Restaurer l’ordre par la force des armes et dans le respect du droit : étude historique comparée de la loi martiale et de l’état de siège

DOI : 10.35562/droit-public-compare.331

Résumés

La loi martiale et l’état de siège sont des régimes de légalité exceptionnelle qui ont pour point commun de confier des compétences extraordinaires à l’autorité militaire. Ils trouvent leur origine en Angleterre et en France sur le champ de bataille, et ont ensuite évolué pour devenir les instruments juridiques de la lutte contre les insurrections armées. Cependant, ni l’un ni l’autre ne sont des régimes synonymes d’arbitraires. Au contraire, il s’agit de régimes strictement encadrés, à la fois en droit français pour l’état de siège, et en droit anglo-saxon pour la loi martiale, qu’il s’agisse des conditions dans lesquelles ils peuvent être utilisés ou des compétences confiées à l’autorité militaire.

Martial law and “état de siège” are systems of extraordinary law, which give exceptional powers to the military. In England and France, they both come from the battlefield, before they evolved into legal instruments for dealing with armed insurrections. However, neither is a synonym to arbitrary powers. On the contrary, martial law in the United Kingdom and the United States and “état de siège” in France are strictly defined by law, which prescribes the conditions for declaring it, and the precise powers it gives to the military.

Plan

Texte

« Avis est donné que la loi martiale est proclamée, que tous attroupements sont criminels ; on va faire feu ; que les bons citoyens se retirent ». Les termes de la sommation prescrits à l’article 6 de la loi du 21 octobre 1789 ne laissent pas place à l’ambiguïté. L’officier municipal informe les citoyens assemblés qu’un régime de légalité spéciale est en vigueur – la loi martiale – et qu’il en résulte une conséquence juridique – les attroupements sont criminels – ainsi qu’une conséquence pratique – ces attroupements seront dispersés par la force des armes. Les citoyens ont donc le choix entre deux conduites : obéir et se retirer, ou désobéir et subir le feu de la troupe.

Le contexte ayant donné lieu à la création du régime de la loi martiale en France est connu. L’Assemblée essaye de reprendre la main face aux explosions de violence de la population parisienne1. Les députés visent deux objectifs : rétablir l’ordre, mais le faire par le droit, et sont face à un constat de fait – seule la force armée a les moyens matériels pour mater les rassemblements armés et rétablir l’ordre dans les rues. L’enjeu est donc clairement compris. Il s’agit de créer un régime légal permettant d’employer la force armée pour disperser, au besoin en ouvrant le feu et en ordonnant la charge, les attroupements de citoyens perturbant l’ordre.

Le nom choisi pour ce régime légal est la « loi martiale ». C’est la première fois que cette expression est utilisée en droit français. Et pour cause : il s’agit d’une traduction en français d’un concept anglais, la martial law. À la recherche d’une expression pour qualifier l’emploi de la force pour mater les attroupements armés, les révolutionnaires puisent dans l’histoire d’outre-Manche, et importent un concept déjà porteur à l’époque d’une symbolique et d’un imaginaire puissants2.

À la fin du xviiie siècle, la martial law n’a rien d’une nouveauté. Au contraire, elle jouit, dans le contexte anglais, d’une réputation bien arrêtée. Dans les écrits des grands juristes anglais tels que William Blackstone, Edward Coke ou Matthew Hale, la martial law est présentée comme l’antithèse du droit. Il s’agirait d’une institution née de la nécessité militaire, figurant l’arbitraire absolu du général sur le champ de bataille, réutilisée ensuite sur le sol anglais à l’occasion des multiples rébellions et guerres civiles, pour triompher comme instrument ultime de la répression sanglante entre les mains des monarques, en particulier de la période Tudor. La martial law représente l’arbitraire de l’exécutif, qui retourne contre la population civile les moyens du champ de bataille. Pour paraphraser Hale dans son classique The History of the Common Law of England de 1713, la martial law ne doit pas être considérée comme du droit, mais plutôt comme une nécessité à laquelle le droit « cède3 ». Citant Hale, Blackstone reprend la même idée dans son Commentaries on the Law of England, et affirme même que, compte tenu de sa brutalité et de son caractère arbitraire, la martial law est incompatible avec le temps de paix4.

Avec la loi d’octobre 1789, les révolutionnaires français n’entendent cependant pas reprendre le régime ainsi décrit. Tout au contraire, la « loi martiale » à la française se présente comme l’opposée de la martial law décrite par les juristes anglais : il s’agit d’un régime précis, encadré, dans lequel l’emploi de la force armée est subordonné à des procédures strictes, et s’inscrit dans un cadre normé et défini. Ainsi, le texte prévoit des sommations multiples et même la possibilité pour les citoyens assemblés de députer certains d’entre eux pour exposer leurs griefs (article 5). En ce sens, la loi martiale de 1789 ne ressemble guère à la martial law anglaise, dénoncée par Hale, mais bien davantage à l’institution qui lui a succédé sur le sol anglais depuis le début du siècle, à savoir le Riot Act5. Les similitudes entre les deux sont en effet flagrantes : tant dans la loi martiale française que dans le Riot Act anglais, l’accent est mis sur une utilisation en dernier recours de la force. Face à un attroupement, les troupes doivent d’abord signaler expressément qu’il sera fait usage de la force, les sommations doivent être répétées, et l’objectif est que l’attroupement se disperse de lui-même6.

La loi de 1789 a donc donné naissance à un concept original de « loi martiale française », dérivée du Riot Act de 1715, mais qui ne s’installera pas durablement dans le paysage juridique. Son emploi à l’occasion de la fusillade du Champ-de-Mars de juillet 1791 est fortement critiqué, avec pour conséquence que l’Assemblée décide de la réserver aux hypothèses les plus graves de troubles s’inscrivant dans la durée, créant en parallèle d’autres procédures d’emploi de la force armée pour les hypothèses de troubles ponctuels7. Ainsi corsetée, la loi martiale perd son utilité au fur et à mesure des développements révolutionnaires. D’un côté, le régime est perçu comme trop brutal dans sa fonction initiale de dispersion des attroupements ponctuels. De l’autre, il prévoit un emploi de la force trop encadré pour être adapté à la situation de guerre civile qui s’installe, notamment en Vendée8. La Convention signe finalement son acte de décès le 23 juin 1793, et la loi martiale disparait de l’ordre juridique, fermant ce qui ne sera resté qu’une parenthèse dans l’histoire française.

La loi martiale n’est pas la seule à échouer à s’installer dans l’ordre juridique français. La période, en particulier de la terreur, a en effet donné naissance à de nombreuses tentatives d’encadrer juridiquement l’emploi de la force armée pour mater les populations en armes9. Quelques années plus tard, sous le consulat, un nouvel instrument est inauguré : la suspension de l’empire de la Constitution, qui permet de confier aux autorités militaires les pleins pouvoirs pour mater une insurrection. Le parallèle avec la martial law anglaise décrite par Blackstone est cette fois bienvenu. L’exemple des pouvoirs confiés sous ce régime au général commandant l’armée de l’Ouest l’illustre de manière remarquable : l’autorité militaire était en effet habilitée à faire des règlements portant peine de mort, à imposer des contributions exceptionnelles, et même à recourir aux « moyens usités en pays ennemi » pour obtenir l’obéissance10.

Dans ce tourbillon de la fin du xviiie siècle et du début du xixe, un terme commence en parallèle à s’imposer en France dans les écrits de la période pour désigner l’emploi du feu et de l’acier contre les citoyens en armes : l’état de siège11. Le succès de cette appellation est surprenant. Ainsi que l’a démontré Sébastien Le Gal dans sa thèse consacrée à son histoire, l’état de siège trouve en effet son origine dans des considérations techniques très éloignées de l’emploi de la force contre les attroupements.

Inauguré par une loi des 8 et 10 juillet 1791, l’état de siège comme régime juridique s’applique à une catégorie très particulière de villes : les « places de guerre », c’est-à-dire des villes dont la localisation géographique les désigne comme d’un intérêt militaire tel qu’elles sont dotées de fortifications et d’une garnison et font l’objet d’un classement officiel en cette qualité12. Dans ces localités, « l’état de siège » désigne la situation de fait dans laquelle, par l’action de l’ennemi, la place de guerre se trouve à devoir remplir son rôle militaire : interdire la percée des armées ennemies en les forçant à mettre le siège et à s’y épuiser. Dans cette hypothèse, l’état de siège entraine le dessaisissement des autorités civiles de la place et la subordination de l’ensemble de la population aux besoins militaires du commandement en vue de soutenir le siège et de repousser l’ennemi13. Très vite, cependant, la notion se détache de ses origines liées à la guerre de siège proprement dite pour devenir l’un des instruments de lutte contre les insurrections contre-révolutionnaires. Dans l’esprit, en particulier, des représentants en mission, l’amalgame est facile : une ville républicaine menacée par l’insurrection royaliste, ou investie par des rebelles, ne subit rien de moins qu’un siège. Dès lors, on ne retient de la loi de 1791 que sa conséquence : la saisine par l’autorité militaire des pouvoirs nécessaires à la victoire contre l’ennemi, y compris, au besoin, l’ouverture du feu et la charge contre les rebelles en armes. Un décret du 26 mai 1792 maintient l’illusion en élargissant officiellement la liste des places de guerre, seules légalement susceptibles d’être mises en état de siège. Le masque tombe cependant avec le décret du 18 juillet 1795, qui systématise pour la première fois la possibilité de placer n’importe quelle ville en état de siège, indépendamment de sa qualité ou non de place de guerre14. La confusion dès lors s’installe : le terme « état de siège » s’impose dans les discours et les écrits de la période pour désigner toutes les hypothèses dans lesquelles une ville ou une localité est soumise aux troupes de ligne pour la répression des troubles armés15.

