Usages numériques des élèves allophones : enjeux d’une recherche collaborative entre le département de FLE de l’université de Franche‑Comté et le CASNAV de Besançon

  • Digital Uses of Allophone Pupils: The Challenges of a Collaborative Research between the FLE Department of the University of Franche-Comté and the CASNAV of Besançon

DOI : 10.35562/partages.123

Résumés

Cet article aborde plusieurs aspects et enjeux relatifs au recours des outils numériques en contexte d’enseignement-apprentissage du français langue seconde (FLS). Il revient tout d’abord sur la création d’un groupe de travail collaboratif à Besançon, réunissant divers acteurs de l’éducation et de la recherche, et créé pour étudier l’intégration des technologies dans l’enseignement des langues. Ce groupe s’intéresse notamment à l’utilisation des outils de traduction automatique par les élèves allophones et, plus largement, sur l’impact des outils de médiation langagière sur les apprentissages de l’écrit en FLS. Enfin, cette contribution examine comment cette recherche collective influence la formation des enseignants de FLE/FLS, en soulignant par exemple la nécessité d’adapter les programmes universitaires pour prendre en compte les nouvelles pratiques numériques des apprenants.

This article addresses several aspects and issues related to the use of digital tools in the context of teaching and learning French as a second language (FSL). It first discusses the creation of a collaborative working group in Besançon, bringing together various stakeholders in education and research, established to study the integration of technologies in language teaching. This group is particularly interested in the use of automatic translation tools by allophone students and, more broadly, in the impact of language mediation tools on written FSL learning. Finally, this contribution examines how this collective research influences the training of FSL/FSL teachers, highlighting, for example, the need to adapt university programs to take into account learners’ new digital practices.

Plan

Texte

Introduction

Les situations de migration conduisent chaque année un nombre important d’élèves allophones à fréquenter l’école française : au cours de l’année scolaire 2020‑2021, 64 564 jeunes ayant des besoins éducatifs particuliers dans le domaine de l’apprentissage du français langue seconde (FLS) ont été scolarisés en école élémentaire, en collège ou en lycée (Brun, 2022). Dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la République de 2013, qui a consacré le principe d’inclusion scolaire, ces élèves sont normalement inscrits dans les classes ordinaires et bénéficient d’un dispositif d’enseignement spécifique en FLS souvent assuré par les unités pédagogiques pour élèves allophones nouvellement arrivés (UPE2A). Tout au long de ce processus de scolarité différenciée articulant deux environnements de travail fortement interdépendants, le recours à des outils, applications et ressources numériques en classe ordinaire comme en dispositif linguistique s’est progressivement installé sous la forme de pratiques très hétérogènes : le degré d’intégration des TICE dans les apprentissages langagiers et disciplinaires des élèves allophones demeure très variable sur le terrain. En l’absence de recommandations officielles spécifiques au niveau national, l’accompagnement des pratiques numériques de cette catégorie d’élèves par les enseignants et/ou la mise à disposition de dispositifs d’apprentissage médiatisés pour des usages en présentiel ou en ligne sont loin d’être systématiques et semblent dépendre en partie de la formation initiale et continue, des pratiques et appétences personnelles des enseignants, ou encore des représentations professionnelles relatives aux langues et/ou aux technologies. À l’échelle de l’académie de Besançon, la réflexion sur les pratiques numériques en UPE2A a abouti à la rédaction d’une circulaire académique annuelle incluant de nombreuses références aux usages numériques en médiation. Élargie à d’autres acteurs éducatifs et de la formation, cette réflexion s’est progressivement transformée en une dynamique collaborative que nous souhaitons présenter dans les lignes qui suivent.

Nous évoquerons dans cette contribution écrite à trois voix les travaux menés collectivement à la faveur d’un groupe de travail créé dans l’académie de Besançon. Dans une première partie, nous reviendrons sur les acteurs et les finalités d’une telle démarche collaborative. Ce sera l’occasion de justifier le caractère de recherche-intervention que nous entendons donner aux activités de ce groupe. Dans un deuxième temps, à titre d’illustration, nous rendrons compte de l’état d’avancement d’un chantier de recherche relatif aux pratiques de traduction automatique en UPE2A. Enfin, dans une troisième partie, nous mettrons à profit nos regards différenciés de formateurs à l’université pour interroger les retombées espérées de cette recherche qualitative en termes de problématiques de formation à destination des enseignants de français et de langues vivantes.

