Subvertir la reproduction chez Audre Lorde et Donna Haraway

Investir le contre-nature

DOI : 10.35562/voix-contemporaines.541

Résumés

Cet article s’intéresse aux liens entre le concept moderne de nature et la reproduction « du même ». Il s’agit de prendre en compte les stratégies de réarticulation de ces liens effectuées par Audre Lorde et Donna Haraway par l’analyse d’un corpus étroit, composé d’un essai, De l’usage de l’érotisme : l’érotisme comme puissance d’Audre Lorde et d’une science-fiction, les Histoires de Camille de Donna Haraway. Ces autrices proposent des outils stylistiques et épistémologiques capables de proposer des modalités de reproduction alternatives.

This article deals with the links between the modern concept of nature and the reproduction of "the same". The aim is to consider the strategies of re-articulation of these links made by Audre Lorde and Donna Haraway in their works, by the analysis of a narrow corpus, composed of an essay, Uses of the Erotic: The Erotic as Power by Audre Lorde and a science-fiction, the Camille Stories by Donna Haraway. These authors propose stylistic and epistemological tools able to propose alternative modalities of reproduction.

Plan

Texte

Tu auras besoin de te souvenir de cela quand on t’accusera de destruction.
Audre Lorde1

Introduction

Donna Haraway ouvre le portrait documentaire Story Telling for Earthly Survival réalisé par Fabrizio Terranova avec une anecdote évocatrice. Elle raconte qu’en allant donner cours à Princeton, tandis qu’elle observe les jeunes profiter du soleil sur les pelouses, elle est alors saisie par « quelque chose d’étrange, une image un peu inquiétante. » (Terranova, 2016, 1 min et Pieron, 2019, p 25). Leurs dents sont alignées, redressées, comme si tout le monde était passé entre les mains de l’orthodontiste. Elle s’intéresse alors aux travaux de Loring Brace, bioanthropologue, sur l’orthodontie et apprend que cette discipline « s’est organisée autour de l’angle facial correct puisé directement dans [l’] anthropologie raciale. La mâchoire correcte est dérivée d’une population qui n’a jamais vécu sur Terre, sauf dans la sculpture. » (Terranova, 2016, 81 min et Pieron, 2019, p. 26). Le terme « correct » vient du latin corrigo qui signifie redresser, améliorer, corriger (Gaffiot, 2000 [1934]). La médecine moderne sculpte donc la mâchoire d’Homo sapiens en suivant les mêmes préceptes que les sculpteurs grecs pour l’homme idéal. Ainsi, le sentiment d’étrangeté ressenti par la philosophe féministe des sciences2 fait écho à une loi à la fois sourde et implacable : la reproduction du même.

La reproduction est en effet un enjeu de réflexion majeur pour la philosophe qui dédie son dernier ouvrage Vivre avec le trouble, « aux faiseuses et faiseurs de parentèles dépareillées » (Haraway, 2020, p. 5). Audre Lorde, poète et essayiste interpelle également son lectorat à travers une anecdote dans son essai Petit homme : réflexion d’une lesbienne féministe Noire (2003). Ses enfants, une fille et un fils issus d’une union avec un homme blanc gay représentent pour les milieux à la fois traditionnels et militants une inconnue qui déroge à la règle. Alors qu’elle souhaite se rendre, avec sa compagne et son fils de treize ans, à une conférence féministe, elle apprend que les garçons de plus de dix ans ne sont pas admis. Elle écrit alors cette lettre : « Chères sœurs, Depuis dix ans, nous formons un couple lesbien interracial, et ceci nous a appris qu’une approche simpliste sur la nature d’une oppression, et sur les solutions qu’on peut trouver, est dangereuse, tout comme l’est une vision partielle des choses. » (Lorde, 2003, p. 79).

Ces deux anecdotes évoquent le caractère politique des liens entre procréation et « parentèles », mais aussi entre reproduction du même et idée moderne de « nature ». Que ce soit à travers l’image d’une jeune élite au visage pareillement « extraterrestre » (Terranova, 2016, 1 min) ou à travers les problèmes posés par la complexité structurelle des modèles familiaux non blancs et non hétérosexuels, les autrices attirent l’attention sur le processus de naturalisation d’une certaine forme de reproduction sociale et posent la question de savoir « De quoi la nature est-elle le nom ? ». Donna Haraway et Audre Lorde sont contemporaines et réfléchissent toutes deux, en philosophe ou en poète, aux outils capables de subvertir la reproduction « du même » en imaginant des modalités de reproductions inventives. À travers l’emploi d’écritures non académiques comme l’essai, la poésie et la science-fiction, elles tentent d’enrayer l’éternelle répétition des schèmes de reproduction classique.

