L’abandon est un mot tabou, pourtant il précède l’adoption de la majorité des bébés nés en France. Les femmes qui ne veulent pas élever l’enfant qu’elles ont mis au monde ont toujours créé un problème pour la société. De ce fait la question de l’abandon des nourrissons à la naissance s’est posée tout au long de l’histoire. Pour éviter les infanticides ou les abandons sur la voie publique, le clergé et l’état ont tour à tour tenté d’en organiser les modalités. À l’orée du deuxième millénaire, les défenseurs des femmes s’affrontent aux défenseurs des enfants et, comme à l’époque du roi Salomon, l’État s’est trouvé missionné, sinon de juger, du moins de légiférer.
La loi française permet à une femme d’accoucher en demandant le secret de son admission et de son identité. C’est une disposition à caractère sanitaire et social qui trouve son origine dans la loi du 28 janvier 1793 sur les maisons maternelles. Elle fut officialisée par celle du 2 septembre 1941 sur la protection de la naissance signée à Vichy par le maréchal Pétain. Elle est légalisée au regard du droit de la filiation par la loi du 8 janvier 1993. Mai 2002 a vu la dernière réforme mise en place. Le nom de la mère n’est pas mentionné dans l’acte de naissance ni dans les dossiers médicaux ou administratifs. Nul n’est censé être au courant de cet accouchement.
Toute naissance mal déclarée trouble l’ordre humain. Elles font partie des hypocrisies que l’on arrive mal à mettre en ordre socialement. Il en est ainsi des accouchements sous « X ».
En pratique, lorsqu’une femme décide d’accoucher dans l’anonymat, les frais relatifs à la naissance sont pris en charge par l’État et le bébé est confié à une œuvre d’adoption publique ou privée. L’enfant, dès sa sortie de l’hôpital sera placé pendant deux mois en pouponnière ou en famille d’accueil. C’est le délai de rétractation accordé à la mère pour récupérer son enfant si elle change d’avis. Au-delà, il ne pourra légalement jamais avoir accès à ses origines si sa mère en a décidé ainsi.
Les éléments non identifiants relatifs à l’histoire de l’abandon et éventuellement l’identité de la mère et du père sont actuellement recueillis par les travailleurs sociaux des maternités qui les retransmettent aux œuvres d’adoption publiques et privées, elles le seront directement après la mise en pratique des décrets d’application par le CNAOP (conseil national pour l’accès aux origines personnelles) qui en assurera la gestion.
Les pièges du nom
Ainsi le bébé devient pupille de l’état. On disait, il y a encore peu de temps qu’il était « immatriculé pupille de l’État », un terme à connotation déshumanisante qui a été progressivement abandonné.
Nommer l’humain doit être pris ici au pied de la lettre. C’est ainsi qu’un bébé passa quelques jours en maternité sous le nom d’Ixette. Ixette ? Comment pouvait-on accepter dans une maternité de pointe du vingtième siècle qu’un nouveau-né, seul sans sa mère, soit ainsi appelé ? « X… » pour le matricule : à qui cela ne rappelle-t-il pas l’horreur ? « ette » pour le sexe, guère plus qu’un individu femelle ! De quel type serait une société qui supporterait une telle violence symbolique ?
En cas de naissance sous X, trois prénoms sont, à sa naissance, attribués à l’enfant par sa mère ou par l’officier d’état civil, sa famille adoptive aura le pouvoir de les modifier par la suite et la majorité le font. Parfois ils gardent le prénom initial en deuxième position, ce qui n’empêchera pas le bébé, dans ses premiers mois, de devoir s’adapter à un remaniement identitaire symbolique radical pour le moins perturbant. Au moment de l’adoption plénière, un nouvel acte de naissance sera établi et le premier considéré comme nul. L’enfant devient alors sur cet acte « réputé Né de ses parents adoptifs ». Cette disposition devrait être modifiée selon les nouveaux textes.
Dès le début de leur vie, mais aussi plus tard, comme en témoignent les psychanalystes qui reçoivent les adoptés de tous les âges, l’humain a besoin des mots de son passé pour vivre dans sa véritable identité faute de quoi on risque de voir émerger, dans les moments de remaniement inconscient de la filiation comme les naissances, les décès ou à l’adolescence, une souffrance ravageuse.
La fin des bons sentiments
Parler d’adoption renvoie chacun aux bons sentiments, à la générosité à l’égard d’une enfance en mauvaise posture. La réalité n’est pas toujours aussi auréolée. Il est grand temps de ne plus faire passer les notions de charité religieuse ou humanitaire en priorité dans l’adoption, mais plutôt de privilégier la connaissance apportée par la science et la psychanalyse en matière de développement de l’enfant et d’en tirer des conduites à tenir pour mieux les respecter.
