Dans le cadre d’une habilitation à diriger des recherches sur L’imaginaire du prince, soutenue en juin 2012, j’ai pu mener, dans de bonnes conditions1, une recherche inédite sur l’éducation des princes au tournant des XVe et XVIe siècles en Occident. Pour autant, la question des « devoirs du jeune prince » n’avait d’abord été envisagée que de façon subsidiaire, dans le cadre d’un projet beaucoup plus vaste que je réserve donc pour l’avenir. En effet, après une thèse sur L’Empire imaginaire de Philippe II d’Espagne, puis suivant le fil rouge de ma problématique – celle des représentations discursives du prince – et au gré de rencontres déterminantes, mes recherches m’amenèrent à envisager le plus grand « signifié » commun à ces représentations, à savoir la vocation sacrificielle du prince. Mais ce premier projet d’habilitation se révéla rapidement trop important en dépit des nombreux matériaux déjà rassemblés sur le sujet, depuis la thèse elle-même, soutenue en 1999.
Le projet initial couvrait ainsi environ une quinzaine d’années de recherches sur les représentations monarchiques, surtout en Espagne et en France. Ces dernières privilégient la part de la connaissance historique qui relève de la construction à laquelle participent les représentations collectives comme perceptions ainsi que les formes d’identification. Ce qui apparaît désormais sous le terme générique d’imaginaire renvoie à une somme de regards croisés qui ne sont autres que des témoignages sur soi, sur l’autre et les autres, dont il est nécessaire de traduire le langage, de retrouver les usages de transcription symbolique et d’établir les enjeux de la réception selon une méthodologie rigoureuse, car cette histoire-là, comme l’a écrit Roger Chartier, est « au bord de la falaise », flirtant avec plusieurs registres de réalités. Toutefois, du point de vue de l’idéologie royale et de ses manifestations, l’imaginaire monarchique / imaginaire du prince est un objet assez bien identifié, bénéficiant de la pratique ancienne et donc expérimentée de tout un courant historiographique.
Dans cette perspective, le dossier d’habilitation rend compte d’une recherche couvrant une grande partie des enjeux de cette histoire, comme ceux de la vocation idéologique des discours, du fonctionnement même de ces derniers en lien avec la théorie des signes, de leur efficacité en terme de réception, des objets seconds tels que le corps et le portrait, ou encore les enjeux culturels à l’œuvre dans la formation de ces imaginaires jusqu’à leur intégration dans la personne même du prince. Toutes ces problématiques sont présentes dans les ouvrages et les articles publiés au cours de ces dernières années. Or, en les classant thématiquement pour le dossier d’habilitation, quatre axes sont apparus très nettement sur l’imaginaire du prince au début de l’époque moderne.
Le premier axe, le plus important en volume de publications, concerne globalement les discours hégémoniques en France et en Espagne aux XVIe et XVIIe siècles. Le sujet du providentialisme et du messianisme politique dans la monarchique hispanique du XVIe siècle, au cœur de la thèse de doctorat, fut ensuite réinvesti dans des études dix-septiémistes à propos de l’héritage espagnol de Louis XIV. À plusieurs occasions, et le plus souvent dans le cadre du centre de recherches du château de Versailles, j’ai pu confronter l’imaginaire de gloire des Habsbourg de Madrid avec celui du roi de France. La démarche insiste avant tout sur la filiation et procède, de façon quasi archéologique, à la reconstruction de l’idéologie royale française sous les Bourbons à partir de ce précédent hégémonique dont la réappropriation est repérable à travers le legs historiographique, les appareils symboliques établis autour des prétentions impériales ainsi que dans l’éducation de Louis XIV lorsqu’il est question d’établir une galerie de ses ancêtres pour sa propre édification. Ce premier axe de recherche a aussi été l’occasion de poser la question très problématique de la réception. L’histoire des représentations monarchiques implique, dans la mesure où la question est politique, de s’intéresser au public et donc de poser la question de l’efficacité des discours. En effet, dans l’image elle-même qui