1. Présentation d’une démarche collaborative pluri-catégorielle : retours sur la création du groupe de travail « Médiations numériques et didactiques des langues vivantes » (Besançon)

Depuis de nombreuses années, le CASNAV de Besançon et le département de FLE trans‑composantes (DEFLET, université de Franche‑Comté) collaborent à travers diverses recherches dédiées à l’inclusion scolaire des élèves allophones. Ce partenariat repose notamment sur une forte mobilisation des étudiants inscrits dans la filière FLE à travers des stages d’observation et pratiques, et sur des recrutements pendant ou à l’issue des études comme assistants d’éducation ou enseignants contractuels affectés spécifiquement aux UPE2A. Les enseignants déjà en poste venant se former à la didactique du FLE/S à la faveur de congés de formation sont également sollicités pour contribuer à ce partenariat. En arrière‑plan immédiat, le numérique éducatif constitue une problématique transversale aux différents chantiers de recherche conduits par plusieurs équipes jusqu’à aujourd’hui. Dans cette continuité, un groupe de travail « Médiations numériques et didactiques des langues vivantes » a été créé en 2021 à l’initiative de l’équipe du CASNAV, associant le réseau académique de langues vivantes, la Délégation régionale du numérique pour l’éducation (DRNE), l’INSPÉ et le DEFLET. Les participants à ce groupe de travail, volontairement hétérogène, occupent des positions variées dans le système éducatif et de recherche : enseignants en UPE2A ou en langues vivantes, enseignants-chercheurs, étudiants, experts en numérique éducatif, interlocuteurs académiques pour le numérique, formateurs, observateurs extérieurs.

S’inscrivant à la croisée des recherches sur les littératies numériques à l’école, sur l’apprentissage des langues médiatisé par les technologies et sur les didactiques des langues, les chantiers de recherche portés par ce groupe de travail sont nés du constat de plusieurs mutations autour des usages numériques et concernant notamment les classes de langues vivantes et les UPE2A. L’identification de perspectives didactiques conjointes (langues vivantes, FLS et TICE) constitue l’une des finalités de ce groupe, la difficulté étant de parvenir à dépasser les constats hétérogènes en matière de pratiques numériques associées aux apprentissages langagiers pour construire un questionnement commun à tous les acteurs du projet. En général, les pratiques numériques scolaires en situation d’apprentissage des langues se caractérisent notamment par :

  • des usages se situant majoritairement du côté des élèves et qui restent peu encadrés, accompagnés ou intégrés par les enseignants ;

  • une diversité de niveaux de formation et d’implication des enseignants ;

  • des ressources institutionnelles exprimant une logique descendante ;

  • une pluralité de supports et de normes d’utilisation en fonction des contextes ;

  • une méfiance vis-à-vis des outils de médiation numérique grand public comme les traducteurs automatiques commerciaux ou, plus récemment, les agents conversationnels à intelligence artificielle ;

  • un manque de perception sur la nature exacte des compétences techno-pédagogiques désormais associées aux métiers d’enseignants de français et de langues ;

  • etc.

Les modalités de travail du groupe sont diverses et, en partie, informelles. Elles relèvent de logiques d’expérimentation et d’ajustements permanents du fait de la pluralité des profils des participants et des secteurs institutionnels représentés. À l’occasion de la première séance de travail (mai 2021) organisée dans le cadre de l’École académique de la formation continue (EAFC), les tâches suivantes ont été initiées :

  • partages d’expériences autour des usages numériques en didactiques du FLS et des langues vivantes ;

  • diffusion d’une bibliographie préparatoire dans l’optique d’ateliers de lectures ;

  • expérimentation pratique à titre introductif de l’application Google Translate à partir du matériel de formation proposé par le CASNAV aux professeurs en formation continue et initiale.

Les écrits de synthèse rédigés a posteriori font systématiquement l’objet d’une écriture-relecture collaborative. Une grande partie de ce travail en réseau relève d’échanges d’informations et de ressources autour des expériences individuelles et professionnelles, elles‑mêmes variées du fait des différentes positions et expertises représentées dans la communauté de travail. Il nous apparaît que cette activité à bas bruit constitue un enjeu méthodologique à part entière.

Depuis cette première réunion, de nombreuses expériences ont été menées, notamment dans les classes du second degré, confirmant l’importance des recherches sur l’accompagnement et la valorisation des pratiques autour du numérique. Une expérimentation avec l’appui de la DRNE concerne l’usage de tablettes nomades auprès des élèves allophones isolés dans le premier degré — action encore en cours en 2023‑2024.

