Qu’est-ce que former des psychothérapeutes ?

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Texte

Dans le parcours professionnel des cliniciens, la question de la formation à la capacité à « soigner » se pose pratiquement inévitablement, dans la suite de l’acquisition de techniques destinées à diagnostiquer les failles des fonctionnements, se manifestant par différents symptômes, que ceux-ci soient d’ordre « instrumental » ou d’ordre « affectif ». Dans leur formation initiale, les psychologues comme les futurs psychiatres peuvent être informés, voire sensibilisés, aux différentes techniques de soin psychique, mais ces apports restent de l’ordre de l’enseignement et non de la formation.

Dans le domaine du soin du psychisme, je propose de différencier enseignement et formation à partir de la définition des objectifs et des moyens utilisés dans les manières de transmettre : si l’enseignement consiste essentiellement dans la transmission de contenus, la formation me semble relever de la transmission de processus. Transmettre des processus suppose un accompagnement rapproché, avec des étapes qui se manifestent par une certaine modification des qualités internes de la personne en formation et non pas seulement par l’accumulation de savoirs : ceux-ci sont évidemment nécessaires mais non suffisants. La formation est l’appropriation de la capacité à utiliser ces savoirs, non comme des outils de maîtrise ou de transformation du « désordre », mais comme des éléments de compréhension de l’autre qui ne peuvent être séparés de ce qui se vit dans la rencontre entre deux (ou plusieurs) personnes. Toute relation d’ordre psycho-thérapeutique suppose que celui qui est en position de soigner est capable, en plus de ses compétences techniques, d’utiliser ce qu’il est, et a appris à savoir de lui-même, comme un des moteurs du soin, probablement le plus important. Que la psychanalyse appelle cette « partie » de la rencontre « champ transféro-contretransférentiel » ne signifie pas que ce phénomène ne se produise que dans les psychothérapies d’orientation psychanalytique : la découverte et l’acceptation de ce fait me semblent essentielles, même s’il n’est pas directement utilisé dans le soin. On pourrait à cet égard, parler d’éthique, c’est-à-dire la reconnaissance que tout soin psychique place inévitablement le « soigné » dans une position de dépendance à l’égard du « soignant » : cette dépendance permet le soin mais elle doit être utilisée avec beaucoup de précautions pour ne pas devenir un instrument de pouvoir. La formation vise à accompagner le futur « soignant psychique » dans cette progressive capacité à utiliser sa technique dans une rencontre qui ne se résume pas à la rééducation des dysfonctionnements de l’autre.

En ce sens, la formation à la psychothérapie me semble devoir être engagée dans un temps second par rapport à la formation initiale, après un certain temps d’expérimentation des contenus acquis, et la découverte de l’intérieur de la limite du savoir théorique.

Dans un deuxième temps, mais dans quel cadre ? Dans la réflexion sur la formation des futurs psychothérapeutes se pose d’une part la question des contenus, de la durée, de la validation, d’autre part celle de « l’organisme » susceptible de dispenser cette formation. À cet égard, s’opposent les tenants d’organismes de formation indépendants et ceux de l’intégration de ce type de formation dans un cursus universitaire, avec la délivrance de « diplômes de psychothérapeutes ». Mais dans tous les cas, cette formation me semble devoir s’inscrire dans un cursus ultérieur, et avec un encadrement et des évaluations du cheminement de la personne en formation qui tienne compte des remarques que j’ai formulées plus haut. Cela suppose un accompagnement dans le cursus de formation, par des professionnels eux-mêmes thérapeutes, et pas seulement enseignants. Cela suppose également que ces mêmes formateurs disposent d’espaces de réflexion sur leur pratique de la formation, et que les évaluations des étapes de la formation des « stagiaires » se font dans la collégialité du groupe des formateurs. Si des organismes indépendants peuvent se spécialiser dans ce type de transmission, on peut se demander si l’Université a la vocation et les moyens de le proposer.

Les modalités de la transmission doivent être dans leurs contenus, comme dans les expériences formatrices, directement en lien avec le type de technique psychothérapeutique transmise : il faut expérimenter pour soi ce que l’on envisage de proposer à autrui. Cependant, la question de ce que l’on appelle la « formation personnelle », c’est-à-dire le travail de réflexion sur son propre fonctionnement, ne peut se faire que dans une démarche individuelle. Beaucoup de techniques de « psychothérapies » actuelles ne mentionnent pas cette exigence, ce qui, de mon point de vue, est regrettable.

Je voudrais enfin faire un lien entre la validation des compétences (les « diplômes ») et la demande d’évaluation des psychothérapies, telle qu’elle est présente maintenant dans les structures de soin, quand celles-ci sont financées par la Sécurité Sociale. La tendance actuelle des organismes payeurs, comme d’ailleurs celle du public, s’oriente vers « l’efficacité », entendue de fait comme la disparition du symptôme. Si le soulagement apporté, qu’il soit objectif et/ou subjectif n’a pas à être discuté, peut-on pour autant considérer un traitement psychothérapeutique comme « meilleur » ou plus efficace à partir de la seule disparition du symptôme ? Le soin psychothérapeutique ne peut se réduire à la « réparation de la panne », sauf à risquer de ramener l’humain au statut de machine. Quelle que soit la technique de soin utilisée, c’est au psychothérapeute de maintenir vivant et actif le caractère humain de la rencontre, par essence imprévisible et créative, et c’est sa formation qui doit pouvoir le préparer à cela.

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Référence papier

Françoise Aubertel, « Qu’est-ce que former des psychothérapeutes ? », Canal Psy, 74 | 2006, 2.

Référence électronique

Françoise Aubertel, « Qu’est-ce que former des psychothérapeutes ? », Canal Psy [En ligne], 74 | 2006, mis en ligne le 17 septembre 2021, consulté le 22 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=751

Auteur

Françoise Aubertel

Docteur en psychologie clinique, thérapeute familiale psychanalytique et formatrice à l’association pour le développement du soin psychanalytique familiale

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