donne du sens au pouvoir, on peut traquer des « manières de voir » et de recevoir. Mais l’image n’est pas seulement vue, elle est aussi pratiquée et cette pratique renvoie à un questionnement qui est lui-même tributaire de savoirs et d’expériences. Cet « horizon d’attente », selon les termes de H. R. Jauss, est une réponse préalable à la question du public dont la préhension – rarement évidente – est un des enjeux majeurs de l’histoire des représentations en ce qu’elle intègre, par ses connexions, l’histoire du corps social. Pour autant, les sources ne sont pas toujours suffisantes pour apprécier la réception des représentations du prince. Cependant, elles sont plus souvent la source d’un enseignement sur les stratégies de l’image en termes d’émetteur et de récepteur. C’est ainsi qu’au cours d’une recherche sur le programme iconographique de la galère royale de don Juan d’Autriche (Lépante, 7 octobre 1571), l’étude a permis de mettre en évidence un paradigme de la fonction de l’image destinée au prince ; un cas d’une image pour soi et non pour un large public. Le programme iconographique, de la poupe extérieure au pont supérieur du navire, jusque dans la salle de commandement, fut avant tout consacré au mythe de Jason et à sa quête de la Toison d’or – replacée dans la perspective d’une rhétorique de la translatio imperii –, tandis que d’autres motifs renvoyaient explicitement à l’héroïsme et au sacrifice du héros, s’adressant spécifiquement au capitaine. Ce type d’images pour soi échappe en grande partie à la logique de l’information mais non à celle de la persuasion. Aussi les portraits dynastiques pour la galerie personnelle et non publique du prince, d’autres œuvres encore le plus souvent de dévotion dans le cas de Philippe II et en particulier les sujets traités pour la galère royale furent personnellement destinés. Ce n’est plus le prince qui s’inscrit de façon signifiante dans l’espace public de la démonstration de son autorité légitime mais l’image qui s’adresse à lui comme un miroir de ses origines, de ce qu’il est et de ce qu’il désire être. L’image joue un rôle important dans la conduite du prince puisqu’elle l’accompagne en ayant cette fonction d’être avec lui pour maintenir sa volonté et donc sa capacité à agir. C’est là un aspect important de l’imaginaire du prince et de ses fonctions.
Le second axe revient lui aussi sur les formes et les modalités de l’imaginaire du prince mais, cette fois, dans le cas particulier du désir d’éternité de Philippe II d’Espagne. La problématique de la sainteté dans la représentation de ce roi a été traitée en trois temps, correspondant chacun à un des trois discours types de la représentation (texte, cérémonie, image iconique). Comme pendant à chacun de ces ordres, j’ai retenu, au titre de l’écrit, une enquête de 1572 sur les reliques des saints dans le nord-ouest de la péninsule ; la série des portraits des saints de la Basilique de l’Escurial au titre de l’image iconique ; et enfin au titre de la cérémonie, la fête donnée en l’honneur de la canonisation de don Diego de Alcalá en 1589. Ce triptyque, encore inachevé, est une lecture religieuse du pouvoir en images qui révèle l’ambition de Philippe II de s’inscrire dans un temps des saints et une histoire sainte. Dans le cas des trois discours envisagés, la problématique rejoint bien celle plus générale des représentations monarchiques qui est de légitimer l’ambition du prince en relevant le défi d’en mesurer l’efficacité symbolique. Je ne reprends pas, ici, tout à fait cependant les termes choisis par l’école des représentations qui consistent à envisager, en bout de chaîne, la seule affirmation de l’État monarchique. En effet, l’imaginaire monarchique est, dans l’ordre des représentations, l’expression d’une ambition, d’un désir qui ne renvoie pas nécessairement à une opération de conquête du politique sur la réalité institutionnelle. Les effigies mégalomaniaques d’un Boniface VIII semblent bien convenir à une stratégie de conquête au moyen des représentations qui re-présentent, mais dans d’autres cas, elle n’est qu’une transcription irréelle, déformée de la réalité qui ne serait qu’un palliatif disant l’ambition de pouvoir du prince et dissimulant son incapacité à agir.
