Appel numéro 5

Des usages aux refus d’usage de l’IAG en contexte d’enseignement apprentissage des langues : quels positionnements pour chercheurs et enseignants ?

Coordonné par Eglantine Guely Costa1 et Claire Miécaze2

En lien avec le Colloque NEALA organisé par l’AFLA3, ce numéro de la revue Partages propose une réflexion sur la diversité des possibilités d’usages et de positionnements (pouvant conduire à des refus d’usage) de l’Intelligence Artificielle Générative en contexte d’enseignement et apprentissage du français et des langues. Le numéro propose de revenir sur l’émergence à portée du grand public de l’usage de diverses formes d’Intelligences Artificielles Génératives (IAG), fondées sur les Grands Modèles de Langue (GML), diffusées massivement par des opérateurs installés du monde du numérique. Grâce à ces outils, il est possible de réaliser en un temps record des tâches de production langagière qui étaient jusqu’alors l’apanage du rédacteur humain. Ils mettent à la portée de leurs usagers la génération rapide de textes présentant une conformité à des normes attendues (Narcy-Combes, 2009), critère associé généralement aux compétences du scripteur expert (Casal & Kessler, 2023).

En contexte éducatif, l’attention des acteurs s’est d’abord portée sur des inquiétudes, en particulier concernant l’idée de triche ou plagiat en lien avec des travaux évalués, ou des devoirs à la maison produits avec l’aide de ces outils. Ces outils amènent ainsi enseignants et chercheurs à se poser des questions d’ordres pédagogique, mais aussi écologique (cout carbone des usages, (Luccioni et al., 2024)), éthique (origine des corpus, biais de représentations, respect des règlementations en matière de données, etc.), économique (choix de logiciels libres ou propriétaires en éducation, éthique des entreprises du secteur). Alors que ces inquiétudes pourraient soulever débats et discussions au sein des corps professionnels concernés, les instructions officielles invitent explicitement à l’« ’appropriation pédagogique de l’intelligence artificielle (IA) » qui « doit permettre à l’École d’assurer son rôle dans l'éducation aux médias, à l'information, au développement de l’esprit critique et à la compréhension des avantages et inconvénients des technologies pour des usages raisonnés et durables » (Ministère de l’éducation nationale, 2023, p. 27). Certains chercheurs estiment pourtant qu’il est important d’identifier les impensés liés au numérique en matière d’IA (Falgas & Robert, 2023) circulant dans la sphère médiatique, et qui pénètrent les environnements pédagogiques et scientifiques.

Dans le cadre de cet appel, nous proposons de centrer les réflexions autour de l’enseignement et l’apprentissage du français et des langues en lien avec la diversité des positionnements relevant d’usages et ou de refus d’usage de l’IAG en contexte pédagogique. Les contributions attendues, insérées dans des recherches collaboratives ou participatives menées dans des classes ou d’autres contextes d’enseignement/apprentissage, pourront s’inscrire dans le domaine de la didactique du français en tant que didactique de langue-culture, éventuellement en lien avec d’autres langues, et des approches où la place du langage dans les apprentissages est prise en compte (enseignement de disciplines dites non-linguistiques, enseignement en contexte plurilingue, etc.). La co-construction de points de vue impliquant professionnels de l’éducation et chercheurs du domaine est particulièrement encouragée, dans la diversité des voix des participants à la recherche en éducation et des méthodologies mises en œuvre. Nous rappelons que les contributions devront s’insérer dans l’une des trois rubriques de la revue et s’adosser sur :

  • des analyses de dispositifs didactiques mis à l’épreuve de la classe (adossés ou non à des dispositifs de recherche et d’évaluation),

  • des récits réflexifs d’expériences écrits par des acteurs/auteurs de recherches collaboratives qui problématiseront leur retour d’expérience autour d’un enjeu méthodologique/épistémologique ou éthique émergeant de cette expérience

  • des chantiers de recherche qui mettent en lumière des projets de recherche et d’action éducative en cours d’élaboration.