À la différence des autres régimes d’exception nés des tumultes révolutionnaires, l’état de siège va s’installer dans le droit français. Tout au long du xixe siècle, il va même s’imposer comme le cadre juridique par excellence d’emploi de la force militaire pour rétablir l’ordre en situation d’insurrection à main armée. La « greffe » de la loi martiale, tentée en 1789 par les Constituants, a échoué. D’ailleurs, à la même époque, outre-Manche, la martial law est déjà de l’histoire du droit.

Remplacée par le mécanisme du Riot Act en Angleterre, éclipsée par celui de l’état de siège en France, la loi martiale trouve néanmoins outre-Atlantique une nouvelle terre d’élection. Si la martial law a disparu progressivement, à partir du xviie siècle, du territoire anglais, la Couronne britannique a en effet continué à en faire un usage important dans ses multiples colonies16. La martial law est ainsi une réalité juridique des colonies américaines, dès la fondation de Jamestown, et fait partie de l’univers mental des juristes américains17. Dès lors, la guerre d’Indépendance entraine l’appropriation de la notion par les insurgés. À l’été 1781, pour la première fois, la législature de Virginie fait ainsi une proclamation de martial law, suivie par celle de Caroline du Nord18. La notion apparaît également dans les débats autour des premières constitutions des colonies nouvellement indépendantes. Ainsi de la convention provisoire de New York, qui prévoit la possibilité de martial law contre les espions et les saboteurs19. Des décennies plus tard, lorsque les États-Unis font face à leur tour à la question de l’emploi de la force armée contre les insurrections, la notion revient naturellement. L’épisode des rébellions au Rhode Island en 1842 en témoigne, qui donne lieu à une déclaration formelle de martial law par l’assemblée de l’État afin de mater les insurrections20.

Tout au long du xixe siècle s’observe ainsi, des deux côtés de l’Atlantique, une construction en parallèle de deux notions visant le même but : encadrer juridiquement l’emploi du feu et de l’acier pour rétablir l’ordre face à des populations civiles en armes. À cet égard, si la martial law américaine dérive certes de la martial law anglaise, elle s’en détachera largement pour donner naissance à un régime juridique propre aux États-Unis. De même, l’état de siège français connaîtra une évolution importante, qui en fera un régime aux ressemblances seulement nominales avec le service des places de guerre qui lui a donné naissance. Dans cette élaboration progressive d’un régime juridique précis et encadré, la martial law et l’état de siège traverseront une histoire similaire. Cela se comprend aisément : nés tous les deux du monde militaire (le champ de bataille du roi anglais, les places de guerre du roi de France), détournés aux mêmes fins (faire feu sur une foule de civils armés), ils partagent la même tension fondamentale : comment encadrer juridiquement la violence des armes, quand cette violence apparaît comme la seule solution pour ramener l’ordre ?

Les États-Unis et la France ont tenté de répondre à cette question par la construction de deux notions historiquement fonctionnelles (1.), dont le régime s’est stabilisé au tournant du xxe siècle (2.), avant de finalement tomber en désuétude en droit contemporain.

1. La construction historique de deux notions fonctionnelles

L’histoire de la loi martiale, tant anglaise qu’américaine, et celle de l’état de siège français font apparaître de nombreux points communs. Il s’agit à chaque fois de notions nées de la guerre, et même, plus précisément, du champ de bataille lui-même (1.1.). Elles charrient donc, dès l’origine, un caractère d’exceptionnalité qui a eu pour conséquence la tentative d’en faire, une fois tournées vers la population civile, des synonymes d’arbitraire (1.2.).

1.1. Des notions nées du champ de bataille et détournées par analogie

La loi martiale et l’état de siège ont le gout du sang, et ont en commun d’avoir été détournés de leur champ originel d’application. Un retour aux origines de ces notions permettra de comprendre que cette mutation – du champ de bataille vers la rue – est une réalité ancienne, et qu’elle s’est faite au prix d’une évolution comparable de leurs logiques juridiques.

Le privilège de l’ancienneté en la matière revient sans conteste à la martial law anglaise. Le terme apparaît sous la dynastie Tudor, il est attesté pour la première fois dans les documents légaux en 1530, pour désigner les pouvoirs confiés par commission royale à certains hauts personnages du royaume21. À l’époque, il ne s’agit cependant pas d’une innovation. Le terme « martial law » renvoie au contraire à un régime juridique déjà bien connu et vieux de plusieurs siècles, qui trouve simplement ici la formulation qui fera date et s’installera. Pour comprendre cela, l’étymologie du terme doit arrêter l’attention. Contrairement à ce qu’une lecture hâtive des grands classiques anglais du xviiie siècle pourrait laisser penser, le terme « martial » de « martial law » ne fait pas référence à la divinité romaine de la guerre. La « loi martiale » n’est pas la « loi de Mars », laquelle désignerait par analogie une sorte de violence arbitraire sur le champ de bataille22. Il s’agit au contraire de la transformation linguistique d’une formule beaucoup plus concrète : ce qui entrera dans l’histoire à l’époque Tudor comme la martial law n’est rien autre qu’une institution ancienne du droit anglais, à savoir la law of the marshal23.

Le marshal est une autorité militaire remontant à l’époque médiévale, où il était l’un des adjoints du constable. Ce dernier, en sa qualité de chef de l’ost royal, est responsable de la bonne tenue des troupes convoquées, et possède pour remplir cette mission une compétence de nature juridictionnelle sur tous les gens d’armes appelés à l’ost. Cette compétence est précise : toute personne en armes se trouvant dans un rayon de 20 miles autour de la bannière levée du roi est soumise à la juridiction du constable. Ce pouvoir a une vocation elle-aussi précise : assurer la discipline de la troupe, et sa bonne conduite face à l’ennemi24. Le constable délègue en pratique ce pouvoir à ses marshals, lesquels prennent de plus en plus d’importance, pour finir par remplacer le constable quand cette institution disparaît au début de la période Tudor. Comprise dans son sens médiéval strict, la law of the marshal, qui donnera naissance à la martial law, désigne donc une compétence de nature juridictionnelle, sur les gens d’armes au service du roi, dans le but d’assurer leur bonne tenue en campagne.

Pour autant, la martial law ne saurait être confondue avec le droit militaire, au sens d’un corpus de règles applicables uniquement aux hommes de l’ost. Les juristes de la période Tudor en sont conscients, qui renoncent dans leurs textes rédigés en latin à traduire martial law par la lex martialis romaine, et choisissent au contraire de conserver le terme anglais, pour bien marquer sa spécificité25. Dès l’époque médiévale, en effet, la compétence juridictionnelle du constable et de ses marshals connaît une extension, en ce qu’elle est très tôt utilisée comme instrument de répression. L’idée est simple : pour lutter contre ses nobles révoltés, le roi lève sa bannière et leur livre bataille. Un noble, pris les armes à la main sur le champ de bataille, tombe dès lors sous la juridiction du constable, lequel le reconnaîtra en état de trahison. Conformément à la law of arms, un individu convaincu de trahison par « commune renommée » (difficilement contestable dans la mesure où il est saisi sur le lieu même de la bataille…) sera condamné à mort et exécuté sur le champ, sans droit à un procès devant un jury de pairs26. Cette extension du champ de la law of the marshal passe ensuite dans les commissions royales de l’époque Tudor à travers la définition donnée au pouvoir de martial law. Ainsi, recevoir une commission de martial law signifie recevoir la compétence de « juger comme le marshal », et cela se comprend, certes, comme l’autorité sur les gens d’armes du roi, mais aussi, et surtout, comme le pouvoir d’appliquer la law of arms pour exécuter sans procès les rebelles à l’autorité royale pris les armes à la main27.

À partir de cette époque, l’autonomisation de la notion par rapport au champ de bataille se développe encore davantage avec la distinction qui apparaît dans les années 1550 entre la loi martiale plénière et la loi martiale sommaire. La première désigne en quelque sorte le reliquat originel, et comprend la compétence de juger les crimes et délits commis au sein de la troupe. La seconde, quant à elle, connaît une utilisation massive, en ce qu’elle finit par englober le pouvoir d’exécuter sur le champ, sans procès, n’importe quel voleur, fuyard, vagabond et autres gens « sans aveu », attrapés dans une localité en proie à des troubles28. Au début du xviie siècle, la summary martial law s’impose comme l’instrument par excellence de répression des troubles armés : elle passe entre les mains des lord-lieutenants, qui reçoivent par commission le pouvoir de execute martial law, et qui en confient la mission aux provost marshals, lesquels deviennent de véritables autorités de police extraordinaire chargées de ramener l’ordre par la violence.

