*As you like it (Comme il vous plaira) est une pièce de William Shakespeare (1564-1616), écrite en 1599 et publiée dans le First Foliot de 1623 (Mr. William Shakespeare’s Comedies, Histories, & Tragedies, Edward Blount, William & Isaac Jaggard, 1623, 900 p.).
La parution simultanée de deux ouvrages consacrés, en Italie, l’un au droit administratif européen, Manuale di diritto amministrativo europeo sous la direction de Sveva Del Gatto et Giulio Vesperini1, et l’autre au droit administratif de l’Union européenne, EU Administrative Law, de Diana-Urania Galetta et Jacques Ziller2, invite à réfléchir à l’émergence dans notre tradition juridique d’une nouvelle discipline juridique. Les deux ouvrages sont si différents qu’ils donnent l’occasion non seulement de les comparer entre eux mais aussi de montrer toutes les potentialités qu’abrite précisément le champ d’un droit administratif situé dans le contexte de l’Union européenne. La comparaison des deux publications souligne la nécessité commune d’exposer les enjeux d’une discipline en plein essor, un droit administratif dans une orbite européenne (1) tandis que, précisément, leur confrontation signale la contingence d’une discipline émergente, dont l’évolution est constante (2).
1. Les enjeux du droit administratif européen
Les deux ouvrages sont nés d’une nécessité commune : exposer le droit administratif européen, lequel fait l’objet d’enseignements nombreux en Italie, dont sont précisément spécialistes leurs auteurs. Les uns soulignent « l’importance croissante accordée à cette discipline, qui résulte à son tour de la prise de conscience de plus en plus ancrée au sein des institutions européennes elles-mêmes qu’une mise en œuvre correcte et efficace du droit européen par l’administration de l’UE et les administrations nationales opérant dans le cadre communautaire est une condition essentielle pour réaliser l’intégration et atteindre les objectifs qui sous-tendent la création de l’ordre juridique européen3 ». Les autres se réfèrent, dans leur préface, au paradoxe de Thésée relevé par Plutarque : un bateau restauré intégralement demeure-t-il toujours le même bateau4 ? Que ce paradoxe s’applique à un navire, une chaussette ou au système juridique européen, un même constat surgit : le changement est davantage réel que l’objet de ce changement. Et alors pourtant que les deux ouvrages abordent le droit administratif européen de manière radicalement différente, ils ont pour ambition conjointe de faire état des évolutions de cette discipline. Si ces deux publications sont structurées distinctement (1.1.), les enseignements qu’il est possible d’en tirer se complètent pourtant sensiblement (1.2.).
1.1. Des publications aux structures distinctes
En premier lieu, le Manuale di diritto amministrativo europeo est un ouvrage collectif, rédigé en langue italienne, coordonné par deux professeurs de droit administratif et public, comme le sont la grande majorité des auteurs qui ont contribué à l’ouvrage, au nombre de vingt. Les coordonnateurs ne se sont pas contentés de réunir les contributions des auteurs, mais ont imaginé le plan de l’ouvrage et ont rédigé l’introduction ainsi que la présentation, sous forme de synthèse problématisée, de chaque partie, comportant chacune plusieurs chapitres. Les quatre parties s’articulent autour de thèmes qui sont précisément au cœur d’interrogations actuelles car l’idée du Manuel n’est pas d’exposer le droit administratif européen dans sa complétude, mais de faire saillir les difficultés contemporaines que traverse la discipline et les réponses qu’y apportent tant le droit de l’Union européenne que les droits administratifs nationaux.
La première partie porte sur les bases de l’intégration administrative européenne en examinant cinq thèmes : la primauté du droit européen sur les droits nationaux ; les modalités de l’intégration dans l’ordre juridique européen ; la notion européenne d’État de droit et la protection des droits fondamentaux ; le principe de proportionnalité et le principe de subsidiarité.
La deuxième partie étudie la mise en œuvre conjointe du droit européen au travers des chapitres suivants : l’administration nationale au regard de l’Union européenne ; les organismes composites, comités et agences ; la composition des systèmes administratifs communs ; les procédures composites.
La troisième partie s’intéresse à la procédure administrative et aux recours non juridictionnels portés à l’encontre de l’action administrative illégitime : sont étudiés le droit de la participation ; la transparence dans le droit administratif européen ; la garantie juridictionnelle et le recours en manquement.
