La beauté technique du deckbuilding

  • The Technical Beauty of Deckbuilding

DOI : 10.35562/marge.981

Résumés

Cet article se propose d’examiner le plaisir sensible pris à la construction des paquets de cartes (deck) des jeux de carte à collectionner. En prenant pour exemple la construction d’un deck pour le jeu Magic: The Gathering, il montrera que la consistance sensible de cette expérience fait éprouver une forme de beauté. En dialogue avec la pensée de Gilbert Simondon, cette beauté est caractérisée comme technique. En effet, elle s’éprouve dans un effort jouant avec et assemblant des schèmes mécaniques, recherchant, comme dans l’invention d’une machine, la synergie entre les éléments ludiques qui constituent le deck, effort caractérisable par la densité sensible qu’il met en jeu. Par là, cet article entend montrer la nécessité de penser un rapprochement entre culture ludique et culture technique.

This article aims to examine the aesthetic pleasure the deckbuilding process in a collectible card game gives to its player. Grounding itself upon the building of a Magic: The Gathering deck, it will show that the aesthetic density of such a process causes the player to experience a form of beauty. Drawing upon the work of Gilbert Simondon, I will characterize this beauty as a technical one. Such beauty is indeed to be found in a striving that plays with and assemble mechanical schemes while seeking the making of synergies between the parts of the deck, just like in the process of inventing a machine. Thus, this article hints at the necessity to bring together gaming culture and technical culture.

Plan

Texte

D’où vient le plaisir du deckbuilding ?

Dans un article publié sur le site officiel du jeu de cartes à collectionner Magic: The Gathering (ci-après Magic), Mark Rosewater, le designer en chef du jeu, rappelle que, selon le mot de son créateur, Richard Garfield, « [Magic est] un jeu qui est plus grand que la boîte qui le contient1 ». Cette phrase renvoie au fait que s’adonner à Magic ne se limite pas aux seuls moments où l’on joue une partie, mais inclut d’autres activités qui peuvent faire de lui un véritable lifestyle. Ainsi, un temps considérable peut est dédié à la construction des decks, c’est-à-dire des paquets de cartes avec lesquels les joueurs et joueuses abordent leur partie2.

La place importante de ces moments, en droit uniquement préparatoires, dans l’économie générale de l’expérience ludique peut se mesurer au nombre d’émissions et d’articles consacrés avant tout à analyser la manière de construire un deck plutôt que de commenter des parties effectives. Ces recommandations et analyses ne sont pas pour autant coupées entièrement de toute situation de jeu. Évaluer si une carte mérite ou non sa place dans le deck, que ce soit dans le processus même de construction ou dans l’analyse critique de celui-ci, se fait en s’imaginant en situation de jeu, en se représentant tout à la fois les rouages internes de son propre paquet et les obstacles que les decks adverses pourraient mettre sur notre chemin pour entraver notre plan de jeu.

Or, ce que cet article aimerait comprendre, c’est pourquoi pareille activité est si plaisante qu’elle pousse les joueurs et joueuses à construire toujours plus de decks, parfois plus qu’ils ou elles ne peuvent régulièrement jouer, lorsque de nouvelles cartes sont imprimées. Le deckbuilding semble en effet être la source d’un plaisir autonome au sens où il y aurait quelque chose d’intrinsèquement plaisant à construire, parce que l’on peut apprécier, juste en voyant une liste, la beauté, l’originalité ou la précision de celle-ci – indépendamment de toute partie effectivement jouée ou observée, mais toujours en imaginant à l’horizon la possibilité d’une partie.

Par la mention du terme de beauté, on voit que le but de cet article est moins de caractériser le type de plaisir à l’œuvre dans le deckbuilding en termes de catégories ludiques, en suivant par exemple les catégories cailloisiennes3 et leur actualisation chez Mathieu Triclot4, que de rendre compte des singularités sensibles avec lesquelles le processus de construction nous met en relation. En ce sens, cet article s’inscrit dans une première tradition philosophique : celle de la philosophie esthétique. L’enjeu est donc double : il s’agit de comprendre en quoi le plaisir pris au deckbuilding est un plaisir esthétique, au sens où il éveille le sentiment de beauté. Cela requiert en même temps de déterminer la matière sensible à partir de laquelle ce sentiment peut émerger, alors que nous sommes face à ce qui semble être une activité de réflexion et de planification assez abstraite.

Notons que, si plaisir il y a, il semble dépendant des microrécits hypothétiques permettant de distinguer quelle carte, plutôt qu’une autre, sera retenue. Or, la notion de récit est décisive pour comprendre la visée des decks, à tout le moins dans le format Commander5 de Magic, qui me servira d’exemple. Par opposition à une pratique plus compétitive de Magic, plusieurs joueurs et vidéastes ont pu insister sur le fait que ce qu’ils cherchent dans la création d’un deck est la capacité à créer des moments mémorables6 ou plus largement une expérience collective et partagée7 que l’on peut raconter. Pour que cela réussisse, il faut bien sûr que le deck cherche à gagner, mais la recherche de la victoire est le moyen et non le but de la pratique ludique et de la construction8. Faut-il en déduire que le deckbuilding occasionne un plaisir narratif similaire à celui du récit d’une partie, la différence étant dans le statut de ce qui est raconté, en puissance ou en acte ?

Nullement, d’une part, parce que raconter une partie peut prendre en compte des éléments étrangers aux éléments du deckbulding (comme les négociations ou simplement les liens d’amitié entre les joueurs et joueuses) et d’autre part, parce que ce qui se passe dans une partie n’est pas nécessairement prévu lors de la construction, que ce soit à cause de l’interaction avec les adversaires ou parce qu’une propriété du deck jusque-là inaperçue est découverte. Plus fondamentalement, le microrécit est moins l’objet de l’attention sensible, que le moyen par lequel un élément ludique est déployé dans des scénarios hypothétiques mettant en valeur ses potentialités d’action. Que le plaisir ne soit pas narratif se voit en ce que, avec un peu d’expérience, il est possible de sentir ce que le deck cherche à accomplir en voyant une liste de cartes et en réfléchissant à leur lien, sans que les détails du récit ne soient formulés avec précision. Le récit est alors le déploiement temporel d’une forme qui trouve aussi son expression dans une liste que l’on parcourt du regard.

