissent échanger sur leur vécu, ce qu’ils ont pensé, imaginé, fait, ressenti… Cet échange permet la reconstruction de solidarités au sein du collectif de travail. Il permet de renouer le fil du lien sectionné au moment du choc de l’agression. Le psychologue est là comme garant d’une parole qui peut être dite sans jugement. Régulièrement, nous voyons dans un premier temps émerger les émotions qui sont reprises puis gérées par le groupe, que nous laissons s’exprimer au cours d’un débriefing individuel. La durée de la séance peut être très variable. C’est au professionnel de « sentir » le moment où l’angoisse va ressurgir et de saisir celui de l’apaisement pour évoquer les symptômes qui risquent de se manifester.

 

 

Laurence Chassard

Habituellement, nous rencontrons des manifestations de culpabilité : « pourquoi moi », « où est ma responsabilité », « j’aurai dû », « je n’aurai pas dû » ? Nous ne travaillons jamais « contre » la culpabilité mais « avec ». Légitimer la culpabilité, c’est permettre à la personne de retrouver le lien d’humanité.

4 - Une période de « veille »

Les réactions peuvent se présenter quelques semaines, quelques mois, quelques années après l’agression, souvent à l’occasion du réveil d’une perception. Un jeune agent m’expliquait qu’il n’avait eu aucun symptôme suite au braquage qu’il avait vécu. À mes questions, il me répondait :

« Non, pas de cauchemars… Par contre, deux mois après mon agression, je me promenais tranquillement sur la place de l’Hôtel de ville. Il faisait beau. J’étais avec ma femme et mes deux petites filles. J’ai entendu quelqu’un courir derrière moi et je me suis jeté par terre. Lorsque je me suis relevé je me suis dit que je n’allais peut-être pas très bien ! »

Certains salariés ne peuvent plus revenir sur leur lieu de travail, non pas suite à leur propre agression, mais à l’occasion d’un événement particulier vécu par un collègue.

Les conséquences peuvent être très graves pour le salarié qui peut perdre son emploi sans avoir l’énergie de se reconvertir, pour le collectif de travail émotionnellement déstabilisé, pour l’organisation du travail dans son ensemble.

Il est important que les réponses apportées sur les phénomènes de violences au travail soient collectivement pensées et organisées. Elles doivent concerner les salariés qui sont victimes mais également l’ensemble du collectif de travail. Les entreprises ont à lutter essentiellement contre le sentiment d’abandon qui se développe suite à une agression et enclenche des phénomènes de retrait professionnel en boucle.

Les violences internes

Si nous sommes relativement clairs sur les réponses à apporter, au plus près des besoins des salariés et de l’entreprise, lors de violences externes, nous devenons beaucoup plus prudents pour les violences internes dont le harcèlement moral ; même si ce dernier a trouvé sa légitimité auprès des professionnels de santé par une correspondance des symptômes avec les violences externes sur le versant du trauma. Une nette différence sépare les deux types de violence : la visibilité.

Dans le cas de violence externe, l’agression a une date ; elle se fait sous le regard des collègues ; elle peut être parlée, commentée. Des règles collectives sont construites pour faire face, renforcer une procédure de sécurité… Le salarié qui en est victime est le plus souvent soutenu par ses pairs, accompagné par ses proches.

Pour les violences internes, le processus est insidieux. À la lecture des nombreux témoignages que j’ai eu l’occasion d’entendre, il débute le plus souvent par de petites « chicaneries », ou mobbing, d’ordre relationnel : haussement d’épaules, soupirs au passage du salarié mis au ban du collectif de travail, « oublis » de le convoquer à des réunions, colères de plus en plus violentes vis-à-vis du salarié qui subit ces agissements avec des propos à caractère subjectif… Il se déploie en attaquant le sens même du travail : suppression des moyens techniques, opérationnels pour réaliser son travail, changement d’activité pour des tâches inutiles, voire dégradantes… Pour le salarié, comme pour les collègues qui sont pris dans cette spirale de dégradation, il n’est pas possible de dater « une » agression, le moment où la situation bascule dans l’intolérable jusqu’à provoquer des symptômes post-traumatiques. Une salariée me disait en regardant une pendule imaginaire sur le mur : « Pour moi, le temps s’est arrêté pendant 3 ans ».

Cette spirale de dégradation a été particulièrement décrite par le professeur Leymann (1996). Elle débute par un conflit qui ne se règle pas et elle va conduire le salarié qui en est « victime » à se démettre ou à se soumettre ; Michel Debout utilise la formule « casser quelqu’un pour qu’il se casse ».

Le processus de harcèlement dénie le droit fondamental de chacun : celui d’avoir la possibilité de mettre des mots sur une situation, de comprendre les intentions de l’autre, de donner du sens à des éléments subjectifs qui l’atteignent.