Ce dernier cas correspond bien au système de représentations de Philippe II d’Espagne dont le meta-discours contrastait avec la réalité d’un empire exsangue. C’est toute la force ici des représentations de faire accéder la connaissance historique à ce niveau de compréhension des modèles dont la pérennité – à moyen terme – reposait sur la force persuasive des représentations plutôt que sur la vérité effective de leur capacité à dominer : le déclin de l’Espagne des Habsbourg ne fut vraiment sanctionné qu’en 1659 avec la paix des Pyrénées, longtemps après les premiers signes de déclin (1557 et la première banqueroute puis 1588 et la défaite de l’Invincible Armada). La virulence des imaginaires hispanophobes rendait compte en revanche, dans la première moitié du XVIIe siècle, de l’efficacité du discours hégémonique mis en place sous Charles Quint et Philippe II. Dans ce cas, la représentation qui dit l’ambition et la diffuse fut performante pour maintenir l’illusion. Mais reste ensuite la représentation à titre personnel dont la vertu performative n’est pas sans évoquer ce qu’Alphonse Dupront nommait la puissance intrinsèque de l’image pour convaincre le prince qu’il a la virtù et la légitimité nécessaires pour accomplir sa destinée qui est aussi celle de son État. Il me semble que les trois discours de Philippe II qui soulignent son désir de sainteté relèvent de ces deux stratégies de la persuasion qui est de convaincre les autres mais aussi soi-même. Au-delà de la part personnelle du roi dans cette représentation, dont relève le désir, opère également une œuvre de construction hagiographique posthume. L’imaginaire de sainteté de ce roi passe également par le récit de sa mort, de sa longue agonie passée en prières et en dévotions. L’information manuscrite sur cette agonie arriva à Paris quelques semaines plus tard, à la fin du mois de septembre 1598 et fixa un premier modèle narratif, ensuite amplifié par les témoignages du confesseur puis du médecin, pour finir, dès le mois de décembre, dans des imprimés reprenant le récit, l’oraison funèbre et un éloge de la vie de ce monarque. Sa mort fut ainsi instrumentalisée par les imprimeurs d’Ars moriendi et surtout par l’entourage du nouveau roi qui trouvait un intérêt tout politique à la sanctification de Philippe II pour maintenir la réputation de la monarchie catholique. De ce point de vue, l’imaginaire du prince est une construction qui emprunte des réseaux bien identifiables lorsqu’il s’agit, comme ici, de nouvelles politiques importantes, passant du manuscrit de cour à l’imprimé, et donc de l’information au récit officiel.
La vocation hégémonique des rois d’Espagne puis de France, ou celle encore, plus personnelle de Philippe II à être avec les saints renvoient chaque fois à une histoire des représentations qui sont extérieures au prince, à partir de discours élaborés sur ses ambitions et sur la nature de son pouvoir. Il revient donc au troisième axe de cette habilitation de ramener la représentation au prince lui-même, jusqu’à faire corps avec son propre imaginaire. Depuis la thèse et de façon plus soutenue depuis 2004, une partie importante de mes travaux a été consacrée au « corps » car toute histoire de la représentation des princes prend nécessairement en compte le caractère incarné du pouvoir. La symbolique du pouvoir se fonde alors essentiellement sur la manifestation physique du prince à travers les pratiques et les rituels monarchiques, parmi lesquels les cérémonies royales occupent une place privilégiée. J’ai eu l’occasion de couvrir cet aspect de la question dans un ouvrage écrit en collaboration avec Gérard Sabatier et publié chez Armand Colin en 2001. Depuis, j’ai été amenée à envisager la question autrement, davantage sous l’angle des pratiques culturelles en lien avec le corps.
