Née à Vélez-Málaga en Andalousie en 1904, María Zambrano est une philosophe et écrivaine espagnole qui s’est adonnée à plusieurs genres littéraires au cours de sa vie, tels que la poésie, qu’elle nomme ses délires lyriques, les essais ou encore le théâtre et le roman. Mêlant à la fois littérature et philosophie dans ses œuvres, l’auteure a eu à cœur de placer au centre de ses recherches l’Homme, vu sous divers angles qui rendent compte de chacune des étapes de ses pensées et de sa propre vie. Afin d’envisager son parcours et de mieux appréhender les lignes directrices qui ont marqué ses ouvrages et sa poésie en particulier, il est possible de délimiter sa trajectoire personnelle et littéraire en trois grandes étapes : tout d’abord sa jeunesse et ses premiers écrits, publiés dans une Espagne bouleversée par les changements politiques et sociaux, puis le temps de l’exil, qui débute en 1939 et qui poussera María Zambrano à vivre loin de sa terre d’origine pendant quarante-cinq ans, et enfin, une période marquée par son retour en Espagne où elle finira sa vie, récompensée par plusieurs prix de prestige saluant ses apports à la philosophie et aux lettres espagnoles. Elle reçoit en effet le prix Príncipe de Asturias en 1981 et devient la première femme à obtenir le prix Cervantes en 1988.
Issue d’un milieu plutôt favorisé et culturellement élevé, María Zambrano s’installe en 1924 à Madrid, après avoir passé son adolescence à Ségovie, et suit des cours de philosophie en tant qu’étudiante libre à l’université centrale de Madrid. À cette époque, elle rencontre des hommes et femmes illustres en trouvant sa place dans différents cercles intellectuels et littéraires notoires. En 1928, notre écrivaine s’engage dans ses études doctorales et fait la connaissance de José Ortega y Gasset, rencontre que la critique qualifie bien souvent de déterminante, tant le philosophe aurait influencé toute son œuvre. S’il est vrai que leur pensée philosophique présente des points communs, tels que la remise en question de la modernité ou le besoin de dépasser le rationalisme, des travaux plus récents tendent à montrer qu’il est peut-être excessif d’accorder une place primordiale à l’impact du penseur madrilène sur les propres observations de María Zambrano. Cette dernière s’est toujours considérée comme un disciple d’Ortega, mais a également revendiqué l’indépendance et l’originalité de sa pensée (Caballero Rodríguez, 2020, p. 71-86). Parallèlement à ses études, elle commence à écrire quelques poèmes gardés secrets et à publier plusieurs articles ; elle fait paraître deux ans plus tard son premier ouvrage, qui marque les prémices d’une œuvre prolifique, intitulé Horizonte del liberalismo (1930). Dans ce premier livre, María Zambrano dresse un bilan du libéralisme peu complaisant en pointant du doigt son paradoxe, affirmant que ce courant, qui prône la défense des droits individuels et l’élévation de l’homme, laisse en marge une grande masse de travailleurs anonymes vivant dans des conditions bien souvent précaires, tandis qu’une petite minorité intellectuelle en tire des bénéfices.
C’est au cours des années trente que l’engagement politique de María Zambrano se fait pressant. Elle revendique publiquement son attachement à la cause républicaine et s’implique dans différents projets, notamment celui des Missions pédagogiques porté par Manuel Bartolomé Cossío. C’est aussi à cette époque qu’elle se marie avec Alfonso Rodríguez Aldave ; ensemble, ils partent au Chili pour des raisons professionnelles, mais ce premier voyage en Amérique latine est rapidement écourté par la préoccupation croissante du couple face au sort incertain de la République dans la guerre civile qui frappe leur pays. Elle publie alors Los intelectuales en el drama de España (1937), œuvre dans laquelle l’auteure tente de comprendre les causes du fascisme espagnol et la volonté de destruction qui anime ses partisans. Cette période historique marquée par l’instabilité politique se reflète dans l’itinéraire de María Zambrano : revenue en Espagne, elle s’installe tout d’abord à Valence en 1938, puis, quelques mois plus tard, à Barcelone. Fervente défenseure de la République, elle participe aux côtés de Pablo Neruda, Antonio Machado ou encore de María Teresa León au IIe Congrès international des écrivains pour la défense de la culture. En janvier 1939, après avoir perdu son père, alors que la situation politique devient de plus en plus chancelante et le sort de la République inéluctable, elle traverse la frontière franco-espagnole accompagnée de divers membres de sa famille, marquant ainsi le début de son exil.
