Médiations thérapeutiques et psychose infantile

DOI : 10.35562/canalpsy.853

p. 4-7

Plan

Texte

Une approche clinique des enfants psychotiques implique de prendre en compte la problématique corporelle, prédominante dans le champ de la psychose. C’est dans cette perspective que le psychologue clinicien peut recourir aux médiations artistiques à visée thérapeutique, comme les arts plastiques, qui mettent particulièrement en jeu l’implication du corps et de la sensorialité. À partir de ma pratique clinique avec des enfants psychotiques, j’ai constaté que l’apport spécifique des médiations artistiques dans la psychose consiste à proposer un travail de mise en figuration à partir de la sensorialité, tant de la sensori-motricité de l’enfant, que de la matérialité du médiateur et du cadre. Dans cette perspective, les ateliers thérapeutiques à médiation, individuels ou groupaux, permettent la réactualisation et une première mise en forme de vécus originaires catastrophiques, qui relèvent notamment des agonies primitives décrites par Winnicott (2000) ; c’est pourquoi le cadre des médiations thérapeutiques engage l’enfant dans des processus de symbolisation d’expériences sensori-affectivo-motrices, jusqu’alors impensables et irreprésentables. L’intérêt thérapeutique des médiations artistiques dans le soin aux enfants psychotiques consiste donc à permettre une réactualisation et une élaboration du lien primaire de l’enfant à son environnement, et, du même coup, de travailler à la constitution des contenants psychiques, particulièrement défaillants dans la psychose. Avant d’aborder la réflexion clinique, une brève mise en perspective historique s’impose, pour servir de toile de fond à un questionnement autour de ce « non encore advenu », selon une expression de Winnicott, qui prendrait forme dans les ateliers thérapeutiques à médiations artistiques.

Perspective historique : de Freud à Winnicott

Face à l’essor considérable du recours actuel aux psychothérapies à médiations artistiques, qui correspondent à des pratiques très variées, il paraît fécond, sinon indispensable, d’interroger les présupposés théoriques de ces pratiques, selon une perspective historique, pour pouvoir en dégager les fondements épistémologiques, et, du même coup, spécifier les conditions requises pour la mise en place d’un cadre qui relève de la psychothérapie psychanalytique. Alors que le recours aux médiations artistiques apparaît souvent comme une voie nouvelle de thérapie, il convient de rappeler qu’elles s’enracinent à divers titres dans l’histoire de la psychanalyse.

Si Freud a conçu la cure analytique dans une dimension exclusivement verbale, l’exploitation des arts en tant que médiations thérapeutiques peut néanmoins se fonder sur la théorie freudienne. L’art et le questionnement relatif aux processus de création jouent un rôle central dans l’élaboration de la théorie psychanalytique. Freud a donné à l’art des fondements sexuels et corporels et, dans cette perspective, il a interrogé le destin des motions pulsionnelles, tant dans l’art que dans la psychopathologie. Il a ainsi souligné l’interaction entre art et psychanalyse, et, dans cette perspective, il a moins mis l’accent sur une psychanalyse de l’art en lui-même que sur l’analyse du processus créateur de l’œuvre (Brun, 2004a), ainsi que de l’effet produit par la création artistique sur le sujet, qui concerne le lien entre inconscient et plaisir esthétique.