En effet, l’enjeu, ici, est de penser le pouvoir des souverains sur le modèle de l’incorporation et non plus seulement sur celui de l’incarnation qui serait plus spécifiquement christique. L’histoire du corps du roi serait davantage une histoire sécularisée, après l’avoir débarrassé de son caractère sacré et investi de sa dimension sociale. De ce point de vue, les portraits du prince l’inscrivent dans des stratégies politiques d’adhésion ou de différenciation qui jouent sur l’identification sociale. Que les portraits soient d’ailleurs écrits ou iconiques, les regards sont toujours à l’origine de leur élaboration et fixent, en fonction de leurs propres attentes, les modalités de la reconnaissance comme celles, par exemple, de la physiognomonie. Or, pour le XVIe siècle, les référents les plus attendus sont ceux de l’autorité et de la vertu que plusieurs types de sources permettent de croiser – portraits, traités de civilité, traités moraux et d’éducation – afin d’établir un habitus royal. Cette notion d’habitus relève, selon l’acception aristotélicienne en vogue à l’époque, des manières d’agir et de se comporter qui fondent l’essence de l’être, lequel s’est amélioré par l’exercice des vertus naturelles et l’acquisition des vertus intellectuelles. Le prince, en son portrait, se distingue par un habitus supérieur, et donc par des postures et manières de corps bien spécifiques à son rang et à son appartenance sociale. À partir de là, d’autres sources viennent compléter les regards portés sur cet objet qui fait sens et agit aussi comme un miroir.
Outre quelques articles sur le sujet, c’est surtout le Corps d’une reine. Histoire singulière d’Élisabeth de Valois (1546-1568) [PUR, 2009] qui a été l’occasion d’approfondir cette thématique du corps royal grâce à une abondance de sources témoignant de l’intérêt porté par les contemporains au corps en général et à celui du prince en particulier. Le corps de la reine est un objet d’apparat, un corps qui se montre en révélant sa nature majestueuse par ses manières et en devenant un monde-référent pour les courtisans, dans le cadre d’une sociologie du corps. Cette histoire s’intéresse donc à toutes les conditions politiques et sociales du corps, passant par l’éducation (étiquette/cérémonial), la beauté de l’âme (devoir du sublime et de la grâce qui fait autorité) et la beauté du corps (devoir de séduction). Mais ce fut aussi un corps instrumentalisé, porteur d’une dimension politique capitale à l’époque en scellant physiquement la paix avec l’Espagne (corps objet, corps idée, affection, séduction, sexualité, intimité). Enfin, ce fut un corps dévoué dans sa chair et dans son cas, un corps souffrant : maladies, mélancolie, devoir d’enfanter jusqu’à en mourir. Voilà ce que révèlent les différentes sources qui sont d’autant plus intéressantes qu’elles sont le produit de différents regards qui ont abouti à sa construction historique voire sa matérialisation. Non seulement les regards portés par les contemporains sur le corps de la reine nous permettent de reconstruire ce corps mais surtout ils témoignent de leur perception du corps en général.
Pour en finir avec l’imaginaire du prince, le corps du prince est un bon moyen de passer à l’être intérieur – le corps étant prédicteur de l’âme – et de se projeter dans sa vocation. Celle des rois de France fut particulièrement militaire dans la première moitié du XVIe siècle mais cette vocation militaire, que l’on retrouve jusque dans le monde des Enfants et de leurs garçons d’honneur à la cour de France, s’inscrit encore et avant tout dans l’imaginaire chevaleresque du noble. Ce modèle social est alors largement hérité de l’éducation nobiliaire qui fut aussi celle des princes, ce qui m’amène au sujet du mémoire inédit : Les devoirs du jeune prince (mi XVe - mi XVIe siècles).
