Introduction
La crise économique mondiale des années 19301, la Grande Dépression, qui a fortement touché la France, en particulier l’agglomération lyonnaise, et le désenchantement d’une partie de la classe ouvrière vis-à-vis des dirigeants de la SFIO (Section française de l’internationale ouvrière), a provoqué l’incorporation progressive au PCF d’adhérents mécontents2, tel Joseph Fuentes3. À cette époque, socialistes, communistes, voire anarchistes connurent des conflits internes, liés aux déchirements politiques provoqués par l’internationalisation de la guerre d’Espagne (1936-1939).
La victoire électorale du Front populaire en Espagne (février 1936) et en France (mai 1936)4, et celle du PCF à la mairie de Villeurbanne la même année – phénomènes politiques soutenus par l’Internationale communiste (IC) ou Kominterm en réponse à l’instauration de régimes fascistes en Europe5 – mettent en lumière l’ampleur d’une action et d’une intervention politiques notables du PCF envers l’Espagne républicaine.
Nous chercherons à analyser l’intégration entre le PCF, les réfugiés espagnols et leurs descendants à Villeurbanne entre 1936 et 1939. Cette réflexion et problématisation de la représentation du passé correspondent à une question historique de l’humanité : « la problématique mémorielle ». Mais quel type de mémoire ? Les historiens français Pierre Vidal-Naquet6 et Henry Russo7 expliquent qu’une société en quête d’identité, et qui connaît des querelles de mémoire, a besoin du regard historique à condition que celui-ci s’insère dans les terres du souvenir collectif (mémoires). Cela permet la postérité d’un événement dans la conscience collective. Cela permet aussi d’affirmer que les souvenirs d’une société en conflit se fondent aussi sur les demandes sociales de doléances mémorielles, sur les récits et les témoignages. C’est pourquoi nous insisterons sur la nécessité de connecter l’histoire de l’Espagne républicaine avec l’engagement collectif et l’intérêt individuel pour la transmission de la mémoire de son exil et de sa migration en France.
Dans cette perspective, nous étudierons l’identité ouvrière et l’engagement politique des Espagnols dans un contexte de communisme municipal de banlieue au milieu du xxe siècle à Villeurbanne. Nous avons jugé nécessaire de consulter les rapports du comité central du PCF tenu à Arles8 et les délibérations de la ville de Villeurbanne conservés dans les archives locales (le Rize), afin de saisir les actions d’aide auxquelles ils ont participé, ainsi que la presse nationale et locale de l’époque.
Bien avant la guerre d’Espagne (1936-1939), Villeurbanne avait constitué un espace de liens sociopolitiques entre une forte immigration ouvrière et les Français qui rejoignaient le PCF et d’autres mouvements. C’est pourquoi le parti et les syndicats conduisirent de nombreuses initiatives et différentes associations d’aide durant les premières années de la guerre. La solidarité communiste villeurbannaise dans un cadre urbain, notion nouvelle en 1936, peut s’expliquer par le fait qu’il ne s’agit pas seulement de mener des campagnes politiques contre la non-intervention, à l’échelle nationale, mais aussi d’organiser des meetings de soutien, des collectes de fonds ou de matériel divers, des achats de nourriture et de médicaments, des grèves, des manifestations, voire le recrutement et l’envoi de volontaires pour combattre en faveur de l’Espagne républicaine9.
L’intervention politique du PCF au sujet de l’Espagne s’effectue de deux manières : d’une part indépendante, par l’intervention des pouvoirs publics locaux, les militants n’ayant de comptes à rendre à personne d’autre qu’au parti, et d’autre part unitaire, par le biais des divers comités d’aide, principalement les comités organisés au sein du Front populaire français10.
Villeurbanne, ville ouvrière et communiste
Au cours des années 1930, l’élan de la droite à Lyon favorise la concrétisation de l’implantation d’un « communisme municipal » dans la banlieue, notamment à Vaulx-en-Velin, Vénissieux et Villeurbanne. Cette expression introduite par plusieurs chercheurs de l’histoire des communistes en France, notamment Marie-Paule Dhaille-Hervieu11, permet d’expliquer l’ensemble des actions que les élus locaux du PCF entreprennent pour servir les intérêts de ceux qui permettent leur réélection, mais aussi les composantes sociale et identitaire antifascistes de la classe ouvrière villeurbannaise.
