Conceptualiser les relations individus-environnement.
Dès ses origines, la psychologie environnementale s’est penchée sur les relations individu-environnement au sens large, c’est-à-dire en se rapportant à trois dimensions : une dimension globale, centrée sur les relations avec l’environnement naturel ; une dimension sociale, qui intègre les relations inhérentes à la société ; et une dimension idéologique et culturelle (pour un court historique, voir Günther, 2022). Ces trois aspects se rapportent à des influences mutuelles et ne sont pas sans rappeler trois des niveaux d’analyse de Doise, bien connus en psychologie sociale (Doise, 1982) : interindividuel, positionnel, et idéologique ; ou encore le modèle écologique de Bronfenbrenner. Ce dernier (Bronfenbrenner, 1977) positionne l’individu au centre de cercles concentriques représentant le microsystème (interactions immédiates de l’individu avec son environnement proche), le mésosystème qui intègre les relations entre deux microsystèmes, l’exosystème, qui inclut les structures et organisations sociales, et enfin le macrosystème qui correspond au niveau idéologique d’une culture. Dans tous les cas, la définition générale de la psychologie environnementale reprend cette idée d’analyses « des relations, interactions et transactions entre les personnes, les groupes sociaux, les organisations et les communautés, avec leurs environnements sociophysiques (naturel, construit et technologique), et les ressources disponibles. Elle entend comprendre et interpréter la situation socio-environnementale et, à partir de celle-ci, générer de nouvelles formes d’action et d’intervention » (Pol, 2022, p. 197).
Ainsi, la psychologie environnementale aborde les relations avec l’environnement dans une approche qui se veut holistique, en considérant à la fois comment les individus et les sociétés façonnent leur milieu de vie et impactent l’environnement au sens plus large, dans ses différents niveaux, et comment ils sont eux-mêmes impactés par la nature, leurs pairs, les sociétés et leurs cultures, dans ce monde qu’ils ont en partie façonné. Dans cette optique, elle s’intéresse spécifiquement à quatre grands domaines (Giuliani & Scopelliti, 2009) : l’environnement construit, en mettant l’accent sur la satisfaction résidentielle, le bien-être, le confort et le stress ; les cognitions environnementales, et notamment les questions relatives à la perception de l’environnement, aux préférences et aux évaluations affectives ; les comportements environnementaux (ou écologiques) ; et les questions relatives à la nature et à l’environnement global. Depuis le début du 21° siècle, ces deux dernières thématiques sont en constante évolution dans la littérature scientifique, et les questions de durabilité, de conservation et de changement climatique représentent aujourd’hui un intérêt majeur de la recherche en psychologie environnementale (Schultz & McCunn, 2021). Cette évolution reflète l’inscription de cette discipline dans une démarche éminemment sociale, reflétant les préoccupations actuelles et la nécessité de penser les modes de vie dans une perspective de bien-être et de qualité de vie plus durables.
La psychologie face aux enjeux environnementaux actuels
Le changement climatique, avec ses effets sur l’équilibre des écosystèmes, la perte de la biodiversité, la multiplication des catastrophes et la santé, constitue un des plus grands défis auquel doit faire face l’humanité. La psychologie s’est emparée de cet enjeu en développant deux approches distinctes : (1) une approche en termes de comportements, qui renvoie aux causes du changement climatique, aux impacts individuels et sociaux sur le climat, aux possibilités d’action et aux possibles stratégies d’atténuation, et (2) une approche en termes de risques, qui renvoie aux conséquences du changement climatique et aux capacités d’adaptation des êtres humains. À la conjonction de ces approches, l’analyse des cognitions, affects, motivations, etc., reste un enjeu majeur de la recherche (Swim et coll., 2011). L’approche comportementale en particulier questionne ces facteurs pour tenter de comprendre ce qui pousse l’individu à agir en faveur de l’environnement : quels sont les motivations et les freins à l’action, et comment peut-on les surmonter ? Ainsi, Gifford dresse une liste des « dragons de l’inaction » (Gifford, R., 2011), là où de nombreux auteurs se sont penchés sur la relation entre les attitudes pro-environnementales et les comportements écologiques (voir par exemple la méta-analyse de Bamberg & Möser, 2007), sans toutefois parvenir à expliquer une part suffisante de variance de ces comportements. Finalement, malgré des variables dont la manipulation expérimentale peut paraître prometteuse (par exemple : normes sociales, incitations), il reste difficile d’expliquer ce type de comportement au niveau individuel, et les changements semblent devoir être apportés à un niveau systémique plus large (Steg, L. 2023).
C’est en effet peut-être parce que l’action individuelle se heurte à de trop fortes contraintes structurelles, économiques et politiques que le changement climatique est devenu un problème psychologique autant qu’une question environnementale (Clayton, 2020).