Les parents parfaits n’existent pas et les adoptants n’échappent pas à cette règle. La plupart sont au clair avec leur projet. Parmi eux, beaucoup ont de plus en plus souvent recours à ce procédé à la suite d’un échec d’assistance médicale à la procréation. Pour ceux-ci, on n’aura pas hésité à rendre obligatoire aux médecins de pratiquer une forme de prescription de demande d’adoption parallèlement à leur démarche d’assistance à la procréation, « au cas où ! ». Le bébé se retrouve alors objectivé tel un médicament pour guérir une stérilité.
Si le désir d’enfant est authentique, il n’est pas synonyme de désir d’adoption et le travail d’élaboration psychologique qui leur permettrait de faire le deuil de l’enfant de leur chair pour adopter celui des autres n’est pas toujours terminé lorsque ces couples accueillent un bébé. Évoquons aussi ceux pour lesquels l’adoption vient réaliser l’ultime remède à une impossibilité à trouver un conjoint. Pour ces célibataires elle a souvent lieu trop tôt. La prise de conscience qu’il est psychologiquement préjudiciable pour un enfant d’occuper la place incestueuse du compagnon manquant n’est pas encore faite. Enfin un mot concernant l’adoption par les homosexuels : on peut penser que si les éléments de l’origine et de la filiation sont respectés et non séquestrés à l’enfant, à savoir qui est son père et qui est sa mère de naissance, l’enfant pourra grandir sur des bases non trafiquées. Ceci limiterait le problème aux identifications parentales secondaires à propos desquelles le débat reste ouvert.
Professionnels dans l’impasse
Il apparaît qu’une force étrange semble pousser les professionnels à n’envisager la question que sous l’angle exclusif de l’intérêt de la mère en opposition à celui de l’enfant ou l’inverse. Comme si la naissance instaurant le tiers symbolique poussait à transformer ce symbolique en réel, séparateur de la mère et de l’enfant. C’est la projection imaginaire que ce type de naissance provoque en chacun de nous qui pousse très souvent les professionnels à se substituer aux parents jugés manquants voire défaillants. Les dérapages sont très fréquents c’est pourquoi on peut espérer que la création de l’instance tierce sous la forme du CNAOP, pourra éviter la collusion pathogène entre les mères abandonnantes et le personnel de santé à l’origine de diverses formes de passages à l’acte plus ou moins maltraitants autour de ces situations. Car les professionnels sont contraints de se situer en position d’une parentalité potentielle de cet enfant coupé de son origine, de sa filiation, de sa lignée, gravitant en apesanteur dans le champ des fantasmes parentaux de chacun. Que nous le voulions ou non, nous sommes tous prêts à occuper la place laissée vacante par les parents de naissance, ceci parce que l’humain ne peut supporter que les lois qui organisent la société aient le pouvoir d’effacer une identité.
Secrets de famille, secrets d’état
Jusqu’à ce jour, certaines œuvres séquestraient délibérément les informations contenues dans les dossiers, en refusant de les transmettre autant aux familles d’adoption qu’aux adoptés eux-mêmes. Cet état des choses devrait disparaître d’après les nouvelles dispositions légales.
Que se passe-t-il lorsque la société se donne le droit de légiférer sur la parole ? Ce faisant, elle constitue un nœud, dont la fonction réelle, en dehors du moralisme, est d’assurer la force d’un lien collectif autour de l’enfant. Les enfants sont confiés à la tutelle du préfet et au gardiennage du conseil général qui, par l’intermédiaire de l’aide sociale à l’enfance ou celui d’une œuvre privée, en assume la responsabilité jusqu’à l’adoption. Ces instances tutélaires, organisées en conseils de famille, se donnent le droit de juger dans son histoire ce qui est bon ou mauvais de transmettre à l’enfant « pour son intérêt ». Certaines s’autorisent même à censurer des informations fournies par les mères mais jugées mauvaises pour l’enfant mais plutôt, en fait, pour les parents adoptifs. Cette situation est regrettable car c’est cette transmission qui pourrait empêcher les parents adoptifs de céder, plus ou moins consciemment, à la tentation d’effacer cette histoire malheureuse d’avant l’adoption, la leur ou celle de l’enfant. En censurant elles créent des liens collectifs qui sont des liens de silence constituant des nœuds trop solides pour les enfants dans la temporalité présente car leur validité concerne une autre temporalité, à la mesure de l’inconscient. Ces secrets au profit de la société créent des orphelins de parole. Ainsi notre société constitue des enfants trop adoptables, des enfants en dehors des lignées. Il est capital que les parents adoptants puissent avoir accès à l’intégralité des dossiers.