Le lien originel avec le champ de bataille a donc très vite été dépassé en ce qui concerne la martial law. En France, il en va de même pour l’état de siège, en particulier si on inscrit l’institution dans la continuité de la législation d’Ancien Régime sur la conservation des places de guerre. Formellement, il convient ici de rappeler que l’état de siège en tant que notion juridique apparaît avec la loi précitée des 8 et 10 juillet 1791 concernant la conservation et le classement des places de guerre et postes militaires. Comme l’explique Sébastien Le Gal, les archives conservées sur les discussions autour de cette loi montrent que l’enjeu principal du texte concerne bien les places, dont il s’agit de confirmer l’intérêt militaire en les dotant d’un cadre juridique leur permettant de remplir leur rôle opérationnel. En 1791, quand l’état de siège est créé, ses effets en termes de compétences extraordinaires reconnues à l’autorité militaire sont tout à fait secondaires. Il ne s’agit que des conséquences de la nécessité du service des places en présence de l’ennemi29. Plus précisément, l’état de siège ne sert qu’à mettre l’organisation des places de guerre héritées de l’Ancien Régime en conformité avec les règles nouvellement proclamées de cantonnement de l’autorité militaire. Sous le régime des ordonnances royales de 1750 et 1768, l’organisation des places de guerre était en effet subordonnée au besoin du commandement, et il s’agissait là du critère essentiel de distinction avec les villes dites « de l’intérieur ». À la différence de ces dernières, les places de guerre étaient sous l’autorité d’un gouverneur militaire, à qui appartenait la responsabilité de maintenir en toutes circonstances la place en état de résister à l’ennemi30. La loi des 28 février et 21 mars 1790, en opérant la séparation des fonctions militaires avec les fonctions de police, rend obsolète ce modèle : des citoyens civils ne sauraient être soumis à l’autorité d’un gouverneur militaire pour la simple raison qu’ils résident dans une ville de frontière pourvue d’une garnison. C’est pour cette raison que la loi de 1791 invente l’état de siège. Celui-ci correspond en définitive à la circonstance, exceptionnelle, dans laquelle la présence de l’ennemi oblige à rendre une ville forte à sa vocation militaire, l’idée étant qu’elle doit fonctionner sinon selon les règles ordinaires de cantonnement de l’autorité militaire.

Aux origines du dispositif de l’état de siège se trouvent donc les nécessités opérationnelles d’une guerre d’un genre particulier : la guerre de siège. Et à cet égard, un phénomène semblable à celui qui a présidé à l’évolution de la martial law anglaise était déjà repérable sous l’Ancien Régime.

La « place de guerre » des ordonnances n’était pas définie dans l’abstrait, mais par la présence d’un état-major de place, c’est-à-dire par l’existence d’un commandement militaire, affecté à la place, et mis sous l’autorité d’un gouverneur nommé par le roi31. Autrement dit, les pouvoirs exorbitants reconnus au commandement militaire selon la législation des places de guerre étaient liés à la nomination concrète d’un gouverneur par le roi bien plus qu’à la réalité objective, opérationnelle, de la ville en question. Ainsi, la tentation était grande pour le pouvoir royal d’en faire un dispositif de répression en cas de graves troubles à main armée. À plusieurs reprises, les archives font ainsi état de la nomination de « commandants », qui étaient dotés des pouvoirs de gouverneurs de place, dans des villes qui n’étaient nullement des places fortes. L’épisode connu sous le nom de « guerre des farines » en 1765 à Paris en fournit une illustration remarquable. Pour ramener l’ordre dans sa capitale traversée de graves émeutes, le roi confia au maréchal de Biron le « commandement de la ville de Paris et de ses environs » en visant l’ordonnance de 1733, relative aux places de guerre32.

Le « débordement » de la législation royale des places de guerre sur le maintien de l’ordre n’a jamais atteint le degré de systématisation de la martial law anglaise. Il témoigne cependant de la tentation historique d’utiliser ce qui était originellement une institution destinée à la guerre contre l’ennemi étranger, pour en faire un instrument intérieur contre des civils révoltés, exceptionnellement traités comme des ennemis domestiques. En France, c’est avec l’état de siège issu de la loi de 1791 que ce débordement va se systématiser, et cela ne se fera pas sans un basculement majeur dans la logique du dispositif.

Déjà dans la législation royale des places de guerre, et encore dans la loi de 1791, c’est une logique de pur fait qui commande l’action de l’autorité militaire. Le « siège » d’une place de guerre n’est pas défini juridiquement sous l’Ancien Régime. Il s’agit d’une réalité opérationnelle, née de l’action de l’ennemi, face à laquelle le gouverneur prend les mesures pour « sauvegarder son honneur », c’est-à-dire mettre la place en état de repousser l’ennemi33. La loi de 1791, quant à elle, ne peut échapper à la définition du siège, en ce que sa survenue entraine désormais une conséquence juridique : le passage de la place sous l’autorité du commandement militaire. La même logique objective est cependant à l’œuvre, car l’état de siège reçoit une définition technique. La place se trouvera en état de siège, soit par la rupture des communications par l’ennemi à une distance de 1800 toises du chemin couvert, soit par le début des attaques. L’état de siège n’est donc pas déclaré, il est simplement constaté comme une réalité opérationnelle imposée par l’action de l’ennemi. Dans le même ordre d’idées, l’état de siège n’a pas de procédure pour être levé, il cesse tout simplement lorsque le siège est physiquement levé par l’ennemi, c’est-à-dire quand les troupes cessent les attaques contre la place et se retirent34.

Pour que le dispositif juridique de l’état de siège soit repris dans un contexte de maintien de l’ordre, cette dimension objective doit être transformée. Cela se fera par la lente élaboration de ce que la doctrine publiciste du début du xxe siècle nommera plus tard « l’état de siège politique » ou « fictif35 ». Dans un premier temps, la législation révolutionnaire hésite, comme en témoignent les décrets du 26 mai 1792 puis du 18 juillet 1795. Le premier élargit la liste des places de guerre pour y inclure les villes de l’intérieur touchées par les insurrections, mais toujours avec une dimension objective. Ne sont visées que les villes effectivement touchées par les opérations des insurgés, ou susceptibles de l’être au vu de la situation militaire concrète. De même, le décret de 1795, s’il déconnecte formellement le régime de l’état de siège de la classification en qualité de place de guerre, prévoit tout de même des conditions objectives liées à des actions armées constatées à une certaine distance de la ville36. La rupture sera le fait de la loi du 19 fructidor an V (5 septembre 1797), prise au lendemain du coup d’État du 18 fructidor, et qui prévoit pour la première fois la mise en état de siège sans considération des circonstances objectives de la ville37.

À partir de cette date, la logique de l’état de siège change radicalement. Il ne s’agit plus de la conséquence juridique d’une situation de fait objectivement constatée, mais d’un régime de légalité exceptionnelle faisant l’objet d’une déclaration. Des siècles auparavant, la même transformation s’était observée en Angleterre en ce qui concerne la martial law. De ses origines au sein de l’ost médiéval, la loi martiale conserve en effet une dimension objective, en ce que la law of the marshal s’applique à une réalité factuelle : l’assemblée physique des gens d’armes autour de la bannière levée par le roi. Dès lors, la martial law se construit originellement selon une logique objective, liée à des circonstances de fait. Ainsi en 1405, l’exécution de Henri de Boynton par law of the marshal est justifiée par une situation de guerre, matérialisée en l’espèce par des coups de feu tirés depuis sa forteresse38. Cette appréhension objective du champ de la loi martiale s’éclipse cependant à l’époque Tudor avec la pratique déjà évoquée des commissions aux lords-lieutenants. Désormais, la martial law n’est plus liée à une situation de guerre, elle est une compétence extraordinaire confiée à un personnage. Symbole de cette transformation, les provost marshals désignés par les lords-lieutenants pour rétablir l’ordre dans les localités en proie aux troubles ont l’obligation de faire des proclamations publiques de leurs pouvoirs de loi martiale39.

En définitive, pour la martial law, comme pour l’état de siège politique, c’est l’existence d’une déclaration qui marque la mutation de l’institution. Dans leurs origines militaires, ni l’un ni l’autre ne se déclare, ils sont la simple conséquence d’une circonstance de fait. En revanche, extraits du monde de la guerre pour entrer dans celui de la lutte contre les insurrections, ils deviennent des régimes juridiques venant suspendre, temporairement, l’empire de la légalité ordinaire. L’objectif est le même : quand le recours à la troupe apparaît comme le seul moyen pour rétablir l’ordre public dans une localité déterminée, celle-ci est soumise à un régime dérogatoire par déclaration de l’état de siège ou proclamation de la loi martiale. Du constat de cette évolution naît dès lors une question, celle des conséquences attachées à la mise en vigueur de cette légalité extraordinaire.

1.2. Une tentation d’arbitraire repoussée par le droit

Sur le champ de bataille, on tire sur l’ennemi pour le tuer, et on passe le traître par les armes. L’idée d’une translation de la loi martiale et de l’état de siège au domaine de la lutte contre les insurrections est d’en faire de même face aux citoyens rebelles. Prise au pied de la lettre, cette logique conduit alors au constat d’une suspension de la légalité ordinaire, et son remplacement par l’arbitraire des armes. Les écrits de Carl Schmitt planent en conséquence sur la réflexion, qui amènent à voir la loi martiale et l’état de siège comme de simples habillages pseudojuridiques du surgissement du pouvoir souverain. Derrière les histoires et les traditions juridiques différentes, les deux notions recouvriraient la même essence philosophique : celle de l’état d’exception, au sens de Giorgio Agamben40.

Retournant à l’histoire, cette tentation de faire de l’état de siège et de la loi martiale des synonymes d’arbitraire se retrouve effectivement. Cependant, force est de constater qu’elle n’a pas prévalu. Au contraire, il ressort de la construction parallèle des deux notions une volonté nette, de part et d’autre de la Manche et de l’Atlantique, d’en faire de véritables régimes, saisis et encadrés par le droit.