Les experts FLS et langues vivantes du groupe ont été associés par la DRNE à l’analyse des projets proposés par les établissements du Doubs dans le cadre de l’action « Territoires numériques éducatifs » (TNE), permettant la mise à disposition d’équipements numériques, de formations adaptées et de ressources pédagogiques.

Des séjours ERASMUS ont été financés pour permettre des visites d’étude dans des établissements frontaliers (Rhénanie-Palatinat), prenant en charge des élèves allophones et réfugiés et faisant appel au numérique dans les classes. En mai 2023, une journée de réflexion du groupe a été organisée à l’UFR SLHS de l’université de Franche‑Comté autour des travaux de recherche d’Aurélie Bourdais (MCF en didactique de l’anglais) sur les traducteurs en ligne utilisés en contexte d’enseignement-apprentissage de l’anglais. Enfin, des observations dans des dispositifs en UPE2A par des étudiants de l’UFC ont abouti à des mémoires professionnels ou de recherche sur des problématiques intéressant directement les usages numériques des enseignants et des apprenants.

2. Illustration de la démarche collaborative : compte rendu partiel de l’étude des pratiques de traduction automatique et autonome dans une UPE2A d’un lycée de Besançon

Nous proposons maintenant d’illustrer l’implication des étudiants de master FLE dans ce chantier collaboratif. Pour ce faire, nous allons rendre compte d’une étude qualitative en cours, initiée au sein d’une UPE2A d’un lycée de Besançon et dédiée aux rapports entre littératies scolaires et pratiques numériques. La finalité de cette recherche est d’analyser la place des outils de traitement de la langue — dont les nouvelles générations de traducteurs automatiques — dans les apprentissages de l’écrit en FLS/FLSco et de valoriser éventuellement de « nouveaux gestes face à l’écrit » (Penloup, 2012). Apparues au tournant des années 2000, les applications de traduction-transcription-oralisation sont actuellement devenues de véritables suites technologiques utiles à la médiation linguistique à l’intérieur des classes de langues et, plus généralement, à l’entour des apprentissages langagiers. Si, dans le champ francophone, les études récentes dédiées aux médiations langagières outillées portent principalement sur l’enseignement des langues vivantes — en particulier de l’anglais (Bourdais et Guichon, 2020 ; Bourdais, 2021), des recherches intéressant la didactique du FLS/FLE (Bozhinova, 2021 ; Bozhinova, Narcy-Combes et Mabrour, 2020 ; Barysevich et Costaris, 2021 ; Beacco, 2023) ou la scolarisation des élèves allophones en UPE2A/classe ordinaire (Langanné et Rigolot, 2021) démontrent l’intérêt des acteurs de la formation et de la recherche en didactiques du français. Bien que relevant de contextualisations diverses, ces usages relativement méconnus nous semblent témoigner, côté élèves-apprenants, d’une « intégration approfondie » (Guichon, 2012) des outils numériques en classe et, côté enseignants, de l’émergence d’une compétence techno-pédagogique spécialisée en matière de guidage et de conception transversale des tâches.

Dans le cadre de son stage d’études de master 2, une étudiante s’est vu confier des activités de production écrite qu’elle a pu transformer en temps d’expérimentation et d’observation. Partant du constat que le recours aux traducteurs automatiques au sein de séquences de production écrite relève aujourd’hui d’un étayage numérique devenu relativement courant en contexte de FLS, l’étudiante a proposé à un panel de six élèves allophones des activités de lecture-écriture associées à divers types de textes (descriptifs, narratifs, argumentatifs). Les parcours rédactionnels bi-plurilingues des élèves ont été restitués sous la forme de montages complexes de captures d’écran renvoyant à des utilisations autonomes et différenciées du traducteur automatique.

Une première analyse de ce corpus multimodal (Rahabi, 2023) a permis de repérer une fréquence élevée ainsi qu’une diversité d’opérations langagières réalisées avec les traducteurs par ce public de scripteurs allophones évalués à un niveau B1 à l’écrit. Caractérisées par des allers‑retours entre L1 et L2, ces pratiques de médiation linguistique-numérique semblent s’inscrire dans un véritable continuum de besoins langagiers. Dans cette perspective, la fonctionnalité « traduire » ne renverrait pas au seul geste d’accès au sens d’un mot ou d’un énoncé, mais à une pluralité de stratégies langagières. Concrètement, les élèves ont recours à des traducteurs tout au long du processus rédactionnel pour multiplier les démarches de compréhension et de ré‑énonciation :