Winnicott, par sa théorie de la transitionnalité, a ouvert la voie à une nouvelle approche des processus de création, qui ne relève plus d’une théorie exclusivement fondée sur la pulsion, comme chez Freud. Winnicott a permis d’envisager l’œuvre comme un objet transitionnel, intermédiaire entre la psyché du sujet et la réalité perceptive, sous forme de la matérialité spécifique d’un objet. Il ne s’agit plus dès lors de centrer l’investigation, comme Freud, sur les fantasmes inconscients et les désirs refoulés du créateur, mais la théorisation winnicotienne invite à dégager l’importance primordiale dans l’œuvre d’art de la forme. Dans cette perspective, M. Milner (1955) a introduit le concept de medium malléable, redéfini par R. Roussillon (1991), c’est-à-dire d’un objet médiateur, qui, par sa matérialité spécifique, offre la possibilité de matérialiser la problématique interne d’un sujet, par la mise en forme du matériau proposé. La théorie de la transitionnalité a aussi permis à D. Anzieu de penser l’articulation entre le corps du créateur et le corps de l’œuvre (Anzieu, 1981) : corps du créateur, c’est-à-dire corps pulsionnel, tissé par le biais des représentations et du langage, et corps de l’œuvre, composée à partir de la projection des sensations corporelles de l’auteur et construite comme un corps métaphorique. Winnicott se présente donc comme le précurseur des pratiques actuelles de thérapies à médiations, qui mobilisent l’ancrage corporel des processus de symbolisation : il a permis d’envisager l’œuvre ou la production comme une possible inscription des mouvements pulsionnels par l’élaboration d’une forme externe liée à un mode d’expression qui engage le corps, dans une dimension visuelle, sonore, tactile ou kinesthésique selon les arts. Plusieurs psychanalystes contemporains ont développé cette voie de recherche, à l’appui de la métapsychologie freudienne qui montre comment la psyché se construit en figurant le corporel, et ils ont considéré la création artistique comme un « moyen d’expression du corps » (Ledoux, 1992), autrement dit comme une mise à l’œuvre de ce lien primitif entre corps et processus de symbolisation.

Historique des médiations artistiques dans la psychothérapie psychanalytique des psychoses

C’est le constat de l’impossibilité de travailler exclusivement à partir du registre verbal qui a motivé l’appel aux médiations artistiques au sein de la thérapie analytique des enfants et des psychotiques. En ce qui concerne la psychothérapie psychanalytique de la psychose, G. Pankow (1914-1948) (1969, 1981) a notamment apporté une contribution importante et originale, en centrant le processus thérapeutique autour d’une méthode de structuration dynamique de l’image du corps (image du corps dissociée ou détruite dans la psychose), qui requiert la fabrication de modelages. Le modelage, qui suppose le contact peau à peau et la troisième dimension, en écho avec le lien à l’objet primaire, sert de support à des éprouvés corporels irreprésentables, qui n’ont pas été symbolisés. C’est le lien transférentiel entre patient et thérapeute qui permet de donner un sens à ces expériences d’ordre corporel et affectif.

Dans l’histoire de la psychiatrie, une place à part revient à H. Prinzhorn, précurseur du recours à la médiation artistique dans la thérapie des psychotiques adultes, qui publie, en 1922, Expressions de la folie. Cet auteur propose une conception dynamique de la formation des formes artistiques, dans une perspective plus esthétique que psychologique, selon la théorie de la Gestaltung, la psychologie de la mise en forme. Pour le clinicien d’aujourd’hui, cette théorie présente l’intérêt majeur de mettre en question l’idée simplificatrice que le patient – comme l’artiste – s’exprimerait dans son œuvre, au sens où il s’agirait de faire sortir une représentation ou une signification préalable à la production artistique. C’est dans cette perspective que H. Maldiney (1993) commente la théorie de la Gestaltung chez Prinzhorn, en soulignant, tant à propos de l’œuvre d’art que des productions artistiques de psychotiques, que « la signification est immanente à la forme », que « la forme comme Gestaltung n’est pas une structure préétablie attendant d’être mise à découvert », qu’« elle ne part pas non plus de quelque chose de tout fait » mais de cette « inexistence » qu’a décrite Winnicott. Autrement dit, le sens, la signification d’une production plastique ne saurait préexister à l’œuvre qui la manifesterait, si bien qu’il ne s’agit en aucun cas pour le patient d’exprimer un sens préétabli sous une forme artistique, mais de mettre en forme, par le biais de la médiation artistique, de l’infigurable à l’origine, du non encore advenu.

L’implication de cette perspective est centrale pour les cliniciens, qui usent de médiations : la production, quel que soit le type de médiation, n’exprime pas purement et simplement la psyché du patient, elle concourt plutôt à créer, à configurer le patient, en donnant une forme à de l’infigurable, à ce qui n’était préalablement ni représenté, ni symbolisé. Comme l’œuvre d’art crée son créateur, la production artistique crée le patient, dans un cadre de psychothérapie médiatisée, en matérialisant la relation transférentielle.

