Les étudiants qui se dirigent vers les DESS de Psychologie du Travail souhaitent d’abord et très légitimement être psychologues du travail. Mais ils n’ont pas toujours une représentation très claire de l’exercice du métier, des débouchés qu’ils peuvent s’attendre à trouver et des parcours professionnels existants. Avec une formation existant depuis les années 1970, le DESS de Psychologie du Travail de l’Institut de Psychologie de Lyon 2 a un recul important sur le devenir des diplômés. La réalisation et la réactualisation régulière de l’annuaire des anciens diplômés donnent une bonne photographie des lieux d’insertion professionnelle ; nous savons, grâce à ce moyen que l’insertion est généralement bonne même si, surtout dans les difficiles années 90, elle était précédée par de nombreux contrats précaires. Par ailleurs nous avons depuis longtemps conscience de la diversité des secteurs d’emploi et des métiers exercés qui nous a conduit à donner dans ce DESS, outre une orientation nettement psychologique, une formation pluridisciplinaire assez large.
Mais nous voulions approfondir cette connaissance : professions effectivement exercées, salaires perçus, répartition en fonction des sexes, parcours professionnels depuis la sortie d’étude et facteurs déterminant ces parcours. À l’occasion de cette remise à jour de l’annuaire nous avons donc décidé de réaliser, avec des étudiants de maîtrise, une étude plus approfondie sur le devenir de ces anciens. Une enquête quantitative a été menée sur la population des 308 diplômés qui ont obtenu leur DESS de psychologie du travail au sein de l’Université de Lyon entre 1975 et 1999 concernant les métiers, les salaires, les lieux d’exercice. Par ailleurs un échantillonnage de trente personnes (personnes ayant obtenu leur DESS il y a au moins cinq ans jusqu’à celles qui ont réussi il y a vingt ans) a été réalisé afin d’étudier par interview approfondie les parcours professionnels. Cette étude réalisée en 2000 est complétée par des données issues des contacts directs avec les étudiants diplômés plus récemment et des offres d’emploi pour lesquelles, depuis ces trois dernières années nous sommes régulièrement sollicités.
Une profession diversifiée quant aux métiers et lieux d’exercice
Un métier majoritairement féminin
Constituée de 30 % d’hommes et de 70 % de femmes, l’âge moyen de cette population est d’environ 36 ans, et son salaire moyen est de 182 kF brut/an (il faut souligner toutefois que les données relatives au salaire sont probablement les moins fiables : nombreuses non-réponses ; sous-évaluation probable pour les mieux payés des salaires et avantages et peut-être surévaluation de ceux qui ont un salaire qu’ils savent trop bas pour leur qualification).
Des secteurs d’activité et des emplois diversifiés
33,53 % sont retrouvés en tant que consultants externes aux entreprises et dans les métiers de l’insertion. Cette population est plutôt jeune (M = 33,5 ans) En tant que consultants externes, ils peuvent être dans des cabinets de recrutement où ils sont « chargés de recrutement », « conseil en recrutement », ou dans des cabinets conseils « conseil en… ». Mais dans les métiers de l’insertion ces professionnels peuvent être amenés à exercer simultanément du recrutement, de la formation, du bilan, de l’insertion, du conseil. Dans ce cas et même si ces différentes compétences relèvent toutes du métier de psychologue, ils ont du mal à nommer précisément le métier exercé sinon dans les termes de leur contrat d’embauche.
27 % s’orientent vers les Ressources Humaines le plus souvent dans l’entreprise et plus récemment dans les collectivités territoriales ou la fonction publique : on trouve des Directeurs des Ressources Humaines de très grandes entreprises ou d’entreprises moyennes, des adjoints RH, des chargés de recrutement, des responsables de la gestion des carrières, des responsables de formation, des chargés de communication, des consultants internes, des chargés des conditions de travail. La moyenne d’âge est à 33,4 ans et le ratio homme/femme est plus élevé que dans les autres types d’emploi (65,96 % de femmes pour 34,04 % d’hommes). Dans tous ces postes, ils sont en forte concurrence avec d’autres formations Ressources Humaines. Ils reconnaissent la plupart du temps que la formation psychologique leur donne un mode d’approche des problèmes différent de celui de leurs collègues juristes ou profil École de Commerce. Récemment on note un intérêt renouvelé de l’entreprise pour les psychologues du fait des préoccupations autour des questions de stress, de harcèlement mais cela ne se traduit pas pour l’instant par des postes spécifiques…
22,54 % se définissent comme « psychologues du travail » et/ou « conseillers-bilans ». Ils pratiquent l’évaluation psychologique, la psychométrie, le bilan dans des entreprises telles l’AFPA, la SNCF, les Centres de Bilan. C’est uniquement dans ces catégories et notamment à l’AFPA et la SNCF que les professionnels ont généralement un statut déclaré dans l’entreprise de « psychologue du travail » qui correspond au titre obtenu par le DESS. C’est dans cette catégorie que la population est la plus féminisée (76, 92 %) et la plus âgée (40,4 ans).