L’année 1939 est notable d’un point de vue biographique puisque María Zambrano quitte l’Espagne pour une durée indéterminée, comme cela a été souligné, mais aussi en raison de la parution de deux œuvres majeures intitulées respectivement Pensamiento y poesía en la vida española et Filosofía y poesía. Au sein de la première, on perçoit le traumatisme provoqué par la guerre civile. María Zambrano cherche des explications au destin tragique de l’Espagne en puisant dans sa tradition, dans le but de trouver une raison à l’échec de la République et à la barbarie du conflit belliqueux. Dans la seconde, où sont déjà saisissables certains traits de sa future « raison poétique », elle se questionne sur les théories de Platon et sur les bienfaits de la liberté, mais aussi sur l’essence de la poésie.
María Zambrano débute son exil par un court passage à Paris, avant de se réfugier temporairement, comme de nombreux autres espagnols, au Mexique. Elle s’installe ensuite entre La Havane et Puerto Rico et y enseigne la philosophie, tout en continuant d’écrire frénétiquement. Entourée de personnalités exilées et de l’élite culturelle locale, elle dira quelques années plus tard que Cuba a représenté pour elle « une patrie prénatale1 ». À la suite du décès de sa mère, elle reviendra s’installer à Paris avec sa sœur Araceli – sœur qu’elle ne quittera plus –, avant de repartir dans les Caraïbes : ce n’est qu’en 1953 qu’elle rentre définitivement en Europe. Au cours de ces années ponctuées par la mobilité seront publiés ses essais La agonía de Europa (1945) et El hijo pródigo (1945), dans lesquels María Zambrano analyse la crise que traverse l’Europe, à travers la montée du totalitarisme et le désastre de la seconde guerre mondiale.
Au cours des deux décennies suivantes, notre écrivaine s’installe en premier lieu à Rome, où elle semble enfin trouver une certaine stabilité, puis dans un petit village isolé du Jura français. En Italie, elle fait publier une première version de El hombre y lo divino (1955) ainsi que de Persona y democracia (1958), œuvres où elle aborde le thème de la crise de la culture occidentale à travers deux prismes : le religieux et le politique. Elle se concentre à nouveau sur le lien entre philosophie et poésie, expliquant que la première permet de poser des questions, alors que la seconde, quant à elle, permet la révélation. Son retrait volontaire près de la frontière suisse et loin du tumulte des grandes villes l’amène à s’intéresser à de nouveaux champs jusque-là inexplorés, tels que les rêves ou le temps, et à achever certains ouvrages : La tumba de Antígona (1967), une version révisée de El hombre y lo divino (1973) dans la préface de laquelle elle écrit que le titre de ce livre pourrait être celui de toutes ses œuvres (Zambrano, 2020, p. 24), et Claros del bosque (1977), textes dans lesquels María Zambrano développe et approfondit les théories déjà ébauchées auparavant. Travailleuse acharnée, elle continue à donner de multiples conférences et à rédiger sans cesse articles, poèmes, essais et réflexions sur l’importance de la poésie, de la philosophie et de la pensée.
Le 20 novembre 1984, neuf années après la mort du dictateur Franco, María Zambrano foule à nouveau la terre espagnole et s’installe à Madrid, après un exil long de plus de quarante ans. Elle revint encouragée par la reconnaissance témoignée à l’intérieur du pays, avec, d’une part, la parution chez Aguilar de ses Obras reunidas (1971) qui lui offrirent une meilleure visibilité et, d’autre part, l’obtention du prix Príncipe de Asturias quelques temps après. À son retour, les amis et les jeunes collaborateurs qui souhaitaient mettre en lumière son œuvre travaillèrent avec dévotion pour réunir puis organiser ses écrits hétérogènes, afin qu’ils soient publiés. Ainsi voient le jour De la Aurora (1986), Notas de un método (1989), Delirio y destino (1989) ou encore Los bienaventurados (1990), ouvrages où sont reprises les questions, réflexions et recherches qui avaient occupé l’écriture de toute une vie et où se déploie sa raison poétique. María Zambrano décède à Madrid en 1991, laissant derrière elle de nombreux textes qui l’ont portée dans son cheminement intellectuel et personnel, sources intarissables et matrice de ses pensées.
