Jean-Marie Besse, l’héritage d’un homme de transmission
C’est un homme dont les pas ont longtemps résonné dans les couloirs feutrés de Lyon 2, à l’Institut de Psychologie dont il fut le Directeur, un chercheur à la voix grave et posée, une figure discrète et pourtant centrale dans le champ de la psychologie du développement, un pédagogue engagé, un passeur d’idées, un tuteur de trajectoires... Jean-Marie Besse nous a quittés, mais son empreinte demeure vive et profonde. Ce numéro de Canal Psy lui rend hommage en accueillant les témoignages de celles qui furent ses étudiantes, ses collaboratrices, ses héritières intellectuelles, et parfois tout cela à la fois.
Dans ces pages se dessine un portrait pluriel et émouvant. Il n’a rien du panégyrique figé. Au contraire, il fait résonner les multiples facettes de l’homme, du chercheur, du formateur et de l’intellectuel engagé. Jean-Marie Besse, instituteur de formation, n’a jamais rompu avec son attachement aux enfants, à leur parole, à leur pouvoir d’agir, à leur développement dans toutes ses dimensions. Ce fil rouge traverse sa carrière, de ses travaux fondateurs sur l’appropriation de l’écrit jusqu’aux recherches plus récentes en lien avec les pratiques de médiation et la lutte contre l’illettrisme.
Les contributions réunies dans ce numéro montrent comment Jean-Marie n’a cessé de conjuguer rigueur scientifique et engagement humain. Isabelle Montésinos-Gelet rappelle son rôle décisif dans l’adaptation francophone des travaux d’Emilia Ferreiro, et la manière dont il a su, avec finesse, proposer une modélisation alternative aux conceptions du développement de l’écrit, centrée non sur les manques, mais sur les préoccupations des jeunes scripteurs. Elle montre aussi comment son encadrement, à la fois exigeant et bienveillant, a semé les graines d’une lignée québécoise féconde autour des « orthographes approchées ».
Marie-Paule Thollon-Behar, quant à elle, évoque une autre facette du travail de Jean-Marie Besse : celle du chercheur de terrain, du praticien en lien étroit avec les professionnels de la petite enfance. Leur collaboration autour des recherches-actions menées dans les crèches ou auprès d’enfants déficients visuels illustre combien il croyait aux vertus de l’observation partagée, de la co-construction des savoirs et de la formation par la pratique. À ses yeux, le chercheur n’était pas un expert lointain, mais un accompagnateur respectueux des compétences de terrain, soucieux de transformation sociale autant que de production de connaissances.
Sophie Ignacchiti, la dernière doctorante de Jean-Marie, rappelle avec émotion combien il a su accueillir les questionnements émergents, parfois déstabilisants pour les cadres établis. À travers leur travail sur les premières interactions des tout-petits avec le livre, c’est encore la figure du médiateur qui apparaît : celui qui ouvre un espace, qui écoute, qui ajuste, qui accompagne sans imposer. Leur réflexion commune sur le maillage des modèles d’appropriation du livre chez le jeune enfant et ses parents prolonge le travail de Jean-Marie dans un champ qu’il n’avait pas initialement exploré, mais dans lequel il a su s’aventurer avec curiosité et confiance.
Florence Borjon Sultan témoigne de son rôle déterminant dans la formation des psychologues scolaires à Lyon. Il prônait une approche intégrative de la psychologie, mêlant théorie, clinique et engagement institutionnel. Il savait accompagner les étudiants dans leurs recherches, même lorsqu’elles s’éloignaient de ses propres thématiques, avec une curiosité et une ouverture rare.
Anne Mességué et Karen Petiot rappellent comment Jean-Marie Besse a su faire le lien entre l’université et les politiques publiques, notamment dans la lutte contre l’illettrisme. Son travail a contribué à la création d’outils de mesure utilisés par l’INSEE et à la structuration de l’ANLCI. Il a toujours valorisé les savoirs issus du terrain, en intégrant les professionnels et les personnes concernées dans ses recherches.
Pour ma part, Jean-Marie était plus qu’un collègue, il était un ami. La croisée de nos chemins s’est faite à plein d’endroits de nos vies. La première fois que je l’ai rencontré, j’étais une jeune lycéenne : il était le père de mon amie Catherine. C’est ce jour-là que j’ai évoqué pour la première fois avec lui, sans connaître encore son métier, mon intérêt pour la psychologie. Monique, son épouse, était là, présente, à ses côtés. Plus tard, étudiante en orthophonie, alors que je ne projetais pas encore de rejoindre l’université Lyon 2 pour y étudier les sciences du langage et la psychologie, je suis allée le rencontrer pour parler de mon mémoire de recherche sur les travaux d’Émilia Ferreiro. Nous partagions tous les deux l’héritage piagétien de la psychologie et de l’épistémologie génétique. Puis il a succédé à mon directeur de thèse, pour me permettre de rejoindre son équipe, le psyEF, en tant que Maître de Conférences, et nous avons ensemble créé le premier master de Psychologie du Développement. Je pense ici à tous les futurs psychologues que nous avons formés ensemble et à la continuité, avec le master PEF aujourd’hui.
Nos attaches géographiques, dans l’agglomération lyonnaise comme en Haute-Loire, ont encore multiplié les occasions de se retrouver, de partager, de réfléchir ensemble. Ces liens humains, professionnels, intellectuels, tissés au fil du temps, constituent pour moi une trame précieuse, faite de confiance, d’exigence partagée et de fidélité.
Ce qui relie ces témoignages, c’est d’abord une gratitude. Celle qui naît envers un compagnon de route qui vous aide à penser, vous soutient sans vous enfermer, vous pousse vers l’autonomie tout en restant présent. Jean-Marie Besse était un tuteur au sens fort du terme : il soutenait la croissance, il croyait dans les possibles, il faisait confiance. Il était de ces universitaires pour qui la recherche n’a de sens que si elle transforme, éclaire, émancipe. Son autorité venait de sa cohérence, de sa générosité intellectuelle, de son attachement inaltérable à l’enfance comme territoire de tous les possibles.
Jean-Marie Besse laisse une œuvre, certes, mais surtout une manière d’être au monde, à l’autre, au savoir. C’est cela que ce numéro entend faire vivre : non pas une clôture, mais une transmission.