Comment caractériser plus précisément ce sentiment que l’on peut qualifier de moteur, au sens où il est lié à une puissance d’action au sein du jeu et à la manière d’arbitrer entre les éléments compatibles pour constituer cette forme que nous évoquions ? Exprimée de la sorte, cette tâche apparaît comme une tâche technique, ce qui permet alors de rejoindre la seconde tradition suivie par cet article : la philosophie de la technique. L’idée directrice est que la question esthétique et la question technique sont intimement liées : la matière sensible évoquée plus haut correspond justement à ces potentialités d’action qui sont senties et manipulées dans la phase de construction d’un deck. Partant, la détermination de la richesse sensible du plaisir pris aux mécaniques de jeux donnerait en même accès la technicité, ou qualité technique, des jeux comme Magic. Mais cela engage une thèse plus vaste et délicate : que l’appréciation sensible des jeux soit une forme d’appréciation technique, parce que les jeux seraient une sorte de technique et que, dans le cas présent, la pensée à l’œuvre dans le deckbuilding serait pleinement une pensée technique. Montrer cela sera la tâche principale de cet article.

La pensée technique et l’attitude ludique

Commençons déjà par constater une difficulté quant aux relations entre le jeu et la technique. Dans un texte consacré à la place de la technique dans l’éducation secondaire, Gilbert Simondon indique que, si l’on peut se rapporter de manière ludique à des objets techniques, une telle relation constitue un rapport inadéquat à son objet :

Le plus grave obstacle, rencontré chez les jeunes surtout, est la tendance au jeu, qui privilégie la relation de « mise en œuvre » avec la machine, faisant de celle-ci un instrument de jeu et affaiblissant la tendance à la construction et la tendance à la contemplation9.

Il y a en fait un double péril ici, qui recouvre deux manières de comprendre l’inadéquation entre attitude ludique et relation technique pour Simondon. La première est la suivante : si l’attitude ludique n’est sans doute pas adaptée pour manipuler un fer à souder, cette inadaptation est liée aux objets particuliers auxquels Simondon voulait initier ses élèves. En manipulant sans prise de distance des machines qui demandent une approche plurielle capable de les situer dans l’ensemble du milieu technique qui est le leur, tout en ayant une connaissance adéquate du fonctionnement de la machine10, le jeu manquerait leur technicité, qui fait leur valeur culturelle. En ce sens, le jeu pourrait trouver sa place dans ce qui sera caractérisé dans la suite de l’œuvre simondonienne comme un mode « mineur » de relation à la technique, au sens où la fréquentation par le jeu d’un objet technique adapté à l’attitude ludique développerait quelque chose comme des « tours de main11 ».

Une seconde lecture, plus radicale, est cependant possible : le jeu ne constituerait pas une relation et une manière de penser et d’agir techniques, quel que soit l’objet considéré. Le jeu, chez Simondon, est en effet fortement lié à l’enfance, comme mode de rapport aux choses privilégiant « l’intuition motrice » sur la perception : un chiffon peut être une meilleure poupée qu’une poupée anthropomorphe, car l’important n’est pas l’apparence ou l’ingéniosité de l’objet, que l’on peut décrire par la parole ou par l’écrit, mais « l’image motrice » qu’elle renvoie, permettant de donner libre cours à des « spontanéités motrices12 ».

Magic ne saurait pourtant être ramené à de tels jeux enfantins, dans la mesure où les « images motrices » auxquelles il donne accès ne sont pas des schèmes corporels et affectifs primaires, mais sont des qualités de mouvements et d’actions informées par un système de règles, n’ayant de sens qu’en son sein. Et parce que Magic est un jeu qui demande une phase de deckbuilding, donc, littéralement, de « construction de paquet de cartes », avant que le résultat ne soit « mis en œuvre » dans une partie, il est tentant d’y voir l’exemple d’un cas où jouer déploierait une relation technique à un objet adapté, grâce au rétablissement d’une liaison entre les moments de cette relation que l’attitude ludique « affaibli[ssai]t » dans le cas du fer à souder.

Juste avant le passage cité, Simondon présentait en effet trois modes de relation à la machine en ces termes :

J’ai présenté à mes élèves une conception de la machine fondée sur trois types de présence :
1. L’opération de construction, par laquelle on pense la finalité de la machine, afin de la convertir ensuite en structure.
2. La contemplation de la machine construite, compréhension de son mécanisme et de son organisation interne, dans un sentiment esthétique de beauté technique.
3. L’opération de mise en œuvre de la machine, en contact avec la matière, pour percer, souder, mesurer, assembler, façonner13.

Utiliser ce modèle pour penser une relation indissociablement technique et ludique implique qu’un parallèle soit possible entre une machine et un deck de cartes, non pour assimiler l’une à l’autre, mais pour dégager la technicité spécifique des jeux. Prouver la validité de ce parallèle nécessite alors d’affronter un double enjeu. Le premier concerne la construction, qui est présentée ici comme un acte avant tout intelligible : peut-on trouver une parenté des mouvements de pensée, lorsqu’on construit un paquet de cartes et un fer à souder, ou bien le terme de construction est-il ici simplement homonyme ? Le second concerne la fonction de cette étape qu’est la contemplation : le texte de Simondon dont je pars est un texte écrit pour une revue pédagogique et cette part contemplative de la relation technique lui paraît nécessaire pour former à une culture technique. L’enjeu est donc de voir si la beauté éprouvée face à des cartes Magic est apte à soutenir pareille ambition culturelle et, davantage, à converger avec le type de culture que Simondon appelle de ses vœux.

Résoudre ces enjeux ne peut se faire qu’en partant d’un exemple, qui sera l’un des decks de ma collection14 : un deck de format Commander dont le commandant est la carte de créature légendaire Atemsis, l’Omnisciente15. Avant tout, présentons les spécificités de ce format, qui influencent la manière de construire son deck :

  • Le format Commander est pensé pour être joué à quatre, chacun pour soi. À l’exception de cartes bannies par un organe de gouvernance, l’ensemble des cartes depuis la création du jeu peut être utilisé, soit un choix de 25 554 cartes à l’écriture de cet article.