La municipalité de Villeurbanne, communiste depuis 1935, est un terrain privilégié pour récupérer et réparer le lien de solidarité tissé avec une classe ouvrière touchée par la crise économique de l’époque et par la discordance d’alliance au sein de la gauche locale12. À partir de 1935, Camille Joly et la municipalité entament une (re)politisation de la vie des Villeurbannais à travers des assemblées populaires et ils renforcent une politique culturelle militante antifasciste dans des espaces publics créés précédemment par la SFIO (théâtre populaire, bibliothèque municipale, université prolétarienne, etc.)13.
Dans ce contexte, la CGT et la Voix du Peuple (organe régional du PCF) se font l’écho des doléances des ouvriers opposés aux intentions des socialistes de rester à la tête du pouvoir local. Camille Joly, nouvel élu communiste, doit alors gérer les charges économiques et sociales laissées par l’administration précédente, et assumer l’héritage d’un projet d’urbanisme non voulu « œuvres des Gratte-Ciel » tout en allouant des moyens importants au soutien des chômeurs et des grévistes14. Le 22 avril 1935, après l’arrestation de deux grévistes devant les établissements de Textile artificiel du sud-est (TASE), une manifestation a lieu à Villeurbanne. La municipalité intervient pour la levée des interpellations. Dans ce cadre, l’action de la municipalité de Villeurbanne s’oppose à l’arbitrage imposé par la préfecture du Rhône.
Ici, les élus ne jouent pas les conciliateurs, ils ne cherchent pas à s’interposer pour trouver un compromis, mais se contentent de donner aux responsables syndicaux un appui appréciable. Ils leur ouvrent les salles dont ils ont le contrôle et facilitent aux grévistes l’accès au restaurant populaire qui a été ouvert pour les chômeurs15.
Ainsi, les forces politiques de gauche appuient en permanence la classe ouvrière dans la sphère publique de Villeurbanne, ce qui polarise l’atmosphère politique. D’un côté, les communistes et la CGT luttent pour la revendication du mouvement ouvrier contre le fascisme de Mussolini et le nazisme hitlérien ; de l’autre, la droite française mène une campagne de presse anti-gauche, voire contre la population immigrante, dont les Espagnols et leurs descendants16.
La critique de la précédente gestion socialiste et l’avertissement de la poussée du fascisme municipal, formulée par le PCF, n’empêchent pas un rapprochement entre ces forces de gauche. En janvier 1936, se tint à Villeurbanne le VIIIe congrès national17 du Parti communiste français, auquel des grévistes, des soldats, des détenus politiques et la jeunesse socialiste de Genève participent. Les sections SFIO de Lyon et Villeurbanne avaient envoyé des déclarations pour saluer et soutenir cette activité18. De même, les partis communistes d’Allemagne, de Pologne, de Yougoslavie19 et d’Argentine exprimèrent leur solidarité. Lors de ce congrès, les délégués prirent conscience de l’ampleur du fascisme en France et se fixèrent comme mission l’union du Front populaire et des forces antifascistes. Pour Camille Joly et l’ensemble de la municipalité, il s’agissait de faire de Villeurbanne une ville au service d’une classe ouvrière combative et solidaire, composée, en outre, d’une importante population étrangère, en particulier d’Espagnols20.
Le communisme municipal de Villeurbanne revendique donc l’émancipation des classes populaires, ainsi que la paix menacée au niveau local, national et international. La guerre d’Espagne représente ainsi la continuité de la solidarité historique entre le Parti communiste espagnol (PCE) et les communistes français. Sur ce point, Carlos Serrano21 explique que le lien tissé et les luttes partagées entre ces deux partis s’étaient déjà manifestés lors de l’insurrection des Asturies en 1934 (Espagne) en réponse à l’entrée dans le gouvernement de la CEDA (Confédération espagnole des droits autonomes).
La progression communiste à Villeurbanne est donc conjoncturelle, parce qu’électorale ; mais surtout elle est structurelle, puisqu’une prise de conscience ouvrière conduit à un processus de formation des espaces sociopolitiques exacerbé par la guerre d’Espagne en 1936.
Le PCF et l’Espagne en guerre
Parmi le vaste spectre politique français qui s’associa au mouvement de solidarité envers l’Espagne républicaine, les militants communistes constituaient un cas particulier. Le « problème espagnol » faisait l’objet d’une attention marquée chez les communistes français bien avant le conflit. La réunion du comité central de 1934, au cours de laquelle le PCF consacra une séance thématique à l’Espagne, en est une bonne preuve22.