Psychothérapie psychanalytique et cadre d’une thérapie médiatisée

Dans le contexte actuel d’une prolifération des thérapies à médiations artistiques, référées à des champs théoriques très hétérogènes, regroupés sous la bannière de l’art thérapie, comment spécifier le mode d’inscription des médiations artistiques dans le champ de la psychothérapie psychanalytique ? Par l’articulation, autour du medium malléable, des registres transférentiel, verbal et corporel (Chouvier, 2002, 2003). En ce qui concerne la thérapie de la psychose, l’accent porté sur la mise en jeu du corporel et de la sensori-motricité n’a donc de sens, dans le champ de la psychologie clinique, que dans un cadre thérapeutique défini par une interaction entre cette implication du corps, l’utilisation du medium, la dynamique transférentielle et la verbalisation (verbalisation associative du patient et verbalisation du thérapeute). On peut ainsi différencier les ateliers thérapeutiques à médiation de ce qu’on pourrait désigner comme ateliers à création, dans lesquels il ne s’agit pas d’exploiter la dimension du transfert ni de mettre l’accent sur la verbalisation ; ces ateliers à création se présentent donc souvent comme « ouverts », et certains donnent lieu à des expositions de productions. C’est pourquoi ils se situent plutôt dans la filiation de H. Prinzhorn (1992), dont la théorie de la Gestaltung se fonde sur la pulsion d’expression, différente de la pulsion freudienne, pulsion expressive définie comme le besoin de créer des formes, envisagée par Prinzhorn comme autothérapeutique, en deçà de tout cadre thérapeutique. Ces ateliers à création ne relèvent donc pas d’une pratique directement référée à la psychothérapie psychanalytique, mais ils peuvent enclencher une dynamique de symbolisation.

À titre d’exemple d’ateliers thérapeutiques, individuels ou groupaux, j’évoquerai plus particulièrement la médiation picturale – pour d’autres exemples de médiations, voir B. Chouvier et coll. (1998, 2002a et b), et C. Vacheret (2002) – pour enfants psychotiques et autistes, dans le cadre de ma pratique institutionnelle. Les ateliers individuels hebdomadaires ont lieu au sein d’une prise en charge en hôpital de jour, avec un dispositif à deux niveaux, celui de l’animation de l’atelier, assuré par un référent de l’enfant ainsi que par un stagiaire psychologue, et celui de la supervision que j’assurais comme psychologue. Quant au groupe thérapeutique de peinture, il se situe au sein d’un CMP et est assuré par trois intervenants : une infirmière, un psychologue, qui est aussi peintre, et moi-même, dans une position d’observatrice qui prend des notes. En ce qui concerne le cadre et le dispositif de ces ateliers de peinture, il s’agit principalement de laisser les enfants utiliser à leur gré l’ensemble du matériel mis à leur disposition. Les enfants choisissent leur façon de peindre, leur matériel et leurs techniques. Les productions ne sont ni données ni montrées aux parents, parce qu’elles sont l’enjeu d’un lien transférentiel à respecter. Néanmoins, l’enfant peut, s’il le désire, emporter ses peintures à la fin de sa prise en charge institutionnelle. Le travail thérapeutique pour les animateurs de l’atelier, consiste à se laisser utiliser par l’enfant, à l’inciter à entrer dans le registre de la verbalisation et à associer sur ses peintures ; ils mettront en mots les processus en jeu, en opérant un travail de liaison et de figuration verbale de ce qui se présente souvent à un niveau sensori-moteur. Enfin, ils restent attentifs au jeu de renvoi avec l’enfant, qui peut passer par une implication corporelle de(s) animateur(s) au sein de l’atelier.

Médiation picturale et psychose : travail thérapeutique et sensorialité

La peinture des enfants psychotiques et autistes ne relève pas d’abord de la représentation de contenus psychiques, soit de formes représentatives imagées, avec un contenu figuratif, du fait de la défaillance des contenants psychiques, caractéristique de la psychose. Ce qui spécifie d’abord leur peinture, c’est la mise en jeu de la sensori-motricité, plutôt qu’une tentative de figuration de formes reconnaissables et identifiables. Leur production picturale se compose donc de peu de traces figuratives dotées de significations latentes à décrypter, mais plutôt de traces sensori-affectivo-motrices, qui, loin de figurer des représentations préexistantes, vont au contraire conditionner la possibilité de l’accès à la représentation, dans le cadre de la médiation thérapeutique. J’avancerai que l’accès à la figuration, pour un enfant dans une problématique psychotique, s’effectue principalement à partir de la sensorialité, de la sensori-motricité de l’enfant d’une part, des qualités sensorielles du « medium malléable » (M. Milner) d’autre part, et enfin de l’implication corporelle des thérapeutes en lien avec l’enfant.