  • comprendre la consigne d’une activité ou explorer la ressource langagière initiale (document déclencheur) ;

  • élaborer le plan de leur production écrite et, plus largement, intensifier les phases de brouillon ;

  • comprendre le sens d’un mot inconnu en L2 ;

  • apporter un mot ou une expression disponible en L1 mais pas en L2 ;

  • produire un énoncé ou un paragraphe en L2 à partir d’un brouillon en L1 ;

  • vérifier un énoncé ou un paragraphe produit en L2 à l’aide d’une (re)traduction en L1 ;

  • procéder à des vérifications d’ordre orthographique ou grammatical ; etc.

Conduite de manière collective, la seconde phase de constitution de corpus et d’analyse visera, à partir de 2024, à approfondir le rôle joué par de tels outils de médiation linguistique dans le développement, sinon la sollicitation du répertoire stratégique langagier des élèves allophones. En effet, les usages numériques sont ici à repérer à toutes les étapes du processus rédactionnel, c’est-à-dire qu’ils intéressent les différentes « stratégies de production » associées à la rédaction en L2 (par exemple, planification, exécution, évaluation, remédiation — pour reprendre la catégorisation du CECRL, 2001, p. 53). Autrement dit, les médiations langagières permises par le traducteur automatique sont majoritairement déclenchées par la recherche de gains stratégiques en matière de production écrite et de projection sur le cadre évaluatif. Une mise en correspondance des opérations langagières réalisées et des besoins stratégiques est en cours pour vérifier cet aspect.

Dans cette perspective, il serait d’ailleurs nécessaire de considérer la nature tactique de ces usages numériques par les élèves, notamment en matière de compensation, d’autoévaluation et d’autocorrection. C’est tout un répertoire véritablement tactique possiblement mobilisable par les élèves, a fortiori dans le cadre d’une séquence de production écrite guidée par l’enseignant jusque dans l’intégration du traducteur automatique. Si un certain nombre d’analyses restent à faire, il est toutefois possible d’affirmer que les besoins langagiers et stratégiques des élèves allophones rencontrent des usages numériques qui constituent autant de leviers méthodologiques concrets permettant de dépasser des difficultés d’ordre linguistique (lexical, syntaxique), langagier (discursif) et procédural. Autrement dit, la traduction intégrée à des séquences de production textuelle pourrait être conçue comme vecteur d’un apprentissage expérientiel fondé sur une meilleure maîtrise des processus métacognitifs de transferts entre L1 et L2, incluant des stratégies de production et de médiation. En ce sens, la traduction permettrait de se diriger vers une didactique de l’écrit outillée en FLS.

À l’avenir, pour élargir cette problématique, il s’agirait également d’approfondir l’analyse de ces usages en termes d’aide à l’auto‑identification des compétences en langue d’origine et issues de la scolarisation et/ou des stratégies d’apprentissage antérieures, formelles ou informelles, ainsi que des compétences scolaires déjà en place. En d’autres termes, il nous semble que les pratiques de traduction automatique permettent également d’associer l’avant et l’actuel, et ainsi de réduire probablement certaines discontinuités scolaires et langagières en rendant visible ou en stabilisant le continuum d’apprentissage. Cette hypothèse invite certainement à poser plus clairement les questions de (ré)activation et d’adaptation des répertoires, voire des patrimoines individuels.

Se situant bien au‑delà des fonctionnalités et utilisations attendues ou associées à un imaginaire de la traduction automatique fondé sur des pseudo-mécaniques d’équivalence, ces médiations langagières outillées qui intéressent la relation élève-outil appellent à de nouvelles formes de médiations pédagogiques en formation initiale et continue des enseignants.

3. Dimension collaborative du groupe de travail et retombées dans les formations des (futurs) enseignants de français langue étrangère et seconde

Le dessein du groupe de travail « Médiations numériques et didactiques des langues vivantes », évoqué plus haut, est notamment porté par l’idée que la recherche menée auprès des élèves bénéficiant d’un dispositif UPE2A peut produire des bénéfices en termes de formation pour l’ensemble des parties prenantes : formation initiale et continue des enseignants de français/lettres en UPE2A, des enseignants de langues vivantes, des enseignants et formateurs de FLE, etc. Nous nous intéresserons en particulier dans les lignes qui suivent à cette circonvolution entre les différents acteurs ainsi qu’aux retombées sur les finalités et les modalités d’enseignement-apprentissage du master FLE de l’UFC.