Les impacts psychologiques du changement climatique
Comme le souligne le rapport du Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le Changement Climatique (IPCC, 2022), la vulnérabilité humaine et celle des écosystèmes sont interdépendantes. Tout d’abord, le changement climatique entraine l’augmentation et l’intensification des catastrophes naturelles, telles que les inondations, les mégafeux ou encore les tempêtes. En tant qu’événements potentiellement traumatisants, ces catastrophes ont des conséquences physiques, sociales, mais aussi psychologiques chez les victimes comme chez les personnes indirectement touchées (voir par exemple Puechlong et coll., 2020). Parmi celles-ci, le syndrome de stress post-traumatique constitue la manifestation la plus courante des difficultés vécues par les individus confrontés à une catastrophe de ce type (Chen, & Liu, 2015).
Mais lorsqu’on évoque les impacts psychologiques du changement climatique, on pense à des effets à plus long terme résultant de la prise de conscience des risques environnementaux. C’est alors à l’écoanxiété que l’on fait désormais le plus souvent référence dans ce contexte. Ce concept, apparu depuis une dizaine d’années dans les médias et la littérature, est défini tour à tour comme la combinaison d’inquiétude et d’anxiété excessives au sujet du changement climatique (Searle & Gow, 2010), une « peur chronique de la catastrophe environnementale » (Clayton et coll., 2017, p. 68), ou encore une forme grave et invalidante d’inquiétude liée à un environnement naturel changeant et incertain (Helm et coll., 2018). Ainsi, par son caractère émergent, ce concept reflète encore des acceptions variées. On retiendra ici une définition plus récente de Clayton, qui évoque une anxiété associée aux perceptions du changement climatique, même chez les personnes qui n’ont pas subi personnellement d’impacts directs (Clayton, 2020). Cependant, l’écoanxiété ne se réfère pas nécessairement à des troubles anxieux, mais à une palette d’émotions négatives (comme la tristesse, la peur, la colère, la culpabilité ou la honte). C’est aujourd’hui un terme communément utilisé pour évoquer un ensemble de conséquences psychologiques négatives associées au changement climatique et à la crise environnementale. Au-delà des symptômes de santé mentale, l’écoanxiété se caractérise également par une forte préoccupation pour les générations futures, un niveau élevé d’empathie envers les êtres vivants, humains ou animaux, mais aussi par des conflits avec ceux qui ne partagent pas ces préoccupations.
Dans une étude récente (Parmentier et coll., 2024), nous avons pu mettre en évidence la nécessité de différencier écoanxiété et éco-inquiétude. En effet, l’éco-inquiétude émerge comme un facteur médiateur entre la perception de la crise environnementale et l’écoanxiété, telle que mesurée par l’échelle CCAS (Climate Change Anxiety Scale, Clayton & Karazsia, 2020). En effet, la perception de la crise environnementale prédit significativement l’éco-inquiétude. Cette dernière est à son tour prédictrice de l’écoanxiété, de même que, dans une moindre mesure, l’anxiété-trait. Ainsi, l’écoanxiété n’est pas directement liée à la perception environnementale, mais elle découle de l’inquiétude que l’état de l’environnement peut susciter chez certaines personnes ; et elle peut également s’expliquer partiellement par l’anxiété-trait. Une implication importante liée à cette distinction est que l’éco-inquiétude est fortement associée à l’engagement pro-environnemental chez les sujets interrogés dans cette étude, ce qui n’est pas le cas de l’écoanxiété. Celle-ci est plutôt associée à de la frustration de ne pas pouvoir changer la situation, voire à de l’impuissance acquise causée en partie par l’ampleur des problèmes écologiques et au manque de contrôle que l’individu éprouve face à ceux-ci (Ágoston et coll., 2022). Enfin, après avoir montré qu’il existait différents profils d’individus écoanxieux et afin de lieux saisir les différents types de réponses écoanxieuses (affectives et symptomatiques), Chan et coll. (2024) proposent un modèle intégratif en distinguant trois ensembles de facteurs explicatifs : l’expérience (directe et/ou subjective des effets du changement climatique), des facteurs cognitifs (croyances, menaces perçues, distance psychologique, etc.) et des facteurs socioculturels basés sur les valeurs fondamentales (biosphériques, altruistes, égoïstes et hédoniques). Les auteurs notent toutefois que « plus de 50 % de la variance de l’anxiété liée au changement climatique reste inexpliquée. Il convient de noter que l’ampleur de l’effet des prédicteurs est très faible, ce qui suggère que l’anxiété liée au changement climatique est complexe et susceptible d’être déterminée par de multiples facteurs psychologiques, en particulier socioculturels » (Chan et coll., 2024, p. 13).