Si la création poétique a accompagné María Zambrano au cours de sa vie, ce n’est que depuis 2014 que le public a pu apprivoiser ses delirios líricos, grâce à la parution du volume VI de ses œuvres complètes (Zambrano, 2014). Cependant, bien que ceux-ci soient restés confidentiels de son vivant, ils n’en étaient pas moins bénéfiques pour elle. En effet, elle eut recours à la poésie pour enraciner, façonner, consolider ses pensées et s’extraire de ses impasses théoriques.
Poèmes
A Cataluña
Sobre tu luz diamantina, la muerte pone un velo,
una sombra separa mis ojos de ti, tierra,
tierra primordial, madre joven, apenas aman tus hijos
los árboles, las flores, la hierba,
la húmeda higuera, y la vid verdecida
y la acacia tan tierna.
Apenas eres madre, y sobre ti cae la sombra.
Dame tu inextinguible sonrisa, ¡oh tierra!
Sobre ti paso extraña,
aún no te amé lo bastante para hundirme en ti,
para deshacerme, sin dolor,
para volver a tus entrañas, madre tierra.
Pero nada te cambia, nada, tierra, te altera2.
À la Catalogne
Sur ta lumière diamantine, la mort pose un voile,
une ombre sépare mes yeux de toi, terre,
terre primordiale, jeune mère, tes enfants aiment à peine
les arbres, les fleurs, l’herbe,
l’humide figuier, et la vigne verdie
et l’acacia si tendre.
Tu es à peine mère, et sur toi tombe l’ombre.
Donne-moi ton inextinguible sourire, ô terre !
Sur toi je passe étrangère,
je ne t’ai pas encore assez aimé pour m’enfoncer en toi,
pour me défaire, sans douleur,
pour revenir à tes entrailles, terre mère.
Mais rien ne te change, rien, terre, ne t’altère.
—
Que todo se apacigüe como una luz de aceite.
Como la mar si sonríe,
como tu rostro si de pronto olvidas.
Olvida porque yo he olvidado
ya todo. Nada sé.
Cerca de ti nada sé.
Nada sé bajo tu sombra, amarilla
simiente del árbol del olvido.
Y todo volverá a ser como antes.
Antes, cuando ni tú ni yo habíamos nacido.
Pero, ¿nacimos acaso?... O tal vez, no,
todavía no.
Nada, todavía nada. Nunca nada.
Somos presente sin pensamientos.
Labios sin suspiros, mar sin horizontes,
como una luz de aceite se ha extendido el olvido.
Que tout s’apaise comme une lumière d’huile.
Comme la mer si elle sourit,
comme ton visage si soudain tu oublies.
Oublie car moi j’ai oublié
déjà tout. Je ne sais rien.
Près de toi je ne sais rien.
Je ne sais rien sous ton ombre, jaune
semence de l’arbre de l’oubli.
Et tout redeviendra comme avant.
Avant, lorsque ni toi ni moi n’étions nés.
Mais, sommes-nous vraiment nés ?… Ou peut-être pas,
pas encore.
Rien, encore rien. Jamais rien.
Nous sommes un présent sans pensées.
Lèvres sans soupirs, mer sans horizons,
comme une lumière d’huile s’est répandu l’oubli.
—
Estoy demasiado rendida para escribir, demasiado poseída. Sólo podría hacer poesía, pues la poesía es todo y en ella uno no tiene que escindirse. El pensar escinde a la persona; mientras el poeta es siempre uno. De ahí la angustia indecible, y de ahí la fuerza y la legitimidad de la poesía.
Je suis trop soumise pour écrire, trop possédée. Je ne pourrais faire que de la poésie, car la poésie est tout et en elle point besoin de se scinder. La pensée scinde la personne ; tandis que le poète est toujours un. D’où l’angoisse indicible, et d’où la force et la légitimité de la poésie.
—
Los ángeles no son dorados, brillantes ni luminosos; son grises y caminan entre la multitud que arrastra los pies; entre la muchedumbre, sin color y sin rostro, de los domingos, hacia el fútbol, hacia el concierto mañanero, entre la pálida muchedumbre de los días de fiesta vacíos del mundo moderno. Ángeles grises de la pobreza y el anonimato que nadie ve, pero que muchos han sentido: un roce leve, una ligereza, un estremecimiento en el mar de la multitud anónima… El mundo de hoy no permite otros… Los de fuego y luz no vienen hoy. Sólo los otros, los ángeles del polvo y la ceniza.