Dans un premier temps, il s’agira de rendre compte des liens entre la conception moderne de nature et la reproduction en tant que reproduction « du même ». Face à cela, nous verrons comment Donna Haraway et Audre Lorde révèlent les mécanismes à l’œuvre derrière l’apparente neutralité de ce « même », en lui opposant notamment leur point de vue situé. Enfin, à travers une lecture croisée de l’essai De l’usage de l’érotisme : l’érotisme comme puissance d’Audre Lorde (2003, p. 50-58) et des Histoires de Camille. Les enfants du compost, une science-fiction de Donna Haraway (2020, p. 289-346), il s’agira de s’intéresser aux propositions de parentèles alternatives et non nécessairement filiales forgées par les autrices.

Une nature moderne : reproduire, répliquer

La nature n’est pas un lieu physique dans lequel quelqu’un·e peut se rendre, elle n’est pas non plus un trésor que l’on peut enfermer ou emmagasiner, ni une essence que l’on peut sauver ou violer. La nature n’est pas un texte à lire dans le langage des mathématiques et de la biomédecine. Elle n’est pas l’autre qui offre l’origine, le réapprovisionnement et le service. Ni mère, ni nourrice, ni esclave, la nature n’est pas la matrice, la ressource ou l’outil de reproduction de l’homme. La nature est un topos, un lieu, dans la dimension rhétorique d’espace ou de sujet autour duquel se retrouvent des thèmes communs. La nature est, à proprement parler, un lieu commun (Haraway, 2012, p. 159).

Audre Lorde et Donna Haraway mettent en péril dans leurs récits le postulat de la reproduction comme naturelle et donc bonne. Dans Against Nature, l’historienne des sciences Lorraine Daston propose un travail d’anthropologie philosophique sur l’ordre moral et l’ordre naturel (2019, p. 3-6). Elle revient sur la pensée aristotélicienne selon laquelle la nature spécifique des choses se transmet et se maintient par la reproduction. Celle-ci constitue la clef de voûte de la vie elle-même, ainsi, enrayer ce principe est proprement monstrueux puisque, « Pour Aristote, la monstruosité est un continuum qui intervient lorsque la progéniture n’arrive pas à reproduire son parent mâle (en ce sens toutes les filles participent à la difformité) et s’étend jusqu’au point extrême où elle ne ressemble même pas à l’espèce de ses parents. » (Daston, 2019, p. 12) Les notions de reproduction et d’hérédité sont donc au cœur d’une morale qui maintient la reproduction du même, de Dieu à l’homme européen, comme le mouvement naturel à suivre.

En effet, qui se cache derrière ce « même » si ce n’est le reflet idéalisé de celui qui l’inscrit comme seule progéniture valable ? Pour Aristote il s’agit donc du mâle, de l’homme. Donna Haraway le voit dans la figure théorisée par les sciences naturelles d’« Homo », un homme qui a « ses yeux tournés vers le ciel » et une « image de soi comme reflet du même » (Haraway, 2020, p. 8), l’homme moderne en somme. Qui est cet Homo – identique en grec, homme en latin  issu des sciences modernes, et quelle conception de la nature a-t-il forgée pour perpétuer sa position de gagnant de l’évolution ?

En effet, la conception moderne de nature est chargée de siècles de représentations et de récits occidentaux, elle représente l’imbrication entre l’ordre dit naturel et l’ordre moral et culturel. Même si de nombreuses distinctions sont faites entre les différentes acceptions du terme depuis la philosophie antique, Aristote tire déjà la source des normes pour les vertus humaines depuis la nature elle-même ; une nature idéale et donc normative. En effet, dans Le protreptique, il affirme que les législateurs doivent, plus encore que les artisans et les médecins, être connaisseurs de la nature puisque « Le politique doit demander certaines normes à la nature même et à la vérité, pour juger d’après elles ce qui est juste, beau, et avantageux. […] De même, est la plus belle loi la plus conforme à la nature » (Jamblique, 1989, 84.7-85.1). Cette citation ne dit pas cependant comment est cette nature à laquelle la loi doit se conformer.