Depuis un certain nombre d’années, des modules d’enseignement « numérique » (« Formation en ligne », « Multimédia en classe de FLE », « Pratiques et environnements numériques en classe de FLE ») sont proposés en deuxième année du master FLE de l’UFC. Jusque‑là, les objectifs explicitement visés par ces modules sont de former les enseignants aux enjeux du numérique, de présenter des outils et des ressources disponibles en ligne et de réfléchir à leurs apports du point de vue de l’enseignant ou de celui de l’apprenant dans la classe. Il est question d’observer en quoi le scénario pédagogique de la classe de langue peut être modifié, d’interroger les pratiques enseignantes et apprenantes et de questionner l’apport ou les limites des technologies dans le processus d’enseignement-apprentissage. Le numérique est‑il seulement un facilitateur ? Un artefact ? Un remplaçant ? De la poudre aux yeux ? Ludique pour les élèves, donc motivant ? Est‑il une réelle plus‑value pour l’enseignant ? En résumé, les contenus des enseignements que nous dispensons portent sur l’intégration du numérique aux pratiques pédagogiques (de son recours en présentiel à une formation entièrement en ligne, où l’autonomie de l’apprenant est importante voire essentielle) et sur les avantages et les limites de l’intégration du numérique en classe. Dans un contexte post‑Covid, la « classe virtuelle » et ses modalités pédagogiques sont aussi devenues plus centrales : interroger les interactions synchrones qui y ont cours, les interventions de l’enseignant ou encore les possibilités de travail entre pairs a pris en effet une place importante. Après avoir présenté ressources et outils (et leurs sous‑jacents théoriques) aux étudiants, nous leur proposons des temps d’expérimentation en donnant des cours en ligne synchrones à des apprenants d’universités lointaines avec lesquelles nous sommes en contact étroit (à savoir l’Institute of Distance Education de l’université d’Eswatini en Afrique australe et l’Escuela Oficial de Idiomas de Pamplona en Espagne). Ainsi se succèdent moments théoriques et pratiques, transmission de savoirs et développement de savoir‑faire. Les étudiants animent des cours de langue en ligne par le biais d’une plateforme de visioconférence : l’idée est de leur faire vivre une première expérience de classe au sein de laquelle il faut maîtriser à la fois l’outil technique, le scénario langue et acquérir une posture d’enseignant. En amont, il est nécessaire pour les étudiants de trouver des ressources non didactisées sur Internet, de les sélectionner puis de les exploiter avec les outils numériques disponibles. Un autre enseignement vise quant à lui à créer une unité didactique entièrement en ligne (sur Moodle) incluant des activités de compréhension ainsi que des activités de productions orales et écrites, animées et rythmées par des outils médiatisés tels que des forums, des wikis, des exerciseurs, etc. Une fois construite, cette formation entièrement en ligne destinée aux élèves d’UPE2A de l’académie de Besançon est testée in vivo par les étudiants. Ainsi, ces enseignements construits autour du « numérique » permettent d’acquérir des compétences et, en même temps, à chacun de devenir apte à en faire une analyse critique : étudier soi‑même les répercussions induites par l’introduction des TICE sur les métiers de l’enseignement des langues, découvrir les compétences techno-pédagogiques requises aujourd’hui perçues comme indispensables aux enseignants de langue et comprendre l’utilité de la technologie comme appui à la pédagogie dans la classe de FLE.

En tant qu’enseignants-chercheurs engagés dans des cursus destinés à former et accompagner le développement des compétences des enseignants de français langue étrangère ou seconde, l’usage des outils de traduction automatique, la consultation des ressources disponibles en ligne et, plus largement, la présence et l’utilisation des téléphones portables et des outils/applications dans les classes accueillant des apprenants de FLE/S, viennent questionner les contenus des cours que nous dispensions dans notre master. Le groupe de travail a pour ambition principale de partager, puis de comprendre et enfin, de problématiser les faits éducatifs présents dans les classes. Par ricochet, il vise également à réfléchir et à adapter, à remodeler les contenus des formations dispensées aux professionnels déjà actifs dans les classes ou aux étudiants, futurs professionnels de la didactique du FLE/S. Ainsi, si nous devons transmettre les savoirs disciplinaires indispensables à un enseignant de langue — en l’espèce, la langue française, ses fonctionnements, sa grammaire, ses variations, le matériel existant déjà dans cette discipline et leurs assises théoriques voire épistémologiques —, nous devons également transmettre les savoir‑être et savoir‑faire nécessaires pour animer une classe de manière à ce qu’il y ait bien apprentissage (appropriation) auprès des publics ciblés et dans des contextes déterminés et ce, au plus près de l’actualité. Cette circularité entre terrains, nouveaux comportements apprenants, besoins de formations et recrutements nous paraît primordiale.