Les anges ne sont pas dorés, brillants, ni lumineux ; ils sont gris et marchent parmi la multitude qui traîne les pieds ; parmi la foule, sans couleur et sans visage, des dimanches, vers le football, vers le concert matinal, parmi la pâle foule des jours de fête vides du monde moderne. Anges gris de la pauvreté et de l’anonymat que personne ne voit, mais que beaucoup ont sentis : un frôlement délicat, une légèreté, un frémissement dans la mer de la multitude anonyme… Le monde d’aujourd’hui n’en permet pas d’autres… Ceux de feu et de lumière ne viennent pas aujourd’hui. Seuls les autres, les anges de la poussière et de la cendre.
—
¿Mi alma o un lucero?
Qué oscura galería me espera,
por qué agujeros he de deslizarme,
qué laberinto me está ya preparado,
qué cepo, qué cadenas, qué grillos,
qué humo siniestro ha de envolverme, qué paredes de niebla me dislocan.
Y no podré llorar. ¿Dónde están las manos que recogen el llanto?, la mano, [la caricia.
Atrás queda el misterio.
Despierta. Todo está ahí de nuevo. No hay secreto.
Mon âme ou une étoile ?
Quelle obscure galerie m’attend,
par quels trous dois-je me glisser,
quel labyrinthe m’est déjà préparé,
quel carcan, quelles chaînes, quels fers,
quelle fumée sinistre doivent m’envelopper, quels murs de brouillard me [disloquent.
Et je ne pourrai pas pleurer. Où sont les mains qui recueillent les larmes ?, la [main, la caresse.
Derrière reste le mystère.
Réveille-toi. Tout est à nouveau là. Il n’y a pas de secret.
—
Delirio del incrédulo
Bajo la flor, la rama,
sobre la flor, la estrella,
bajo la estrella, el viento.
¿Y más allá? Más allá, ¿no recuerdas?, sólo la nada,
la nada, óyelo bien, mi alma,
duérmete, aduérmete en la nada.
Si pudiera, pero hundirme…
Ceniza de aquel fuego, oquedad,
agua espesa y amarga,
el llanto hecho sudor,
la sangre que en su huida se lleva la palabra.
Y la carga vacía de un corazón sin marcha.
De verdad, ¿es que hay nada? Hay la nada.
Y que no lo recuerdes. Era tu gloria.
Más allá del recuerdo, en el olvido, escucha
en el soplo de tu aliento.
Mira en tu pupila misma, dentro,
en ese fuego que te abrasa, luz y agua.
Mas no puedo. Ojos y oídos son ventanas.
Perdido entre mí mismo no puedo buscar nada.
No llego hasta la Nada.
Délire de l’incrédule
Sous la fleur, la branche,
sur la fleur, l’étoile,
sous l’étoile, le vent.
Et au-delà ? Au-delà, tu ne t’en souviens pas ?, seulement le néant,
le néant, entends-le bien, mon âme,
dors, endors-toi dans le néant.
Si je pouvais, mais m’enfoncer…
Cendre de ce feu, cavité,
eau épaisse et amère,
les pleurs devenus sueur,
le sang qui dans sa fuite emporte la parole.
Et la charge vide d’un cœur sans marche.
Vraiment, est-ce qu’il n’y a rien ? Il y a le néant.
Et que tu ne t’en souviennes pas. C’était ta gloire.
Au-delà du souvenir, dans l’oubli, écoute
dans le souffle de ton haleine.
Regarde dans ta propre pupille, dedans,
dans ce feu qui t’embrase, lumière et eau.
Mais je ne peux pas. Yeux et oreilles sont des fenêtres.
Perdu en moi-même je ne peux rien chercher.
Je n’atteins pas le Néant.
—
El agua ensimismada
Para Edison Simons
El agua ensimismada,
¿piensa o sueña?
El árbol que se inclina buscando sus raíces,
el horizonte,
ese fuego intocado,
¿se piensan o se sueñan?
El mármol fue ave alguna vez;
el oro, llama;
el cristal, aire o lágrima.
¿Lloran su perdido aliento?
¿Acaso son memoria de sí mismos
y detenidos se contemplan ya para siempre?
Si tú te miras, ¿qué queda?
L’eau méditative
Pour Edison Simons
L’eau méditative,
pense-t-elle ou rêve-t-elle ?
L’arbre qui se penche en cherchant ses racines,
l’horizon,
ce feu intouché,
se pensent-ils ou se rêvent-ils ?
