Bernard Hours, Histoire des ordres religieux

Coll. « Que sais-je ? », n° 2241, Paris, PUF, 2012, 127 p.

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Bernard Hours, Histoire des ordres religieux, coll. « Que sais-je ? », n° 2241, Paris, PUF, 2012, 127 p.

Texte

« Que sais-je ? », la collection bien connue « qui a réponse à tout » selon le mot de Jean Feller, remporte une fois de plus son pari, avec cet opuscule écrit par Bernard Hours. En 128 pages, l’auteur peint avec précision et élégance une fresque convaincante du clergé régulier depuis l’origine du monachisme jusqu’à nos jours. La brièveté du propos, imposée par la ligne éditoriale de la collection, n’empêche pas la nuance. Tout lecteur, averti ou néophyte, aura à apprendre de ce petit ouvrage.

Son premier mérite est d’énoncer une utile définition du fait monastique, qui précise tout ce qu’il est et tout ce qu’il n’est pas afin d’en circonscrire précisément les limites et de le replacer au sein des différentes formes de vie consacrée, comme un mode de renoncement au monde et à toutes ses obligations, dans une perspective de salut pour soi et pour le monde. Selon un plan chronologique, l’auteur expose ensuite les origines de la vie monastique dans l’Empire romain, l’émergence des premières règles avec Pacôme, Basile, Augustin, ou, en Occident, Colomban et Benoît. La règle de ce dernier s’impose rapidement dans l’Europe chrétienne ; les monastères bénédictins, dans ou hors de la grande mouvance clunisienne, deviennent un foyer d’élaboration des rites, de la liturgie et du vivre ensemble dans le cloître. Aux côtés du monde monastique, s’est mis en place au IXsiècle le monde canonial, qui emprunte au premier bien des éléments même si ses membres suivent la règle de saint Augustin. Les ordres militaires et hospitaliers, apparus au XIe siècle, ont développé, parallèlement à la vie communautaire, une activité charitable, locale (par le biais des hopitaux), ou à distance, par le rachat des captifs ou la protection des pèlerins. Au XIIIe siècle, avec l’urbanisation croissante de l’Europe, sont nés les ordres mendiants, bientôt spécialisés dans la prédication, la catéchèse et la controverse religieuse dans les villes et les bourgs. Les frères prêcheurs de Dominique de Guzman, les frères mineurs de François d’Assise, les carmes et les ermites de saint Augustin ont proposé une alternative originale à la vie monastique – au point qu’on pourrait, peut-être, discuter de la pertinence du terme « monachisme » pour qualifier leur mode de vie. L’itinérance et la désappropriation individuelle et communautaire qui implique le recours quotidien à l’aumône, sont en effet des formes inédites de vie consacrée.

Après le temps des contestations, venues essentiellement du monde protestant et qui ont considérablement modifié la carte du monachisme européen, un très long « Grand Siècle » se caractérise par la réformation des ordres anciens et la naissance d’ordres nouveaux, qui imposent de nouvelles formes de vie commune et d’apostolat. Avec les jésuites, les théatins, les doctrinaires, les oratoriens ou les lazaristes, la vie consacrée ne se justifie plus par le retrait du monde pour gagner son salut, mais par une implication accrue dans le monde. Aux XVIIIe et XIXe siècles, les ordres religieux doivent tenir compte d’une nouvelle conception des liens entre États et institutions religieuses, dans un contexte de sécularisation et de laïcisation des tâches habituellement dévolues aux réguliers (enseignement, charité etc.). Les ordres religieux connaissent, dans ce contexte, des mouvements successifs de rétractation (fermetures de maisons, suppressions d’ordres, restrictions diverses) et d’expansion (fondation de nouveaux ordres, retour des communautés supprimées, recrutement en hausse). Lorsque les conditions sont favorables, les religieux montrent une vraie créativité dans les domaines de l’éducation, de l’érudition, de la mission et de la pastorale locale. Au XXe siècle, tandis que Rome édicte de nouvelles normes à la vie consacrée, la baisse générale du recrutement après 1950 doit être nuancée par l’apparition d’autres formes de vie religieuse communautaire, qui intègrent les laïcs.

Le monachisme féminin, si différent de celui des hommes, est également exposé avec précision, sans schématisme et sans occulter la grande variété de formes qu’il a prises, entre monastères, monastères mixtes, béguinages, maisons de recluses etc., au Moyen Âge et au cours des deux grandes périodes de floraison qu’ont été le XVIIe siècle puis le XIXe siècle. Autour des questions des vœux, de la clôture, de l’utilité sociale, se nouent les débats sur la place de la femme dans le monde.

En contrepoint de la chronologie, qui rend bien compte des mutations et des permanences, plusieurs problématiques récurrentes doivent être soulignées.

D’abord, l’auteur montre bien comment, dès l’origine, le fait monastique a toujours évolué, finalement, selon d’incessantes surenchères de retrait du monde et d’observance, toute fondation ou réforme d’ordre se trouvant rapidement « périmée » et supposée multiplier les concessions à l’égard du monde, du confort et de l’individualisme. Ainsi la règle de saint Benoît a-t-elle rapidement fait l’objet de lectures plus strictes : la mouvance cistercienne, par exemple, née des réformes de Robert de Molesme puis de Bernard de Clairvaux, s’est structurée d’abord contre la forme de vie clunisienne.

En second lieu, la mise au point sur les notions de « déformation » et de « réformation », termes trop souvent employés à tort et à travers, est particulièrement bienvenue. La décadence est généralement énoncée par des réformateurs qui ont tout à gagner à l’exagérer, pour mieux justifier leur entreprise de rénovation. En outre, à toutes les périodes, les différents ordres ont été travaillés de l’intérieur par des aspirations réformatrices. Les grandes réformes des XVIe et XVIIe siècles, chez les bénédictins, les prémontrés, les franciscains, les dominicains, les carmes etc., n’ont jamais été que des avatars de mouvements déjà anciens de régénération d’un « esprit d’origine ».

Au total, le croisement systématique des analyses chiffrées, de la proposition de typologies, et d’une solide mise en contexte donnent au lecteur les clefs de compréhension d’un phénomène sur lequel planent encore beaucoup de stéréotypes.

Citer cet article

Référence électronique

Fabienne Henryot, « Bernard Hours, Histoire des ordres religieux », Les Carnets du LARHRA [En ligne], 1 | 2013, mis en ligne le 07 février 2025, consulté le 21 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/larhra/index.php?id=1194

Auteur

Fabienne Henryot

Université de Lausanne

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