L’expérience clinique montre en effet que le travail de l’enfant psychotique s’effectue essentiellement à partir de son exploitation de la dimension sensorielle du cadre de l’atelier peinture, selon des modalités différentes pour chacun, en fonction de sa problématique propre : l’enfant pourra ainsi utiliser les différentes qualités sensorielles de la matière picturale, les divers matériaux, instruments ou supports à sa disposition, ainsi que telle ou telle technique picturale, qui mobilisera sa gestualité de façon variée, au fil des ateliers. Il s’agit donc pour le clinicien, qui propose ainsi un travail de mise en figuration à partir de la sensorialité, de s’attacher plutôt au pôle sensoriel qu’au pôle représentatif, soit à la façon dont l’enfant va mettre en jeu sa sensori-motricité et exploiter les données sensorielles mises à sa disposition, en lien avec la dynamique transférentielle : ces modalités spécifiques du travail du clinicien sont liées à la problématique psychotique, où on se situe davantage dans le registre de la perception que dans celui de la représentation, du fait de l’échec du refoulement originaire.

Dès lors, le travail thérapeutique s’effectue à partir de l’impact des stimulations sensorielles provenant du matériel et de la matière picturale mis à la disposition de l’enfant. Le travail de la peinture dans sa matérialité même permet de réactiver des traces perceptives d’expériences sensorielles primitives, qui se présentent souvent sous la forme de sensations hallucinées, dont la médiation picturale permettra une première figuration. C’est donc la rencontre avec la matérialité même du cadre et l’expérimentation de différents matériaux, qui mobilisera des angoisses archaïques et des vécus corporels irreprésentables ; la problématique corporelle se trouve en effet au centre de la psychose, définie par l’absence de constitution d’une image du corps unifiée, par la prédominance de vécus de morcellement, d’éclatement, d’automutilation, d’autoavalement, avec des sensations d’arrachage, d’écorchage, de chute, de liquéfaction etc.. Un des intérêts thérapeutiques de la médiation picturale consiste à réactualiser ces vécus corporels archaïques, qui renvoient souvent à des expériences originaires catastrophiques, que Winnicott a pu désigner par le terme d’agonies primitives.

Réactualisation de vécus catastrophiques originaires et du lien primaire à l’objet

Le cadre de l’atelier thérapeutique permet donc de réactiver et de matérialiser ces expériences d’agonie primitive, au gré de la rencontre avec tel ou tel matériau, telle ou telle technique, sans qu’il ne soit jamais possible de prévoir ce qui va mobiliser, de façon singulière pour chaque enfant, ces vécus originaires impensables et irreprésentables. L’enfant effectuera une première mise en forme de ces expériences primaires, par la manipulation du médiateur, qui détermine une métabolisation de traces perceptives en traces picturales, dont la signification s’inscrit dans la dynamique transférentielle.

L’attention du clinicien se focalisera en particulier sur l’émergence et la mise en forme de ces sensations hallucinées précédemment évoquées, qui peuvent se présenter de multiples façons (Brun, 2002, 2003) ; en voici quelques exemples : « Moi/bouche/peinture vomi(e) et vomissant(e) », ou « moi noyé dans la “mère merde” de la peinture », ou moi dissous dans la feuille. Il peut s’agir aussi d’une sensation d’arrachement d’une peau commune, en lien avec le décollage d’une peinture plastifiée, ou encore d’un vécu de glissade sans fin et de chute sur la feuille etc. Ces sensations hallucinées, réactivées par la dimension sensorielle de l’activité picturale, relèvent du registre des pictogrammes selon P. Aulagnier (1975), ou des signifiants formels selon D. Anzieu (1987, 1990), et elles se trouvent à l’origine de la production par l’enfant psychotique de formes sensorimotrices, plutôt que de peintures à contenu représentatif. Au décours d’un atelier peinture, apparaissent ainsi des éléments matriciels de l’activité de symbolisation, sous la forme de traces préfiguratives, évocatrices de proto-représentations caractéristiques de l’activité de l’originaire où, selon P. Aulagnier, le corps et l’organisation sensorielle conditionnent l’émergence de représentations.

