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«  La seule chose qui sauvera l’humanité est la coopération.  » — Bertrand Russell, 1954.

La coopération, fil rouge entre espèces, savoirs et humanité.

Dans un monde marqué par des crises écologiques, sociales et sanitaires, la coopération apparaît comme une clé essentielle pour notre avenir. Elle structure nos interactions, stimule nos progrès et transcende les frontières entre espèces. Si elle est cruciale pour la survie de nombreuses espèces, elle occupe une place singulière chez l’humain.

Dès l’enfance, la coopération favorise le développement cognitif et social. Les travaux de Bowlby et Piaget montrent qu’en jouant et en collaborant avec leurs pairs, les enfants apprennent à communiquer, résoudre des problèmes et gérer leurs émotions. Elle stimule également la créativité, encourage l’exploration de perspectives variées et favorise l’innovation. Au-delà de l’individu, la coopération est un moteur essentiel pour les groupes et organisations, permettant d’atteindre des objectifs communs. Elle renforce aussi l’estime de soi et le sentiment d’appartenance, en procurant sécurité et confiance.

Mais elle interroge aussi les dynamiques de compétition. Comme l’expliquait Bourdieu, dans la recherche scientifique, une tension existe entre la compétition — moteur de progrès — et la coopération, indispensable pour partager les connaissances et résoudre des problèmes complexes.

Ce numéro de Canal Psy explore la coopération sous des angles variés, mettant en lumière sa richesse et sa complexité.

François Osiurak et ses collaborateurs explorent la « culture technologique cumulative », un processus où les savoir-faire humains se transmettent et s’améliorent sur plusieurs générations. Comparant les capacités humaines à celles des chimpanzés, ils montrent que l’imitation et l’enseignement sont des mécanismes cruciaux de cette transmission. Ces formes de coopération hautement fidèles entre apprenants et enseignants ont ainsi permis des avancées technologiques majeures. Cette réflexion souligne les liens entre notre évolution et celle des autres espèces, tout en questionnant la spécificité humaine.

Manon Arents analyse un aspect inattendu de la coopération : la tricherie scolaire. À travers une étude menée auprès d’élèves, elle met en lumière comment la triche, loin d’être un simple acte individuel, peut tisser les liens entre pairs et la confiance. Les dynamiques de triche en réseau révèlent une forme de solidarité et de régulation collectives, en tension avec les normes éducatives traditionnelles. Cet article invite à repenser ces comportements comme des expressions complexes de la coopération.

Myriam Panard et ses collaborateurs présentent le projet Draconis, une initiative collaborative en oncologie. Face aux troubles neurocognitifs liés aux thérapies ciblées contre le cancer du poumon, ce projet associe cliniciens, chercheurs et patients pour co-développer des solutions adaptées. En valorisant l’expertise des patients, il illustre l’importance de la recherche participative, où la coopération interdisciplinaire et expérientielle améliore la pertinence et la durabilité des approches médicales.

Svetoslava Urgese et Julia Violon explorent la notion de « ritournelle », empruntée à Deleuze, pour analyser la coopération dans les groupes thérapeutiques et contextes pluriprofessionnels. Ces échanges, qu’ils soient physiques ou symboliques, créent des liens au sein de groupes itinérants en thérapie ou d’équipes institutionnelles. Loin des cadres rigides, ces dynamiques émergent dans les interstices des rythmes individuels et collectifs, démontrant l’importance du temps et de l’espace dans la coopération et la créativité collective.

Ainsi, dans le champ de la psychologie, la coopération s’incarne de multiples façons : que ce soit dans l’éducation, où la « triche » peut paradoxalement renforcer les liens entre élèves en situation d’apprentissage mutuel ; dans les groupes thérapeutiques, où le mouvement et le partage d’espaces « hors les murs » favorisent l’émergence de récits communs et la réorganisation psychique des individus ; ou encore dans des projets de recherche participative, où patients et chercheurs unissent leurs expertises pour co-créer des solutions adaptées. Ces exemples montrent que la coopération est bien plus qu’un outil fonctionnel, mais qu’elle s’inscrit au cœur de l’Évolution et qu’elle peut être une véritable force de transformation, capable de redéfinir les cadres et d’ouvrir des perspectives inédites.

C’est sans doute pour cette raison que Bertrand Russell écrit, en 1954, que « la seule chose qui sauvera l’humanité est la coopération », un an avant de publier le Manifeste antinucléaire « Russell-Einstein », en pleine Guerre froide. Il nous invite à dépasser les écueils d’un égoïsme naturel pour embrasser la coopération comme un impératif civilisationnel. Ce numéro témoigne de la richesse et de la diversité de la coopération dans nos vies et nos institutions. Il invite à repenser nos pratiques en valorisant les alliances, qu’elles soient interpersonnelles ou interdisciplinaires. Ensemble, il nous appartient de cultiver cette vertu essentielle, qui est à la fois un défi et un puissant levier de progrès.

Bonne lecture !

References

Bibliographical reference

Nicolas Baltenneck, « Édito », Canal Psy, 134 | 2025, 3.

Electronic reference

Nicolas Baltenneck, « Édito », Canal Psy [Online], 134 | 2025, Online since 14 février 2025, connection on 26 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=3588

Author

Nicolas Baltenneck

Maitre de conférences en psychologie du développement

Département de psychologie du Développement, de l’Éducation et des Vulnérabilités (psyDEV), institut de psychologie, université Lumière Lyon 2

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