  • Le deck doit contenir exactement cent cartes et, à l’exception des terrains de base16, toutes les cartes de sort ou de terrains spéciaux ne peuvent être qu’en un seul exemplaire dans le deck.

  • Chaque deck a un commandant qui est nécessairement une « créature légendaire ». Le terme « créature » désigne un type de permanent capable d’attaquer l’adversaire, « légendaire », une sous-catégorie de ces créatures, qui sont alors appelées par un nom propre (« Atemsis ») et non par une appellation typifiante (« Cavalière pâle de Trostad » ou « Troupier d’Alaborn »). Ce commandant détermine la couleur des cartes jouables dans le deck : ainsi, avec Atemsis, je ne peux jouer que des cartes bleues ou incolores.

  • Le commandant n’est pas mélangé dans le deck ; il commence la partie dans une zone spéciale qui est comme une part non aléatoire de la main de départ. Cela signifie que le commandant est une carte supplémentaire à laquelle on aura toujours accès lors d’une partie, ce qui permet de bâtir la stratégie du deck autour de cette carte et de sa présence quasi assurée sur le champ de bataille.

Quelle est alors la finalité d’un deck Atemsis comme celui-ci ? Lisons cette part des règles de la carte :

À chaque fois qu’Atemsis, l’Omnisciente inflige des blessures à un adversaire, vous pouvez révéler votre main. Si des cartes ayant au moins six coûts convertis de mana17 différents sont révélées de cette manière, ce joueur perd la partie.

Ce deck est donc conçu pour tenter de faire perdre un à un les adversaires de cette manière et cette finalité va orienter tout l’effort de construction. Comment opérer alors le choix entre les quelques 6 086 cartes bleues et incolores qui peuvent être utilisées dans le cadre de ce deck ? En accordant deux heuristiques de construction qui sont parfois en tension : la structure générale d’un deck de format Commander et la recherche de synergies particulières à la stratégie choisie.

Un deck Magic qui fonctionne, c’est-à-dire qui réalise le plan élaboré lors de sa construction ne peut être un assemblage de cartes au hasard, mais doit manifester un équilibre entre les différentes fonctions nécessaires à son fonctionnement : il doit disposer de suffisamment de terrains pour jouer des sorts (d’où le fait qu’il est recommandé qu’un tiers du deck environ soit consacré à ces cartes), ne doit pas contenir que des cartes avec un haut coût de mana (car cela implique trop de tours inactifs avant de pouvoir les lancer), entre autres. Il existe ainsi des cadres de construction, le plus connu étant sans doute celui proposé par le podcast The Command Zone18, proposant un nombre de cartes pour chaque catégorie (par exemple, dix sorts de pioche). Pareils nombres constituent une norme assez lâche, qui garantit un bon fonctionnement pour n’importe quel deck, mais qui peut, et même doit, être adapté en fonction des spécificités de chaque stratégie, pour garantir un fonctionnement optimal. Par exemple, dans le cas du deck Atemsis, on remarque qu’il compte quatorze sources de pioche, en plus d’Atemsis elle-même. Cela est dû au fait que disposer en permanence d’une main très fournie est extrêmement important, car les cartes en main ne sont pas seulement une ressource pour parvenir à la victoire, mais constituent la condition de victoire privilégiée.

Cet exemple nous entraîne alors vers la deuxième heuristique de construction, la recherche de synergies, ce qui nous ramène en même temps vers la théorie simondonienne de la technique. Simondon note en effet au début de sa thèse secondaire que : « Le problème technique est donc plutôt celui de la convergence des fonctions dans une unité structurale que celui d’une recherche de compromis entre des exigences en conflit19 ». Le problème dont il est question est celui que doivent affronter inventeurs et ingénieurs pour passer d’un objet technique à un objet technique concret. L’objet technique abstrait est celui dont les différents éléments fonctionnent comme parallèlement les uns aux autres, voire se gênent dans leur fonctionnement, « comme des personnes qui travailleraient chacune à leur tour, mais ne se connaîtraient pas les unes les autres20 ». À l’inverse, l’objet technique concret est celui qui, à la manière d’un organisme, met en place des synergies entre les différents éléments qui le composent, en rendant notamment ses éléments multifonctionnels. Par exemple, la forme nervurée des cylindres d’un moteur se comprend comme la réunion de deux éléments distincts : une unité volumétrique contenant la chambre à explosion et une unité de dissipation thermique, des ailettes de refroidissement, réunion qui crée une synergie dans la mesure où elle offre une meilleure résistance à la pression et permet un amincissement de la culasse pour une même résistance, ce qui favorise et renforce les échanges thermiques21. Les deux unités (volumétriques et de dissipation thermique) ne sont donc pas seulement juxtaposées : elles sont renforcées par la concrétisation de leurs fonctions en un même élément.

C’est ici que le parallèle atteint ses limites. La concrétisation des objets techniques est liée à une « corrélation élevée » entre les sciences et la technique22. En s’appuyant alors sur les lois de la nature, la concrétisation des machines rend celles-ci moins artificielles : par la multifonctionnalité de leurs éléments, elles acquièrent une organicité qui leur permet de se réguler en réduisant au minimum l’intervention extérieure humaine, ce qui constitue l’authentique critère du progrès technique23. Or un deck, en cela bien plus comparable à un outil qu’à une machine, garde un haut degré d’artificialité parce qu’il a besoin d’être joué par un humain pour fonctionner et reste totalement indifférent à la question de la nature et donc de l’organicité, cette dernière ne pouvant être évoquée ici que comme une métaphore, ce qu’elle n’est pas chez Simondon.

Sur quel plan alors penser la valeur de ces synergies, si leur finalité ne participe pas d’une universalité commune à la technique et aux sciences24 ? Qu’est-ce qui fonde ce mode d’être technique du jeu ? Vers quoi progresse-t-il, à supposer que la notion de progrès soit applicable dans ce cas ? Laissons cela en suspens pour le moment, afin d’examiner, par l’exemple, quelles sont ces synergies dans le cas d’un jeu comme Magic.