La dernière partie met en exergue plusieurs exemples d’interventions sectorielles de l’Union européenne : les aides d’État ; le droit de la concurrence ; le développement durable et la protection de l’environnement ; le contrôle des financements privés ; la gouvernance européenne des politiques économiques et la politique budgétaire des États membres.
En somme, cet ouvrage se conçoit comme une photographie des difficultés actuelles qui agitent le droit administratif européen, dont il dessine les contours disciplinaires.
En second lieu, EU Administrative Law est une publication rédigée en anglais à quatre mains par deux fins connaisseurs du droit de l’Union européenne et du droit administratif, qui travaillent de longue date ensemble, en Italie, et ont sillonné l’Europe – et le monde – au cours de leur carrière respective. L’ouvrage est subdivisé en dix parties, dont la première s’apparente à une introduction qui revient précisément sur ce qu’est le droit administratif de l’Union européenne, en en cernant l’objet, les fonctions ainsi que les sources, avec une vision d’un droit administratif de l’Union européenne non pas figé mais en évolution constante.
Ensuite, c’est la fonction exécutive de l’Union européenne qui fait l’objet d’un examen approfondi, non seulement dans son exercice proprement dit mais aussi au travers de ses modalités juridiques de prise de décision. Puis, ce sont les relations entre l’Union européenne et le droit des États membres qui sont étudiées du point de vue des sources, de l’articulation entre elles ainsi que des questions de coopération et de multilinguisme. Les actes de l’Union européenne sont après examinés selon leurs caractéristiques propres, de manière détaillée. L’approche s’inverse alors dès lors que le droit administratif des États membres est scruté en relation avec la fonction exécutive de l’Union européenne, en distinguant les divers systèmes juridiques nationaux.
Les principes du droit administratif européen sont par la suite énoncés : la primauté, la légalité, la proportionnalité, la protection de la confiance légitime, l’interdiction des discriminations à raison de la nationalité, les libertés de circulation, la reconnaissance mutuelle, le principe de précaution… Une approche organique suit en détaillant les institutions de l’Union européenne. Subséquemment, la procédure administrative est étudiée au travers du principe du droit à la bonne administration. Le principe de transparence et l’accès aux documents administratifs sont alors détaillés en insistant sur leur utilité. Enfin, les recours juridictionnels sont mentionnés dans la double perspective des juridictions européennes et des juridictions nationales se comportant comme telles.
Par conséquent, cette publication se veut comme un exercice réflexif sur les ressorts intimes d’une discipline émergente, que nourrit l’approche comparatiste des auteurs. Elle complète donc avantageusement la précédente.
1.2. Des ouvrages aux enseignements complémentaires
La concomitance de la parution de deux ouvrages, en Italie, sur le droit administratif européen ou de l’Union européenne pourrait laisser penser seulement à une saine concurrence entre les deux ; mais, en réalité, les deux publications ne sont nullement redondantes, mais bien plutôt complémentaires, alors même qu’elles traitent le plus souvent d’objets d’étude similaires.
Ainsi, certains développements de chacun des deux ouvrages se répondent entre eux : quand sont examinés les principes de primauté, proportionnalité et subsidiarité, dans la première partie de l’ouvrage coordonné par Sveva Del Gatto et Giulio Vesperini, de manière segmentée par plusieurs auteurs5, ces mêmes principes sont examinés à des moments différents de la réflexion menée par Diana-Urania Galetta et Jacques Ziller. Dans leur ouvrage, la primauté est resituée dans les relations qu’entretient l’Union européenne avec les États membres, comme, du reste, la subsidiarité6, tandis que la proportionnalité s’inscrit dans l’étude des principes du droit administratif de l’Union, au même titre que la légalité ou le principe de confiance légitime7.
D’autres illustrations témoignent de ce que les deux ouvrages examinent des questions analogues, s’agissant par exemple du respect des droits humains8 ou de la transparence administrative9. C’est dire que si les matériaux étudiés sont identiques, c’est bien l’approche choisie pour en traiter qui diverge et c’est en cela que les deux ouvrages se complètent harmonieusement.