C’est plus tard, inspirée par la pensée aristotélicienne que la théologie chrétienne fonde sa morale dans une nature personnifiée, offerte aux humains comme le terrain d’un jeu violent ; la Genèse le rappelle : « Dieu créa l’homme à son image (…) et Dieu leur dit : Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l’assujettissez ; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre. » (Gen. 26-30). Audre Lorde appelle les « pères blancs » (Lorde, 2003, p. 37) les penseurs européens3 qui, au xviie siècle, se sont employés à répondre rigoureusement à cette injonction divine en forgeant la rationalité moderne à travers deux attitudes, que Pierre Hadot qualifie pour la première de prométhéenne, où la violence, la technique et la ruse sont les méthodes pour faire parler la bien trop mutique, mystérieuse et capricieuse nature. Et pour la seconde d’orphique, une position contemplative qui laisse un voile romantique sur une nature qui doit être intouchée (Hadot, 2004, p. 135-139). Il ne s’agit pas de deux attitudes opposées, mais des deux penchants logiques d’une certaine relation à la « nature ». Relation qui se forge en Europe de l’Ouest, notamment à travers les révolutions scientifiques du xviie siècle, valorisant davantage les méthodes prométhéennes pour répondre à l’injonction divine. Pour Galilée, le grand livre de l’univers est écrit en langage mathématique, un langage qu’il faut donc maîtriser pour en déchiffrer le sens et en dévoiler les secrets (Galiei, 1980 [1623], p. 141). Descartes, lui, trouve à la philosophie spéculative, issue de la théologie, une adversaire : la « philosophie pratique », capable de « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature » (Descartes, 2000 [1637], p. 153), reprenant directement la Genèse. Et enfin, Francis Bacon conçoit sa méthode scientifique comme un interrogatoire où l’accusée serait la nature et où la méthode utilisée pour lui extorquer des aveux serait la torture4.

Un siècle plus tard, le règne de la raison et des Lumières scelle cette ambivalence entre Prométhée et Orphée, consacrant la nature tantôt en paysage romantique où contempler les échos d’une âme mélancolique, tantôt en lieu de ressources exploitables à l’infini pour le progrès. La tradition occidentale a donc inscrit la conception moderne de nature comme une réalité fixe et immuable, qui apparaît comme l’endroit d’où extraire l’inspiration artistique, philosophique ou législative ainsi que les ressources naturelles nécessaires au progrès. Ainsi, la nature est plus que jamais réaffirmée comme étant l’ordre producteur de normes et de lois et par là même protecteur de l’ordre social, qui en serait son émanation. Un ordre où le même, cet homo, est une élite qui s’autoréplique sans difficulté, naturellement.

Pratique poétique et pratique SF : des outils capables d’écrire les vies et théories contre-nature

Audre Lorde et Donna Haraway investissent un ordre à rebours de la conception moderne de nature, qui pourrait être nommé simplement contre-nature. Cet espace de pensée – et de vie – contre-nature se construit tout d’abord depuis leurs expériences vécues. Leurs positions de femme noire lesbienne poète d’une part, et scientifique féministe d’autre part, composent également avec des sexualités et parentalités à rebours de « la famille reproductive comme modèle pour une bonne vie » (Pierron, 2019, p. 27-28).

Audre Lorde a eu ses enfants avec un homme gay avant de les élever dans une famille interraciale et homoparentale. Donna Haraway, elle, a partagé la vie de Jaye Miller, un homme gay avec lequel ils étaient « intensément proche, comme amis et amants » (ibid.) et n’a jamais eu d’enfant. Jaye et son amant faisaient partie des premières victimes du sida, et Donna Haraway raconte que lorsqu’elle rendait visite à la mère de Jaye avec son mari Rusten Hogness, rencontré du vivant du Jaye, celle-ci les présentait comme sa belle fille et son beau-fils. L’expérience de ces vécus contraires à « la famille nucléaire blanche » (Erbon et Tsing, 2017, p. 661) les a menées vers une analyse critique et féministe, qui s’inscrit dans leurs travaux en tant qu’autrices. Ainsi, l’emploi stylistique de la poésie et de l’essai pour Audre Lorde ou de la SF comme « fabulation spéculative, fait scientifique, féminisme spéculatif et science-fiction »5 (Haraway, 2016, p. 266), pour Donna Haraway, leur permet d’investir les marges de l’écriture académique et d’imaginer de nouveaux récits pour un savoir légitime.

