Texte

Jean Ménéchal nous a quittés ; il avait promis un article pour ce numéro et en attendant un hommage plus complet, nous publions un extrait d’une de ses interventions ! Dans cette institution multiple, il a été pour certains un collègue estimé, pour d’autres un adversaire honorable, pour d’autres encore un ami ; et côté étudiants un maître, ou bien un empêcheur de paresser en rond, et bien d’autres choses encore ; en tout cas, jamais indifférent, et toujours respecté, pour l’ampleur de sa culture, l’acuité de sa réflexion, et son impressionnant courage…

Mais hélas… Les temps, décidément, sont au deuil…

Ne sommes-nous pas aussi en deuil de cet homme ou cette femme que nous avons tous vu le 11 septembre à la télé, qui agitait un tissu blanc à la fenêtre, pour un appel ou un adieu, nous ne pourrons jamais le dire, pour un dernier contact en tout cas avec nous ? Il va au boulot comme chaque jour, il décroche son téléphone ou vérifie la propreté de son balai, ronchonne in petto contre sa femme, son compagnon, ses rivaux, ses enfants, son patron, ses collègues, ses subordonnés, l’État, les impôts, la vie en général et surtout la journée pas forcément très drôle qu’il lui faut affronter juste maintenant. Et c’est tout, un vacarme, de la poussière et de la chaleur, et c’est tout, c’est fini, plus la peine de ronchonner sur quoi que ce soit, un morceau de tissu qui s’agite, c’est fini. Et cette Afghane morte faute de soins car les hôpitaux de Kaboul ont fermé… Cet adolescent palestinien touché par une balle qui ne lui était pas destinée en personne, et qui meurt sous nos yeux, dans les bras de son père…

Et tous les autres, qui sont victimes…

Et que dire de ceux qui occupent commodément la place des monstres ?

Un gamin drogué qui mutile en Sierra Leone, un autre qui assassine dans les rues de Bogotá… Et même ces tragiques illuminés qui montent dans un avion pour exterminer et mourir tout à la fois. Et même ce milliardaire aux yeux vidés par la psychose, qui répond aujourd’hui au sinistre nom d’ennemi public. Eux aussi nous les avons perdus, même s’ils sont encore vivants d’ailleurs, même si nous savons que leur violence, leur folie, leur détresse sont humaines, sont nôtres, et bien aussi profondément que nos idéaux ! Il faut évidemment lire et relire ce que Freud dit de la guerre : comment nous, les humains, ne pouvons qu’à grand-peine cesser d’en jouir ; comment la violence ultime, la figure de la guerre totale, en somme, est l’État que nous construisons dans notre effort pour nous civiliser…

Je ferai tout de même comme lui, qui termine son pessimiste, « Pourquoi la guerre ? », par une tentative de consolation, fragile il est vrai, sans illusion, mais qui nous concerne particulièrement, nous qui sommes investis dans l’Université : « En attendant, il nous est permis de nous dire : tout ce qui promeut le développement culturel travaille du même coup contre la guerre. »

Citer cet article

Référence papier

Patricia Mercader, « Édito », Canal Psy, 50 | 2001, 3.

Référence électronique

Patricia Mercader, « Édito », Canal Psy [En ligne], 50 | 2001, mis en ligne le 03 novembre 2020, consulté le 22 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=1067

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Patricia Mercader

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