En effet, la méthodologie arrêtée dans chaque ouvrage leur est propre. D’un côté, Diana-Urania Galetta et Jacques Ziller retiennent une approche fonctionnelle du droit administratif de l’Union européenne, qui leur permet de « comprendre et évaluer [le] cadre institutionnel [de l’Union européenne] et ses procédures de prise de décision10 ». C’est donc à travers un prisme fonctionnel que les auteurs exposent l’ensemble de ce droit administratif particulier, qui se nourrit des droits administratifs des États membres mais en est en même temps distinct. Ils intègrent donc l’étude des politiques sectorielles à l’examen institutionnel du droit de l’Union européenne, ce qui en fait l’une des particularités didactiques. En somme, ces auteurs adoptent une approche globalisante du droit administratif de l’Union européenne dont ils déterminent les contours à travers une analyse pragmatique de ses fonctions, en mêlant droit institutionnel et matériel de l’Union européenne.
D’un autre côté, l’ouvrage coordonné par Sveva Del Gatto et Giulio Vesperini rejette toute prétention à l’exhaustivité et se concentre davantage « sur les principales problématiques qui intéressent l’intégration entre l’administration européenne et les administrations nationales ainsi qu’entre le droit administratif européen et les droits administratifs nationaux11 ». Cela explique l’approche thématique que retient l’ouvrage, qui distingue les approches institutionnelles, en deuxième partie, et substantielle, en première, troisième et dernière parties. La divergence de points de vue entre les deux ouvrages est particulièrement notable s’agissant des politiques sectorielles, qui, dans cet ouvrage collectif, font l’objet de la dernière partie.
Les deux ouvrages se complètent donc de manière bénéfique pour le lectorat, qui trouvera tout à la fois une approche globalisante et fonctionnelle du droit administratif de l’Union européenne, nourrie des comparaisons avec les droits administratifs des États membres, et une approche thématique et matérielle du droit administratif soit de l’Union, soit de ses États membres, opérée par plusieurs auteurs spécialistes de chaque thème abordé.
Ainsi, pour qui voudrait, par exemple, parfaire sa connaissance du recours en manquement, il en trouvera trace dans EU administrative law dans la dernière partie de l’ouvrage qui porte sur les recours juridictionnels à l’encontre de l’action exécutive – de l’Union et de ses États membres12 – alors qu’il en aura une vision plus ample dans le Manuale di diritto amministrativo europeo, qui y consacre un plein chapitre13.
Et pour qui souhaiterait mieux articuler les droits administratifs nationaux à la fonction exécutive de l’Union européenne, le cinquième chapitre de l’ouvrage de Diana-Urania Galetta et Jacques Ziller y est entièrement consacré14, tandis que le Manuel collectif de droit administratif européen examine la mise en œuvre du droit de l’Union européenne par les administrations nationales15, tout en distillant çà et là des éléments témoignant de la déconcentration de l’administration européenne au travers des administrations nationales, différenciant ainsi administration directe et indirecte16. Les illustrations pourraient se multiplier, qu’elles concernent les organes composites17 ou les garanties juridictionnelles18.
En somme, la connaissance du droit administratif de l’Union européenne et des droits administratifs nationaux dans un contexte européen ressort grandement améliorée de la lecture combinée des deux ouvrages présentement recensés. Une telle lecture incite également la doctrine française à s’interroger sur un champ disciplinaire qui évolue à mesure que l’Union européenne se construit, ce qui le rend contingent, voire insaisissable : le droit administratif européen et/ou de l’Union européenne s’avère, en France, largement impensé.
2. Une discipline en constante évolution
À l’exception notable du Traité de droit administratif européen19, dont la troisième édition date de 2022 et qui est, comme les précédentes, éditée en Belgique, et d’un opus dont les caprices de l’éditeur occultent son véritable objet20, aucun autre ouvrage ne traite actuellement, en langue française, de droit administratif dans l’orbite du droit de l’Union européenne. Les précurseurs avaient bien exposé par le passé les Administrations comparées […] de l’Europe des douze21 ainsi que le Droit administratif des États européens22, adoptant tour à tour une posture de droit comparé ou de droit étranger23, mais pour appréhender le droit administratif européen, il fallait savoir lire l’anglais24, l’italien25 ou encore l’allemand26, heureusement traduit en français.