Audre Lorde est en effet poète avant d’être essayiste et conçoit la poésie non pas comme « un luxe », mais « une nécessité vitale ». Selon elle « la poésie cisèle la parole pour qu’elle exprime et guide […] l’exigence révolutionnaire » (Lorde, 2003, p. 34-35). La poésie d’Audre Lorde renvoie à une conscience aiguë de l’imbrication des rapports de domination, dont elle fait elle-même l’expérience en tant que femme noire et lesbienne. Elle parle de la poésie « en tant que sublimation révélatrice de l’expérience, et non de ce jeu de mot stérile au nom duquel, trop souvent, les pères blancs ont galvaudé le mot poésie » (ibid.). Son écriture poétique se dresse comme arme politique, comme une stratégie de survie :

(…) et même ma fille sait
que ce que tu sais
peut faire mal
elle dit ses non
et ça fait mal
elle dit que
quand elle parle de libération
elle veut dire se libérer
de cette peine
elle sait que ce que tu sais
peut faire mal
mais ce que tu
ne sais pas
peut tuer.

Ce poème intitulé « Mais qu’est-ce que tu peux bien enseigner à ma fille ? » (Lorde, 2021, p. 191) dénonce sa difficulté « à élever des enfants noirs » dans la société américaine des années 1970 qu’elle qualifie comme « la bouche d’un dragon raciste, sexiste et suicidaire » (Lorde, 2003, p. 75). La présence du sexisme et du racisme rend l’éducation de ses enfants quasi impossible « s’ils ne savent pas aimer et résister à la fois » (ibid., p. 75). La connaissance qu’elle leur enjoint à s’approprier n’est non pas celle des « pères blancs », mais celle qui leur permettrait de se libérer. La poésie lui permet de « transformer le silence en paroles et en actes » (ibid., p. 37-41), à partir de poèmes « taillés dans le roc des expériences de nos vies quotidiennes » (ibid., p. 34-35). Dans Égratigner la surface : quelques remarques sur les femmes et les obstacles à l’amour, elle écrit :

« Racisme : croyance en la supériorité intrinsèque d’une race sur toute les autres et ainsi en son droit à dominer.
Sexisme : croyance en la supériorité intrinsèque d’un sexe et ainsi en son droit à dominer.
Hétérosexisme : croyance en la supériorité intrinsèque d’une forme d’amour et ainsi en son droit à dominer. » (ibid., p. 43).

Cette croyance en une nature intrinsèque qu’elle dénonce comme l’« incapacité à reconnaître la différence comme force humaine dynamique » (ibid., p. 43) est une conséquence directe de la reproduction du même comme idéal social. Le point de vue situé d’Audre Lorde est en effet le point de départ de toute son œuvre poétique et philosophique, une position qu’elle conçoit comme outil politique : « Il est évident, tant pour les femmes Noires que pour les hommes Noirs, que si nous ne nous définissons pas nous-même, d’autres s’en chargeront – dans leur intérêt et à nos dépens. » (ibid., p. 44) Donna Haraway, théorise dix ans plus tard les « savoirs situés » (Haraway, 2007, p. 107) depuis son exercice des sciences et notamment de la biologie évolutionniste. Elle analyse la production des savoirs scientifiques objectifs, qui sont, selon elle dépendants des conditions matérielles, culturelles et sociologiques des personnes qui les ont fondés. Il s’agit d’affirmer « la nature incorporée de toute vision » (ibid., p. 115), pour rendre compte des limites de la vision d’un « regard dominateur émanent de nulle part », qui « représente tout en échappant à la représentation » et « exprime la position d’Homme et de Blanc, une des nombreuses tonalités du mot objectivité » (ibid.).

L’édition française de cet article s’articule dans un ouvrage réunissant le Manifeste cyborg et d’autres essais, sous-titré « Sciences, fictions, féminismes ». La SF est en effet pour Donna Haraway une méthode scientifique. Les savoirs situés induisent donc d’autres façons de signifier, et cela passe pour Donna Haraway par une ontologie relationnelle radicale, où se situer signifie rendre compte des multiples relations dans lesquelles tout un chacun est imbriqué. Celles-ci incluant humains, non-humains, mythes et histoires. Les savoirs situés impliquent l’horizon d’une « objectivité féministe » dont la pratique se nourrit d’outils hors de l’écriture universitaire et académique :

