L’association Santé Mentale et Communautés (SMC) remplit depuis plus de trente ans, à Villeurbanne et dans l’est lyonnais, une mission de psychiatrie publique. Il s’agit ici de présenter les stages que SMC propose aux étudiants en psychologie. Cette association est « psychophile » comme en témoigne le nombre de psychologues parmi les salariés (10/40) et elle a, depuis sa fondation, entretenu des relations suivies avec l’Université Lyon 2, principalement par l’accueil et même l’utilisation d’étudiants stagiaires.
Il en va ainsi d’une conception de la formation des futurs professionnels qui fait une large place à la notion d’initiation, d’identification aux aînés et à la mise en pratique de l’adage qui affirme que c’est en forgeant qu’on devient forgeron.
Notons qu’il existe une cohérence entre cette idée de la formation et un axe de la pratique développée dans l’association. Dans celle-ci, nous privilégions pour les patients la valeur de l’expérience, de la confrontation à une réalité et dans nos dispositifs de soins, nous nous efforçons, entre autres, de soutenir les patients dans cette tâche.
Ainsi, chaque dispositif thérapeutique de SMC présente des caractéristiques suivant les personnes accueillies et les objectifs poursuivis. Chaque dispositif utilisant des étudiants a eu à penser une place et une fonction spécifique pour les stagiaires.
Trois structures de SMC sont concernées par l’accueil des étudiants en Psychologie : il s’agit des Communautés thérapeutiques, de la Maison d’Accueil Psychothérapique (la MAP) et d’Accueil, liaison, Psychothérapie (ALP).
Je vais rapidement présenter ces dispositifs en insistant sur ce qu’ils proposent aux étudiants.
Les lieux de vie
SMC a ouvert en 1979 et 1984 deux lieux de vie communautaires pour des patients, généralement psychotiques.
Chaque communauté permet à six à huit personnes des deux sexes, qui sont locataires (donc chez eux), de progresser dans leur développement psychique, relationnel et social en utilisant les moyens mis à leur disposition.
Matériellement, les lieux de vie sont des maisons où chaque résident dispose d’une chambre personnelle et de la possibilité d’utiliser les espaces communs : cuisine, salon, sanitaires, etc.
Les patients sont locataires, c’est-à-dire qu’ils payent un loyer, ont droit aux APL et maîtrisent l’accès à leur domicile. Ainsi, les soignants de SMC, correspondants de la communauté n’en détiennent pas la clé.
Un contrat lie chaque résident et l’association fixant des droits et obligations mutuels, dont le sens général est que le séjour doit aider à progresser et à se soigner. Chaque résident doit suivre des soins personnels avec une équipe extérieure à SMC et avec laquelle des liens de collaboration sont instaurés.
Une micro équipe de SMC comprenant un médecin et deux soignants (psychologue et/ou infirmière) est garante de la dimension thérapeutique, pour chaque patient et pour le groupe, de la vie dans la communauté.
Dès l’origine, le fonctionnement des lieux de vie a été pensé avec la présence de stagiaires. Actuellement, ce stage est réservé à des étudiants en cours de maîtrise de Psychologie.
Chaque communauté est accompagnée par deux stagiaires qui participent à la vie du groupe en fonction de ce qu’ils perçoivent de l’utilité de leur présence, de leurs propres intérêts et de leurs limites.
Ce stage dure un semestre, éventuellement renouvelable et s’effectue sous la responsabilité d’un psychologue de la micro équipe.
Les stagiaires doivent participer, comme tous les habitants de la maison, à la réunion hebdomadaire de régulation avec les deux soignants de SMC. Les stagiaires des deux communautés bénéficient ensemble d’une supervision avec un thérapeute extérieur à SMC et d’une gratification mensuelle, faible certes, mais qui vient attester de la reconnaissance par SMC d’un service rendu.
Il est attendu des stagiaires qu’ils montrent une sollicitude discrète pour la vie psychique des habitants de la communauté et témoignent dans leur mode de présence de cet investissement.