Cette problématique se rapproche de celle concernant les mères qui veulent établir du secret. Ces femmes se vivent souvent comme de mauvaises mères potentielles et souhaitent, par l’acte d’abandon, fournir à leur enfant une famille adoptive qu’elles imaginent meilleure qu’elles. Certaines souhaitent cependant constituer un secret (portant le plus souvent sur les conditions du rapport fécondant et de la paternité) il sera important alors, afin d’éviter de créer les trous ravageurs faits dans le symbolique, de pointer à l’enfant qu’il y a secret mais que ce secret a été délibérément voulu par la mère pour préserver sa pudeur ou celle de l’enfant. C’est aux parents biologiques, puis aux parents adoptifs, de gérer, en fonction de leur histoire ou de leurs principes pédagogiques les secrets de famille. Ils régissent la névrose ordinaire de tout un chacun. Ceux-ci ne devraient cependant à aucun moment se transformer en secrets d’état !
Du père
La question du père se pose dans la mesure où on l’aborde sous une forme de « fonction sociale langagière déclarative » comme le dit le psychanalyste Lucien Kokh. La mère, elle, conçoit l’enfant lorsqu’elle décide d’en accoucher, mais le père déclare l’enfant. Ainsi il lui accorde une existence sociale qui lui permet de passer de l’intimiste maternel à du langage humain plus largement communiquant, ouverture à la société, à une forme de symbolique.
Nous, psychanalystes, partons du principe que tout discours formulable renferme des énoncés manquants. Cependant pour représenter ce manque dont est peuplé l’inconscient, la société prétend pouvoir choisir. Ce choix concernerait les énoncés les pires, ceux à ne pas dire, par exemple lorsque l’enfant est né d’un viol ou d’un inceste. De cette façon se forme un lien idéalisé dont la vocation serait de n’être pas contestable sous couvert de moralité ou de fonction pédagogique. Cette société qui se conçoit comme un tout n’en est pas un et surtout n’est pas tout. Il est important de constituer de l’antidrame social en court-circuitant la comédie du lien collectif institutionnel et postuler, en sortant du totalitarisme, que les institutions ne doivent pas être mortes. Tous ces enfants sont le symbole d’une société qui voudrait ignorer que la société elle-même peut mourir. Il est primordial d’éviter de confondre secret de famille et secret d’État car la parentalité s’inscrit dans l’ordre du vivant. On ne reçoit pas la vie des morts mais seulement en leur nom. Ce serait se fourvoyer que de réduire le vivant au biologique.
Transparence pour la mère et l’enfant
Voilà pourquoi les fameux éléments non identifiants doivent désigner ceux de l’histoire de l’individu et pas seulement des indices physiques ou médicaux. Un bébé a le droit de grandir dans son histoire, celle qui a présidé à sa conception et a façonné son développement fœtal sans disjonction d’avec celle d’après sa naissance. L’exploitation de l’amnésie infantile consistant à nier l’existence de souvenirs oubliés du début de la vie d’un sujet est une négation de ce dernier. La psychanalyse nous a montré qu’on négocie mieux une vérité sur soi, même cruelle, qu’un mensonge. Demander à un enfant de se structurer sur du non-dit, c’est lui demander de nier une partie de lui-même. Car, lui, il le sait bien ce qu’il a vécu, et si sa conscience ne le lui rappelle pas explicitement, son inconscient viendra, par des symptômes inexplicables, en témoigner tout au long de son existence. La séparation néonatale en cas d’abandon à la naissance revient, pour l’enfant comme pour la mère, à une perte d’une partie de son moi disent certains psychologues américains. Il leur reste à l’un comme à l’autre la sensation du membre fantôme, et ceci à vie, car il s’agit d’une amputation bilatérale.
Parler aux bébés
C’est grave lorsque la société cautionne le trou de l’origine dès la naissance. Il doit être alors bien difficile au cerveau du nourrisson de symboliser les données nécessaires au développement harmonieux de son activité cognitive. Comment donner sens à une souffrance présente immédiatement dès la naissance si les mots manquent. On voit ainsi de très jeunes bébés se laisser dépérir ou tomber malades parfois gravement au cours du délai de rétractation et, comme l’a montré Françoise Dolto, renoncer à leurs symptômes dès que quelqu’un leur dit leur histoire, les raisons de l’abandon et également le projet d’avenir conçu pour eux.