Le marbre a déjà été oiseau ;
l’or, flamme ;
le cristal, air ou larme.
Pleurent-ils leur souffle perdu ?
Peut-être sont-ils des mémoires d’eux-mêmes
et, figés, se contemplent-ils désormais à jamais ?
Si toi tu te regardes, que reste-t-il ?
—
Cuando no tengo más que vida
no puedo permanecer en ella. Sólo
cuando me olvido de que estoy
viviendo es cuando de veras vivo.
La vida es la forma de trascendencia
de lo que es conato de ser y
la busca ser del todo.
Vivir es crecer3
es anhelar
es esperar
es amar
es padecer por
es entregar la vida
es ir hacia Dios.
Lorsque je n’ai rien que la vie
je ne peux pas rester en elle. C’est seulement
lorsque j’oublie que je suis en train de
vivre que je vis vraiment.
La vie est la forme de transcendance
de ce qui est l’effort d’être et
la recherche d’être pleinement.
Vivre c’est grandir
c’est désirer
c’est espérer
c’est aimer
c’est souffrir pour
c’est confier la vie
c’est aller vers Dieu.
—
Tú, la blanca, la Blanca casi visible en este instante.
Tú, la Blanca, la del Silencio. Dame silencio.
Silencio del callar que sella labios y pensamientos.
Silencio en que se funde el pensamiento, en que se hace el pensamiento.
Pensamiento Puro, sólo palabra engendrada y necesaria.
Tú, Blanca. La Blanca y Pura. La del Silencio.
Amén.
Toi, la blanche, la Blanche presque visible en cet instant.
Toi, la Blanche, celle du Silence. Donne-moi du silence.
Silence muet qui scelle les lèvres et les pensées.
Silence où se liquéfie la pensée, où se fait la pensée.
Pensée Pure, seulement le mot engendré et nécessaire.
Toi, Blanche. La Blanche et Pure. Celle du Silence.
Amen.
—
Café Greco
(situación de A[raceli] lux perpetua)
Pensar y no preocuparse.
Actuar sin decidir.
Seguir y no perseguir.
Reposar sin detenerse.
Ofrecer sin calcular.
No aferrarse a la esperanza.
No detenerse en la espera.
Escuchar sin casi hablar.
Respirar en el silencio.
Dejarse quieto flotar.
Perderse yendo hacia el centro.
Hundirse sin respirar.
Cruzar sin mirar fronteras.
Dejar límites atrás.
Recogerse. Abandonarse.
Sólo dejarse guiar.
Ser criatura tan sólo,
no haber de sacrificar.
Más allá del sacrificio,
cumplida la voluntad,
sin designio ni proyecto,
sin sombra, espejo ni imagen.
Alga en la corriente lenta.
Alga de vida no más.
Hijo. Criatura. Amante,
Alga de amor. Ya no más.
Lejos de toda ribera.
Por en el corazón del agua; ya.
Café Greco
(situation d’A[raceli] lux éternelle)
Penser et ne pas s’inquiéter.
Agir sans décider.
Suivre et ne pas poursuivre.
Se reposer sans s’arrêter.
Offrir sans compter.
Ne pas s’accrocher à l’espoir.
Ne pas s’arrêter dans l’attente.
Écouter sans presque parler.
Respirer dans le silence.
Se laisser flotter immobile.
Se perdre en allant vers le centre.
S’enfoncer sans respirer.
Traverser sans regarder les frontières.
Laisser les limites derrière.
Se recueillir. S’abandonner.
Seulement se laisser guider.
N’être qu’une créature seulement,
ne pas devoir sacrifier.
Au-delà du sacrifice,
exaucée la volonté,
sans dessein ni projet,
sans ombre, ni miroir, ni image.
Algue dans le courant lent.
Algue de vie rien de plus.
Fils. Créature. Amant,
Algue d’amour. Voilà tout.
Loin de tout rivage.
Là-bas dans le cœur de l’eau ; voilà.
—
La razón suprema que sobre algunos seres se ejerce para que mueran, y que ellos dócilmente y desesperadamente aceptan, es que sólo del lado de la muerte pueden resucitar.
Mientras aquí se pueda resucitar o renacer, no es hora de morir. Si así sucede, es una interrumpida resurrección. Un interrumpido nacimiento.
O más prematuramente acá, una interrumpida concepción.