Au cours de mes recherches sur le corps d’Élisabeth de Valois, j’avais été amenée à croiser le petit livre de lettres latines de Marie Stuart, conservé dans le fonds latin de la Bibliothèque nationale de France. Je disposais alors de très peu d’informations sur l’instruction des Enfants outre ce petit recueil d’exercices de rhétorique que j’avais pris soin de saisir car l’édition établie par Antoine de Montaiglon en 1855 comportait beaucoup d’erreurs. En outre, son introduction méritait à bien des égards d’être révisée. Il suffisait pour cela d’une lecture attentive du corpus pour émettre d’autres hypothèses et entrevoir la richesse de l’information sur le sujet de l’instruction en retrouvant les ouvrages utilisés par la jeune reine d’Écosse et reconstituer son exercice. L’étude critique de ce recueil a figuré, dans le dossier d’habilitation, en annexe du mémoire inédit pour illustrer la leçon du prince et l’importance des livres et des bibliothèques royales et princières. Il ne représente toutefois qu’un aspect de l’éducation d’autant que les « devoirs » renvoient ici à la fois aux devoirs scolaires et au devoir de la dignité princière en termes de savoirs et de formation pratique.
Partant des catalogues et des inventaires, l’horizon livresque du jeune prince a pu être reconstitué en fonction des étapes de l’apprentissage que fixaient les plans d’études. La première partie de ce mémoire est ainsi consacrée à la culture humaniste des jeunes princes en commençant par les sources anciennes et profanes de cette culture. Sans aborder encore leur usage pédagogique, les textes sont avant tout présentés selon leurs versions et leurs interprètes, leurs formats et leur fortune éditoriale. L’ordre de présentation reprend, quant à lui, celui des étapes de l’instruction : l’apprentissage et la maîtrise de la langue latine, voire grecque, puis la préparation à l’art oratoire vers quatorze ans – selon les plans d’étude -, et enfin l’initiation à la philosophie morale. Chaque période comporte des ouvrages et des auteurs spécifiques. Toutefois, les premières lectures demeurent dans les malles du prince lorsque ce dernier passe à la rhétorique. Les recueils de sentences et de fables qui avaient servi à la maîtrise du latin demeuraient entre ses mains pour lui enseigner des lieux communs. Ce n’est qu’une fois le langage dégrossi voire maîtrisé que le prince pouvait se lancer dans les textes difficiles de la philosophie morale avec Plutarque et ses Moralia.
Quant aux philosophes d’accès plus difficile, comme Aristote et Platon, le prince en son école bénéficia de la grande « synthèse humaniste » des lettres profanes et chrétiennes en accordant toutefois beaucoup d’importance à Aristote. Il est donc question, dans l’instruction du jeune prince, de la réception des œuvres du Stagirite, dont la survivance fantomatique fut trop longtemps ignorée au profit d’un néo-platonisme mis à la mode par l’historiographie du XIXe siècle. Pour autant, l’humanisme pédagogique est avant tout un humanisme chrétien diffusé par les synthèses d’Érasme, de Wimpfeling ou encore de Vivès. Les textes de Cicéron et d’Aristote étaient enrichis de ceux de saint Augustin tandis que les vertus morales s’édifiaient chez le prince par l’exemplum, à la lecture des vies des hommes illustres et des florilèges de saints. Cet humanisme chrétien afficha une ambition politique qui fut à l’origine d’une production importante de textes pour le prince sur l’art de gouverner parmi lesquels figurent les Institutions et leur discours sur la sagesse/savoir du prince et ses vertus, seules sources de la vraie noblesse et armes contre la Fortune. Les Institutions et les plans d’études insistaient aussi beaucoup sur la figure du précepteur auquel cette étude consacre un chapitre.
De la théorie, qui se fait désir, à la pratique, intervient la formation qui constitue la deuxième partie de cette étude. Il est question de voir le prince en son école qui est avant tout un lieu d’influences. Celle de son entourage en général et celle de son précepteur en particulier. D’une cour à l’autre, le profil du précepteur varie : de savants philologues en Italie, des hommes d’Église en France avec Demoulins, Théocrène, Danès ou encore Amyot ou des universitaires prestigieux en Angleterre comme Richard Fox et John Cheke ainsi qu’en Castille. Toujours réputé pour ses vertus, celui-ci n’intervient pas toujours directement auprès de l’élève. Les maîtres d’écoles – présents au quotidien – sont moins élevés socialement que les précepteurs et sont moins bien rémunérés. Si le cas est bien connu à la cour de France dans les années 1550, il en est autrement auprès des autres princes qui bénéficient directement des leçons des lettrés les plus en vue. Puis, une fois dans sa classe, le prince s’attaquait à son programme d’études que les maîtres fixaient en s’inspirant des plans d’études imprimés : ceux d’Érasme, de Vivès, d’Elyot ou encore de Heresbach. Grâce aux lettres latines de Marie Stuart et de centaines de feuilles noircies par le jeune Édouard d’Angleterre, dès 1545, les leçons apparaissent conformes aux programmes des écoles et sont reprises en détail dans cette étude. Certains princes, cependant, comme don Carlos en Espagne, sont très en retard dans leurs études tandis qu’Édouard, futur Édouard VI, est le seul à avoir lu l’Éthique à Nicomaque en grec, à quatorze ans.