Cette prédominance du pôle sensoriel sur le pôle représentatif s’inscrit dans une dynamique transférentielle qui lui donne sens : le travail de figuration ne peut s’effectuer qu’en mobilisant la dimension transférentielle entre l’enfant et les thérapeutes. Je défendrai l’hypothèse que la spécificité du travail en médiation thérapeutique avec les enfants psychotiques se définit par une réactualisation du lien primaire à l’objet, qui, dans la dynamique transférentielle, prend la forme d’une « boucle de retour » (selon l’expression de G. Haag) entre les animateurs de l’atelier et l’enfant, en écho avec la capacité d’échanges rythmiques entre la mère et l’enfant, où ce que l’enfant envoie est renvoyé transformé par la mère. Concrètement, il s’agit souvent pour les thérapeutes qui usent de la médiation picturale avec des enfants psychotiques et autistes de fonctionner d’abord en miroir avec l’enfant, de façon analogue aux phénomènes d’accordage entre la mère et l’enfant décrits par Stern (1985) : il s’agit donc d’effectuer des transpositions d’un mode d’expression dans une autre modalité sensorielle, par exemple entre les registres kinesthésiques, sonores, visuels et mimo-gestuo-postural, qui correspondent non pas à un renvoi du même mais à une correspondance transmodale entre les comportements. Autrement dit il faut mettre en travail la relation homosexuelle primaire, non pas au sens de fusion ou de symbiose, mais comme relation en double, selon la conceptualisation de R. Roussillon (2002).

Vers l’émergence du fond et de la figuration humaine

La médiation picturale avec des enfants psychotiques renvoie ainsi à la dimension de l’archaïque, par cette possible réactualisation et élaboration de vécus agonistiques, ainsi que du lien primaire à l’objet.

À partir de l’évolution picturale de plusieurs enfants, qui n’avaient pas encore eu accès à la figuration du bonhomme, il m’est apparu que la genèse d’une possible représentation humaine unifiée, pour un enfant psychotique dans le cadre d’un atelier peinture, s’enracinait dans l’appel à la figuration de ces sensations hallucinées, au cours d’un processus où l’enfant se dégage progressivement de la matière-mère (Brun, 2000, 2002). Par ailleurs, la figuration humaine apparaît souvent précédée par le recours à une gestualité rythmique, qui correspondrait à la restauration du fond rythmique premier défaillant, en lien toujours avec le transfert sur le thérapeute. Cette gestualité rythmique peut prendre la forme de frappes rythmées sur la feuille, ou de grands gestes d’éclaboussure en rythme, ou encore de balayages rythmiques, que G. Haag (1990, 1995) a décrits au fondement de la constitution d’un fond pour la figuration. L’avènement d’un sujet plus différencié et unifié, sous la forme par exemple de cette émergence de la figuration humaine, s’effectue donc, dans la peinture de l’enfant psychotique, essentiellement à partir de la sensori-motricité et de la mise en forme de vécus corporels primitifs, jusqu’alors indicibles et irreprésentables. En définitive, dans le cadre de la médiation picturale, le travail thérapeutique s’articule autour de la constitution d’un fond pour la représentation, qui correspond à un travail de constitution des contenants psychiques, autrement dit à une mise en place progressive des qualités plastiques de l’enveloppe psychique (Brun, 2004b).

Le recours aux médiations permet donc d’engager un travail thérapeutique avec des patients en deçà des processus de symbolisation secondaires, vectorisés par les mots ; pour des enfants psychotiques, les thérapies médiatisées permettent notamment une ébauche de figuration d’expériences sensori-affectivo-motrices non symbolisées. Il s’agit d’activer les processus de passage du registre perceptif au figurable, tout en conservant une place privilégiée à la verbalisation, indispensable à une utilisation thérapeutique des arts susceptible de s’inscrire dans le champ de la psychothérapie psychanalytique.

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Citer cet article

Référence papier

Anne Brun, « Médiations thérapeutiques et psychose infantile », Canal Psy, 63 | 2004, 4-7.

Référence électronique

Anne Brun, « Médiations thérapeutiques et psychose infantile », Canal Psy [En ligne], 63 | 2004, mis en ligne le 27 avril 2021, consulté le 23 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=853

Auteur

Anne Brun

Maître de conférences en psychopathologie Université Lyon 2

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