Peu après sa création en 1919, le Komintern prit contact avec plusieurs pays européens dont la France, où il était venu en aide, dès le début des années 1930, aux sections italienne, polonaise et espagnole. Le soutien du PCF fut matérialisé par l’action de maisons d’édition, de diffusion et de propagande, ainsi que par le financement par l’URSS23. À la même époque, les communistes espagnols retrouvèrent la légalité en Espagne lorsque la seconde république fut proclamée24. Cela permit l’élan du Parti communiste espagnol (PCE) dans l’activité politique en Espagne et dans la sphère internationale. Dans le cadre du comité central de l’Internationale communiste en 1933, le PCE identifia le fascisme comme une menace à la transformation politique de l’Espagne, notamment les attaques des groupes monarchiques, et réalisa une forte « autocritique » de son propre parti pour son combat non unitaire25.
Ainsi, lorsqu’éclata la guerre en Espagne, le PCF soutint le gouvernement de Manuel Azaña (Front populaire espagnol) et revendiqua la lutte réelle contre le fascisme, et l’antifascisme en France. Ce discours domina la scène politique internationale dans l’aide unitaire à l’Espagne26. En septembre 1936, un télégramme du PCF proposa au Parti socialiste français (PSF) une démarche commune en faveur d’une action internationale pour soutenir le camp républicain espagnol et toutes les forces opposées aux putschistes de Franco, ainsi que la coordination d’une réunion avec des délégations des deux partis et Léon Blum, président du gouvernement du Front populaire français. Le PCF proposa aussi une « action commune conformément au pacte d’unité, contre la recrudescence de l’agitation et des menaces fascistes, ainsi que l’organisation de la lutte contre la vie chère27 » en France. La réponse de la SFIO sera peu convaincante, car même si l’ensemble du parti avait approuvé ces propositions, les communistes renvoient une nouvelle demande le 30 septembre 1936 en insistant pour « entreprendre une action commune auprès de l’IOS et de la FSI28 pour que se réalise enfin l’unité internationale en faveur de l’Espagne républicaine ». Les socialistes répondirent et estimèrent « qu’il appartient aux organismes internationaux qualifiés de se prononcer »29. L’appel des communistes vers les socialistes pour l’unité des forces politiques à l’égard de l’Espagne républicaine se poursuivit sans résultats satisfaisants. La SFIO resta sourde30.
Cette divergence entre les deux partis est révélatrice de la politique de non-intervention du gouvernement de Léon Blum et, en même temps, de l’engagement des communistes de Villeurbanne en faveur de l’Espagne républicaine.
Les communistes villeurbannais en faveur de l’Espagne républicaine
De 1936 à 1939, Villeurbanne joua un rôle fondamental dans l’organisation d’espaces de rencontre et de solidarité entre les républicains, français ou espagnols, et parfois d’autres groupes nationaux émigrés. Le 14 août 1936, le conseil municipal de la ville envoya son « salut fraternel aux ouvriers et Républicains du front populaire Espagnol en lutte contre les factieux, traîtres à leur Patrie31 ». Il invita également la population « laborieuse de Villeurbanne à coopérer largement aux souscriptions ouvertes par les organisations antifascistes » dans le but de « faire triompher l’Espagne républicaine qui doit assurer aux travailleurs la paix, la justice et la liberté »32.
Cette déclaration nous conduit à nous interroger sur l’autonomie du PCF et sur la décision des communistes de ne pas participer au gouvernement de Leon Blum33. Tandis que la SFIO affirmait le 30 octobre 1936, « les représentants de notre parti n’ayant à aucun moment voulu s’associer à des décisions de désaveu de la politique de paix menée par le gouvernement de Léon Blum34 », les pouvoirs publics locaux villeurbannais montraient leur soutien à l’Espagne républicaine avec une participation active de la mairie et du conseil municipal de la ville communiste. L’action des communistes villeurbannais mit en place plusieurs formes de solidarité. On trouve à l’époque une série d’associations, connues sous le nom de Rassemblement populaire, lequel compte un ensemble de comités qui « représentent » les principaux quartiers de la ville, ainsi que les sections socialiste et communiste : l’Association républicaine des anciens combattants et victimes de guerre (ARAC), le Comité de défense des immigrés, le Secours rouge international, le Syndicat autonome des monteurs-électriciens, le Syndicat unitaire du textile et des métaux, le groupe « Henri Barbusse » de la FTOF (théâtre), la Ligue internationale des femmes pour la paix, la Ligue des droits de l’homme, le Comité central des chômeurs, le fonds de chômage « Gratte-ciel Grandclément », la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT), les patronages laïcs de deux quartiers35.