L’encorporation féministe, les espoirs féministes pour une partialité, une objectivité et des savoirs situés, branchent les conversations et les codes sur cette intersection active du terrain des corps et des significations possibles. C’est là que la science, l’imagination scientifique, et la science-fiction convergent dans la question de l’objectivité pour le féminisme. (Haraway, 2007, p. 135)

La cruciale question des outils n’est pas étrangère à Audre Lorde qui consacre un essai, On ne démolira jamais la maison du maître avec les outils du maître à ces considérations. Les outils de la connaissance, des savoirs, peuvent tantôt servir la reproduction du même ; tantôt imaginer d’autres potentialités reproductives. Dans l’essai De l’usage de l’érotisme, l’érotisme comme puissance, Audre Lorde, valorise l’érotisme comme mode de connaissance et la joie comme capacité reproductive et outil politique. Dans les Histoires de Camille, Donna Haraway élabore une SF où le lectorat suit cinq générations de réinvention des rapports filiaux. Ces deux textes proposent, en incorporant les outils politiques, tant stylistiques que situationnels, des moyens de « faire des parents » autrement et en vue de futurs désirables, s’émancipant des rapports de domination classiques.

Forger des liens érotiques, colériques et symbiotiques pour des modalités de reproductions inventives

Audre Lorde tient les affects comme source première de la connaissance ; que ce soit la colère et la haine ou la joie et l’érotisme, c’est à travers l’expression de ceux-ci qu’elle conçoit sa survie « dans la bouche du dragon raciste, sexiste et suicidaire » (Lorde, 2003, p. 75). À propos du racisme, elle écrit « Ma colère m’a été douloureuse, mais elle m’a aussi permis de survivre ; et avant de m’en défaire, je vais m’assurer que sur le chemin de la clarté, il existe au moins quelque chose d’aussi puissant pour la remplacer » (ibid., p. 142). Le mode de connaissance qui permet l’expression de ces affects est l’érotisme, « notre connaissance la plus profonde et la moins rationnelle » (ibid., p. 56). L’érotisme est en effet défini dans cet essai comme un mode de connaissance fondé sur les affects, à contrario de la rationalité des « pères blancs ». Cependant l’idée moderne de nature refuse la viabilité d’une connaissance hors de la rationalité et du progrès, puisque :

pour se perpétuer, toute oppression doit corrompre ou déformer, dans la culture de ceux qu’elle opprime, ces différentes sources de puissance capables de générer l’énergie du changement. Pour les femmes, cela a signifié la suppression de l’érotisme comme source appréciable de puissance et connaissance dans nos vies (ibid., p. 55).

Autrement qu’avec une chambre à soi il s’agit donc de (re)conquérir un érotisme à soi et de le faire rayonner à tous les niveaux de sa vie. Ce mode de rapport au monde est en totale opposition à celui des « pères blancs » (ibid., p. 37) comme elle les appelle, dénonçant par là même le système fondé par ces derniers qui privilégient le profit, sous la coupe du progrès, au détriment des besoins humains. Selon elle, l’aberration d’un tel système est « qu’il ampute notre travail de sa valeur érotique, de sa puissance érotique, de désir de vivre et de la plénitude qui l’accompagnent » (ibid., p. 57). Il ne s’agit plus d’un espace réifié, tantôt admiré, tantôt exploité, mais d’un environnement dont chacune est partie prenante. La force de la proposition d’Audre Lorde, tient à l’écart qu’elle creuse d’avec la position orphique et romantique, en revendiquant très précisément le lien entre le politique et le spirituel : « la dichotomie entre le spirituel et le politique est fausse, elle découle d’un manque de considération envers notre savoir érotique » (ibid., p. 58). Le réinvestissement de l’affect dans la théorie fait valoir les pieds d’argiles de l’objectivité scientifique, moyen de reproduction d’un système de pensée derrière lequel se perpétue une classe dominante. Audre Lorde, par sa voix de poétesse et d’essayiste noire et lesbienne contre-nature, articule l’érotisme comme une puissance subversive, créatrice de liens hors de la reproduction normée, qu’elle soit sociale ou génétique. La reproduction en tant que telle n’est pas refusée, elle est requalifiée, ce qu’il s’agit de reproduire avant tout c’est la joie provoquée par l’érotisme. Selon elle, la joie est l’affect lié à l’érotisme, une joie qui est un mode de connaissance, « Et cette connaissance profonde et irremplaçable de ma capacité à éprouver de la joie exige que toute ma vie soit vécue en sachant qu’une telle satisfaction est possible, et qu’elle n’a pas besoin de se nommer mariage, dieu ou vie après la mort » (ibid., p. 59). Sortir du schéma de la reproduction en menant une vie érotique hors de la seule sphère sexuelle constitue « une des raisons pour lesquelles l’érotisme est tellement craint », elle précise :