Il est possible de faire remonter cette tradition de résistance à l’arbitraire au xive siècle, avec la célèbre affaire de Thomas de Lancastre. Ce dernier est exécuté par law of the marshal en 1322, mais le Parlement casse sa condamnation cinq ans plus tard. Il estime en effet que le marshal a outrepassé sa compétence, en l’absence d’éléments matériels attestant de la réalité d’une situation de guerre41. Toute l’histoire de la martial law anglaise est d’ailleurs marquée par cette volonté d’encadrement, qui s’inscrit dans la confrontation classique entre le trône et le Parlement. La Petition of Right de 1628 inaugure ainsi une tradition d’encadrement strict des commissions de martial law, à partir duquel les contentieux se multiplient tout au long du siècle sur les conditions dans lesquelles un commissaire peut utiliser ses pouvoirs, et les conséquences qui s’y attachent. Le procès du comte de Strafford en 1641 est par exemple cité dans de nombreuses pétitions : ce général est condamné en common law pour avoir exécuté un de ses soldats par martial law, alors que le royaume était en paix. La martial law n’a donc rien d’un « état d’exception » : elle est au contraire une branche de la law of the land, saisie et conditionnée par la common law et les Acts of Parliament42.

Le cantonnement de la loi martiale à l’intérieur de l’ordre juridique se manifeste de manière encore plus spectaculaire à l’occasion de sa réception dans le contexte de la Constitution des États-Unis. La martial law est employée pour la première fois dans ce cadre en 1812 pendant la guerre anglo-américaine par le général Andrew Jackson, lors de la bataille de la Nouvelle-Orléans. La mise en œuvre de la loi martiale dans la ville donne alors lieu à une confrontation chimiquement pure entre, d’un côté, une conception arbitraire du pouvoir militaire et, de l’autre, une volonté d’astreindre la loi martiale au respect de l’ordre constitutionnel.

Tout commence par l’arrestation d’un journaliste ayant publié un article jugé séditieux par le général Jackson. En réaction, le journaliste dépose un writ d’Habeas corpus devant le juge fédéral de la ville, qui ordonne aussitôt sa libération au motif que l’autorité militaire ne détient aucune compétence sur les civils. Le général ne se laisse pas impressionner : il donne l’ordre aux soldats de se saisir du juge, et de l’expulser de la ville pour incitation à la mutinerie. Le juge en conçoit une rancœur compréhensible. À la fin de la guerre, le magistrat fait son retour en ville et convoque le général pour contempt of court. À nouveau, Jackson ne se démonte pas. En grand uniforme, acclamé sur son passage, le général victorieux comparait et explique n’avoir fait que son devoir. Le juge n’est évidemment pas convaincu et condamne Jackson à mille dollars d’amende pour outrage à la cour. Le général règle le montant sur le champ et sort sous les applaudissements, refusant même l’offre des dames de la ville de le rembourser43.

Force est donc resté, sur le papier du moins, au droit : la proclamation de martial law par le général Jackson était illégale, ce que les tribunaux supérieurs de Louisiane vont d’ailleurs confirmer44. L’histoire ne s’arrête pas là, car l’affaire fait grand bruit jusqu’au Congrès des États-Unis, qui prend en 1844 la décision extraordinaire de rembourser avec intérêt l’amende infligée au général, en prenant néanmoins soin de ne pas approuver le principe de la martial law45. En d’autres termes, le général a bien commis une illégalité, mais il l’a fait au nom de la suprême nécessité. L’amende pour outrage à la cour est donc justifiée, mais l’honneur commande de la rembourser.

L’ordre juridique des États-Unis d’Amérique était donc très mal à l’aise avec la martial law, dès sa première utilisation. Pour sa seconde apparition, en 1842 au Rhode Island, c’est au tour de la Cour suprême de s’y confronter, et elle le fait avec timidité. Dans son arrêt Luther v. Borden de 1849, la majorité des Justices se contente de reconnaître la possibilité pour un État de recourir, de manière exceptionnelle, à la martial law pour sauvegarder l’ordre en cas de troubles graves, à la simple condition que cela n’aboutisse pas à la mise en place d’un « gouvernement militaire » permanent46. Il faut attendre l’utilisation de la loi martiale pendant la guerre de Sécession pour que la Cour suprême se saisisse enfin à bras le corps des enjeux, ce qu’elle fait dans son grand arrêt Ex-parte Milligan47. Et cette fois, la Haute Cour n’a pas la plume tremblante. Elle commence en effet par expliciter la conception absolutiste de la martial law comme le pouvoir de l’autorité militaire de « substituer la force au droit et de punir toute personne ainsi qu’elle le désire, sans règles fixes48 » et affirme solennellement qu’une telle logique est frontalement incompatible avec les principes constitutionnels des États-Unis49. Ce faisant, la Cour inscrit la martial law dans le cadre de la Constitution de 1787. Elle l’interprète comme un pouvoir appartenant à l’exécutif en tant que commandant en chef des armées, avec la conséquence qu’il ne peut s’exercer que dans les limites que la Constitution impose à l’exécutif. Ex-parte Milligan ne laisse donc plus de place au doute. La loi martiale n’est pas la suspension du droit, elle s’inscrit au contraire en son sein, et dans les limites prescrites par la Constitution.

Pendant ce temps, de l’autre côté de l’Atlantique, au pays de l’état de siège, la même tendance se dessine. Cela n’allait pas de soi. Au début de la Restauration, l’état de siège est en effet compris comme un synonyme d’arbitraire. En témoigne par exemple un télégraphe du 6 mai 1816, envoyé au préfet de l’Isère par le ministre de la Police Decazes : « le département de l’Isère doit être regardé comme étant en état de siège ; les autorités civiles et militaires ont un pouvoir discrétionnaire50 ». À Grenoble, cet état d’esprit se traduit à la même époque par des arrêtés ordonnant la mise à prix de certains individus, l’arrestation « pour être passé par les armes » des conspirateurs, et la démolition de leurs maisons51. Même idée en 1832, lors de la mise en état de siège de Paris, décidée sur le rapport de Montalivet, où l’on trouve la formule selon laquelle cela signifie la « mise hors la loi de la loi tout entière52 ». Cette fois, cependant, les tribunaux ne s’en laissent pas compter.

La Cour de cassation, par un arrêt Geoffroy du 29 juin 1832, marque la fin de la conception arbitraire de l’état de siège, et opère sa réintégration dans l’ordre juridique53. En l’espèce, le sieur Geoffroy a été déféré devant un conseil de guerre et condamné à mort. Les hauts magistrats cassent le jugement, au motif que la mise en état de siège ne pouvait se faire qu’en conformité avec les dispositions de la Charte constitutionnelle. Or, la Cour interprète les articles 53 et 54 de celle-ci comme excluant la compétence des conseils de guerre sur les civils54. Cela revient donc, pour la plus haute juridiction judiciaire, à affirmer que l’état de siège ne suspend nullement le droit, il doit au contraire s’y conformer. Cette volonté d’inscrire l’institution dans le droit trouve ensuite sa consécration avec l’assemblée constituante de 1848, qui inscrit l’état de siège dans l’article 106 de la Constitution, et renvoie à une loi le soin d’en déterminer le régime. Celle-ci intervient le 9 août 1849, donnant enfin à l’état de siège un contenu et un cadre législatif précis.

Les États-Unis ne connaissent pas l’équivalent pour la martial law de la loi de 1849 sur l’état de siège. Il revient dès lors à la jurisprudence de fixer le régime de la loi martiale, une tâche à laquelle la Cour suprême s’attèle avec méthode dès son arrêt Ex-parte Milligan. Par l’action du juge aux États-Unis, et du législateur en France, ni la loi martiale, ni l’état de siège ne s’imposent donc comme des équivalents philosophiques de l’état d’exception. Tout au contraire, ils se dessinent l’un et l’autre comme des outils juridiques précis et encadrés de lutte, par les armes, contre les insurrections.

2. Des régimes stabilisés d’emploi de la force armée contre les insurrections

L’encadrement par le droit de la loi martiale et de l’état de siège se matérialise à trois niveaux. D’abord, les deux obéissent à des conditions pour pouvoir être légalement déclenchés, tant en ce qui concerne les autorités habilitées à prendre cette décision (2.1.) que les circonstances dans lesquelles elles peuvent le faire (2.2.). Ensuite, loi martiale et état de siège sont limités quant à leurs conséquences, l’un et l’autre n’ouvrant que des compétences déterminées et encadrées à l’autorité militaire (2.3.).

2.1. Qui ? Le déclenchement de l’état de siège et de la loi martiale saisi par le droit

« Si [la Constitution] autorise la suspension de l’Habeas corpus dans certains cas, elle admet aussi implicitement l’application de la loi martiale quand, dans l’éventualité de rébellions ou d’invasion, la sécurité publique le nécessite. À qui la déclaration de cette loi martiale incombe-t-elle ? Au gardien de la sécurité publique – à celui auquel revient la conduite des opérations contre l’ennemi ».

Ainsi s’exprime le général Andrew Jackson dans son ordre de marche du 14 mars 1815, pour justifier sa proclamation de loi martiale dans la Nouvelle-Orléans55. Sans ambiguïté, le général affirme donc qu’il lui appartient à lui, autorité militaire, de se saisir, par la loi martiale, de tous les pouvoirs nécessaires à la victoire. Cette prétention est cependant contredite catégoriquement par la Maison-Blanche. Le secrétaire à la guerre Dallas publie en ces termes la réponse officielle de l’administration du président Monroe : si un commandant militaire déclare la loi martiale, il peut certes se réclamer de la « loi de la nécessité » pour « sauver son pays », mais sans pouvoir trouver aucune justification dans le droit (« he cannot resort to the established law of the land56 »).