Ces stages permettent à des futurs psychologues de mieux se représenter ce que peut vivre et supporter un patient dans sa vie ordinaire, ce qu’il peut aussi imposer aux autres. Ce stage amène des étudiants à penser les questions du soin, du cadre, de la distance.
ALP
Accueil, Liaison, Psychothérapies est un dispositif de traitement ambulatoire intensif pour des patients en crise ou en post urgence. La prise en charge qui dure deux mois implique pour un patient un suivi avec un soignant personnel, des entretiens avec un médecin et la participation à des groupes : groupes accueil, groupes crise, groupes à médiations.
Ces groupes sont caractérisés par leur place dans le dispositif, leur fonction, leur objectif, leurs modalités de fonctionnement. L’objectif d’ALP est d’aider le patient à contenir et élaborer cette période critique et l’amener à engager le soin personnel durable qui l’aidera à mieux faire face aux aléas de sa vie.
Cette structure s’est ouverte en 98 et contrairement aux deux dispositifs précédents, la place d’un stagiaire n’y a pas été prévue. ALP offre néanmoins une place pour un stagiaire DESS qui peut, suivant ses intérêts, s’inscrire dans les suivis individuels, les groupes accueil, les groupes à médiations ou les groupes crise.
En termes d’activités de stage, on a affaire ici à une forme plus classique alors même qu’en termes de dispositif soignant, ALP est original, innovant, et soulève beaucoup de questions d’ordre institutionnel et concernant les processus groupaux d’élaboration.
Le stagiaire n’y trouve ainsi pas de fonction prédéterminée mais doit, en quelque sorte, trouver/construire sa place dans une négociation avec son maître de stage et les membres de l’équipe.
La MAP
La Maison d’Accueil Psychothérapique reçoit pour une durée de deux mois des patients en crise. L’objectif d’un séjour est de mettre en œuvre un projet de soin et/ou de vie qui réponde au moins en partie aux enjeux qu’on aura pu faire émerger de l’analyse de la situation critique. La MAP peut accueillir sept patients en séjour et quelques autres en journées et soirées.
La prise en charge comporte des actes techniques (entretiens, réunions) et un travail d’élaboration de la vie quotidienne partagée qui est aménagée pour apporter au patient un soutien et permettre aussi une lecture et une analyse qui vont nourrir la compréhension de la crise.
L’équipe d’accueil qui assure cette prise en charge est composée de quatre permanents (deux infirmières et deux psychologues) et trois stagiaires psychologues en dernière année d’études (DESS). Les stagiaires sont ainsi soignants à part entière et ont avec l’association un contrat d’échange de services dans lequel ils doivent assurer une responsabilité en bénéficiant d’un stage réputé formateur, d’une supervision hebdomadaire et d’une gratification mensuelle.
La MAP est un dispositif de soin qui mixe le « vivre-avec », la vie quotidienne partagée et les actes techniques, qui organise en son sein la coexistence contradictoire et conflictuelle d’un dispositif en plein et d’un dispositif en creux (Paul Fustier, 1993).
Cette conflictualité structurelle du dispositif génère chez les patients, mais aussi chez les stagiaires et les soignants, des vécus d’étrangeté. Elle leur fait vivre des situations ambiguës où le familier du partage quotidien devient potentiellement étrange à s’inscrire dans un lieu thérapeutique. Le familier et l’étrange s’interpénètrent provoquant une étrange familiarité qui évoque l’Unheimlich freudien.
Les expériences d’inquiétante étrangeté mobilisées par l’ambiguïté du dispositif sont potentiellement thérapeutiques pour les patients car elles font réémerger l’espace primitif, les noyaux les plus régressifs du moi. Elles permettent aux patients de revivre l’expérience de l’ambiguïté perdue, clivée, de la tolérer et de l’intégrer dans un moi désormais plus assuré puisque moins rigide. Bien sûr cette potentialité thérapeutique nécessite un espace de symbolisation de ces expériences, fonction assumée à la MAP par les actes techniques (entretiens, réunions…).