c’est parce que nous commençons à ressentir profondément la texture de notre existence, nous commençons à exiger de nous-mêmes et de nos engagements qu’ils soient en accord avec cette joie dont nous nous savons capables. Notre savoir érotique nous donne de la force, il devient une lentille à travers laquelle nous scrutons tous les aspects de notre existence. (ibid.)

Cet essai scande, à la manière d’une poésie et d’un manifeste politique, l’accès à l’érotisme comme mode de connaissance, outil capable de faire valoir un rapport au monde où les affects en direction non pas de la reproduction ou de la vie après la mort, mais bien de la joie de faire avec sont les armes capables de démolir la maison du maître.

Les pratiques textuelles d’Audre Lorde et de Donna Haraway sont toutes deux tournées vers une réappropriation de l’érotisme. Alors que Donna Haraway achève son Manifeste cyborg par une renaissance : « Je préfère être cyborg que déesse » (Haraway, 2007, p. 82), Audre Lorde lui répond « Je ne cherche pas l’approbation / insensible au sang / et si vous voulez me connaître / fouillez les entrailles d’Uranus / où les océans inlassables se fracassent. » (Lorde, 2021, p. 25) Donna Haraway comme Audre Lorde parlent depuis de multiples hybrides avec l’idée de faire advenir une forme depuis la source chaotique première, qui ne soit jamais fixée, mais en réflexion constante, pour permettre de ne jamais reproduire un « même ». Tout, chez Donna Haraway, est question de relations et d’hybridité. Au point de vue des Camille précèdent en effet celui du cyborg :

Le cyborg saute l’étape de l’unité originelle, celui de l’identification avec la nature au sens occidental du terme. Contrairement au monstre de Frankenstein, le cyborg n’attend pas de son père qu’il le sauve en restaurant le jardin originel ; c’est-à-dire en lui fabriquant une compagne hétérosexuelle, en faisant enfin de lui un tout fini, une cité, un cosmos. […] Le cyborg ne rêve pas d’une communauté établie sur le modèle de la famille organique. Loin de traduire un éloignement qui isolerait les humains des autres créatures vivantes, les cyborgs annoncent des accouplements fâcheusement et délicieusement forts. (Haraway, 2007, p. 32-33)

Le cyborg est donc déjà un intermédiaire entre nature et culture, biologie et technologie et une fiction capable de s’émanciper de la reproduction sexuée et du genre tout en proposant des « accouplements fâcheusement et délicieusement forts ». Ce texte écrit originellement en 1985 marque les ressemblances et les écarts d’avec la SF des Histoires de Camille.

En effet, la philosophe, primatologue, biologiste et féministe, se sert de la SF pour engendrer des figures émancipatrices, elle se reproduit sans cesse, et ses « enfants » sont cyborg, méduse, chienne, Camille, etc. Écrire de la SF est une façon pour Donna Haraway de faire advenir un ailleurs où la reproduction « du même » est torpillée puisque les outils et le langage en première ligne ne sont plus les mêmes. Dans La promesse des monstres, elle écrit :

La SF – la Science-Fiction, les Futurs Spéculatifs, la Science-Fantasy, la Fiction Spéculative – semble être un registre particulièrement approprié grâce auquel nous pourrons mener notre enquête dans les technologies artificielles et reproductives. Elle prendra peut-être un chemin qui s’éloigne de l’image sacrée du Même pour nous conduire vers quelque chose d’impropre, d’inapproprié, d’inconvenant, et donc, peut-être, d’inappropriable. (Haraway, 2012, p. 173-174)