Le président Jackson reste isolé. Dans les hypothèses suivantes de loi martiale sur le territoire américain, l’autorité militaire n’intervient plus qu’au stade de l’exécution. La décision de mettre la loi martiale en vigueur, elle, demeure à chaque fois l’apanage du pouvoir civil57. Dans Ex-parte Milligan, la Cour suprême affirme à cet égard avec solennité que le cantonnement de l’autorité militaire dans un simple rôle d’exécutant, et non de décideur, découle directement du principe de suprématie civile sur la force armée. Dans le cas contraire, en effet, la loi martiale aurait pour effet de « détruire toute garantie de la Constitution et rendre l’armée indépendante et supérieure au pouvoir civil58 ».

De l’autre côté de l’Atlantique, il en va de même en ce qui concerne l’état de siège. Ainsi que cela a été vu dans la partie précédente de cette étude, les exemples historiques montrent que l’autorité civile était toujours à l’initiative, au moins depuis la période de la Restauration59. Ce point ne fait d’ailleurs aucunement débat à l’occasion de la loi du 9 août 1849, qui donne à l’état de siège « politique » son premier régime précis. Commentant ladite loi dans son Traité, Léon Duguit ne s’y trompe pas, en affirmant que l’état de siège n’entraîne aucune conséquence sur les rapports entre l’autorité militaire et le gouvernement qui dispose d’elle : la force armée reste pleinement et entièrement soumise à ses chefs civils, et ne peut prendre aucune initiative. Elle n’acquiert que les compétences que la loi prescrit, dans les conditions dans lesquelles elle le prescrit, et sous l’autorité du gouvernement60. Ainsi, aucun officier ne peut prendre sur lui de déclarer l’état de siège61. De plus, même quand l’état de siège est déclaré, aucun officier n’échappe à sa soumission au pouvoir civil. Ce second aspect du cantonnement de l’autorité militaire se retrouve également dans la martial law, en ce qu’il découle logiquement de la structure même de la chaine de commandement militaire aux États-Unis. Le droit américain, à la différence du droit français, règle en effet l’enjeu de la relation entre pouvoir exécutif et autorité militaire en faisant du premier le commandant en chef des armées. En d’autres termes, le président des États-Unis est une autorité militaire, il est l’autorité militaire suprême et fait connaître ses ordres par l’exercice d’un pouvoir de commandement de même nature que celui d’un officier supérieur sur un officier subalterne. Il n’est donc nulle question que la force armée échappe sous loi martiale au pouvoir civil, dans la mesure où le président demeure toujours le commandant en chef62.

Loi martiale et état de siège s’inscrivent donc dans le respect de la suprématie du pouvoir civil. Reste à déterminer quelle institution, au sein du pouvoir civil, détient la compétence de mettre en vigueur ce régime. Historiquement, en Angleterre, il s’agit d’un point de tension majeur entre le roi et les parlementaires. Il en ressort une limitation du pouvoir royal de martial law au temps de guerre, couplée d’une interdiction en temps de paix sauf décision contraire du Parlement63. Le contexte américain est différent, qui inscrit dès l’origine la martial law sous le chapeau de la suspension de l’Habeas Corpus. En conséquence, le débat sur la compétence de déclarer la loi martiale constitue une dimension de la controverse, beaucoup plus vaste, autour de la compétence de suspendre l’Habeas Corpus64. À cet égard, à l’occasion de la guerre de Sécession, la loi martiale est d’ailleurs mobilisée pour défendre la décision du président Lincoln de suspendre l’Habeas Corpus avant d’y avoir été formellement autorisé par le Congrès. L’idée en est simple : le président, en tant que commandant en chef, peut déclarer la loi martiale ; la loi martiale est incompatible avec l’Habeas Corpus en ce qu’elle entrave la compétence des juridictions ordinaires ; le président doit donc avoir la compétence de suspendre l’Habeas Corpus. Cette question est au cœur de l’arrêt Ex-parte Milligan et entraîne des conséquences importantes quant à l’étendue des pouvoirs reconnus à l’autorité militaire en loi martiale65. En ce qui concerne ici le pouvoir de déclarer la loi martiale, il est résumé de la manière la plus simple dans l’opinion du Chief Justice par la définition qu’il retient de la loi martiale : celle-ci est mise en vigueur par le Congrès ou, de manière temporaire, par le président, si l’urgence le justifie, en cas d’insurrection, d’invasion, ou de guerre étrangère ou civile66.

Aux États-Unis, la loi martiale peut ainsi être considérée comme à cheval entre l’exécutif et le législatif67. En France, il en va différemment pour l’état de siège. Dans un premier temps, la loi du 19 fructidor an V, déjà citée, qui inaugure l’ère de l’état de siège « fictif », en confie la compétence au Directoire exécutif68. La logique reste la même jusqu’à la révolution de 1848, quand le retour de la République marque une rupture déterminante. L’Assemblée constituante confie certes le pouvoir exécutif au général Cavaignac, mais décide dans le même temps de déclarer elle-même l’état de siège devant les émeutes liées à la fermeture des ateliers nationaux. Il s’agit pour les parlementaires d’affirmer que seule la représentation nationale dispose d’une telle compétence. Les évènements confirment cette position. Comme cela a déjà été évoqué, la Constitution de la Deuxième République appelle à l’adoption d’une loi pour fixer le régime de l’état de siège, mais celle-ci n’intervient pas dans la foulée. En juin 1849, la question de l’autorité compétente pour déclarer l’état de siège se repose donc, à l’occasion des troubles parisiens liés à la décision de soutenir militairement la papauté contre la République romaine. De manière significative, le président Bonaparte demande à l’Assemblée la mise en état de siège de Paris, plutôt que de la déclarer sous sa propre autorité69. La loi du 9 août 1849 grave la logique dans le marbre, en établissant dans son article 2 la compétence exclusive de l’Assemblée nationale pour déclarer l’état de siège70.

Le coup d’État du 2 décembre 1851 acheva de discréditer le pouvoir exécutif, en ce que l’état de siège – illégalement déclaré par le prince-président – fut un instrument déterminant de la répression71. L’installation de la IIIe République ne peut donc que signifier le retour à la logique d’une compétence parlementaire. La lecture de la loi du 3 avril 1878 confirme cette idée, mais cette fois, un impératif d’équilibre apparaît. Les chambres des lois constitutionnelles de 1875 ne sont plus permanentes, sans oublier que l’une d’entre elles peut désormais faire l’objet d’une dissolution. La nécessité d’adapter le mécanisme de déclenchement de l’état de siège à cette nouvelle réalité institutionnelle donne dès lors l’occasion à l’exécutif de retrouver une place72. Pour autant, la compétence exécutive demeure subsidiaire. L’article 1er de la loi commence en effet par affirmer que l’état de siège ne peut être déclaré que par une loi, et que le président peut uniquement agir en cas d’ajournement des chambres (article 2). Celles-ci se réunissent alors de plein droit, et décident du maintien ou de la levée de l’état de siège (article 5)73.

Au tournant du xxe siècle, la question de la compétence pour déclencher l’état de siège et la loi martiale peut être considérée comme résolue. En France, l’exécutif apparaît solidement corseté par le législatif, ce qui n’est pas le cas du président américain, auquel la Cour suprême reconnaît une latitude plus importante, malgré une affirmation de principe quant à la compétence du Congrès.

2.2. Quand ? Les circonstances de l’état de siège et de la loi martiale encadrées par le droit

La translation de l’état de siège et de la loi martiale depuis le champ de bataille vers la rue se justifie par leur dimension finaliste. L’un et l’autre sont des instruments, entre les mains du pouvoir civil, lorsque celui-ci fait face à des troubles domestiques nécessitant à ses yeux le déploiement de la force armée. Ce constat amène aussitôt la question de la définition de ces troubles domestiques, et on comprend aisément qu’il s’agit là d’un enjeu déterminant de l’encadrement juridique des deux régimes. Quelles sont les circonstances dans lesquelles l’état de siège et la loi martiale peuvent être employés, et ces circonstances font-elles l’objet d’un contrôle juridictionnel ?

La première de ces questions est au cœur des discussions françaises autour de la loi du 9 août 1849. Le projet initial proposait la notion « d’insurrection » comme condition mise à l’emploi de l’état de siège, mais les débats révèlent qu’elle fut jugée trop imprécise74. Le texte adopté par l’Assemblée retient à la place l’idée du « péril imminent pour la sécurité intérieure ou extérieure75 ». L’accent est donc mis sur l’urgence davantage que sur la qualification précise de l’évènement en question : ce qui compte est moins le trouble en lui-même que ses conséquences potentielles. Il y a lieu à déclarer l’état de siège non quand un trouble grave éclate, mais quand ce trouble grave fait peser un « péril imminent » à la sécurité du pays. Reste que le trouble lui-même n’est pas défini, et ce flou demeure jusqu’à la loi du 3 avril 1878. Celle-ci saisit en effet l’occasion de l’adaptation du mécanisme aux nouvelles institutions de la IIIe République pour remettre sur le métier la question des circonstances pouvant donner lieu à l’état de siège. À nouveau, les débats parlementaires sont complexes, mais il en ressort la nécessité de qualifier le trouble, ce qui est fait avec le retour de la notion d’« insurrection76 ». Ainsi, la nouvelle mouture de l’état de siège le conditionne au cas de « péril imminent résultant d’une guerre étrangère ou d’une insurrection armée77 ». La loi de 1878 opère donc une combinaison de deux critères : le trouble domestique doit être d’un certain type – il doit s’agir d’une insurrection à main armée – et faire peser un péril imminent. Le texte ne précise pas de quel péril il s’agit, mais il est aisé de comprendre que c’est la logique de 1849 qui est reprise sur ce point : c’est d’un péril pour la sécurité du pays dont il est question.