Écoanxiété, bien-être et rapports à la nature
L’écoanxiété interroge non seulement notre relation complexe à l’environnement en général, mais aussi à la nature en particulier, puisque plusieurs recherches (Capaldi, et coll., 2014 ; Jalin et coll., 2024) ont montré qu’elle était associée à un degré élevé de connexion à la nature. Ce lien peut paraître paradoxal puisque l’on connaît depuis longtemps les effets bénéfiques de la nature sur le bien-être et la restauration psychologique (cf. Ulrich, 1984 ; Staats, 2022). Ces effets contradictoires montrent comment les relations affectives et cognitives que nous entretenons avec la nature peuvent prendre des significations opposées selon les contextes. Ainsi, la nature est traitée dans la littérature comme une expérience positive, permettant le repos, la restauration attentionnelle, ou la réduction des pensées négatives, mais aussi comme une expérience négative, lorsqu’elle entraîne des préoccupations écologiques et une écoanxiété nuisant au bien-être (Staats, 2022).
Il convient de mettre ces considérations en parallèle avec l’évolution des modes de vie, de plus en plus urbains (56 % de la population mondiale habite en ville, d’après les données de la Banque Mondiale1). Ainsi, « l’expérience avec la nature est généralement mise en contraste avec l’expérience des environnements bâtis et urbains » (Staats, 2022, p. 161) et cette opposition constitue aujourd’hui un défi à relever pour rendre la ville plus écologique dans une optique de durabilité et de résilience. C’est dans ce contexte que les solutions fondées sur la nature (SfN) se développent, afin de rendre la ville de demain plus viable. Elles sont définies par l’Union Internationale de Conservation de la Nature comme « les actions visant à protéger, gérer de manière durable et restaurer des écosystèmes naturels ou modifiés pour relever directement les défis de société de manière efficace et adaptative, tout en assurant le bien-être humain et en produisant des bénéfices pour la biodiversité » (Cohen-Shacham et coll., 2016, p. 2). Il s’agit souvent de solutions basées sur la restauration de la nature en milieu urbain afin de faire face au changement climatique, comme la lutte contre les inondations grâce à l’absorption d’eau par le sol et les plantes, ou l’atténuation de la chaleur par la création d’îlots de verdure urbains. Les bénéfices sur le bien-être et la santé humaine, aussi bien d’un point de vue physiologique que psychologique, ont largement été démontrés (pour une revue de la littérature, voir Van der Bosche et Ode Sang, 2017). Les SfN permettent en effet aux habitants de restaurer un rapport de qualité avec leur cadre de vie grâce à une forme de reconnexion à la nature. La théorie de la réduction du stress (cf. Ulrich, 2022) se base sur cette connexion à la nature pour montrer que les personnes stressées tirent particulièrement avantage de la présence d’éléments naturels : perçus de manière primaire, presque inconsciente, les stimuli naturels provoquent des émotions positives et permettent une réduction rapide du stress. Ainsi, les jardins, parcs, friches, potagers partagés, arbres, façades végétalisées, etc., constituent autant de possibilités d’expériences de ressourcement et de bien-être. Les SfN, et plus largement la nature en ville, sont finalement des réponses nécessaires pour restaurer le bien-être urbain, par le biais d’une meilleure qualité environnementale (qualité de l’air, mise à distance des nuisances sonores et olfactives), de plaisirs sensoriels et ludiques, d’émotions positives. Elles facilitent aussi la restauration du lien social et des activités physiques en encourageant l’augmentation des activités extérieures dans un contexte où les individus se replient de plus en plus en intérieur autour des nouvelles technologies (Bailly et coll., 2019). L’enjeu de telles initiatives n’est ainsi pas seulement écologique, mais également social et éminemment politique.
Conclusion
Pour conclure, revenons aux rapports à l’environnement tels qu’ils ont été étudiés par la psychologie environnementale depuis ses débuts : après une focale mise sur les conditions dégradées de la vie urbaine dans les années 60 dans la continuité des travaux de l’École de Chicago, on est progressivement passé à un intérêt de plus en plus marqué pour la place de l’humain dans les questions de dégradation des écosystèmes et de changement climatique. Or, comme le soulignent Lloyd et Gifford (2024), les psychologues environnementaux semblent insatisfaits des résultats de leurs recherches, notamment parce que les approches proposées sont trop souvent décontextualisées, et pas suffisamment axées sur les solutions possibles. Le lien entre les différentes approches locales et globales, urbaines et naturelles, est peut-être l’une de ces solutions. Penser aujourd’hui un cadre de vie résilient à l’aune d’un futur climatique catastrophique devrait mettre en correspondance les enjeux de la biodiversité et du bien-être humain. Les SfN, parce qu’utiles aux écosystèmes, aux citoyens et aux gestionnaires, permettent de concilier les différents apports des recherches en psychologie environnementale et mettent en exergue l’importance de la nature pour notre équilibre. Mais, encore une fois, les enjeux sont avant tout structurels, économiques et politiques et montrent que la psychologie environnementale doit accompagner les initiatives afin d’y intégrer aux mieux la dimension humaine, mais aussi de proposer des mesures de leurs effets.