L’un des aspects singuliers d’un deck Atemsis comme celui que je présente est la mise en place de synergies avec l’un des éléments d’un deck les plus difficiles à inclure dans une synergie : les sorts de débarras en masse. Il s’agit de sorts qui défaussent depuis le champ de bataille toutes les cartes d’un même type (créature ou enchantement, par exemple), qu’elles nous appartiennent ou appartiennent aux adversaires. L’usage de ce type de sorts est en très grande majorité défensif : il s’agit d’un bouton d’urgence lorsque l’on n’est pas en position de force et que l’on accepte de sacrifier nos propres avantages accumulés pour rééquilibrer la partie. De ce fait, le cadre de la Command Zone recommande de n’en jouer que trois ou quatre25. Le caractère symétrique de ces sorts, au sens où il affecte indistinctement l’ensemble des joueurs et joueuses de la même manière, rend délicat l’établissement de synergies avec le reste du deck.

Une première manière de parer à ce problème est d’utiliser des sorts de débarras en masse qui, dans leur texte de règle, offrent la possibilité d’une asymétrie en fonction de la stratégie utilisée. Un des meilleurs exemples de cette catégorie est sans doute le sort « Domination de congénères26 », qui permet, avant de détruire toutes les créatures, de choisir un type de créature qui sera épargné. Ainsi, dans un deck construit autour d’un type de créature peu commun (comme les « Alliés », par exemple), avoir recours à une telle carte permet d’être la seule personne à avoir des créatures sur le champ de bataille et donc d’attaquer librement les adversaires. En ce sens, le sort de destruction devient multifonctionnel, dans la mesure où il peut désormais être utilisé de manière offensive autant que défensive.

Un deck Atemsis peut offrir une autre voie vers la multifonctionnalité : celle de convertir des sorts symétriques de débarras en masse (sous la forme de renvoi massif dans la main, ce qui est l’équivalent dans la couleur bleue de la destruction dans d’autres couleurs) en sorts asymétriques. La liste présentée en compte d’ailleurs un nombre particulièrement haut, puisque sept peuvent être rangés dans cette catégorie, car pareils sorts sont des rouages importants de la stratégie. En effet, la symétrie effective de sorts comme la « Vague de déplacement27 » ou la « Marée dévorante28 » est augmentée d’une asymétrie particulièrement favorable : remonter dans notre main des cartes déjà jouées permet d’obtenir avec plus de certitudes les « six coûts convertis de mana différents » nécessaires à la victoire. Et, ce faisant, cela résout, ou du moins allège, une tension importante du fonctionnement du deck : la tension entre la nécessité de jouer nos cartes pour ne pas être débordé par celles de nos adversaires et celles de garder des cartes en main pour obtenir la victoire.

Ainsi les sorts de retour en masse ne sont pas seulement juxtaposés aux autres éléments du deck, mais reliés à eux par des synergies et une forte multifonctionnalité : la symétrie de l’effet sur le champ de bataille est en même temps une asymétrie pour l’état général de la partie, que l’usage du sort soit offensif ou défensif. De ce fait, la place des sorts de débarras en masse, qui tient souvent du compromis (comme une concession au fait que nos adversaires peuvent nous dépasser et qu’il faut alors s’en défendre vaille que vaille), devient un moteur du deck, en toutes circonstances : même un usage purement défensif d’un pareil sort a quelque chose d’offensif dans ce deck, puisqu’il remet des cartes dans notre main, ce qui constitue un autre niveau de multifonctionnalité29.

Dans la construction de ce deck, la pensée ludique doit inventer des synergies et des convergences entre les fonctionnalités des éléments à sa disposition face à un problème qui pourrait être grossièrement formulé de la sorte : « comment gagner une partie de Magic avec Atemsis en n’utilisant que 99 autres cartes ? ». Or, si ces synergies expriment une véritable technicité, alors cela suppose que, comme toute véritable invention, il y ait quelque chose dans cet assemblage de carte qui « dépasse la résolution du problème30 » et qui devient disponible pour la pensée technique et ludique en général. Ce quelque chose, identifié pour l’instant comme la haute intégration des sorts de débarras en masse à la stratégie, a été présenté comme une singularité du deck. En l’absence de fondement universel et scientifique, comme dans le cas de la technicité des machines, comment rendre compte de la valeur d’une singularité technique ? C’est ici que nous rencontrons la pensée esthétique et pouvons revenir à ce lien contemplatif à l’objet technique que nous avions jusqu’ici laissé de côté.

Du schème à l’effort : l’appréciation sensible de la construction du deck

Pourquoi Simondon fait-il grand cas du « sentiment esthétique de beauté technique » dans l’éducation à la technique ? Pour comprendre cela, il faut d’abord se rappeler pourquoi, durant la période moderne, un nouveau rapport à l’art et au sensible naît, qui entraîne Alexander Gottlieb Baumgarten à forger le néologisme d’esthétique31. Comme le dit Baldine Saint Girons :

Grâce à l’acte esthétique, le fugitif n’est plus discrédité comme irréel et insignifiant : placé sous le microscope de l’esthétiste, il permet d’accéder aux dimensions de notre existence dans lesquelles se révèlent les modalités de notre ancrage au monde32.

L’adjectif « esthétique » est donc au départ lié à une tradition de pensée qui opère un double mouvement de singularisation. D’une part, il s’agit de penser le domaine du sensible comme un domaine singulier, au sens où il est autonome par rapport à la raison ou d’autres domaines de la pensée humaine et constitue un rapport au monde spécifique qui vaut d’être étudié pour lui-même. D’autre part, ce « fugitif », ces « modalités de notre ancrage au monde » sont des choses singulières dans la mesure où elles expriment une relation sensible, finie, déterminée temporellement et localement, et dont la détermination particulière fait tout le prix et la richesse33.

