Le métier de policier chacun de nous pense le connaître et en connaît certains aspects à travers les médias, les séries, les polars. Entre fiction et réalité, nous avons notre représentation. Uniformes, armes, menottes, battons, arrestations, renvoient au Héro, fin limier ou simple flic, voir ripou, résultat de la construction psychique fantasmatique individuelle et collective.
La pratique professionnelle avec sa « paperasserie » administrative et judiciaire indispensable, ses missions urgentes, imprévisibles, incontournables et parfois indues, source de désillusion pour le jeune fonctionnaire, le positionne à la charnière de l’actualité avec ses changements permanents et de l’administration avec son fonctionnement hiérarchique et ses règles. Appartenant aux forces chargées de faire respecter la loi, maintenir l’ordre, au contact de la population, il est au cœur des tensions entre les forces de maintien et de changements créatrices du relief social.
Soumis à des doubles contraintes : réelles telle que l’obéissance à des ordres donnés par la hiérarchie quel que soit le grade et nécessaires à toute mission de sécurité publique, judiciaire ou de renseignements et l’autonomie sur le terrain. Monjardet (1996, p. 88-98) parle d’inversion hiérarchique dans son ouvrage Ce que fait la police.
Ou des rôles perçus comme antagonistes par les personnels comme c’est le cas de ceux de répression et de prévention. Réprimer est parfois difficile à conjuguer avec une bonne image de la police nationale dans certains contextes. Comment être répressif et garder une bonne image aux yeux d’un public en sachant que tout citoyen peut être à tour de rôle à contrôler, à sanctionner, à aider, à entendre ?
Le commissaire de police, chef de service, n’échappe pas à ces paradoxes, il les gère. La désignation de « patron » par le personnel recouvre elle aussi une réalité à double contrainte d’une gestion du personnel et du matériel limité par l’organisation centralisée. Pour illustrer nous pouvons prendre l’exemple des mutations gérées au niveau central, le chef de service dit « patron » du commissariat de quartier doit assurer les missions avec le personnel ainsi affecté.
Être policier, c’est aussi la violence à laquelle il faut faire face, voire exercer. C’est affronter la souffrance et continuer sa mission au risque d’un traumatisme (Audet, Katz, 1999, p. 32). C’est l’adaptation aux incontournables évolutions de la société modifiant les pratiques, changeant les repères.
Que peut apporter le psychologue dans un tel contexte où les objectifs sont définis au plan national et liés aux choix de société de nos élus et pris dans les contraintes et les paradoxes comme tout le personnel ? Quel rôle peut-il avoir dans une École nationale supérieure de la police nationale ?
En 1982, une direction de la formation de la police nationale est créée et organise avec la Société Interface une enquête auprès de l’ensemble du personnel de la police nationale (Ministère de l’Intérieur, 1983).
Pour faire suite aux attentes des fonctionnaires, 20 psychologues sont recrutés pour améliorer le recrutement, participer à la formation et réaliser des études nécessaires à ces travaux. En 1990, l’ENSP ouvre un poste à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or pour apporter l’éclairage de la psychologie appliquée au management.
Quelles sont les connaissances, méthodes, issues de la psychologie, utilisables par les commissaires de police ? Comment les transmettre à des non spécialistes ? Quels risques d’incompréhension, d’erreurs, de dérives voire de déstabilisation pouvons-nous prendre ? Quelles limites devons-nous imposer dans le respect du code de déontologie ? Quels autres apports du psychologue devons-nous envisager, voire proposer ?
Nous allons aborder ces questions liées à la psychologie appliquée au management sous l’angle de la transmission dans la formation initiale (FI), l’interculturalité, la variété des références et ouvrir à d’autres perspectives.
La transmission
Formation Initiale ou Formation Continue, nous savons que la connaissance de la dynamique psychique individuelle ou collective intra psychique ou inter actionnelle, est importante pour les métiers où les relations humaines sont le moteur principal de l’activité comme c’est le cas pour les commissaires de police. Nous savons aussi que l’approche psychologique implique une appréhension au-delà du raisonnement intellectuel. Comprendre le comportement humain, l’interaction, c’est appréhender la part du soi dans l’échange. Mais aussi saisir la dynamique au-delà de ce qui se donne à voir et à entendre. C’est également accepter la différence de l’« autre » irréductible à « ce que je vois, je sais ».
En formation initiale, l’hétérogénéité des promotions composées par moitié de jeunes issus des universités de droit, et par moitié de fonctionnaires expérimentés issus du concours interne, apporte à la fois plus de complexité et de richesse.