Il est, je crois primordial de dire à tout nouveau-né d’où il vient en termes clairs. Il ne s’agit pas de juger mais de transmettre un savoir, une parole qui va constituer chez l’enfant un savoir inconscient. Cet énoncé aura une valeur de « parole-sujet » indispensable au développement du psychisme et qui contribuera à la production de sa pensée. Il est primordial d’accompagner les nourrissons abandonnés au cours de leur séjour hospitalier et, mandaté par leur mère, que quelqu’un se charge de leur transmettre oralement l’histoire qu’elles ont confiée afin qu’ils puissent grandir dans leur vérité.
Cette mission peut être remplie par le professionnel qui a rencontré la mère et parfois le père, à conditions toutefois que celui-ci soit convaincu de l’intérêt d’informer oralement le nourrisson de son histoire, afin qu’il puisse réaliser sa tâche de façon authentique. Les nouveau-nés sont en attente de paroles vraies, dites au bon moment par la bonne personne. Il est très bouleversant d’en observer les effets. Ces bébés paraissent comme en attente des mots, porteurs de leur histoire, qui leur sont adressés. Certains réagissent violemment en s’éveillant, en pleurant, puis se calment au moment où on évoque l’adoption, comme si le sens de ces paroles venait directement s’imprimer en eux, comme s’ils comprenaient. L’un s’endormira profondément dès la fin du récit, un autre restera dans un sommeil profond comme s’il ne voulait rien savoir de cette histoire, reprenant ainsi à son compte l’ambivalence de sa mère. Ce dernier sera dirigé vers un psychanalyste par le personnel de la pouponnière pour troubles respiratoires à répétition. Ils furent interprétés comme un désir de retour à une respiration ombilicale qui lui rendrait sa mère.
Orphelins de paroles
C’est étrange de constater comment les sociétés peuvent se construire autour d’un meurtre ou d’un mensonge initial. L’horreur, on le sait depuis les camps de concentration, c’est de mourir sans trace, sans inscription. Mourir ou naître sans inscription, cela revient au même.
Pour qu’un humain puisse se penser humain, il faut que cette coupure, cette castration dite ombilicale puisse lui permettre de s’autonomiser. Les concepts d’histoire, de préhistoire voire de protohistoire peuvent décrire une parole qui se situe en dehors de l’enfant, le dépasse et constitue une sorte de canevas psychique à son développement. Sa naissance illustre cette histoire dans la mesure où il la reçoit et l’accepte avec ses aléas. Mais, en même temps, on pourra dire qu’il s’en éloigne car, il la parle, la pense. C’est une dimension spécifique de l’humain. Pour la respecter, lorsque les parents ne peuvent pas remplir la fonction de pourvoyeurs des paroles structurantes nécessaires au développement de l’enfant, c’est à d’autres de s’en charger afin que celui-ci soit en mesure de fonctionner personnellement et socialement dans sa propre vérité.
Pour les nourrissons nés après un accouchement au secret, ceux dont l’histoire ne peut pas se penser de façon transgénérationnelle, à partir des grands-parents par exemples, la naissance représente une coupure radicale de tout ce qu’ils connaissent. Leurs perceptions aériennes sont en totale disjonction des perceptions ante natales déjà mémorisées : la voix de leur mère, sa langue maternelle et tout ce qu’elle contient, son odeur, les bruits de son corps, sa chaleur, éventuellement la voix du père, des proches, s’ils ont parlé près du ventre maternel pendant la grossesse, l’ambiance familiale : tout ce qui permet à un bébé de se repérer dans les premiers moments de sa vie disparaît. La seule chose qui puisse éventuellement faire lien, ce sont les paroles le concernant prononcées à son adresse et donnant sens à ce qu’il doit vivre. Ces paroles ne devraient à aucun moment lui être cachées et devraient lui être dites au plus tôt après la séparation, c’est une urgence de parole. Alors seulement, l’enfant pourra venir prendre sa place dans son histoire. Car la question qui à juste titre harcèle les adoptés c’est : « pourquoi m’ont-ils abandonné ? Était-ce parce que je suis mauvais » bien plus encore que la question : « qui m’a abandonné ? ». Comment ne pas se prendre pour le reste d’une histoire malheureuse et s’en sentir responsable si aucune information n’est transmise pour y donner sens ?