C’est, jusqu’à un certain point, de cela qu’il s’agit pour Simondon. Développer la relation esthétique à la machine permet de considérer celle-ci, non pas comme un ustensile dont la valeur est mesurée à l’aune de critères d’efficacité et de production qui ne sont pas techniques en eux-mêmes34, mais comme une singularité ayant une densité sensible propre et remarquable par cette densité, rendant l’objet technique comparable, en un sens, à ce qu’est une œuvre d’art. Comparable, car il s’agit de voir qu’une machine n’est pas qu’un instrument muet, qui s’efface derrière ce pourquoi elle est utile, mais que sa structure ouvre à une dimension culturelle et humaine, de même qu’on ne regarde pas un tableau comme « une certaine étendue de peinture séchée et fendillée », mais que, à travers et dans cet aspect sensible, il se joue quelque chose d’humain qui nous cultive35. Comparable et non identique, car comprendre l’individualité, et par là les particularités, d’un objet technique demande de considérer moins l’apparence prise « ici et maintenant36 » par l’objet technique que les schèmes de fonctionnement qui deviennent sensibles à travers lui37.

Cela mène Simondon à une esthétique de l’épiphanie : la beauté de l’objet technique en action38 révélerait une insertion remarquable dans le monde naturel et humain qui ferait que le bel objet technique « achève et exprime le monde39 ». Cet aspect de la conception simondonienne doit ici être laissé de côté, dans la mesure où, dans le cadre des jeux comme Magic, ou bien le monde qui s’y exprime et s’y achève (à supposer que toute expérience esthétique puisse s’exprimer de la sorte, ce qui mériterait examen) est un monde déterminé par une qualité psychosociale et non physique, ou bien le monde en question est le monde du jeu Magic, dans la mesure où il est déterminé par des règles largement abstraites. Nonobstant, c’est bien à ce type d’objet exhibant des schèmes de fonctionnement que se rattache le deck Atemsis étudié. Ce deck existe physiquement, chez moi, mais son caractère sensible technique est tout aussi bien contenu, voire davantage sensible, dans la liste bien ordonnée dont j’ai donné le lien, comme une planche commentée permet de saisir le fonctionnement d’une machine plus clairement que l’objet lui-même. Quant aux schèmes de fonctionnement sur lesquels il repose, j’ai présenté celui qui me semblait le plus remarquable et le plus caractéristique : la conversion du schème de débarras symétrique des sorts à effets de masse en débarras asymétrique, grâce à l’importance accrue de la main pour Atemsis dans sa poursuite de la victoire, créant une synergie rare de ces sorts avec le plan de jeu en général en ce qu’ils permettent une réduction de la tension inhérente à ce deck entre jouer et ne pas jouer ses sorts. Cependant cette longue description n’aide pas forcément à comprendre la chose suivante : en quoi cela est-il apprécié sensiblement, de sorte que l’on puisse y percevoir une certaine beauté ?

Pour comprendre cela, il faut décomposer cette description en trois niveaux. Le schème de renvoi massif symétrique est celui qui est inscrit sur une carte comme « Vague de déplacement » et qui se lit à travers son texte de règles40. Celui de renvoi massif asymétrique n’est inscrit nulle part : il est le résultat d’un accord entre les cartes, que cet accord soit actualisé lors d’une partie ou juste imaginé à partir d’une liste. La conversion en désigne la nature en tant qu’effort de l’imagination, que ce soit l’imagination du constructeur du deck s’orientant parmi les possibles qui s’offrent à lui ou celle d’un autre joueur qui, voyant la liste, tente de comprendre pourquoi telle carte a été choisie, ce qui implique d’être capable de reconstruire le chemin de pensée ayant procédé au choix initial. C’est cette dimension d’effort qui constitue en propre la matière à partir de laquelle une appréciation sensible est possible.

Mais pareil effort n’est-il pas une opération intellectuelle et non sensible ? Les deux ne s’opposent pas. Cet effort est certes intérieur, il n’en est pas moins un mouvement de la pensée guidé par l’imagination et par ce que Simondon nomme la « sensibilité à la technicité qui permet de découvrir de nouveaux assemblages possibles41 ». Et surtout, l’accord qu’il crée entre les schèmes de débarras symétrique et asymétrique est de nature sensible, et non pas conceptuelle ou strictement logique42. Le terme de conversion n’est en effet pas un concept clôturant le débat, mais est la tentative de nommer la singularité de ce qui se passe dans cette relation, en encourageant à l’exploration de ce qui fait de cette conversion quelque chose d’aussi singulier et remarquable. La consistance sensible de cet effort de conversion me semble quadruple :

  1. Il permet une grande qualité d’homogénéité technique en rendant multifonctionnels des sorts ordinairement difficiles à intégrer dans le plan général du deck43.
  2. Il y a une robustesse de cette conversion : une autre manière de rendre asymétrique un sort à effet de masse symétrique est de le jouer alors qu’il y a sur le champ de bataille une carte comme l’« Artiste de sang44 », qui peut faire perdre des points de vie pour chaque créature détruite. La conversion n’opère que si les deux cartes sont effectivement jouées ensemble, ce qui ne peut toujours être le cas, et le sort de destruction massive enverra le plus souvent cet élément synergique qu’est l’« Artiste de sang » au cimetière. Or, dans le cas du deck Atemsis, et hors du cas assez improbable où notre part du champ de bataille est absolument vide, la multifonctionnalité est opérante, quel que soit l’état du champ de bataille lorsque le sort est lancé, car c’est dans son lien à la stratégie portée par le commandant, auquel nous avons toujours accès, que se joue la conversion45.
  3. En reprenant la même comparaison, l’effort de conversion est moins évident et plus subtil dans le cas du deck Atemsis : la carte « Artiste de sang » est, par son design même, ajustée à l’usage de sorts de débarras en masse, alors que la synergie entre ceux-ci et Atemsis s’inscrit dans une ouverture plus indéterminée de la carte, ce qui amène une nuance proche du bricolage, et non de l’ajustement d’éléments allant de soi ensemble46.
  4. Par l’ampleur qu’a l’effet de ces cartes sur le champ de bataille, il rend manifeste et résonne avec le schème de conversion qui est à la base de la carte « Atemsis » : la conversion des cartes en main de ressources potentielles en condition de victoire per se, ce qui est original dans le cadre de Magic.