Le dernier chapitre de l’ouvrage Vivre avec le trouble (Haraway, 2012) est nommé Histoires de Camille et raconte l’histoire SF de la figure des « Camille », qui lui a inspiré le slogan « Faites des Parents, pas des Bébés ! » (Haraway, 2016, p. 78). Il s’agit d’une fabulation spéculative permettant d’imaginer de nouvelles relations inter et intraspécifiques dans un monde en ruines à plusieurs endroits. Alors que le point de vue cyborg était arrimé au contexte de la guerre des étoiles et combats pour la technologie, les Camille portent l’urgence d’un monde en ruine, dévasté par les activités humaines. Il s’agit de faire avec ce monde, d’apprendre à y vivre et à y mourir en enrayant la reproduction du même. Cette histoire et ce slogan répondent à un enjeu fondamental pour Donna Haraway, celui « de briser la prétendue nécessitée du lien entre parenté et reproduction » (Haraway, 2012, p. 295). Avec les Histoires de Camille, elle explore des parentèles qui ne répondent pas aux modèles classiques, en imaginant un modèle triparental et des symbioses entre des espèces humaines et des espèces en voies de disparition, comme la symbiose des Camille avec les papillons monarques. Elles sont des « Enfants du Compost » (Haraway, 2020, p. 287), issues des « Communautés du Compost » (ibid., p. 293) et ont pour principale mission de « défaire l’attachement aussi destructeur que généralisé à ce lien, que l’on continuait de concevoir comme naturel, entre la parenté et l’arborescente généalogie reproductive et biologique » (Haraway, 2012, p. 297). Le compost représente une décomposition fertilisante pour penser autrement les collaborations, bénéfiques ou parasites, qui lient les humains et les non-humains, mais aussi une image pour concevoir la reproduction à partir de ce qui se meurt. La liberté reproductive chez des « Enfants du Compost » pose donc comme horizon celui du partenariat symbiotique :

De cette période inventive, la science historique retint la prolifération des rituels, des cérémonies et des fêtes pour faire des parents sur un mode sympoïétique plutôt que biogénétique. L’un des fruits les plus marquants de cette créativité fut la résurgence, sur toute la Terre, de pratiques amicales chez les enfants et les adultes (ibid., 2012, p. 309).

Ainsi faire des parents passe d’abord par la pratique de l’amitié, inter et intra-espèce, c’est par l’amitié que la reproduction permet d’être décentré des rapports filiaux pour s’inscrire dans les rapports amicaux, qui vont en l’occurrence jusqu’à la symbiose.

Les Histoires de Camille racontent cinq générations de Camille. Camille 1 est la première à vivre la symbiose avec les papillons monarque et voyage de l’Amérique du Nord à la l’Amérique du Sud pour rencontrer les communautés qui vivent aux côtés de son symbiote. En effet, le lien symbiogénétique enjoint les Camille à suivre les migrations de l’espèce, mais aussi à se tenir prêtes pour sa potentielle disparition. Cette fable spéculative narre le pire sur le continuum du monstrueux d’Aristote, que rappelait Lorraine Daston dans Against Nature : les relations interespèces. La symbiose interespèce renforce dans les Histoires de Camille la puissance érotique évoquée par Audre Lorde et la nature devient « à proprement parlé, un lieu commun » (ibid., p. 159) par l’implantation d’antennes de papillon au menton de Camille 2 :

Lors de son initiation à l’âge de quinze ans, Camille 2 décida de demander comme cadeau de passage l’implantation d’antenne de papillon sur son menton, une sorte de barbe tentaculaire, afin qu’une capacité plus vive de goûter les mondes de ces insectes volants puisse devenir également l’héritage de leur partenaire, aidant au travail et ajoutant au plaisir corporel de devenir-avec. (ibid., p. 223)

L’ajout de la barbe d’antenne de papillon fait de Camille 2 un avatar freak, une sorte de femme à barbe qui en plus de troubler les genres, trouble aussi les espèces. La figure du freak se place également à l’extrême du continuum du monstrueux aristotélicien, figure retravaillée par Renate Lorenz dans L’art queer : une théorie freak, où elle définit un « art queer » (Lorenz, 2018, p. 36) qui ne se penserait pas sur le mode de la représentation, mais sur le mode de la contagion entre le public, l’artiste et le produit de son œuvre. Art à l’œuvre dans les Histoires de Camille où l’usage de la fabulation spéculative, outil théorique pour Donna Haraway, permet un décentrement capable de rendre compte des imaginaires possibles et inexplorés, en subvertissant les schèmes de reproduction classique.