Ha, también, ha de haber la concepción que concibe la muerte.
El concebir la muerte.
La Palabra inmortal y el hombre mortal.
O a la inversa. ¿O en qué simbiosis?
La raison suprême qui s’exerce sur certains êtres pour qu’ils meurent, et qu’ils acceptent docilement et désespérément, c’est qu’ils peuvent ressusciter seulement du côté de la mort.
Tant que l’on pourra ressusciter ou renaître ici, ce n’est pas l’heure de mourir. Si cela arrive, c’est une résurrection interrompue. Une naissance [interrompue.
Ou plus prématurément ici, une conception interrompue.
Il faut, aussi, il faut qu’il y ait la conception qui conçoive la mort.
La conception de la mort.
La Parole immortelle et l’homme mortel.
Ou l’inverse. Ou dans quelle symbiose ?
—
Pero si mi infierno es, sea Paraíso,
yo dibujo con dos dedos perfectos
este sendero,
estos ojos bulbosos.
Dibujar o retroceder para [ser]
Acto Puro.
Oración.
Te daré gracias, sí, enmudeceré.
Mais si c’est mon enfer, qu’il soit Paradis,
je dessine de deux doigts parfaits
ce sentier,
ces yeux bulbeux.
Dessiner ou reculer pour [être]
Acte Pur.
Oraison.
Je te remercierai, oui, je m’amuïrai.
—
La ascensión. Pinilla.
Un silencio creado por la luz.
Un espacio creado por la luz.
El bardo no ha de hacer movimiento alguno para ascender.
(Tampoco, pues, en la vida ésta).
No oponer resistencia a la luz.
L’ascension. Pinilla.
Un silence créé par la lumière.
Un espace créé par la lumière.
Le bardo n’a aucun mouvement à faire pour s’élever.
(Pas même, donc, dans cette vie).
Ne pas opposer de résistance à la lumière.
—
La mar. El Mar. Los mares
el en arte. Irreprimible. Y
el Mar. Los Mares,
la representación del propio ser. El
mar vela al ser, mientras que la
tierra firme a la realidad.
El [sic] Las Islas
viven por su cuenta y se juntan en
cadenas, como seres submarinos
siempre.
Pero el hombre necesita encontrar
su mar; aunque poco y en ocasiones
nada le haya visto y menos aún respirado.
Y el Mar hay [que] respirarlo.
La brisa. Los seres nostálgicos del Mar
y también el ser depositarios
de un futuro y de un remoto
pasado, la igualdad de las perlas.
La cualidad; su caída al experimento.
La mer. La Mer. Les mers
dans l’art. Irrépressible. Et
la Mer. Les Mers,
la représentation de son propre être. La
mer veille sur l’être, alors que la
terre ferme veille sur la réalité.
Le [sic] Les Îles
vivent de leur côté et se rassemblent
en chaînes, comme des êtres sous-marins
toujours.
Mais l’homme a besoin de trouver
sa mer ; même s’il ne l’a que peu et parfois
presque même pas vue et encore moins respirée.
Et la Mer il faut la respirer.
La brise. Les êtres nostalgiques de la Mer
et aussi le fait d’être dépositaires
d’un futur et d’un lointain
passé, l’égalité des perles.
La qualité ; sa chute dans l’expérience.
—
No buscar las alturas.
Ser en acto. Ser lo uno
en lo único. Moverse en la identidad.
Todo pende de un instante.
Acto Puro, encarna como Acto único, sin manifestarse.
Se manifiesta, el Acto Puro en el ser como tal entre infierno y
Paraíso, en el entresijo.
Encarna ese Acto único ya en la Vida —del ser individuos en
La soledad callada. Entre Vida-Muerte 2 absolutos. Mientras el
Acto Puro entre ser y vida.
La encarnación del instante.
Proceso: el centro se hace núcleo.
Ne pas chercher les hauteurs.
Être en acte. Être l’unité
dans l’unique. Se mouvoir dans l’identité.
Tout est suspendu à un instant.
Acte Pur, il incarne comme Acte unique, sans se manifester.
Il se manifeste, l’Acte Pur au sein de l’être en tant que tel entre enfer et
Paradis, dans le secret.
Il incarne cet Acte unique déjà dans la Vie – d’être des individus dans
La solitude muette. Entre Vie-Mort 2 absolus. Tandis que
L’Acte Pur entre être et vie.
L’incarnation de l’instant.
Processus : le centre devient noyau.