Ces catégories n’expliquent pas forcément comment l’idée a pu surgir, mais elles rendent compte, à un niveau sensible, qui suppose l’efficacité du schème sans se réduire à elle comme seul critère pour évaluer le schème47, pourquoi le chemin de pensée, dans l’acte d’imagination du deck, a pris cette direction.

Cette exploration de la consistance de l’effort de conversion mène à porter un jugement tout à la fois descriptif et évaluatif sur les nuances sensibles de cet effort (homogénéité, résonance, subtilité), double dimension caractéristique des jugements sur la beauté48. J’entends ici beauté au sens d’inspiration kantienne49 qui implique deux choses. D’abord, que la beauté est le sentiment que produit le jeu de nos facultés, c’est-à-dire l’accord dynamique vivifiant de nos facultés intellectuelles et sensibles qui nous amène à approfondir notre relation à la spécificité sensible des choses ; et c’est ce mouvement d’approfondissement, qui crée, renforce et enrichit, le plaisir sensible que nous reconnaissons comme appartenant à la beauté50. Ensuite, que cette beauté est un plaisir qui est en même temps culture51 : l’approfondissement du sentiment de beauté cultive notre sensibilité générale, comme part profondément humaine de nous-mêmes, en nous rendant toujours plus sensibles à la beauté et, par là, aptes à sentir les « modalités de notre ancrage au monde52 » pour reprendre la formule de Baldine Saint Girons. Quel est cet ancrage dans le cas qui nous intéresse ici ? On revient ainsi, par un autre moyen, et pour conclure, sur les questions de ce qui fonde la technicité ludique.

Culture ludique, culture technique

Simondon voulait que ses élèves développent un sentiment de beauté technique à l’égard des machines afin de développer une culture technique qui puisse comprendre l’individualité des machines par la considération sensible des schèmes techniques et de leurs relations, comme une dimension importante et de la culture en général et de notre « ancrage au monde ». Il en va de même pour Magic. S’essayer à la construction d’un deck Magic, et y prendre plaisir, c’est développer sa sensibilité aux schèmes et à la manière de les accorder entre eux. Le plaisir sensible du deckbuilding est donc un plaisir de l’invention, comme effort d’orientation dans ce « jeu des schèmes53 » qui fonde l’imagination technique. En ce sens, la beauté ludique d’un deck Magic est une beauté technique et l’attitude ludique, du moins dans ce cas, déploie une véritable relation technique à son objet.

Cet article a pris le parti d’éclairer l’expérience ludique à partir de l’expérience technique de la machine, non sans difficulté par rapport au contexte simondonien originel. En effet, pour Simondon, la valeur d’un schème technique comme la conductance asymétrique de la diode tient pour partie à son universalité, au sens où il s’appuie sur les lois de la physique54. Or, le rapport entre la conversion d’un sort de débarras en masse symétrique en sort asymétrique, valable dans Magic et peut-être dans quelques jeux proches, et la science est inexistant. Qu’est-ce qui fonde alors la technicité des jeux comme Magic ? Ce n’est pas un lien à l’universalité des lois de la nature, qui permettrait alors de penser un progrès par concrétisation des objets ludiques, mais, à l’inverse, l’exploration des nuances de la sensibilité technique à travers les efforts d’imagination (ou, dans d’autres types de jeux, les efforts moteurs) permis par la diversité des milieux construits par les règles. Dit autrement, la technicité des jeux est alors fondée sur le développement la beauté technique dans des milieux largement fictionnels55.

Pareille conclusion force à envisager l’épineuse question du lien entre technique et jeux. Faut-il alors comprendre que le jeu est une part de la technique, la part qui développerait quelque chose comme une technique imaginaire ? À moins qu’il ne soit qu’un analogue de la technique, avec peut-être cette nuance d’infériorité qu’avait Baumgarten lorsqu’il pensait la connaissance esthétique comme un analogue de la raison ? Ou bien encore, est-il un domaine qui croise par son aspect sensible celui de la technique, et contribue ainsi à la technodiversité, comprise comme la diversité des pensées techniques ? L’une des clefs de réponse à cette question serait de voir si l’expérience ludique permet d’éclairer l’expérience technique, mouvement inverse à celui de cet article. Quoiqu’il en soit, ces questions ouvertes montrent une chose : culture ludique et culture technique sont liées, au moins par leur aspect sensible, et il semble donc que les jeux soient un ingrédient nécessaire à une initiation complète à la culture technique.

Bibliographie

Sources et ouvrages

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Vidéographie

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Notes

1 Mark Rosewater, « As good as it gets », Daily MtG, 5 juin 2006, URL : https://magic.wizards.com/en/news/making-magic/good-it-gets-2006-06-05 [consulté le 07/01/2025]. « It was a game bigger than the box it came in ». Je traduis. Retour au texte

2 Rappelons très brièvement les règles communes à toutes les variantes du jeu : deux joueurs ou plus s’affrontent en devant réduire le nombre de points de vie de leur(s) adversaire(s) à zéro. Pour cela, ils piochent, puis jouent des cartes réparties en cinq couleurs et choisies préalablement pour former un deck d’un nombre donné de cartes. On distingue deux types de cartes : les sorts et les terrains, l’utilité de ces derniers étant de fournir les ressources nécessaires pour jouer les sorts. Au sein des sorts il faut distinguer deux grands types : les permanents qui, comme les terrains, sont posés sur le « champ de bataille » et peuvent rester plusieurs tours en jeu, et les ceux à usage unique, qui une fois lancés, vont immédiatement dans la pile de défausse (« le cimetière »). Retour au texte

3 Roger Caillois, Les jeux et les hommes. Le masque et le vertige [1958], édition revue et augmentée [1967], Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1992. Retour au texte