En dehors du programme d’études, l’éducation du jeune prince ou princesse passait aussi par la préparation physique en commençant par l’équitation. Les garçons apprenaient, dans le même temps, à manier les épées et les lances pour imiter les chevaliers, se préparer au tournoi – pas avant dix-sept ou dix-huit ans en raison des risques –, et briller lors des divers simulacres de combat. Pour autant, ce que cette étude entend montrer de nouveau, c’est l’importance de la culture tirée des livres pour la préparation physique du prince dont l’objectif est la vertu militaire. Les exercices forgent le corps et les lectures affermissent l’esprit pour instaurer une virtù tempérée par la prudence. François Ier bénéficia des textes de Demoulins et en particulier de celui du Fort Chandio exemplaire en fortitude. Édouard reçut sans doute des mains de son père l’exemplaire sur le tir à l’arc que lui avait dédicacé Roger Ascham, le futur et éphémère précepteur d’Élisabeth. Mais surtout, tous eurent entre les mains et sans doute intégralement, la Guerre des Gaules.
Fort d’esprit et sachant saisir les occasions, le prince devait aussi savoir s’affirmer par son apparence. Cette étude s’achève sur l’apprentissage des apparences en commençant par la socialisation au sein de la Maison puis de la cour ; le jeune garçon prend conscience de sa dignité et de la supériorité de son sexe grâce à son premier entourage féminin, avant de passer ensuite aux hommes sous la surveillance du gouverneur. Là encore, les livres sont toujours un recours pour suivre cette propédeutique du paraître. L’importance d’Aristote dans le savoir de la Renaissance implique aussi d’en mesurer la réception dans les usages sociaux, ceux de l’habitus, lesquels sont inspirés par la vertu. Être prince signifie s’élever moralement et en avoir toutes les apparences qui passent par la maîtrise du corps et de la gestuelle. Impassible et gracieux, telles sont les marques du corps qui disent les vertus de l’âme. Le prince, de ce point de vue n’est pas seulement imaginé à travers un paraître idéal mais a le devoir de l’être car il est appelé à devenir un modèle dont dépend sa propre légitimité. Entre les leçons sur la nécessité d’apprendre les bonnes lettres parce qu’elles sont sources de vertu et celles sur la virtù à travers les arts de la guerre, le prince apprit surtout que la Fortune n’était pas une force incontrôlable et qu’il était de son devoir de maîtriser le cours de son règne par la sagesse et la prudence. Être prince aux XVe et XVIe siècles, c’est encore être un prince fortuné et c’est être déjà un prince de la raison.
Le sujet des Devoirs devait, à l’origine, être la première partie du projet consacré à la vocation sacrificielle du prince. L’éducation, à travers ses ambitions, est en effet un manifeste sur le « devoir être » qui s’imprime dès l’âge le plus tendre à travers des enseignements, certes, mais aussi, par un encadrement rigoureux, sous la surveillance de la gouvernante puis du gouverneur et du précepteur. Cette éducation n’est donc pas seulement une ambition programmatique et une réalité efficiente, elle est aussi un discours en soi sur la légitimité du pouvoir qui se fonde sur le renoncement et le don de soi à la chose publique. Aujourd’hui, si le chapitre sur l’éducation des princes n’est pas clos pour autant, celui de la vocation, en revanche, se poursuit.