Le « vivre-avec », le partage du quotidien, instaure également un dispositif où les patients sont amenés à mettre une part de leur intimité sous le regard des soignants et des stagiaires et réciproquement. L’activité perceptive, l’œil, le regard, y sont au premier plan, avec tout ce que cela implique de processus projectifs. Les soignants et les stagiaires, à être à la fois des semblables qui vivent là partiellement, mais aussi des soignants, des « psys », à être donc des objets à la fois familiers et étranges, deviennent des objets ambigus, des « objets louches » comme les décrit Sami-Ali, à savoir des objets où sont condensées des significations contradictoires provoquant un sentiment de malaise, d’inquiétude mais aussi de curiosité et d’intérêt quant à leur véritable nature, un sentiment d’Unheimlich.
À la MAP, comme pour les communautés, le fonctionnement a été d’emblée pensé avec la participation importante de stagiaires étudiants en psychologie. Si ceux-ci occupent une place si prépondérante dans le dispositif de soin c’est qu’ils y assument une fonction implicite particulière pour que celui-ci soit pleinement thérapeutique.
À leur arrivée en ce lieu de soin « étrange », les stagiaires, comme les patients, sont confrontés à une crise de repères personnels et professionnels et à un sentiment d’étrangeté et d’inquiétante familiarité provoqué par la rencontre, dans le cadre à la fois du partage du quotidien et d’actes techniques, dans le cadre d’un dispositif en « double regard », en miroir, d’un autre, d’un double qui, à être à la fois si différent, si étrange, puisque psychotique, et si familier, si semblable, parce qu’humain, en devient inquiétant.
Progressivement au cours de son stage, et dans un même mouvement psychique, le stagiaire se familiarise avec ce double externe qu’est le patient et avec son double interne, sa propre étrangeté. Il apprivoise peu à peu l’image de lui-même en l’autre, il peut s’y reconnaître en partie sans s’y perdre, il apprend à gérer la question de la « bonne distance », distanciation interne surtout, et il y gagne en intériorisation et en « richesse psychique » puisqu’il est alors capable sans trop d’angoisse d’éprouver son propre dédoublement interne, sa propre étrangeté.
Ce travail psychique qui s’opère chez les stagiaires tout au long de leur stage produit aussi des effets thérapeutiques chez les patients, par un processus d’identification primaire induit par le dispositif spéculaire de la MAP, où, comme le dit Sami-Ali, le patient se saisit comme un autre et où l’autre est l’image de soi : un monde de la métamorphose du même.
Aussi la fonction implicite des stagiaires dans le dispositif de la MAP serait de renforcer le lien de similitude entre soignants et patients, de fournir en quelque sorte une « plus-value » de familiarité qui amplifie le dispositif en miroir et facilite les effets thérapeutiques du dépassement de l’expérience d’étrange familiarité.
La traversée de cette épreuve, pour qui accepte de s’y confronter, à valeur d’épreuve initiatique. Elle met en crise mais elle a des effets identitaires et identificatoires. C’est sans doute pourquoi le stage à la MAP a la réputation auprès de générations successives de stagiaires d’être à la fois très impliquant et très formateur !
La MAP accueille aussi des étudiants du niveau licence qui y effectuent leur stage d’étonnement. Ils viennent 25 demi-journées groupées sur une période d’un mois. Plusieurs signes viennent marquer leur statut particulier : ils sont là « pour eux », dans le cadre de leurs études, ils n’ont pas de responsabilité envers les patients. Ils ont à respecter les règles de vie de la MAP et le secret professionnel dans la mesure où ils ont accès aux dossiers des patients et participent aux réunions de l’équipe.
Ce stage est leur premier contact avec un lieu de soin et, souvent, l’occasion de leurs premières relations avec des patients dans leur vie quotidienne. Expérience d’une humanité commune, mais aussi d’étrangeté. C’est un stage qui, toujours, oblige l’étudiant à penser la question de la distance.
En résumé et pratiquement, les étudiants de DESS peuvent effectuer un stage à ALP ou à la MAP, les étudiants de maîtrise dans les communautés thérapeutiques et à la MAP en été, les étudiants de licence à la MAP.