16 % exercent des métiers divers n’ayant rien à voir avec les métiers répertoriés plus haut. Cet effectif concerne surtout les premières promotions formées (années 70).
Les associations (23,75 %) et les entreprises privées (21,25 %) sont les lieux d’exercice principaux des anciens du DESS. Les cabinets-conseils viennent ensuite (18,75 %). Collectivités territoriales, et divers organismes publics et parapublics se répartissent le reste de l’effectif.
Inégalité des salaires par secteur et par sexe
C’est dans la catégorie Ressources Humaines que les salaires sont en moyenne les plus élevés (206,70 kF brut par an) contre (152 kF) pour les métiers de psychologues du travail et conseillers bilan. Les entreprises privées et les collectivités territoriales offrent les salaires les plus élevés (215 kF par an). Les femmes ont plus de contrats précaires que les hommes 22 % contre 5 % pour les hommes.
Évolution au travers des décennies
Il y a une évolution dans les orientations des anciens étudiants : les métiers de l’insertion et le consulting externe ont une nette progression de leur recrutement dans les années 90 (42,5 % des diplômés). L’orientation vers les Ressources Humaines progresse également alors que dans le même temps on assiste à une baisse de l’orientation vers la catégorie des professionnels identifiés explicitement comme « psychologues du travail » (du fait de la fermeture ou de la réduction d’effectif des gros centres dévolus auparavant à la psychométrie et de l’absence de croissance des centres de bilans). Ces trois dernières années, du fait d’une bonne conjoncture économique, le secteur du recrutement a activement recherché des candidats à l’embauche, non seulement dans les cabinets de recrutement mais aussi dans les Sociétés de service informatique (SSI) en pleine croissance.
Les parcours professionnels
Un des premiers constats est le fait que les parcours se font majoritairement dans le même secteur. Il en est de même pratiquement dans les différents secteurs étudiés. Par ailleurs, le secteur où l’on s’insère est souvent celui où l’on a fait son stage de fin d’étude ou des expériences significatives auparavant. Ces dernières années, les différents CDD auxquels les étudiants ont recours avant de se fixer ont acquis aussi un grand rôle d’orientation.
Les étapes de l’insertion
- 45 % des diplômés de notre échantillon ont mis entre 1 et 5 mois, après le DESS, pour trouver leur premier emploi en lien avec la psychologie du travail et 31 % des diplômés n’ont pas eu besoin d’effectuer une recherche d’emploi.
- 32% ont d’ailleurs obtenu leur premier emploi grâce à un stage antérieur ou à l’issue de l’un des stages du DESS. Il est important de préciser que 50 % des emplois trouvés suite à un stage débouchent sur un CDI, notamment chez les consultants externes. Ce constat montre l’importance du choix des stages et de la qualité du travail que le diplômé a fourni durant ceux-ci. Pour trouver leur premier emploi, d’autres ont sollicité l’aide de professeurs ou d’intervenants en DESS (20 %), ou encore utilisé des démarches spontanées (19 %).
- 70% des premiers emplois obtenus par les diplômés de notre échantillon sont des CDD et 31 % de ceux-ci enchaînent deux CDD avant de signer un CDI. Il faut donc en moyenne entre un et trois ans pour obtenir un CDI (45 % de l’échantillon).
Les éléments influençant le parcours sont de plusieurs ordres : les personnes, les facteurs et les stratégies.
Les personnes influençant le parcours
Trois catégories de personnes jouent un rôle essentiel à différents moments du parcours : celles qui ont influencé le diplômé dans le choix de sa formation, celles qui ont aidé à trouver un emploi et celles qui ont joué sur l’évolution ultérieure du parcours de manière positive ou négative suivant les cas.
Avant et pendant le DESS, c’est généralement la famille et surtout les parents qui influencent le parcours tant au niveau du choix de la formation qu’au niveau de la recherche d’un stage de fin d’études.