Axe 1 – IAG et compétences en langues et en littératies

L’utilisation de l’IAG ouvre des possibilités pour les enseignements et apprentissages langagiers, par exemple en permettant de nouvelles activités de relecture, réécriture, correction, traduction, réflexion autour de la production textuelle. Il est aussi possible de faire jouer à l’IAG des rôles pour dialoguer avec l’élève, comme un locuteur fictif de la langue cible, ou en tant que tuteur virtuel. La nouveauté de l’outil et son aspect interactif sont susceptibles de générer de l’intérêt et de nouvelles sources de motivation auprès des enseignants et des apprenants. Néanmoins, les bénéfices en termes d’apprentissage semblent varier en fonction de l’âge des utilisateurs (Wu & Yu, 2024) et des formes d’usage. Dans des situations de travail à la maison, la rapidité et la facilité d’exécution des tâches demandées à ces outils sont telles que la tentation est forte pour les élèves d’y recourir, en substituant l’activité d’apprentissage demandée à une tâche (plus ou moins experte) de réalisation de commande. Ainsi, la puissance des nouvelles technologies invite à reconsidérer engagement voire effort (Parmentier, 2024) en relation au temps nécessaires à la construction des compétences, tout particulièrement en expression écrite.

Les contributions de cet axe pourront par exemple s’appuyer sur les questions suivantes :

  • Quelles potentialités de l’IAG peuvent être favorables ou non au développement de compétences en langue, orale ou écrite, et en littératie ?

  • Quelles relations observer entre usage ou non-usage de l’IAG avec l’engagement des apprenants dans des tâches complexes sur les plans cognitif et langagier?

  • Comment les enseignants de langue se positionnent-ils face aux usages d’IAG ou d’autres outils d’aide à la production textuelle en contexte éducatif ?

Axe 2  - IAG et évaluation en langues et en littératies

Une méta-analyse de Lo (2023) montre que des IAG peuvent réussir divers examens prestigieux, parfois bien mieux que les meilleurs candidats, et dans d’autres circonstances, fournir des réponses incorrectes ou fausses. Certains établissements ont d’abord cherché à interdire l’utilisation de Chat-GPT, pour ensuite devoir admettre que les dispositifs de détection des IAG ne sont pas fiables et ne pourront probablement jamais l’être (Ibid.). Le domaine de l’évaluation s’est ainsi trouvé directement concerné par les premiers usages indépendants de l’IAG par des apprenants, remettant en question la relation entre évaluations et tâches demandées, et construction, outillée ou non, des compétences visées. Le domaine du français et des autres langues, depuis longtemps perméable aux remises en question des pratiques d’évaluation, que cela soit en fonction des évolutions pédagogiques, technologiques et communicationnelles, semble un espace particulièrement pertinent de réflexion sur ces questions.

Si les usages de l’IAG remettent en question certaines formes d’évaluations, ils peuvent aussi provoquer la réflexion sur les pratiques. Au service de l’entrainement à l’évaluation sommative pour l’apprenant, elle peut permettre de générer des outils d’évaluation tels que des QCM sur un contenu de cours, des « flash cards » pour du vocabulaire, des questions de débats sur un thème et accompagner l’apprentissage et la préparation à une évaluation. Le dialogue avec l’IAG au sujet de productions textuelles peut aussi servir à l’apprenant de « feedback » individualisé et l’aider à progresser. Il s’agit alors de se demander en quoi ce nouvel outil remet en question les formes traditionnelles d’évaluation et de repenser ce qui doit être évalué et pourquoi. Il peut être utile d’identifier ce que l’IAG ne sait pas faire, par exemple donner du sens à une information ou une œuvre, avoir une expérience corporelle sensible, distinguer le vrai du faux (Direction du numérique pour l’éducation, 2024). Ceci peut contribuer à rendre l’évaluation plus humaine. Certains auteurs (Boucher, 2023; Papi, 2024) insistent par ailleurs sur la distinction nécessaire entre évaluation centrée sur le produit ou sur le processus d’apprentissage. Déconstruire ou reconstruire certains types d’évaluation en et avec les langues peut représenter un défi utile pour affiner les réflexions sur les compétences, dans une perspective intégratrice.

Les contributions de cet axe pourront par exemple s’appuyer sur les questions suivantes :

  • Comment évaluer des processus d’apprentissage et non uniquement des produits ou des performances à l’heure de la production langagière augmentée par l’IAG ?

  • Quelle place peut-on donner à l’évaluation formative et à l’auto-évaluation dans une perspective d’évaluation des processus et des compétences ?