Aux États-Unis, la définition des circonstances de proclamation de la loi martiale tourne elle aussi autour des mêmes termes. Déjà dans Luther  v. Borden en 1849 apparaît la même formule que sous la plume des parlementaires français : « insurrection armée » (armed insurrection)78. La Cour suprême dans cet arrêt se retranche ensuite derrière l’appréciation des autorités de l’État. C’est à ces dernières d’interpréter les circonstances de fait, et d’estimer si cette insurrection armée est « trop forte pour être contrôlée par l’autorité civile », c’est-à-dire si elle est « si formidable et si étendue » qu’une déclaration de loi martiale est « requise79 ».

S’agissant aux États-Unis d’une définition jurisprudentielle, la question des conditions de déclenchement de la loi martiale est intimement liée, dès l’origine, à celle du contrôle juridictionnel. À cet égard, malgré une déférence qui demeure envers les autorités politiques en ce qui concerne la déclaration de loi martiale elle-même80, la jurisprudence ne va pas hésiter à développer son contrôle. L’arrêt Sterling v. Constantin, rendu en 932, en fournit une illustration remarquable. En l’espèce, le gouverneur du Texas avait fait usage de la loi martiale dans un contexte de tension sur les prix du pétrole, afin d’interdire par décret la production sur de nouveaux sites de forage. La Haute Cour ne se laisse cependant pas impressionner, et décide de passer outre la revendication de la loi martiale : peu importe, pour les Justices, au nom de quoi le gouverneur prétend justifier son décret, la Cour en apprécie la constitutionnalité et aboutit à un constat de non-conformité81. En d’autres termes, même si la Cour suprême ne censure pas frontalement l’emploi de la loi martiale, son raisonnement aboutit à en neutraliser les effets. Ainsi, les autorités politiques ne peuvent plus s’abriter absolument derrière une proclamation de loi martiale : les juges se reconnaissent compétents pour « lever le voile » et considérer la réalité objective des circonstances afin, le cas échéant, de faire obstacle aux mesures outrepassant la nécessité82.

L’attitude des juridictions françaises face à l’état de siège est comparable. La déclaration elle-même, dans la logique de la IIIRépublique, ne saurait être discutée au contentieux. Suivant l’argumentaire de Édouard Laferrière, il s’agit en effet d’un acte de nature législative lorsque la déclaration est le fait de la loi, et d’un acte de gouvernement lorsqu’elle est le fait du président de la République en cas d’ajournement des chambres, et dans l’intervalle de la réunion de celles-ci pour statuer sur sa nécessité83. Cependant, l’immunité contentieuse ne s’étend pas aux mesures prises ensuite par l’autorité militaire. Dans un important arrêt Chéron du 5 juin 1874, le Conseil d’État a en effet affirmé que les arrêtés pris par les commandants d’état de siège sont susceptibles d’être contestés devant lui, et qu’ils sont soumis au même examen que les arrêtés civils84. En d’autres termes, l’état de siège emporte transfert des compétences des autorités civiles aux autorités militaires, mais non augmentation de leur contenu. Si l’autorité militaire prend un acte que l’autorité civile ordinaire n’aurait pas eu la compétence de prendre, elle encourra la censure du juge administratif85. Dans le domaine de compétence de l’autorité judiciaire, la Cour de cassation développe une jurisprudence similaire : ainsi pendant la Première Guerre mondiale, la haute juridiction n’hésite pas à censurer les jugements des conseils de guerre pour défaut de base légale, si ces derniers ont fondé les poursuites sur des arrêtés militaires excédant les compétences reconnues par l’état de siège86.

Il ressort donc de ces développements, consacrés aux circonstances de déclenchement que les autorités politiques ne peuvent disposer à leur guise de l’état de siège et de la loi martiale. Même si la décision de mise en vigueur n’est pas, en elle-même, susceptible de censure par les juges, ni l’état de siège ni la loi martiale n’empêche le contrôle juridictionnel de s’exercer au regard des circonstances concrètes. Ainsi, même sous le régime de l’état de siège et de la loi martiale, les décisions prises pour la lutte contre les insurrections font l’objet d’un contrôle du juge, qui neutralisera celles d’entre elles qui ne sont pas justifiées par les circonstances concrètes.

2.3. Quoi ? Des compétences militaires strictement encadrées

À ce stade de l’étude, il est bien établi que l’état de siège et la loi martiale ne sont pas des synonymes d’arbitraires. Pour autant, il ne saurait être question d’en minimiser les conséquences. L’un comme l’autre sont des instruments de lutte par les armes contre les insurrections, et cela se manifeste par la reconnaissance de compétences exceptionnelles à l’autorité militaire. Ces compétences forment en quelque sorte deux étages : en premier lieu, l’autorité militaire prend en charge le maintien de l’ordre au sens strict– la police ; puis, en second lieu, elle prend en charge le jugement des insurgés. Ces deux ensembles sont liés, en ce que la compétence juridictionnelle sert de garantie à l’exécution des mesures de police et permet à l’autorité militaire d’avoir la main sur toute la chaîne répressive. Cependant, si le premier étage ne fait guère l’objet de controverses, il n’en va pas de même pour le second. La fonction exécutive confiée aux militaires ne pose ainsi pas de difficultés, mais la délégation d’une fonction judiciaire ne se conçoit qu’au prix d’un encadrement sévère.

Quant au maintien de l’ordre, les lois françaises sur l’état de siège sont les plus explicites. L’article 7 de la loi du 9 août 1849 dispose ainsi simplement que « les pouvoirs dont l’autorité civile était revêtue pour le maintien de l’ordre et la police passent tout entiers à l’autorité militaire ». Il s’agit donc d’un transfert intégral, et qui porte sur toutes les dimensions du maintien de l’ordre et de la police. Il faut donc en conclure que l’autorité militaire prend en charge la police administrative, à la fois concrètement sur le terrain et juridiquement par l’exercice d’un pouvoir de réglementation. De même, elle prend en charge la police judiciaire, c’est-à-dire qu’elle mène les enquêtes, opère les perquisitions, ordonne les arrestations d’individus suspectés de crimes et de délits87. Aux États-Unis, des pouvoirs de même nature sont reconnus sous l’empire de la martial law. Son utilisation en 1892 en Idaho en fournit une parfaite illustration : la déclaration de martial law eut pour conséquence l’envoi de la troupe pour mater l’insurrection, puis pour maintenir l’ordre par sa présence physique, l’édiction de réglementation de circulation et l’arrestation des agitateurs. Une fois ces objectifs atteints, la loi martiale est révoquée, et la Cour suprême de l’État valide les mesures88.

Avec le pouvoir d’arrestation des individus suspects, on touche cependant à une limite ayant trait au sort des civils ainsi saisis par l’autorité militaire. La question brûlante de la compétence juridictionnelle apparaît, face à laquelle autant la France que les États-Unis refusent d’abandonner complètement le civil à la sévérité des juridictions militaires.

En droit français de l’état de siège, c’est l’article 8 de loi de 1849 qui fixe les conditions dans lesquelles les juridictions militaires seront compétentes vis-à-vis des civils. L’article 8 diffère grandement de l’article 7, relatif au maintien de l’ordre, en ce qu’il n’opère nullement un transfert pur et simple des compétences des tribunaux civils. Au contraire, dans le cas où l’état de siège est déclaré pour cause d’insurrection à main armée, les juridictions militaires ne se voient confier qu’une compétence d’attribution, réduite à une liste précise d’infractions89. Dans toutes les autres hypothèses, un civil arrêté par l’autorité militaire pour infraction aux règlements édictés par le commandant de l’état de siège doit être déféré devant les tribunaux civils, dans les conditions du droit commun90. Lorsque l’état de siège est déclaré pour lutter contre une insurrection à main armée, les civils ne sont donc pas abandonnés aux juridictions militaires.

Cette protection des civils contre la répression militaire doit néanmoins être nuancée dans les hypothèses d’insurrection de grande ampleur. L’exemple de la commune de Paris de 1871 le rappelle. Déjà, dès les premiers combats entre les communards et l’armée républicaine, près du Mont-Valérien le 2 avril, les insurgés pris les armes à la main sont fusillés sommairement91. Ensuite, ce sont les cours prévôtales qui, durant la « Semaine sanglante », mettent en forme l’emploi de la mitrailleuse et les « abattoirs » où l’on fusille à la chaîne92. Enfin, vingt-quatre conseils de guerre jugent les communards après la bataille, et prononcent plusieurs milliers de condamnations, dont 87 à mort93. L’état de siège dans sa forme juridique républicaine est donc loin d’offrir une immunité complète aux civils contre les juridictions militaires.

Le régime américain de la loi martiale se montre, pour sa part, plus pointilleux sur cette question. Il ressort en effet de l’opinion de la Cour suprême dans Ex-parte Milligan que, par principe, la loi martiale ne peut avoir pour effet de donner compétence aux juridictions militaires pour juger les civils, qui bénéficient d’une sorte d’immunité statutaire contre les cours martiales94. Cette immunité n’est cependant pas absolue, car la Cour reconnaît l’hypothèse d’une « fermeture » des juridictions civiles rendant impossible la remise des civils à leurs juges naturels, avec la conséquence que les cours martiales redeviennent compétentes. Cette distinction amène dans les décisions judiciaires postérieures l’émergence de deux types de loi martiale. La première, que la Cour suprême de Pennsylvanie est la première à appeler qualified martial law, se traduit par une collaboration entre l’autorité militaire et les cours civiles en fonctionnement : la force armée maintient l’ordre, arrête les perturbateurs, et les remet aux juges civils95. La seconde, qualifiée de punitive martial law, entraîne, quant à elle, la soumission des civils aux cours martiales, mais uniquement s’il est avéré que le fonctionnement des cours civiles est rendu impossible par les circonstances96. La Cour suprême des États-Unis reprend implicitement cette grille de lecture dans son arrêt Duncan v. Kahanamoku à propos de la déclaration de loi martiale à Hawaï en 1941. Sous la plume du juge Blake, elle interprète en effet l’Acte organique d’Hawaï prévoyant la loi martiale en conformité avec Ex-parte Milligan pour en conclure que la loi martiale ne saurait avoir pour effet de donner compétence aux juridictions militaires sur les civils, dans la mesure où les juridictions ordinaires fonctionnaient normalement97.