Conclusion 

Le mot « parent » est bien trop important pour que nous l’abandonnions à nos opposants
Donna Haraway, Vivre avec le trouble

Les pratiques textuelles et outils employés par Audre Lorde et Donna Haraway permettent de percevoir la nécessité de penser la reproduction du « même » comme pierre angulaire de la conception moderne de nature. Les autrices s’émancipent de la langue académique et universitaire pour préférer l’essai, la poésie ou les pratiques SF. Ces outils textuels se rejoignent dans leur capacité à faire émerger les points de vue et les affects comme matière théorique et ainsi à requalifier la puissance de l’érotisme comme politique. Reconnaître la puissance de l’érotisme est un enjeu fondamental pour répondre à la question de la reproduction selon Audre Lorde, cela « peut nous donner l’énergie nécessaire pour poursuivre la transformation de notre monde, au lieu de nous satisfaire d’un simple changement des rôles au sein du même vieux drame éculé » (Lorde, 2003, p. 62). Dans les Histoires de Camille il s’agit précisément d’une proposition de transformation du monde, en inventant des parentés qui franchissent les schèmes classiques de reproduction et d’engendrement. L’ontologie relationnelle qui découle de ces épistémologies féministes, fondées en l’occurrence sur l’érotisme, permet de penser une éthique politique complexe qui ne cède jamais à la simplification des enjeux et oblige à penser les relations entre l’individuel et le collectif. En effet, ces subjectivités offertes à l’amitié radicale forment un horizon politique qui suggère une individualité repensée à partir du collectif.

Bibliographie

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Notes

1 Il s’agit d’un vers extrait du poème « For Each of You », dans Chosen Poems: Old and New, W. W Norton and Company, New York, 1978, p. 105-108.

2 Depuis les années 1970, la philosophie féministe des sciences a forgé une pensée critique en identifiant les impensés qui entourent l’enquête et les pratiques scientifiques, notamment en mettant en lumière les biais sexistes et racistes présents dans les concepts d’objectivité et de neutralité scientifiques. Par-delà la cet examen critique, la philosophie féministe des sciences porte également un volet constructif, proposant des théories scientifiques construites à partir des épistémologies féministes. Voir Ruphy Stéphanie, 2015, « Rôle des valeurs en science : contributions de la philosophie féministe des sciences », Écologie & politique, vol. 2, no 51, p. 41-54.

3 Plus tôt dans l’essai, l’autrice se réfère aux « pères blancs » comme ceux qui conçoivent avec « des yeux européens », « le fait de vivre uniquement comme un problème à résoudre », ne comptant que « sur les idées pour nous libérer » (Lorde, 2003, p. 36). Il s’agit donc des philosophes de la rationalité européenne moderne. Le seul auquel l’autrice fait directement référence est Descartes, en effet plus tard dans l’essai elle précise : « Les pères blancs nous ont inculqué : je pense donc je suis. ». Cette conception découle d’une critique féministe de la production de la connaissance légitime monopolisée par les hommes blancs privilégiés. Pour une lecture approfondie des expressions « pères blancs » et « pères fondateurs » voir Mathieu Marie, Mozziconacci Vanina, Ruault Lucile et al., 2020, « Pour un usage fort des épistémologies féministes », Nouvelles Questions Féministes, vol. 39, no 1, p. 6-15.

4 Voir Merchant, 1980, p. 168 : « La plupart de l’imagerie que Bacon utilise pour délimiter ses objectifs et sa méthode scientifique provient des tribunaux. En traitant la nature comme une femme que l’on devrait torturer avec des inventions mécaniques, cela fait fortement référence aux interrogatoires des sorcières et aux machines utilisées pour les torturer. Dans un passage éloquent, Bacon affirme que la méthode par laquelle on peut percer les secrets de la nature était la même que les enquêtes de l’Inquisition sur la sorcellerie […] ». Voir aussi Hadot Pierre, Le voile d’Isis. Essai sur l’histoire d’une idée de nature : « Nous retrouvons donc ici [chez Francis Bacon] la représentation du dévoilement des secrets de la nature obtenu d’une manière analogue à celle d’une procédure judiciaire. La nature est une accusée (une sorcière ?) à laquelle on arrache des aveux. »

5 Je traduis « speculative fabulation, science fact, speculative feminism, science-fiction. »

Citer cet article

Référence électronique

Chloé Pretesacque, « Subvertir la reproduction chez Audre Lorde et Donna Haraway », Voix contemporaines [En ligne], 04 | 2022, mis en ligne le 06 février 2023, consulté le 20 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/voix-contemporaines/index.php?id=541

Auteur·e

Chloé Pretesacque

Doctorante, LIRA (EA 7343), Université Sorbonne-Nouvelle Paris 3

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