  • Quelles relations observer entre usages ou non-usage de l’IAG, en classe ou à la maison, et structuration de l’acquisition des compétences ?

Axe 3 - Questions éthiques liées à l’usage de l’IA en contexte interculturel

L’enseignement du français et des autres langues est un domaine où la prise en compte de la diversité et de l’hétérogénéité des publics amène les professionnels à une attention particulière à l’inclusion, l’éducation à l’inter/transculturalité, au cours du développement des apprentissages et pratiques langagières. Quels questionnements éthiques, spécifiques à l’enseignement des langues, viennent à être soulevés au moment d’adopter ou non des pratiques pédagogiques en lien avec l’usage de l’IAG ?

Selon la Commission européenne (Direction du numérique pour l’éducation, 2024), une utilisation éthique de l’IA et des données en éducation doit s’appuyer sur quatre principes clés : (1) l’action humaine et le contrôle humain, la capacité d’agir des acteurs devant être garantie ; (2) l’équité, en veillant à garantir l’impartialité, l’inclusion et la non-discrimination ; (3) l’humanité, en respectant l’identité, l’intégrité et la dignité de chacun ; (4) la transparence, afin de justifier les choix éducatifs à travers des processus participatifs. Ces principes font référence en particulier à l’absence de transparence des corpus utilisés au cours des entrainements des IA proposées par certains leaders du marché, qui génèrent des « biais de représentativité allant de la sous-représentation de certains groupes sociaux à leur discrimination, stigmatisation ou exclusion » (Collin & Marceau, 2021). Les relations entre ces biais et la consolidation ou la reproduction de stéréotypes (sociaux ou culturels) ne peuvent être ignorées dans une perspective d’éducation à la citoyenneté (UNESCO, IRCAI, 2024).

Enfin, sur le plan éthique, certaines activités pédagogiques facilitées par l’IAG peuvent conduire à plus de différenciation des apprentissages, voire à des activités en classe individualisées. Dans le contexte de l’apprentissage du français à l’école, ces possibilités peuvent ouvrir vers de nouvelles pratiques visant le développement des compétences linguistiques d’élèves plurilingues inclus dans des classes francophones, au risque de diminuer encore la qualité et la quantité des interactions de ces élèves avec leurs camarades. À l’échelle des activités pédagogiques, l’IA est susceptible d’influencer des équilibres fragiles entre interactions individuelles (avec des agents conversationnels pour apprendre) et développement des relations au sein du collectif de la classe.

Les contributions de cet axe pourront par exemple s’appuyer sur les questions suivantes :

  • Quels points d’attention émergent dans le domaine de l’apprentissage du français et des langues en lien avec l’éducation à la citoyenneté, la lutte contre les discriminations, l’égalité des chances, face aux risques et potentialités de l’IAG ?

  • L’accessibilité de l’IAG invite-elle à repenser des relations entre éducation critique au numérique et littératies ?

  • La relation pédagogique ou les relations entre pairs peuvent-elles être affectées positivement ou négativement par certains types d’usage de l’IAG en contexte éducatif ?

Calendrier

Étape

Date

Date de diffusion de l’appel

04/07/2025

Date de premier retour attendu (résumé)

15/09/2025

Retour aux auteurs et attribution d’accompagnateurs à l’écriture

13/10/2025

Dates d’envoi des premières versions d’article complet

18/12/2025

Retour des évaluations d’articles aux auteurs

21/01/2026

Retour des articles révisés

18/03/2026

Publication

29/05/2026

Composition du comité de lecture

Christelle Cavala, DILTEC, Sorbonne Nouvelle

Aurélie Bourdais, LIRDEF - Université de Montpellier

Julien Falgas, CREM, Université de Lorraine

Divoux Anouchka, CREM, Université de Lorraine

Burrows Alice, DILTEC, Sorbonne Nouvelle

Mazziotti Sara, CREM, Université de Lorraine

Peggy Candas, LiLPa, Université de Strasbourg

Emmanuelle Gerber (Enseignante du second degré, Académie de Nancy-Metz)

Veronique Geisler (Professeure des école, doctorante ATILF, Université de Lorraine)

Laurent Husson, Écritures, Université de Lorraine

Sophie Othman, CLA, Université de Franche-Comté

Véronique Lemoine-Bresson, ATILF, Université de Lorraine

Anne Vadcar, docteure en sciences du langage, professeure des écoles, LIDILEM, UGA

Nolwenn Tréhondart, CREM, Université de Lorraine

Aurore Promonet, LISEC, Université de Lorraine

Christophe Benzitoun, ATILF, Université de Lorraine

Bibliographie

Références

Boucher, J.-P. (2023). ChatGPT : la riposte doit être pédagogique. Printemps-Été, 36(3), 77-83. https://eduq.info/xmlui/handle/11515/38834.