Désormais, et suite aux observations, aux constats faits dans les collèges et lycées de l’académie de Besançon sur les usages des outils de traduction dans le secondaire, plusieurs points de réflexion émergent : il ne s’agirait plus de trouver des solutions pédagogiques pertinentes face à la variété des situations d’enseignement-apprentissage, mais d’orienter nos recherches vers l’usage personnel de la technologie par les apprenants, en s’intéressant à la manière dont les enseignants doivent laisser place à cette technologie dans la classe (et dans quelle mesure). L’usage que les élèves font de leurs téléphones et les possibles qu’ils contiennent — tant au niveau des outils de traduction automatique que des productions écrites (elles aussi) automatiques —, mais aussi le fait que les élèves portent avec eux leur langue première dans la classe, ont besoin d’être étudiés. Il n’est plus question de former à intégrer le numérique à la classe, mais bien de comprendre l’usage personnel et formatif que chaque élève peut faire des technologies à disposition et si celles‑ci permettent l’apprentissage et le développement des compétences, qu’elles soient d’ordre scolaire et/ou linguistique et/ou d’identisation. Si tel est le cas, quel(le) est ici le rôle / la place de l’enseignant ? Nos recherches tendent aujourd’hui à s’intéresser à ces questions et nos formations universitaires à apprivoiser ces nouveaux outils.

Conclusion

Nous nous sommes attachés à illustrer comment certains usages numériques donnaient lieu à des reconfigurations de l’enseignement et de l’apprentissage et venaient nourrir de nouvelles réflexions en didactologie et en politiques éducatives. Bien que diversifiés, ces usages numériques qu’il est possible d’observer chez les élèves sont majoritairement orientés vers les compétences scolaires et langagières à acquérir. De tels usages massifiés semblent aujourd’hui jouer un rôle spécifique en matière d’étayage des apprentissages dans les matières linguistiques et dans l’ensemble des disciplines d’enseignement. Au‑delà de l’observation et de l’accompagnement de pratiques autonomes qui ont pour caractéristiques d’être fréquemment intuitives et synchronisées avec l’évolution technologique, l’ambition attachée à notre démarche collaborative est d’établir un espace commun de recherche qui puisse rendre compte de la prégnance d’environnements numériques introduisant toujours plus d’instabilité dans les dispositifs éducatifs. Si le point d’ancrage choisi initialement est relativement restreint, à savoir les élèves allophones dont les besoins immédiats peuvent être définis de façon pragmatique (comprendre/produire en contexte scolaire exolingue et/ou d’alphabétisation), il est probable que les constats et les pratiques dégagées puissent témoigner des mutations en cours au‑delà des seuls réseaux des professeurs de langues vivantes et d’UPE2A.

L’intégration exponentielle des fonctionnalités et des dynamiques algorithmiques croisées au sein d’applications grand public donne à chacun, élèves et enseignants, une double position d’usager et de prescripteur mais vient aussi bouleverser les processus d’acquisition, de transmission et d’évaluation des connaissances. L’apparition d’outils conversationnels ainsi que le développement probable d’assistants numériques personnels intelligents (API), en intégrant non seulement les fonctions de traitement de la langue évoquées plus haut, mais aussi en mettant à portée immédiate l’ensemble du stock informationnel collecté par les intelligences artificielles, viennent interroger les cadres méthodologiques et pédagogiques, les postures et les gestes professionnels ordinaires dans le domaine de l’enseignement-apprentissage des langues autant que dans l’ensemble des champs disciplinaires.

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Citer cet article

Référence électronique

Olivier Mouginot, Corinne Raynal-Astier et Michael Rigolot, « Usages numériques des élèves allophones : enjeux d’une recherche collaborative entre le département de FLE de l’université de Franche‑Comté et le CASNAV de Besançon », Partages [En ligne], 01 | 2024, mis en ligne le 29 novembre 2024, consulté le 18 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/partages/index.php?id=123

Auteurs

Olivier Mouginot

Université de Franche-Comté, laboratoire CRIT
olivier.mouginot[at]univ-fcomte.fr

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Corinne Raynal-Astier

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CASNAV de Besançon
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