Les adverbes sont depuis longtemps l’objet de nombreux débats entre grammairiens et linguistes : cette notion recouvre un éventail très large et hétérogène de formes subsumées sous le même concept sur la base de l’intuition (Blumenthal, 1990 : 41). Dans une certaine mesure, la classe lexicale des adverbes est utilisée comme un expédient terminologique pour tous les lexèmes non liés et invariables des langues européennes moyennes standard (SAE). Même dans les langues SAE, l’étude diachronique de la dérivation adverbiale fourmille de phénomènes où des têtes nominales se transforment en affixes adverbiaux (en germanique et en roman), où des marqueurs de manière se transforment à leur tour en morphèmes formant des adverbes d’ordre supérieur (comme l’allemand -(er)weise), et où des marques flexionnelles se voient utilisées comme affixes permettant un changement de partie du discours (voir la discussion chez Duplâtre, 2024).
D’autres interfaces impliquent la distinction entre adverbes vs prépositions, adverbes vs marqueurs discursifs, adverbes vs particules, adverbes vs subordonnants, adverbes vs quantificateurs, et adverbs vs pronoms, déictiques et anaphoriques (voir König et Umbach, 2018) ainsi que par exemple la littérature considérable sur le statut de l’allemand so, dont Catasso [2023] fournit un aperçu récent).
La catégorie fonctionnelle des adverbiaux a été proposée pour pallier les insuffisances de l’adverbe (Nølke [1990a et b]) ou comme concept fonctionnel primaire permettant ensuite la définition des adverbes. Cependant, la notion d’adverbial se révèle aussi floue que celle d’« adverbe ». Pour certains auteurs comme Nølke, l’« adverbial » doit même être défini négativement. Il en résulte souvent que les adverbiaux de manière, les adverbiaux épistémiques, les adverbiaux évaluatifs et les adverbiaux circonstanciels sont regroupés sous une même macro-catégorie : est-ce bien nécessaire ? Jusqu’où peut-on réellement combiner les caractéristiques syntaxiques et sémantiques dans la définition de ces classes fonctionnelles (Bonami et al., 2004) ? Ces classes correspondent-elles réellement à des positions syntaxiques définies de manière fonctionnelle, ou s’agit-il d’airs de famille au niveau lexical ?
Ces questions sont encore plus frappantes si l’on considère le nombre d’éléments qui sont sémantiquement et fonctionnellement ambigus ou sous-spécifiés et qui peuvent être utilisés, par exemple, à la fois comme adverbe de manière et comme adverbe évaluatif orienté vers le locuteur (par exemple, en langues romanes, pour de nombreux lexèmes en -ment et -mente ; voir Guimier, 1996 ; Molinier et Levrier, 2000 ; Paillard, 2021, sur le français, entre autres). Faut-il parler de polysémie ou insister sur l’identité sémantique et renvoyer la variation à la syntaxe, en affirmant que la différence entre un adverbe de manière et un adverbe évaluatif, ou un adverbe circonstanciel et un adverbe de domaine (Charolles, 1997, De Cesare et al., 2020), est en fin de compte une question de hiérarchie syntaxique qui détermine la portée de l’adverbe ?
Les implications de ces questions dépassent le domaine de la recherche sur les adverbes : La distinction entre adverbes et adjectifs, adverbes et prépositions, etc., est-elle tenable d’un point de vue interlinguistique ? Peut-on tracer une ligne de démarcation nette entre les catégories fonctionnelles dont relèvent les adverbes, comme le propose Cinque (1999) ? Comment distinguer la polysémie fonctionnelle, l’hétérosémie et la sous-détermination sémantique ? Existe-t-il des adverbes polysémiques ? Autant de questions qui méritent un examen attentif, que ce soit dans le cadre de l’étude d’une langue donnée ou dans un cadre contrastif ou typologique.