Dans ce contexte, en novembre 1936, lors de l’affaire de la fabrication industrielle de grenades apparemment destinées à l’Espagne républicaine, l’arrestation d’ouvriers et de conseillers municipaux prit une tournure politique36. L’inculpation de Gervais Bussière37 conduisit à une forte mobilisation de la population et de la presse, qui s’enflamma dans un contexte de confrontation communicationnelle à l’échelle nationale et locale38. La presse devint une tribune en faveur ou contre l’appel de solidarité avec l’Espagne républicaine, ce qui raviva une radicalisation politique et sociale, notamment au sein des journaux La Liberté (Paris) et La Voix du Peuple (Lyon)39.
Ainsi, face à la politique de non-intervention du gouvernement du Front populaire, puis d’un très fort mouvement de solidarité de l’Internationale communiste à travers des partis communistes nationaux, cette dernière approuve la participation active du comité central du Parti communiste français et des Brigades internationales dans l’armée républicaine espagnole, ainsi que celle du Secours rouge à l’élan de solidarité à travers la collecte de matériel, de vivres, de médicaments, de couvertures et d’argent auprès de la population en France, notamment à Villeurbanne40.
Les Espagnols communistes et de leurs descendants villeurbannais
Associer l’engagement politique des Espagnols à celui de leurs descendants nés en France n’est pas évident, et génère souvent des images antagonistes qui laissent peu de place à la nuance. Diverses représentations se sont cristallisées à Villeurbanne dans les années 1930 autour d’un événement médiatique important. Pour expliquer cette exacerbation sur la perception de la présence d’étrangers comme une menace à l’échelle nationale, voire pour la population locale, on doit évoquer l’affaire Joseph Fuentes d’août 1937. Alors que Villeurbanne suivait l’appel de solidarité avec l’Espagne en guerre, François Fuentes41 défendait l’identité française de son fils assassiné par Jean Pallier42, dans une lettre publique adressée à divers journaux de l’époque, tels le Nouvelliste de Lyon43 ou La Liberté (Paris). Ainsi, une partie de la presse locale et nationale diffusa la version de la « légitime défense » et ouvrit le débat autour des étrangers en France, notamment à Villeurbanne44.
L’affaire Fuentes fut instrumentalisée dans une atmosphère politique fortement polarisée. D’une part, le camp des ouvriers antifascistes et antifranquistes et, d’autre part, celui des conservateurs et du fascisme. L’assassinat de Joseph Fuentes, descendant d’immigrants espagnols, fut révélateur de la contribution de la presse politique à la dévalorisation du discours d’appel à la solidarité envers l’Espagne républicaine, mais également de l’action du PCF à Villeurbanne. Cela nous conduit à nous interroger sur la construction de l’identité de la deuxième génération des immigrants espagnols dans le tissu social de Villeurbanne, en particulier la configuration du communisme municipal : Joseph Fuentes entretenait-il des relations sociales multidimensionnelles qui transcendaient les frontières nationales, notamment avec l’Espagne et les républicains espagnols ?
Pour répondre cette question, nous nous appuyons sur les travaux de plusieurs historiennes, notamment Nina Glick-Schiller, Linda Basch et Christina Blanc-Szanton45. Elles définissent le transnationalisme comme le processus par lequel les immigrés développent et entretiennent des relations sociales multiples qui lient ensemble leurs sociétés d’origine et d’installation. Le développement de champs sociaux liant des pays de départ et d’arrivée se fonde sur la vie quotidienne, les idées et les expériences de ces migrants.
D’un côté, on trouve un discours basé sur le principe de l’assimilation nationale des étrangers pour « être/devenir français » et qui nous conduit à la question de l’oubli du passé. En parallèle, on retrouve le discours du PCF de solidarité envers les républicains espagnols en pleine guerre. Ces deux discours sont fortement ancrés au sein de la famille Fuentes46. Ce dynamisme complexe rejoint le constat des historiens sur la difficulté que rencontre cette immigration interconnectée dans la construction de son identité au sein des cadres nationaux et dans la composition de communautés transnationales. Ainsi, le sociologue Roger Waldinger souligne que pour donner à ce terme une valeur plus épistémologique, il faut d’abord le (re)définir avec précision, notamment sur la distinction entre les points de « départ et d’arrivée » et les formes des relations possibles entre le « présent et le passé »47.