En définitive, si la loi martiale et l’état de siège emportent des conséquences importantes, leurs régimes ressortent donc de l’analyse comme véritablement encadrés par le droit. L’un et l’autre n’entraînent qu’une compétence limitée pour l’autorité militaire, sur laquelle les juges, tant français qu’américains, exercent un contrôle juridictionnel réel. Issus de traditions juridiques différentes, l’état de siège et la loi martiale se ressemblent donc sur l’essentiel. Ils sont des instruments entre les mains du pouvoir civil, destinés à être utilisés en situation d’insurrection, par le déploiement de la force armée pour restaurer l’ordre public, et toujours sous le regard pointilleux du juge.

Conclusion

« L’état de siège est déclaré par décret en conseil des ministres. Sa prorogation au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par le Parlement ». Ainsi en dispose sobrement l’article 36 de la Constitution de 1958. En ce qui concerne l’institution à l’origine du déclenchement de l’état de siège, la Ve République opère donc une évolution remarquable : l’initiative en revient désormais à l’exécutif, le Parlement n’intervenant plus que dans un second temps. D’une certaine manière, l’état de siège français, tel qu’il se présente aujourd’hui en droit positif, se rapproche sur ce point de la formule du Chief Justice Blake dans Ex-parte Milligan à propos de la loi martiale. Cette convergence en faveur de l’exécutif relève cependant de l’anecdote. C’est plutôt une autre convergence entre les deux régimes qui appelle l’attention en conclusion de cette étude : qu’il s’agisse de l’état de siège en France ou de la loi martiale aux États-Unis, l’un comme l’autre sont aujourd’hui tombés en désuétude.

Sur le plan technique, les deux instruments perdent beaucoup de leur utilité, dès lors qu’il ne s’agit pas de la seule manière d’employer la force armée en cas de troubles civils. Aux États-Unis, il fut toujours admis que le gouverneur d’un État fédéré et le président des États-Unis peuvent déployer la force armée sans recourir à la martial law, dans une logique de soutien aux autorités civiles98. À partir du milieu du xxe siècle, cette logique prend le pas sur celle de la loi martiale, comme en témoignent les choix faits pour forcer la déségrégation des écoles dans les États du Sud : des troupes de l’army furent mobilisées, mais la loi martiale n’apparaît pas dans les contentieux nés à cette occasion99. En France, l’emploi de la force armée dans le maintien de l’ordre s’oriente également dans cette logique supplétive, à travers les mécanismes de réquisition, désormais codifiés dans le Code de la sécurité intérieure et le Code de la défense. En d’autres termes, la force armée représente surtout des « bras » supplémentaires, intervenant dans un contexte de droit commun. Son déploiement n’est plus le synonyme d’une suspension de la légalité ordinaire et d’un transfert de compétences entre les mains de l’autorité militaire100.

Ce transfert de compétences, marqueur de l’état de siège comme de la loi martiale, n’apparaît plus nécessaire dans les circonstances contemporaines. En d’autres termes, les troubles domestiques n’atteignent plus le degré de gravité tel que l’ouverture du feu et l’arrestation des agitateurs par la force armée, voire leur traduction devant les juridictions militaires, apparaissent comme nécessaires pour restaurer la paix publique.

Au moment de refermer cette étude, il faut néanmoins se garder d’une confusion dangereuse. La mise en sommeil de l’état de siège et de la loi martiale ne doit pas faire oublier que le droit contemporain connaît des instruments juridiques tout aussi menaçants, voire davantage, pour les libertés individuelles. En France, les compétences que l’autorité militaire acquerrait en cas d’état de siège feraient pâle figure au regard des compétences que l’appareil policier possède déjà, soit au titre de l’état d’urgence, issu de la loi de novembre 2015, soit même en droit commun depuis la loi d’octobre 2017101. De même aux États-Unis, la législation antiterroriste ouvre aux services fédéraux, civils et même militaires, des pouvoirs inconnus de la loi martiale.

La désuétude des mécanismes nés du champ de bataille ne révèle nullement un progrès dans la protection des libertés individuelles. Elle est la simple conséquence de leur dépassement au profit de mécanismes nouveaux, plus adaptés aux circonstances sécuritaires du xxie siècle.

Notes

1 Parmi une littérature surabondante sur les évènements de l’été et de l’automne 1789, on se référera ici aux travaux de Jean-Clément Martin. Voir en particulier : J.-C. Martin, Nouvelle histoire de la Révolution française, Perrin, 2012, p. 221 et s. Retour au texte

2 M. Pertué, « La loi martiale », Mélanges en l’honneur de Henri Jacquot, Presses Universitaires d’Orléans, 2006, p. 460 et s. Retour au texte

3 M. Hale, The History of the Common Law of England, J. Nutt, 1713, p. 21 [réédité, University of Chicago Press, 1977]. Retour au texte

4 W. Blackstone, Commentaries on the Laws of England, Book I, 1765, p. 400. Retour au texte

5 Ce point avait déjà été relevé par Paul Romain dans son étude des influences historiques autour des régimes de légalité exceptionnelle de la période révolutionnaire : P. Romain, L’État de siège politique: (histoire, déclaration, effets, levée), thèse de doctorat, université de Toulouse. Faculté de droit et des sciences économiques, 1918, p. 36. Retour au texte

6 J. M. Collins, Martial Law and English Laws, Cambridge, University of Cambridge Press, 2016, p. 274. Retour au texte

7 M. Pertué, « La loi martiale », op. cit., p. 467. Retour au texte

8 Ibid., p. 469. Retour au texte

9 S. Le Gal, Origines de l’état de siège en France (Ancien Régime–Révolution), thèse de doctorat, sous la direction de Christian Bruschi, université Jean-Moulin Lyon 3, 2011, p. 301 et s. Retour au texte

10 P. Romain, L’État de siège politique, op. cit., p. 57. Retour au texte

11 S. Le Gal, Origines de l’état de siège en France (Ancien Régime-Révolution), op. cit., p. 320. Retour au texte

12 Loc. cit. Retour au texte

13 Ibid., p. 290‑300. Retour au texte

14 Ibid., p. 333‑338. Retour au texte

15 Ibid., p. 16 et s ; P. Romain, L’État de siège politique, op. cit., p. 27. Retour au texte

16 J. M. Collins, Martial Law and English Laws, op. cit., p. 208 et s. Retour au texte

17 Ibid., p. 97‑98. La Compagnie anglaise de Virginie avait ainsi reçu de la Couronne britannique juridiction de loi martiale, ainsi que le révèle la publication en 1612 des « Lawes Diuine Morall and Martiall » par la Compagnie pour l’organisation et la discipline des implantations de colons dans le Nouveau Monde. Retour au texte

18 Relevé par : S. Prakash, « The Sweeping Domestic War Powers of Congress », Michigan Law Review, vol. 113, no 8, 2015, p. 1356. Retour au texte

19 Ibid., p. 1357. Retour au texte

20 R. S. Rankin, When Civil Law Fails. Martial Law and its Legal Basis in the United States, Duke University Press, 1939, p. 26 et s. Retour au texte

21 J. M. Collins, Martial Law and English Laws, op. cit., p. 27. Retour au texte

22 Ibid., p. 3 ; Les auteurs américains reprenant l’histoire de la loi martiale l’ont également relevé : R. S. Rankin, When Civil Law Fails. Martial Law and its Legal Basis in the United States, op. cit., p. 4 et s. Retour au texte

23 J. M. Collins, Martial Law and English Laws, op. cit., p. 27 et s. Retour au texte

24 Ibid., p. 13‑17. Retour au texte

25 Ibid., p. 31. Retour au texte

26 Ibid., p. 18. Retour au texte

27 Ibid., p. 32‑33. Retour au texte

28 Ibid., p. 57‑58. Retour au texte

29 S. Le Gal, Origines de l’état de siège en France (Ancien Régime-Révolution), op. cit., p. 276. Retour au texte

30 Ibid., p. 144. Retour au texte

31 Ibid., p. 214. Retour au texte

32 Ibid., p. 350. Retour au texte

33 Ibid., p. 198. Retour au texte

34 Ibid., p. 297‑298. Retour au texte

35 Voir par exemple : M. Hauriou, Précis de droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1923, p. 111‑115. Retour au texte

36 S. Le Gal, Origines de l’état de siège en France (Ancien Régime-Révolution), op. cit., p. 338‑346. Retour au texte

37 P. Romain, L’État de siège politique, op. cit., p. 50. Retour au texte

38 J. M. Collins, Martial Law and English Laws, op. cit., p. 21. Retour au texte

39 Ibid., p. 57‑58. Retour au texte

40 Sur la théorie de l’état d’exception dans ses relations avec la notion de souveraineté, il est impossible de ne pas renvoyer à G. Agamben, Homo Sacer. L’Intégrale (1997-2015), Seuil, 2016. On lira surtout le volume 1 sur « le pouvoir souverain et la vie nue » (en particulier p. 33 et 41), ainsi que le volume 2.1 sur « l’état d’exception » (en particulier p. 180, avec l’exemple explicite de l’état de siège français). Retour au texte