Casal, J. E., & Kessler, M. (2023). Can linguists distinguish between ChatGPT/AI and human writing? : A study of research ethics and academic publishing. Research Methods in Applied Linguistics, 2(3), 100068. https://doi.org/10.1016/j.rmal.2023.100068

Collin, S., & Marceau, E. (2021). L’intelligence artificielle en éducation : Enjeux de justice. Formation et profession, 29(2), 1. https://doi.org/10.18162/fp.2021.a230

Direction du numérique pour l’éducation. (2024). Intelligence artificielle et éducation : Apports de la recherche et enjeux pour les politiques publiques. Éducation, numérique et recherche. https://edunumrech.hypotheses.org/10764

Falgas, J., & Robert, P. (2023). Présenter l’IA comme une évidence, c’est empêcher de réfléchir le numérique. The Conversation. http://theconversation.com/presenter-lia-comme-une-evidence-cest-empecher-de-reflechir-le-numerique-211766

Latouche, D. (2025). IA générative : L’art du prompt. Délégation Régionale Académique au Numérique Éducatif. https://drane-versailles.region-academique-idf.fr/spip.php?article792

Lo, C. K. (2023). What Is the Impact of ChatGPT on Education? A Rapid Review of the Literature. Education Sciences, 13(4), Article 4. https://doi.org/10.3390/educsci13040410

Luccioni, A. S., Jernite, Y., & Strubell, E. (2024). Power Hungry Processing : Watts Driving the Cost of AI Deployment? The 2024 ACM Conference on Fairness, Accountability, and Transparency, 85‑99. https://doi.org/10.1145/3630106.3658542

Ministère de l’éducation nationale. (2023). Choc des savoirs : Elever le niveau de notre école. Dossier de presse. https://www.education.gouv.fr/choc-des-savoirs-une-mobilisation-generale-pour-elever-le-niveau-de-notre-ecole-380226

Narcy-Combes, J.-P. (2009). La correction dans l’enseignement/apprentissage des langues : Un problème malaisé à construire. Les cahiers de l’APLIUT. Pédagogie et Recherche, Vol. XXVIII N° 3, https://doi.org/10.4000/apliut.78

Papi, C. (2024). Les transformations éducatives à l’ère de l’intelligence artificielle : Entretien avec le professeur Adıgüzel. Médiations et médiatisations, 18, https://doi.org/10.52358/mm.vi18.417

Parmentier, Y. (2024). Enseigner aux temps de l’intelligence artificielle générative [Entendu : Des conf. à écouter, INSPE de Lorraine]. https://inspe.univ-lorraine.fr/entendu-episode-31

UNESCO, IRCAI. (2024). Challenging systematic prejudices : An investigation into bias against women and girls in large language models. United Nations Educational, Scientifi c and Cultural Organization (UNESCO). https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000388971

Walter, Y. (2024). Embracing the future of Artificial Intelligence in the classroom : The relevance of AI literacy, prompt engineering, and critical thinking in modern education. International Journal of Educational Technology in Higher Education, 21(1), Article 1. https://doi.org/10.1186/s41239-024-00448-3

Wu, R., & Yu, Z. (2024). Do AI chatbots improve students learning outcomes? Evidence from a meta-analysis. British Journal of Educational Technology, 55(1), 10‑33. https://doi.org/10.1111/bjet.13334

Notes

1 ATILF-CNRS, Université de Lorraine Retour au texte

2 Professeure d'anglais en lycée général et technologique, Doctorante en Sciences du Langage au laboratoire LiLPa, Université de Strasbourg Retour au texte

3 https://neala2025.sciencesconf.org/ Retour au texte

Droits d'auteur

CC BY-SA 4.0