De ce fait, les immigrants installés et leurs descendants nés dans un pays « étranger » agissent afin de produire une influence – politique et culturelle – dans leurs pays « d’origine », ils le font d’une façon qui reflète la présence continue du passé. Cette influence traduite par la mobilisation des idées, des pensées et des habitudes est fortement liée au déplacement géographique des migrants. En effet, une partie des Espagnols du sud de l’Espagne (province de Murcie) et une partie des Français d’origine espagnole installés en Algérie48 ont quitté cette colonie pour rejoindre la France, certains Villeurbanne. On observe, dans les recensements, d’autres familles d’Espagnols dont les enfants les plus âgés sont nés à Alger ou à Oran49. C’est le cas de la famille Mortella, qui résidait au 14 bis, rue Antonin Perrin à Villeurbanne. Les deux parents étaient originaires de Torre-Pacheco, petite ville au nord de Carthagène. Leur fils ainé, Joseph, naquit à Alger, en 1913. Cela laisse supposer un premier départ de Murcie avant cette date, avant de rejoindre la France métropolitaine et Villeurbanne par la suite. Même si la répartition des Espagnols sur le territoire villeurbannais fait écho à cette variété de parcours, il faut la distinguer des familles d’origine espagnole nées ici et constituées en France, comme la famille Salas qui résidait au 4, rue Professeur Calmette. Le père, Paul Salas, était originaire d’Oran tandis que ses trois enfants, Pierre, Marcel et Sylvane étaient nés à Lyon. En outre, on peut observer que François Fuentes s’était installé à Villeurbanne le 8 juillet 192950, une branche de la famille y résidait depuis 190151, ce qui explique son intérêt de rejoindre la banlieue est de Lyon.
Dans ce contexte, Joseph Fuentes a pu tisser des liens sociopolitiques à Villeurbanne dans les différents espaces « ici » (PCF) et « là-bas » dans la lutte contre le fascisme européen au sein du mouvement ouvrier villeurbannais dépassant les frontières nationales. Cela fit de lui un communiste qui, à travers l’action individuelle ou collective, construisit une forte identité militante opposée aux structures dominantes politique (le fascisme) et économique (le capitalisme) de l’époque. C’est également le cas d’autres communistes français d’origine espagnole à Villeurbanne, comme Alcaraz, Antonio Martínez ou Edmond Roca52. Il en va de même pour le Villeurbannais Michel Fernandez, qui participa à l’âge de 13 ans aux grèves de 1936 qui revendiquaient l’amélioration des conditions de travail. Il aida aussi à la collecte de nourriture, d’habits et d’argent lorsqu’éclata la guerre d’Espagne53.
En 1934, Joseph Fuentes devint membre du Parti communiste et secrétaire de la cellule du quartier des Buers à Villeurbanne. Le PCF était alors un des partis qui refusait la politique de non-intervention du gouvernement du Front populaire français. Dans le cadre de la conférence nationale du parti à Montreuil (banlieue parisienne), en janvier 1937, José Diaz, secrétaire général du PCE adressa un télégramme de remerciement pour la solidarité de leurs confrères français54.
La lutte contre le fascisme espagnol et européen est l’un des marqueurs du PCF. Cela explique la particularité de ses actions au sein du Front populaire, son rapprochement avec le mouvement ouvrier villeurbannais caractérisé par son ampleur et la mixité des origines et des nationalités qui le constituait. Ainsi, Joseph Fuentes ouvrier au sein du service de transport de la municipalité, fut un activiste qui partageait les mêmes idées et valeurs antifascistes et de solidarité politique pour la liberté de l’Espagne.
L’influence et la notoriété de Joseph Fuentes s’étendirent dans le quartier des Buers de Villeurbanne après qu’il fut abattu d’un coup de revolver par Édouard Pallier, le 16 août 1937. L’ampleur de ce crime politique à l’échelle locale et nationale mit en lumière le coût de la polarisation et la rationalisation de la haine envers l’immigration et les communistes en France.
La mémoire du communisme municipal villeurbannais s’enracine dans un espace social, un territoire qui favorise une politisation de la classe ouvrière et d’autres mouvements sociaux, qui conduisent en 1936 au départ de nombreux volontaires, aussi bien des Espagnols et leurs descendants que d’internationalistes français, vers l’Espagne en guerre55. Ce regard historique se fonde sur une partie des souvenirs et des doléances mémorielles des migrations plurielles à Villeurbanne, dont celles des Espagnols. Cela nous permet de comprendre l’importance des récits et des témoignages pour rétablir le tissu social à travers la transmission de la mémoire de l’exil et de la migration en France.