4 Mathieu Triclot, Philosophie des jeux vidéo, Paris, La Découverte, 2017. Retour au texte

5 Un format désigne une manière spécifique de jouer, qui se définit avant tout par le nombre de cartes auquel l’on a accès pour construire son deck (ainsi, le format Standard ne donne accès qu’aux cartes des trois dernières années). Le format Commander donne accès à toutes les cartes existantes, mais introduit des variations de règles plus importantes, qui seront présentées dans le cours de l’article. Retour au texte

6 Pour une énonciation de ce principe et une collection d’exemples, voir la vidéo de Joseph « Joey » Schultz, « My Favorite EDH Moments | Magic: The Gathering | Commander », EDHRECast, 19/07/2023, URL : https://youtu.be/pzeVzkmpb-w?si=IuloYpCv8x1PjRT7 [consulté le 07/01/2025]. Retour au texte

7 Pour paraphraser les termes du joueur et game designer Brian Kibler dans un entretien filmé. Voir James Hsu, « Brian Kibler’s Magic Evolution (Interview) », Humans of Magic [podcast], 8 novembre 2022, 00:13:18 et suiv. URL : https://youtu.be/fSJJJcBGfdY?si=1F6Ua8LhPT7SFItT [consulté le 07/01/2025]. Retour au texte

8 Cet état d’esprit, que même un esprit purement compétitif n’efface pas complètement (dans la mesure où l’on peut préférer être compétitif à Magic plutôt qu’aux échecs), appartient à ce que le philosophe C. Thi Nguyen appelle le « striving play », le jeu pour l’effort, concept décisif pour comprendre ce que nous font sensiblement les jeux. Voir C. Thi Nguyen, Games. Agency as Art, New York, Oxford, Oxford University Press, coll. « Thinking Art », 2020. Retour au texte

9 Gilbert Simondon, « Place d’une initiation technique dans une formation humaine complète » [1953], Sur la technique, éd. N. Simondon Paris, Presses universitaires de France, 2014, p. 203-232, p. 204. Retour au texte

10 Sur l’importance de cette double échelle pour la compréhension des objets techniques, voir Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques [1958], Paris, Aubier, 2012, p. 98-102. Retour au texte

11 Ibid., p. 128. Retour au texte

12 Gilbert Simondon, Imagination et invention (1965-1966), éd. N. Simondon, Paris, Presses universitaires de France, 2014, p. 37-42. Retour au texte

13 Gilbert Simondon, « Place d’une initiation technique [...] », art. cit., p. 204. Retour au texte

14 La liste complète des cartes est consultable sur le site Archidekt, qui est un outil aidant à la construction de decks, URL : https://www.archidekt.com/decks/4170193 [consulté le 07/01/2025]. Retour au texte

15 Le détail des cartes citées individuellement est consultable sur le site Scryfall, URL : https://scryfall.com/card/m20/46/atemsis-all-seeing [consulté le 07/01/2025]. Retour au texte

16 Chaque couleur compte un type de terrain de base (dans le cas qui nous occupe, les îles sont associées à la couleur bleu), des cartes dont la seule fonction est de produire un mana de la couleur en question, c’est-à-dire une ressource à dépenser pour lancer des sorts. Limiter ces cartes rendrait le jeu injouable. Retour au texte

17 Le coût converti en mana est le nombre de mana total qu’il faut dépenser pour lancer le sort, sans prendre en compte le type de mana utilisé. Par exemple, pour Atemsis, son coût se compose de quatre mana incolores et deux mana bleus, soit un coût converti en mana égal à six. Retour au texte

18 Josh Lee Kwai, Jimmy Wong, « The NEW Commander Deck Building Template | The Command Zone 379 | Magic: the Gathering EDH Podcast », The Command Zone [podcast], 02/032021, URL : https://youtu.be/3K9PEeLG_6M?si=umq0D-0S2emkUP3r [consulté le 07/01/2025]. Retour au texte

19 Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, op. cit., p. 26. Retour au texte

20 Ibid., p. 24. Cette phrase est prononcée à propos des « moteurs anciens », encore abstraits. Retour au texte

21 Ibid., p. 25. Retour au texte

22 Ibid., p. 43. Retour au texte

23 Ibid., p. 29-31 et p. 57. Retour au texte

24 Ibid., p. 42. Retour au texte

25 En baisse par rapport à la précédente version du cadre, ce qui est justifié par le fait qu’il y a eu une accélération du format, alors que ces sorts, par l’ampleur de leur effet, sont relativement chers à lancer. Retour au texte

26 URL : https://scryfall.com/card/c17/18/kindred-dominance [consulté le 07/01/2025]. Retour au texte

27 URL : https://scryfall.com/card/ori/55/displacement-wave [consulté le 07/01/2025]. Retour au texte

28 URL : https://scryfall.com/card/vow/53/consuming-tide [consulté le 07/01/2025]. Retour au texte

29 Cette intrication du défensif et de l’offensif permet également de remédier en partie à un effet indésirable des sorts de débarras en masse symétriques faiblement intégrés à leurs decks : leur propension à prolonger indûment une partie. Sur ce point, voir l’interview de Craig Blanchette dans Josh Lee Kwai, Rachel Weeks, « Good Cards We Don’t Play | The Command Zone 508 | Magic: The Gathering Commander EDH », The Command Zone, 12/01/2023, 11:29 et suiv. URL : https://youtu.be/kM3nZS_hd4o?si=ouvOc3OogjiqOYdI [consulté lé]. Retour au texte

30 Gilbert Simondon, Imagination et invention, op. cit., p. 171. Retour au texte

31 Alexander Gottlieb Baumgarten, Méditations philosophiques sur quelques sujets se rapportant au poème [1735], Nanterre, Presses universitaires de Paris Nanterre, 2017, § 116, p. 138. Retour au texte

32 Baldine Saint Girons, « L’esthétique : problèmes de définition », dans Serge Trottein (dir.), L’esthétique naît-elle au xviiie siècle ?, Paris, Presses universitaires de France, 2000, p. 113. Retour au texte

33 Voir, sur ce point, la notion de « clarté extensive » chez Alexander Baumgarten, op. cit., § 16 à 19, p. 80-82. Retour au texte