Le rôle des enseignants est surtout important au moment du « lancement » de la carrière en renseignant les futurs diplômés sur des propositions de stages et offres d’emploi à pourvoir en rapport avec leur qualification et leur profil. Leur rôle est aussi dans la construction des représentations de métiers.
Au cours de la carrière, le conjoint et les enfants jouent un rôle décisif sur la gestion de la carrière dans le sens où beaucoup de décisions professionnelles sont prises en fonction de ceux-ci et notamment pour les femmes. Quant aux collègues de travail ils ont un rôle essentiel dans la trajectoire professionnelle en conseillant, orientant et en constituant un réseau relationnel important pour l’évolution de la carrière.
Les facteurs importants
Enfin un certain nombre de facteurs peuvent être considérés comme influençant le parcours : Les caractéristiques des stages, formations et/ou emplois antérieurs apparaissent centrales quant à l’insertion professionnelle du diplômé, comme nous l’avons dit plus haut. Le facteur relationnel intervient dans toutes les catégories. Le plus souvent, le diplômé bénéficie des opportunités offertes par le réseau relationnel (amical ou professionnel) qu’il a construit ou dont il a « hérité » de sa famille. Ce facteur influe fortement ou modérément selon les personnes, suivant la quantité de contacts que les diplômés ont avec le secteur d’activité dans lequel ils veulent s’insérer. Mais une grande partie des diplômés venant de familles modestes, ce facteur ne joue que relativement peu en début de carrière. La carrière au contraire va construire ce réseau relationnel ce qui explique probablement que le parcours se déroule souvent dans le même milieu professionnel.
Dans les métiers des Ressources Humaines et de l’insertion, le parcours est assez largement dépendant des aléas socio-économiques : licenciement, ascension hiérarchique ou changement de fonction. Ce n’est pas le cas dans les structures de type AFPA ou Centre de Bilans. Le facteur géographique enfin agit au sein de toutes les catégories selon deux modalités : soit au niveau de la mobilité, soit au niveau de l’attachement à une région.
Les stratégies
On peut repérer quatre grandes stratégies mises en place à des moments bien distincts de la carrière : les stratégies anticipatives sont celles qui témoignent d’un souci constant de prévoir, anticiper, remettre en question une situation en fonction de l’environnement et de ses propres attentes.
Les stratégies offensives d’insertion sont utilisées par tous en plus des recherches d’emploi classiques. Il s’agit de ne pas hésiter à « se battre », à « utiliser le culot », ou « faire des coups de bluff »… Les stratégies familiales consistent à faire des choix professionnels en fonction du caractère prioritaire accordé à la famille. Dans ce cas, elles sont essentiellement (mais pas exclusivement) utilisées par des femmes. Quand l’insertion est assurée, on relève des stratégies d’aménagement du poste afin d’assurer une diversification des activités de travail.
L’utilisation de ces stratégies est différente selon les catégories de secteur d’activité. Dans le milieu des Ressources Humaines et dans celui des consultants externes, c’est l’utilisation des stratégies anticipatives et offensives de recherche d’emploi dans le milieu qui est privilégiée. Ce fait est à mettre en lien avec leur personnalité plutôt ambitieuse et un projet professionnel précocement défini. Nous imaginons que les consultants externes s’orientent dans ce secteur d’activité parce qu’ils sont attirés par son côté « terrain » et commercial. Les diplômés qui se dirigent vers les métiers des Ressources Humaines sont eux, intéressés par l’occupation d’un poste généraliste et par l’espérance d’une ascension hiérarchique conséquente rendue possible dans les entreprises privées.
Les stratégies familiales sont plus largement retrouvées chez les psychologues du travail, les conseillers bilan et les professionnels de l’insertion. Nous pouvons émettre l’hypothèse que ceux qui se dirigent ou demeurent dans ces catégories d’activité le font précisément dans le but de parvenir à un compromis entre leur vie professionnelle et privée du fait des horaires de travail et du moins grand nombre de déplacements, ce qui est plus difficile à réaliser en Ressources Humaines ou dans les métiers du consulting. Certaines personnes, une fois installées à un poste qui leur permet de réaliser ce compromis dans les meilleures conditions, n’en changent pas et ne sont pas gênées par les routines qui s’installent. D’autres à la recherche d’un épanouissement professionnel n’hésitent pas à utiliser des stratégies plus offensives pour arriver à leurs fins et à changer d’emploi s’il le faut tout en préservant les impératifs familiaux. Les conseillers bilan de leur côté usent, dès le début de leur carrière, de stratégies anticipatives dirigées vers les métiers de l’évaluation dans lesquels ils estiment réaliser pleinement leur activité professionnelle.