Car les initiatives ne manquent pas, sur le sol européen, pour confronter droit administratif et Europe, qu’il s’agisse de la tentative d’élaborer un code de procédure administrative, dans le cadre du projet ReNEUAL27, ou bien encore des travaux financés par le Conseil Européen de la Recherche (ERC) sur le Common Core of European Administrative Law (CoCEAL)28. En dépit de l’intérêt à la fois théorique et pratique d’un champ disciplinaire fécond, il semble donc que la doctrine administrativiste et européaniste française soit en retrait de ses congénères européennes. La parution en Italie, terre d’élection de nombre d’études de droit administratif global29, européen ou de l’Union européenne, de deux ouvrages, simultanément, sur le droit administratif européen et de l’Union européenne invite ainsi à scruter ce que recouvre ce champ disciplinaire (2.1.), mais aussi à en élargir la focale (2.2.).
2.1. Droit administratif européen ou droit administratif de l’Union européenne ?
Cette interrogation primordiale est posée par Diana-Urania Galetta et Jacques Ziller dans la première partie de leur ouvrage : ils soulignent que pour une partie de la doctrine, il est nécessaire de ne prendre en considération que le droit administratif de l’Union européenne, qui se distinguerait du droit constitutionnel de l’Union et des politiques européennes, alors que pour d’autres auteurs, le droit administratif européen engloberait tout à la fois le droit administratif de l’Union et celui des États membres dès lors qu’il serait influencé par le droit de l’Union30.
Les deux points de vue, l’un étroit et l’autre large, nourrissent l’ambiguïté de qui souhaite tracer les contours du droit administratif dans le contexte de l’Union européenne. Au demeurant, l’ouvrage collectif coordonné par Sveva Del Gatto et Giulio Vesperini entretient cette ambivalence en raison de la pluralité des contributeurs, lesquels adoptent alternativement ces deux points de vue, selon la thématique exposée31.
Certes, l’étonnement est grand que la doctrine française soit peu encline à se saisir du champ disciplinaire offert par le droit administratif européen, hormis les exceptions précédemment rappelées. Sans doute qu’une étude historiographique de la construction des études académiques de droit dans les universités françaises, en comparaison des universités d’autres États européens, à commencer par l’Italie, serait fructueuse, mais le format de la présente recension n’a pas permis de la mener. Une rapide recherche témoigne, néanmoins, de la rareté des cours de droit administratif européen ou de l’Union européenne professés dans les établissements hexagonaux32. En outre, lorsqu’un colloque se tient sur le sujet, c’est pour confronter les droits administratifs français et de l’Union européenne, laissant suspecter que les deux seraient hermétiques l’un à l’autre davantage que potentiellement hybridés33.
Précisément, la parution des deux ouvrages ci-devant recensés invite à tenter de cerner le périmètre de chacune de ces catégories disciplinaires, droit administratif européen, d’un côté, de l’Union européenne de l’autre. Vingt ans en arrière, Sabino Cassese, l’un des auteurs italiens les plus prolixes sur la question, se demandait déjà si « le droit administratif européen présent[ait] des caractères originaux34 » : insistant sur le caractère « polycentrique35 » de l’Union européenne, dès lors qu’elle agit directement ou par le biais des administrations nationales, mais sans administrations déconcentrées, il distinguait « quatre corps normatifs » formant le droit administratif européen36. À côté des dispositions européennes relatives à l’administration européenne et de leurs homologues nationales se rapportant aux administrations nationales, l’auteur isolait des principes de droit européen concernant les administrations nationales et inversement des règles de droit national appliquées par l’Union à son administration. Il en déduisait que « l’articulation » en découlant était « singulière37 » en ces termes : « Quant à la source, les droits administratifs nationaux contribuent à la formation de principes du droit administratif communautaire, tandis que, dans le sens contraire, ce dernier dicte des principes qui doivent être respectés par les droits administratifs nationaux38. » En somme, le droit administratif européen est composite et intervient à deux niveaux, « l’un commun et l’autre différencié39 ». C’est dans ce sillage que s’inscrit, principalement, l’ouvrage coordonné par Sveva Del Gatto et Giulio Vesperini.
Par ailleurs, le droit administratif de l’Union européenne se réfère à la fonction exécutive de l’Union, ainsi qu’en témoigne l’entier ouvrage de Diana-Urania Galetta et Jacques Ziller40. Non seulement telle est leur démonstration dès lors qu’ils définissent leur objet d’étude, en première partie, mais tel est encore leur propos quand ils examinent, par la suite, les actes administratifs de l’Union européenne41 ou bien encore le droit administratif des États membres comme instrument de la fonction exécutive de l’Union42. L’approche fonctionnelle que retiennent les auteurs les autorise à adopter une vision intégrale du droit administratif de l’Union, dans le sens où, à aucun moment, n’est omise la place que tiennent les droits administratifs nationaux dans son giron ; bien au contraire, en dépit de leurs différences, les droits administratifs des États membres, comme, au demeurant, les administrations nationales, font entièrement partie du système administratif de l’Union européenne ainsi examiné, dès lors que c’est la fonction exécutive européenne qui est leur principal objet d’étude43.