Dans les propos tenus par les salariés qui nous expliquent leur « histoire », nous entendons le même cheminement psychique que pour les violences externes : la honte d’être mise à l’écart du collectif de travail, d’être montré du doigt ; la culpabilité : les salariés se demandent systématiquement ce qu’ils ont fait pour en arriver là. D’autant qu’avec la fatigue accompagnant ces agissements, les erreurs professionnelles peuvent se multiplier… la perte de confiance en soi et en ses compétences professionnelles. Une salariée témoigne : « Il n’y a que celui qui vit toutes ces brimades qui sait ce que ça lui fait. […] Moi, je me sentais coupable de tout. C’est terrible la culpabilité. »

Nous retrouvons le sentiment de vulnérabilité.

Ces violences internes se terminent le plus souvent par le départ du salarié qui en est victime : démission, reclassement dans un autre service, arrêt maladie, suicide. Son départ n’offre pas au collectif de travail et à son détracteur ce qui pouvait être espéré : de nouveau un climat de travail serein empreint de confiance et de coopération.

Les violences au travail internes atteignent insidieusement, en silence, l’organisation de travail. Il n’y a jamais un seul salarié victime dans ces « histoires » mais l’entreprise dans son ensemble. Les effets négatifs se manifestent par un absentéisme accru, une perte de motivation, une productivité en baisse, la détérioration des relations de travail et des difficultés de recrutement.

En ce qui concerne les violences internes, la seule solution (outre la voie juridique) reste la prévention. Il devient essentiel de « capter » la parole du salarié en difficulté en accordant une légitimité à sa parole. Les Canadiens ont mis en place, dans les entreprises, des « délégués sociaux ». Ils sont le relais entre les salariés en difficulté et la direction. En France, plusieurs dispositifs commencent à fonctionner.

Comme pour les violences externes, les réponses à mettre en place doivent être à la fois individuelles et collectives.

Conclusion

Peut-on réellement conclure sur un tel sujet ? Il semble que la prise en compte des violences au travail a permis de mettre en exergue ce qui est appelé aujourd’hui, les risques psychosociaux. Dans l’entreprise, la prévention de la santé mentale au travail devient un nouvel enjeu pour l’entreprise en termes de management. Notre profession, en tant que psychologue du travail, nous permet d’articuler l’individuel (accompagnement des salariés) et le collectif (analyse de situations de travail, accompagnement de groupe projet sur la mise en place de dispositifs…). Elle nous place au cœur du subjectif et de la fonction psychologique du travail.

Bibliographie

Barrois C. (1998), Les névroses traumatiques, Dunod.

Bressol E. (2004) Organisations du travail et nouveaux risques pour la santé des salariés, Avis du Conseil économique et social.

Clot Y. (1999), La fonction psychologique du travail, PUF.

Davezies P. (1993), « Éléments de psychodynamique du travail », Éducation permanente, no 116, p. 33-46.

Davezies P. (2004), « Les impasses du harcèlement moral », Travailler, n° 11, p. 83-89.

Debout M. (1999), Travail, violences, environnement. Rapport du Conseil économique et social, Les Éditions des Journaux officiels.

Debout M., Faigt T. (2001), « Violences au travail : aspects cliniques », Médecine légale & société, vol. 4, n° 2, p. 43-45.

Dejouas C. (1993), Travail : usure mentale, Bayard.

Dessors D., Molinier P. (1994), « La psychodynamique du travail », Sciences humaines, no 40, p. 34-37.

Freudenberger H.J. (1974), « The staff Burnout », Journal of Social Issues, 30, 1, p. 159-165.

Hirigoyen M.-F. (1998), Le harcèlement moral. La violence perverse au quotidien, Syros.

Laplanche J., Pontalis J.-B. (1967), Vocabulaire de la psychanalyse, PUF.

Leymann H. (1996), Mobbing. La persécution au travail, Le Seuil.

Truchot D. (2004), Épuisement professionnel et burnout, Dunod.

Notes

1 Debout Michel, médecin légiste au CHU de Saint-Étienne (42), rapporteur au Conseil économique et social des dossiers Travail, violences, environnement en 1999 et Harcèlement moral en 2001.

2 Définition donnée par le Comité d’Experts, Commission Européenne de Dublin, 1995.

3 Les violences au travail dites « externes » regroupent tous les actes de violences provenant de personnes extérieures à l’entreprise ; à la différence des violences au travail dites « internes » qui se déroulent entre les salariés d’une même structure.

Illustrations

Citer cet article

Référence papier

Annie Debard, « Violences au travail », Canal Psy, 69 | 2005, 12-15.

Référence électronique

Annie Debard, « Violences au travail », Canal Psy [En ligne], 69 | 2005, mis en ligne le 28 avril 2021, consulté le 06 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=2747

Auteur

Annie Debard

Psychologue du travail

Autres ressources du même auteur

  • IDREF

Droits d'auteur

CC BY 4.0