D’une façon générale et dans toutes les orientations, les stratégies familiales ont une place importante, surtout chez les femmes mariées, en couple ou ayant en charge des enfants, ce qui pourrait expliquer les différences au niveau du choix de secteur d’activité et des moyennes de salaire qui y sont liées. Mais dans tous les secteurs, et quelle que soit la réussite professionnelle, la plupart des diplômées interrogées ont insisté sur cette stratégie familiale. On peut se demander si pour celles qui s’investissent fortement dans le travail, cette insistance n’a pas pour but de surmonter la culpabilité (cf. Huppert-Laufer J. [1982], La féminité neutralisée. Les femmes cadres dans l’entreprise, Paris, Flammarion, 297 p.) en montrant combien elles s’investissent également auprès de leur famille.
Finalement c’est dans le secteur des Ressources Humaines que les parcours présentent le plus d’homogénéité : les personnes exerçant dans ce milieu passant toutes par des stades similaires ponctués par des stratégies précises qui, au fil du temps constituent une carrière. En revanche chez les consultants, les professionnels de l’insertion conseillers bilan et psychologues du travail, il y a une plus grande hétérogénéité des parcours professionnels en fonction des stratégies.
Conclusion
Une personne titulaire d’un DESS de Psychologie du travail a donc la possibilité de travailler dans des environnements professionnels divers et variés qui touchent à divers domaines de compétences. Au cours des parcours dans ces environnements, des identités professionnelles différentes se forgent, des compétences spécifiques au type d’emploi se développent, un réseau relationnel se tisse. C’est probablement l’intrication de ces trois facteurs qui expliquent le fait qu’une carrière débutée dans un environnement de travail tende à évoluer au sein de ce même environnement.
Alors que dans les autres DESS de Psychologie le titre de Psychologue est la condition de recrutement et correspond généralement à la définition statutaire de l’emploi, en psychologie du travail le titre de psychologue n’est que rarement le statut officiel de l’emploi sauf à l’AFPA, et à la SNCF. Même là où l’on recherche explicitement des psychologues pour leurs compétences spécifiques (conseillers-bilans, métiers de l’évaluation, souffrance et stress au travail) le titre de l’emploi n’est pas nécessairement celui de psychologue. Par ailleurs, dans l’entreprise les psychologues du travail sont en concurrence avec des troisièmes cycles d’autres disciplines et le titre décerné par la formation est gommé par le nom de l’emploi. Les interviewés reconnaissent pourtant généralement la spécificité de leur formation d’origine par rapport à ces autres formations pour les qualités d’écoute, la spécificité de regard sur l’entreprise, l’approche des individus, et le respect d’une déontologie professionnelle face aux pratiques et aux personnes.
Les évolutions de ces dernières années montrent un regain d’intérêt de l’entreprise pour la psychologie dans le secteur du recrutement et de l’adaptation à l’emploi, dans les domaines de la souffrance et du stress au travail, dans ceux du coaching : effet de mode ou tendance de fond plus durable, l’avenir le dira.
De nouvelles opportunités s’ouvrent pour les professionnels au carrefour de plusieurs compétences : connaître bien deux langues, deux cultures sera un atout précieux pour gérer les Ressources Humaines d’entreprises qui viennent de fusionner. Être un adepte d’Internet et des nouvelles technologies et psychologue est également un atout important, avoir fait de l’ergonomie, de la communication… De même avoir des approches diverses en psychologie (cognitive et sociale, clinique et sociale) paraît très utile pour divers postes. Ces compétences complexes sont et seront de plus en plus recherchées et les étudiants doivent y penser dans leur formation.
Les psychologues en place et ceux qui vont arriver sur le marché auront leur mot à dire dans ces évolutions en fonction des secteurs qu’ils investiront pour peu qu’ils sachent y développer et y faire valoir leur savoir-faire et leurs compétences spécifiques. Mais il faut aussi qu’ils puissent assumer la concurrence avec les autres filières notamment pour ce qui concerne ces bases incontournables pour une carrière que sont les langues, l’expérience de la vie à l’étranger dans une autre culture, les nouvelles technologies, mais aussi le droit et l’économie. Les formations universitaires doivent continuer à s’adapter dans ces domaines mais les étudiants doivent aussi y penser très tôt dans leur formation universitaire.