Loin de se contredire, les deux approches, l’une matérielle du droit administratif européen, l’autre fonctionnelle du droit administratif de l’Union européenne, se complètent et s’enrichissent. Il n’est, du reste, pour s’en convaincre que de comparer les denses références doctrinales et jurisprudentielles qui jalonnent les deux ouvrages présentement recensés, lesquelles se répondent très largement et renseignent avec bénéfice le lectorat44. Ainsi, tant le Manuale di diritto amministrativo europeo que l’opus sur EU Administrative Law apportent au droit de l’Union européenne en même temps qu’au droit administratif des États membres. Mais ces ouvrages invitent, en sus, à dépasser leur objet d’étude pour tenter d’aller au-delà de ses frontières.
2.2. Par-delà le droit administratif européen…
La rentrée universitaire n’a rien à envier à la rentrée littéraire : la moisson d’ouvrages nouveaux est riche autant que diverse. Et si le printemps a vu concourir, en Italie, les deux livres qui sont présentés dans ces lignes, l’automne voit paraître, sous la direction d’auteurs français et belges et la plume d’auteurs européens, une œuvre originale, un Traité de droit administratif transnational45. Selon Émilie Chevalier et Yseult Marique, dans l’introduction de cet ouvrage, l’ambition de ce dernier est de « cartographier une nouvelle discipline juridique en devenir46 », axée sur des « situations administratives transnationales47 », en référence « au[x] situation[s] juridique[s] […] qui met[tent] en scène des sujets de droit relevant de deux ou plusieurs droits nationaux, l’un de ces sujets au moins étant une administration48 ». La spécificité du droit administratif transnational au regard du droit administratif européen tient précisément au fait que le premier s’abstrait des frontières qui délimitent, en revanche, le second ; en outre et logiquement, l’approche pragmatique du droit administratif transnational autorise des liens avec le territoire européen mais peut aussi bien s’en éloigner49. Quoique les deux disciplines de droit administratif transnational et européen soient distinctes, elles ont pour conséquence, néanmoins, toutes deux de « contribue[r] à un renouvellement académique et conceptuel50 » de l’administration, ce qui est nécessairement salutaire pour tout universitaire qui s’interroge précisément sur cette dernière et ses évolutions.
Dans leurs conclusions sur cet ouvrage, Jean-Bernard Auby et Olivier Dubos soulignent les liens entre droit administratif transnational et Union européenne : « le droit dérivé [de celle-ci] regorge en effet de mécanismes d’administration transnationale : reconnaissance mutuelle des actes administratifs, coopérations administratives en matière d’environnement et de fiscalité51… » Et ils constatent également à quel point le droit administratif s’enrichit de la transnationalité, qu’il s’agisse des services publics, des actes administratifs ou des procédures administratives comme aussi des agents publics, de la responsabilité administrative ou du règlement des litiges administratifs52. Précisément parce que le droit administratif transnational est déterritorialisé, il se rapproche davantage du droit international privé ou pénal que du droit administratif européen53. Ouvrage tant pragmatique que prospectif, le Traité de droit administratif transnational est une invitation à élargir les perspectives de tout administrativiste curieux, comme le font également les œuvres recensées présentement, tant EU Administrative Law de Diana-Urania Galetta et Jacques Ziller que le Manuale de diritto amministrativo europeo coordonné par Sveva De Gatto et Giulio Vesperini.
En conclusion, c’est « comme il vous plaira54 » puisque les universitaires italiens offrent le choix entre deux ouvrages aux approches différentes mais complémentaires, qui incitent à outrepasser une vision stato-centrée du droit administratif national. Et si, inspiré par Shakespeare, le monde du droit administratif était un théâtre, alors il connaîtrait plusieurs âges : le droit hexagonal serait l’écolier, l’Européen l’amoureux et le droit administratif transnational le soldat ou le juge, en espérant toutefois qu’il n’atteigne pas « la seconde enfance », où il se trouverait « sans dents, sans yeux, sans goût, sans rien55 ».