La souffrance néonatale de parole
Les bébés peuvent très vite, et souvent au cours du délai de rétractation, souffrir d’un manque de parole. Leur expression est principalement physique, le corps devenant le lieu du langage. Ils peuvent perdre du poids de façon inquiétante, refuser de manger, de dormir, ou dormir sans cesse, ou encore être très agités, ils peuvent présenter des symptômes respiratoires, digestifs ou cutanés que l’on peut interpréter comme un souhait de communiquer, une quête de sens. Si on leur fournit les paroles qui leur racontent leur histoire, celle de leur père, leur mère, leur famille et celle de l’abandon, si on leur dit ce qui leur arrive et ce qui va leur arriver, souvent le soulagement est très rapide. Hélas il est rare que tous ces éléments soient dits aux bébés abandonnés.
C’est entre les lignes de leur histoire et de la nomination que s’ouvre pour les petits d’humains l’accès au symbolique. L’histoire qui les précède et les traverse avec ses aléas tisse la trame d’une structure au sein de laquelle peut s’envisager le processus d’un désir d’adoption qui, on le rappelle, n’est pas seulement passif. Il ne leur suffit pas d’être adoptables, puis adoptés, encore faut-il qu’eux-mêmes se retrouvent en possession d’une liberté suffisante pour s’autoriser à désirer adopter une famille. Pour changer de filiation, encore faut-il savoir à quoi l’on renonce afin d’en pouvoir faire le deuil. Aucun être humain ne peut se recommander de sa seule puissance.
Un conservatoire des identités
Il est prévu de créer une mesure visant à constituer un recel d’identité : le CNAOP. On donnera ainsi à la mère abandonnante le temps de refaire sa vie en tenant compte de cette nouvelle donne. Celles qui ont dû gérer leur histoire avec le poids du secret d’un abandon témoignent maintenant de l’impasse dans laquelle elles se retrouvent des années plus tard. On ne bâtit pas sur des non-dits de cette ampleur, ils créent un vide incomblable. Si des mères souhaitent accoucher d’un enfant viable puis l’abandonner, elles doivent fournir nécessairement dans le dialogue et l’accompagnement les données qui ne leur appartiennent plus mais relèvent de l’héritage social de l’enfant.
Ces données représentent un capital social sur lequel veilleront des professionnels payés par la collectivité. Cela fait partie des délégations de responsabilités publiques et collectives, souvent problématiques dans notre pays. Il semble important de créer cette commission élaborée entre des praticiens, des psychanalystes, pédopsychiatres, des juristes, des représentants des associations et divers autres travailleurs, afin d’éviter cette collusion entre la puissance d’état et les professionnels de santé. Ainsi pourra-t-on imaginer gérer et accompagner les protagonistes de l’accouchement au secret. Une commission de ce type servira entre autres également à ne pas blanchir les traces de l’histoire et sera chargée, en rendant compte à l’enfant de son histoire de faire fonction de métaphore paternelle. Toute mère souhaitant accoucher au secret sera « invitée » à fournir les éléments de l’histoire de l’enfant et éventuellement sa généalogie et son identité afin que celui-ci puisse grandir dans le respect.
Ce recueil des données auprès de la mère, voire du père lorsque c’est possible, sera la contrepartie du désir d’accoucher. Il existe actuellement un pouvoir humain mental excessif confié aux professionnels de la santé, les concepts de l’hygiène sociale et de l’éducation ne devraient pas exclusivement leur revenir. Des protocoles de ce type impliqueront un remaniement des comportements et transformeront progressivement l’abord du spectre des enfants trouvés. Des professionnels formés se devront d’accompagner les parents abandonnants dans cette démarche de même que les adultes et les enfants en quête d’origine, afin de soutenir au mieux les différents acteurs de ces drames humains au long de leur parcours, tout en s’adaptant à la singularité de chaque situation. Si la mère est invitée à fournir ces éléments, elle n’y est cependant pas contrainte. Elle pourra toutefois par la suite demander la levée de ce secret auprès du CNAOP, et si l’enfant, de son côté en a fait la demande, ils pourront alors être mis en relation et bénéficier de l’accompagnement de professionnels compétents.
Seule la France et le Luxembourg pratiquent officiellement l’accouchement sous « X », les autres pays n’ont pas l’air de souffrir d’un raz-de-marée d’infanticides ou de cohortes de moïses déposés au petit matin sur le parvis des églises. La libéralisation de l’avortement n’a pas modifié ces statistiques. À l’issue de cette dernière réforme, la question demeure : « Est-il encore judicieux de maintenir l’accouchement sous « x » ? »