41 J. M. Collins., Martial Law and English Laws, op. cit., p. 12‑13. Retour au texte

42 Ibid., p. 167 et 212‑223. Retour au texte

43 Pour le récit complet de cette histoire, voir : R. S. Rankin, When Civil Law Fails. Martial Law and its Legal Basis in the United States, op. cit., p. 5‑17. Retour au texte

44 Johnson v. Duncan, 3 Martin (La.) 530 (1815). Retour au texte

45 R. S. Rankin, When Civil Law Fails. Martial Law and its Legal Basis in the United States, op. cit., p. 18 et s. Retour au texte

46 Luther v. Borden, 48 US 1, 45 (1849). Retour au texte

47 Ex-parte Milligan, 71 US 2 (1866). Retour au texte

48 Ibid., at 124. Retour au texte

49 Ibid, at 125, 126. Retour au texte

50 P. Romain, L’État de siège politique, op. cit., p. 77. Retour au texte

51 Ibid., p. 77‑79. Retour au texte

52 Ibid., p. 95. Retour au texte

53 Cour de cassation, 29 juin 1832, Sieur Geoffroy, Sirey 1832.1.401 ; D. 1832. I.265. Retour au texte

54 J.-L. Mestre, « Les contrôles judiciaires a posteriori de constitutionnalité à partir de la Révolution », Cahiers du Conseil constitutionnel, no 28, 2010. Retour au texte

55 Cité par R. S. Rankin, When Civil Law Fails. Martial Law and its Legal Basis in the United States, op. cit., p. 12. Retour au texte

56 Ibid., p. 13. Retour au texte

57 Dans le cadre fédéré, plusieurs Constitutions font d’ailleurs expressément référence à la loi martiale, et en confient la compétence soit à la législature, soit à l’exécutif, soit à une combinaison des deux. Retour au texte

58 Ex-parte Milligan, 71 US 2, 124 (1866) Retour au texte

59 Voir supra, §1B Retour au texte

60 L. Duguit, Traité de droit constitutionnel, Paris, E. de Boccard, 1924, p. 613‑615. Retour au texte

61 Il convient de préciser que cette affirmation n’est exacte qu’en ce qui concerne l’état de siège « fictif », appliqué aux insurrections. La loi de 1849 conserve en effet l’état de siège « réel » issu du texte révolutionnaire de 1791, au titre duquel le commandant d’une place de guerre peut mettre sa place en état de siège si les conditions objectives classiques sont remplies (art. 5). Retour au texte

62 Sur la logique américaine des relations civilo-militaires, en particulier au sein du pouvoir exécutif, nous nous permettons de renvoyer à nos travaux : L. Klein, Le contrôle civil de la force armée en démocratie. Droit et pratique de la suprématie civile dans les démocraties contemporaines, Paris, mare & martin, 2020, p. 589 et s. Retour au texte

63 J. M. Collins, Martial Law and English Laws, op. cit., p. 169‑171. Retour au texte

64 A. L. Tyler, « The Forgotten Core Meaning of the Suspension Clause », Harvard Law Review, vol. 125, no 4, 2012, p. 118. Retour au texte

65 Voir infra, II.C Retour au texte

66 Ex-parte Milligan, 71 US 2, 142 (1866) (Chief Justice Chase concurring). Plus précisément, l’opinion évoque la « loi martiale au sens strict » (martial law proper), pour la distinguer du « droit militaire » applicable aux membres des forces armées (military law) et du « gouvernement militaire » (military government) mis en place exceptionnellement dans les États du Sud pendant la Reconstruction. Retour au texte

67 Il convient de noter à cet égard qu’il n’en va pas toujours de même au sein des ordres juridiques fédérés. Ainsi, la Constitution du Massachusetts dispose que seule la législature peut proclamer la loi martiale. Retour au texte

68 P. Romain, L’État de siège politique, op. cit., p. 50. Retour au texte

69 Ibid., p. 128. Retour au texte

70 Loi du 8 août 1849 sur l’état de siège, art. 2, Bulletin des lois, no 186, p. 146. La loi prévoit tout de même une compétence exceptionnelle du président de la République dans le cas de prorogation de l’Assemblée nationale, mais à la condition d’en informer la commission permanente. Retour au texte

71 P. Romain, L’État de siège politique, op. cit., p. 143‑145. Retour au texte

72 J. Carret, L’organisation de l’état de siège politique d’après la loi du 3 avril 1878, Université de Dijon, 1916, p. 54 et s. Retour au texte

73 Loi du 3 avril 1878 relative à l’état de siège, Bulletin des lois, no 384, p. 338 Retour au texte

74 P. Romain, L’État de siège politique, op. cit., p. 131. Retour au texte

75 Loi du 9 août 1849 sur l’état de siège, art. 1, Bulletin des lois, no 186, p. 146. Retour au texte

76 P. Romain, L’État de siège politique, op. cit., p. 168‑169. Retour au texte

77 Loi du 3 avril 1878, relative à l’état de siège, art. 1, Bulletin des lois, no 384, p. 338. Retour au texte

78 Luther v. Borden, 48 US 1, 2 et 45 (1849) Retour au texte

79 Ibid, at 45. Retour au texte

80 Dans un arrêt Moyer v Peabody [212 US 78 (1909)], la Cour suprême affirmera ainsi que la déclaration de loi martiale est « conclusive » et ne fait pas l’objet d’une revue par les cours. Retour au texte

81 Sterling v. Constantin, 287 US 378 (1932). Retour au texte

82 R. S. Rankin, When Civil Law Fails. Martial Law and its Legal Basis in the United States, op. cit., p. 155. Retour au texte

83 É. Laferrière, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, 2e édition, Berger-Levrault, 1896, p. 36 et s. (tome 2). Retour au texte

84 CE 5 juin 1874 Chéron et autres, S.1876, 2-89. Retour au texte

85 P. Romain, L’État de siège politique, op. cit., p. 252. Retour au texte

86 Voir par exemple Cass. Crim. 12 mai 1916, Dalloz 1916, I, p. 131. Retour au texte

87 P. Romain, L’État de siège politique, op. cit., p. 249 ; voir aussi J. Carret, L’organisation de l’état de siège politique d’après la loi du 3 avril 1878, op. cit. Retour au texte

88 In re Boyle, 6 Idaho 609 (1899) Retour au texte

89 Loi du 9 août 1849 sur l’état de siège, art. 8, Bulletin des lois, no 186, p. 146. Retour au texte

90 La Cour de cassation a affirmé très tôt cette obligation : Cass., chambre des requêtes, 3 juin 1872, Dalloz 1872, I, p. 385. Retour au texte

91 J. Rougerie, Paris insurgé. La Commune de 1871, Paris, Gallimard, 1995, p. 96. Retour au texte

92 Ibid., p. 113. Retour au texte

93 Ibid., p. 117. Retour au texte

94 Pour une mise en contexte et une analyse détaillée de l’arrêt, on lira, parmi une littérature abondante : P. J. Barry, « Ex-parte Milligan: History and Historians », Indiana Magazine of History, vol. 109, no 4, 2013, p. 355 ; voir aussi : E. W. Killam, « Martial Law in Times of Civil Disorder », Law and Order, vol. 37, no 9, 1989, p. 44‑47. Retour au texte

95 Commonwealth v. Shortall, 206 Pa. State Reports 165 (1903). Retour au texte

96 On en retrouve la définition la plus claire dans un arrêt rendu par la Cour suprême de Virginie de l’Ouest : State v. Brown, 71 W. Va. 519 (1912). Retour au texte

97 Duncan v. Kahanamoku, 327 US 304, 324 (1946). Retour au texte

98 Les jurisprudences sur ce point ne manquent pas. On citera par exemple un arrêt de la Cour suprême du Kentucky [Franks v. Smith, 142 Ky. 232 (1911)], et le même raisonnement se retrouve au niveau fédéral [United States v. Adams, 26 Fed. (2d) 141 (1928)]. En droit fédéral contemporain, ces hypothèses font même l’objet d’une codification dans le titre 10 de l’US Code (en particulier §252 à §254). Retour au texte

99 Exemple dans l’arrêt Cooper v.  Aaron, 358 US 1 (1958) : les troupes sont mentionnées en tant qu’auxiliaires du pouvoir civil dans l’exécution de l’arrêt Brown, sans mention de la loi martiale. Retour au texte

100 Voir sur ce point O. Renaudie, « Le retour de l’armée dans l’espace public : quels enjeux juridiques ? », in : G. Daho et L. Klein (dir.), Les armes cèdent-elles toujours à la toge ? Regards interdisciplinaires sur les relations civilo-militaires en démocratie, Paris, mare & martin, 2022, p.131 Retour au texte

101 Voir sur ce point O. Beaud et C. Guérin-Bargues, L’état d’urgence. Une étude constitutionnelle, historique et critique, 2e édition, LGDJ, 2018. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Luc Klein, « Restaurer l’ordre par la force des armes et dans le respect du droit : étude historique comparée de la loi martiale et de l’état de siège », Droit Public Comparé [En ligne], 2 | 2024, mis en ligne le 06 juin 2024, consulté le 01 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/droit-public-compare/index.php?id=331

Auteur

Luc Klein

Professeur de droit public, université de Reims Champagne-Ardenne

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