34 Simondon insiste grandement à la fin de sa thèse secondaire sur le fait que la considération des objets techniques par le biais du travail ne permet pas d’accéder à la réalité technique. Voir Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, op. cit., p. 334-339. Retour au texte

35 Ibid., p. 201. Retour au texte

36 Ibid., p. 22-23 ; voir également Sacha Loeve, « Une autre manière de faire de la technologie avec et après Simondon », Artefact, no 18, 2023, p. 275, DOI : 10.4000/artefact.14045. Retour au texte

37 Il faut noter alors qu’il est parfaitement possible d’avoir un regard technique sur une œuvre d’art, de la « techniciser » en quelque sorte (et, vice versa, d’esthétiser un objet technique). Voir ainsi la lecture de la Joconde que fait Gilbert Simondon, « Réflexions sur la techno-esthétique », Sur la technique, op. cit., p. 386 et son commentaire par Sacha Loeve, art. cit., p. 284-287. Retour au texte

38 Comme le rappelle Simondon, la catégorie principale de la techno-esthétique (et donc de la beauté technique) est l’action et non la contemplation. Voir Gilbert Simondon, « Réflexions sur la techno-esthétique », op. cit., p. 383. Retour au texte

39 Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, op. cit., p. 255. Cela signifie que le moment de contemplation qui a lieu dans l’éducation technique est lié à l’action, en ce qu’il s’agit de voir la machine fonctionner ou d’imaginer le fonctionnement de celle-ci. Retour au texte

40 Le texte de règles n’est pas le schème, il est l’expression propre à Magic de cette fonction mécanique qu’est le débarras en masse, qui peut avoir d’autres expressions dans d’autres jeux ou dans d’autres domaines techniques. Pour une mise au point sur cette notion chez Simondon et une stimulante vision de la techno-esthétique à partir des schèmes, voir Sacha Loeve, art. cit., p. 273 et suiv. Retour au texte

41 Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, op. cit., p. 92. Retour au texte

42 C’est précisément ce qui est nommé « jeu » chez Kant. Voir Immanuel Kant, Critique de la faculté de juger [1790], trad. A. Renaut, Paris, Flammarion, coll. « GF », 1995, § 9, p. 195-196. Retour au texte

43 Sur l’homogène comme qualité du jugement d’appréciation sensible technique, voir Thomas Morisset, Du beau jeu. Esthétique, technique et jeux vidéo, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Aesthetica », 2024, p. 234-241, DOI : 10.4000/books.pur.195041. Retour au texte

44 URL : https://scryfall.com/card/avr/86/blood-artist [consulté le 07/01/2025]. Retour au texte

45 Lorsque le commandant est tué, il revient dans la zone de commandement, d’où il peut être relancé, moyennant un coût légèrement supérieur. Retour au texte

46 Que l’aspect non évident d’un deck ait un attrait sensible se voit dans le deck construit autour de « Kentaro, the Smiling Cat » par Spice8Rack, qui documente le processus de création dans une vidéo. L’aspect remarquable est d’avoir pensé qu’une mécanique de filtrage de la couleur blanche, largement inutile dans le format Commander, pouvait, par l’association aussi fragile que tordue de cartes, se transformer en une mécanique de réduction de coût des sorts. Voir donc Connor « Spice8Rack » Macleod, « Making Kamigawa’s “Useless” Commander Work | Deck-Tech, Lore, & Orientalism », Spice8Rack [podcast], 31/01/2022, URL : https://youtu.be/AguXT2xGqH0?si=SdFt9S2EXhvjvDli [consulté le 07/01/2025]. Retour au texte

47 Il existe en effet des manières bien plus efficaces de gagner une partie de Magic. Retour au texte

48 Thomas Morisset, Du beau jeu. Esthétique, technique et jeux vidéo, op. cit., p. 209-213. Retour au texte

49 Cette référence à Kant ne vise pas à en revenir à une beauté purement contemplative. En ce sens, comme le remarque Ludovic Duhem, « Introduction à la techno-esthétique », Archée, no février 2010, 2010, URL : https://archee.uqam.ca/fevrier-2010-introduction-a-la-techno-esthetique/index.html [consulté le 07/01/2025], la techno-esthétique simondonienne s’éloigne de l’esthétique kantienne, en partie fondée sur un « déni de la technique ». Je ne fais ici référence qu’à deux caractéristiques de la beauté kantienne (le jeu et le rapport à la culture) qui me semblent compatibles avec l’approche simondonienne, que je ne prétends pas suivre à la lettre. Pour une élaboration plus ample de cette articulation, qui n’a malheureusement pas sa place ici, voir Thomas Morisset, Du beau jeu. Esthétique, technique et jeux vidéo, op. cit., p. 174-185. Retour au texte

50 Immanuel Kant, Critique de la faculté de juger, op. cit., § 9 et § 23, p. 195-196 et p. 226. La reprise du terme kantien de jeu ne peut cependant se faire qu’à condition de réexaminer le lien à la connaissance dans le cadre de la techno-esthétique. Voir sur ce point le retour à Baumgarten proposé par Sacha Loeve, art. cit., p. 278-283. Retour au texte

51 Immanuel Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique [1798], trad. A. Renaut, Paris, Flammarion, coll. « GF », 1993, p. 196. Retour au texte

52 Baldine Saint Girons, art. cit., p. 113. Retour au texte

53 Sacha Loeve, art. cit., p. 273. Retour au texte

54 Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, p. 42-43 et p. 50. Retour au texte

55 Le terme ne fait pas seulement référence aux fictions mimétiques (tel jeu se déroule dans un monde de fantasy), mais au fait que les règles d’un jeu sont des « fictions axiomatiques », pour parler comme Olivier Caïra. Voir donc Olivier Caïra, Définir la fiction. Du roman au jeu d’échecs, Paris, Éditions de l’EHESS, 2011, p. 66-67. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Thomas Morisset, « La beauté technique du deckbuilding », Nouveaux cahiers de Marge [En ligne], 9 | 2025, mis en ligne le 25 janvier 2025, consulté le 01 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/marge/index.php?id=981

Auteur

Thomas Morisset

CRHI, Université Côte d’Azur

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