Trois questions centrales se posent : que transmettre ? pour quels usages ? et comment ? Les attentes se situent dans les domaines :
- de la dynamique des groupes,
- de la motivation, démotivation, remotivation du personnel,
- de l’évaluation et des méthodes pour communiquer une notation,
- de la gestion du stress et de la violence,
- de la communication interne aux services et vis-à-vis du public,
- des processus de changement,
- mais aussi au niveau d’une réflexion sur l’identité professionnelle et la place du commissaire de police pour répondre aux questions « pour qui je travaille ? où dans la chaîne hiérarchique ? avec quel effet ? »
Autant nous pouvons rapidement mettre en place et répondre sur la gestion du stress par des apports théoriques articulés à l’expression de témoignages de fonctionnaires présents ou enregistrés, dans des petits groupes animés par un psychologue expérimenté, autant il est plus délicat d’entrevoir des apports ponctuels sur des processus complexes tel que la communication, le changement, la dynamique des groupes, où la vulgarisation simplificatrice risque de transformer l’apport théorique ou méthodologique en recette tant attendue mais jamais pertinente dans l’actualité de la relation sous le poids de la réflexion intégrant les limites, les ambiguïtés et contradictions des fonctionnements humains.
Le psychologue doit-il les transmettre lui-même ? Quelles stratégies d’apprentissage utiliser vis-à-vis d’un public qui ne peut s’identifier au formateur-psychologue ?
Malgré les méthodes actives de pédagogies des adultes, l’efficacité de l’apprentissage se heurte au désir d’apprendre lui-même lié à l’intérêt de la matière compte tenu de l’anticipation possible de son utilité sur le terrain. Cette dernière est parfois difficilement imaginable pour un jeune étudiant de droit.
Et si le formateur est policier, se rajoute un niveau de transmission, de déformations et l’instrumentalisation des connaissances psychologiques pas faciles à appréhender mais à intégrer dans des nécessités bien concrètes.
L’interculturalité
Se pose ici l’interrogation des différences culturelles de deux professions, nous devons appréhender la vision du policier avec ses contraintes pour traduire l’approche psychologique dans son langage avec les réserves, mise en garde vis-à-vis d’une trop tentante simplification. Et si par exemple pour l’entretien de notation une procédure est envisageable, il n’en reste pas moins que l’efficacité sera celle de la qualité de la relation en fonction du contexte du moment et de l’histoire de cette relation tout au long de l’année. C’est ces derniers aspects que l’élève doit s’approprier dans l’apprentissage proposé par le professeur-commissaire encore faut-il qu’il ait lui-même appréhendé les différents paramètres d’une telle situation au-delà de ses expériences antérieures.
Nous avons ici à conseiller, voire former un formateur tout en tenant compte non seulement de ses connaissances en la matière (management, psychologie), mais également de ce qui ne pourra pas être transmis, des standards de comportements dans le milieu policier, des représentations du métier et des missions.
Comment transmettre, faire prendre conscience du rôle des besoins du Moi, besoins de repères, de direction, besoins narcissiques et de l’indispensable reconnaissance du travail pour transformer la souffrance à travers l’alchimie du plaisir en motivation et réduire le risque de névrose (Dejours, 1998) ?
Jusqu’où pouvons-nous, devons-nous aller dans ces apports et avec quel travail pour qu’ils soient compris et pas seulement entendus comme une injonction à faire ?
La variété des références
L’hétérogénéité des sujets traités du domaine clinique comme les addictions, l’approche de la psychologie sociale, comme la psychologie des foules, ou de la psychologie du travail (exemple d’une étude sur les conditions de travail dans les services de police de la région lyonnaise), aux apports des sciences cognitives, nous obligent à ne pas rester dans un champ de spécialité trop étroit et font du psychologue dans ce secteur d’activité, un « généraliste » avec une connotation en fonction de notre spécificité d’origine (clinique, travail, social, expérimentaliste). Mais c’est surtout le travail en collaboration à partir de nos différentes références théoriques qui nous permet d’élaborer des propositions auprès des directions des services par exemple : le travail de réflexion et d’optimisation de nos réponses à la demande de la Direction de la Formation dues à la mise en place de la police de proximité. Cet appel à la variété des compétences va jusqu’à la sollicitation d’intervention d’un praticien ou d’un chercheur pour traiter un thème précis.
Autres perspectives
Outre les apports des psychologues pour le recrutement des personnels des différents corps et les sélections internes pour constituer des équipes spécialisées tels que RAID, GIPN, c’est au niveau du soutien que la compétence du psychologue est sollicitée. La création en 1996 d’un service de soutien psychologique opérationnel signe l’intérêt pour l’institution de la prise en compte de la souffrance du personnel. L’utilisation des nouvelles technologies, les évolutions sociales et les changements adaptatifs de l’institution policière, modifient les repères des policiers, transforment leurs pratiques policières et les comportements managériaux, pourrons-nous dans ce contexte prétendre apporter une aide à la réflexion aux chefs de service ?