Quelle place pour un accueil non thérapeutique de la souffrance psychique ?

... la réponse de SOS Amitié

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Plus de quatre cent cinquante délégués des 48 associations « régionales », membres de la Fédération SOS Amitié France s’étaient rassemblés à Nantes du 14 au 16 mai dernier pour leur Congrès National triennal.

Quelle puissante motivation pouvait ainsi attirer de tous les coins de l’hexagone, durant un week-end de l’Ascension, près d’un quart des écoutants bénévoles qui, tout au long de l’année, du 1er janvier au 31 décembre, sans aucune interruption, de jour comme de nuit, assurent une permanence d’écoute téléphonique à la disposition de toute personne en situation de solitude ; de mal-être, voire de profonde détresse ou de pulsion suicidaire ?

Le thème général du Congrès, « écouter pour vivre ensemble », confirmait à lui seul la préoccupation de SOS Amitié de s’inscrire comme acteur de la vie sociale, disponible à l’accueil d’appelants en mal de vivre, selon les principes éthiques définis par une charte élaborée et constamment révisée au cours de plus de 40 ans d’existence.

À l’origine de ce service d’assistance par téléphone, l’intuition d’un pasteur anglican qui, bouleversé par le suicide d’un jeune homme, avait fait paraître dans les colonnes d’un grand journal londonien, une petite annonce ainsi rédigée : « Avant de vous suicider, appelez Man 9800 »…

Et le flot d’appels qui, en quelques jours, submergea ce numéro de téléphone, fut à l’origine de la création de l’Association des « Samaritains », dont le développement à l’échelle d’une grande cause nationale britannique fit rapidement école dans plusieurs pays d’Europe, aujourd’hui réunis dans une Fédération Internationale (IFOTES).

En France, le premier poste d’écoute a été créé dans la région parisienne en 1960. La Fédération SOS Amitié France fut reconnue d’utilité publique en 1967, et l’Association SOS Amitié de la région de Lyon fut elle-même fondée en 1966, sur l’initiative de représentants des diverses confessions et avec la participation d’éminents professionnels du corps médical, psychiatres et psychologues.

Aujourd’hui, l’ensemble des postes d’écoute de SOS Amitié reçoit près de 600 000 appels par an, dont un peu plus de 60 000 pour la région Rhône-Alpes, et près de 30 000 pour l’agglomération de Lyon Villeurbanne.

Les principes de l’écoute à SOS Amitié

Précisons que l’écoute se veut délibérément non professionnelle, apolitique, a-confessionnelle.

Les écoutants sont tous des bénévoles, qui abandonnent en entrant au poste d’écoute toute prétention à un savoir ou à un pouvoir sur l’appelant : nous ne sommes ni psy, ni assistants sociaux, ni conseillers conjugaux ou juridiques…

Mais bénévolat ne signifie pas amateurisme et les candidats à l’écoute doivent être guidés par une forte motivation pour accomplir un parcours exigeant de sélection et de formation à l’écoute :

  • Entretiens préalables avec des représentants de l’Association et avec un psychiatre, pour préciser la nature de l’engagement dans ce type très spécial d’assistance, et vérifier que le tempérament du candidat s’accorde bien aux exigences des principes éthiques posés par la charte.
  • Puis une session de formation initiale, animée par des formateurs professionnels (psychologues), et par des écoutants expérimentés.
  • Par la suite, des journées de formation continue rassemblent tous les écoutants de l’Association pour travailler un thème particulier.
  • Après son entrée en fonction, l’écoutant s’engage à participer régulièrement, tous les 15 jours, à une séance de travail en groupe, supervisée par un psy, pour vérifier avec l’aide cordiale et amicale, mais sans complaisance du groupe, que sa pratique de l’écoute répond bien aux principes fondamentaux de la charte.

Ces principes dégagés au long de plus de 40 ans d’expérience garantissent la qualité de l’écoute dans le respect de la personne de l’appelant :

Le strict anonymat

Le strict anonymat des conversations engagées avec l’appelant. Anonymat de ce dernier, qui préserve sa liberté, et lui permet de tout dire sans crainte d’être reconnu. De nombreux exemples montrent que, très souvent, l’anonymat fonde un appel que son auteur pense, dans le moment, ne pouvoir adresser à aucune personne de son entourage. Anonymat également de l’écoutant qui souligne sa volonté de n’être pas lui-même le sujet de l’entretien et de s’effacer derrière la personne de l’appelant.

À ce respect strict de l’anonymat est tout naturellement liée la deuxième règle de l’écoute à SOS Amitié :

La non directivité

L’écoutant n’a pas de « vouloir » sur l’appelant. Il n’est pas là pour lui prodiguer des conseils ni pour l’orienter dans une direction donnée, mais pour l’aider à maîtriser son angoisse, à reprendre possession de lui-même. Dans l’espace de libre expression qui lui est offert par l’écoutant, la parole de l’appelant peut s’affirmer, sa souffrance se raconter.

Et cet écoutant discret, qui n’intervient que pour faciliter le dialogue, mais non pour le guider, garde toujours à l’esprit la préoccupation de ne pas ramener à lui la conversation, de n’émettre aucune opinion, aucun jugement, de ne pas se placer dans un rapport de « dominant » ou de « sachant ».

Mais cette règle de non-intervention dans les décisions de l’autre, ne suppose pas passivité de l’écoutant, qui s’efforcera toujours de témoigner de la vigilance de son attention, une attention qui se veut portée d’abord à la personne, et non pas à ses problèmes.

Afin que cet appelant, assez angoissé dans sa solitude pour composer, souvent la nuit, un numéro de téléphone qui le mène vers un inconnu à qui il va peut-être tout dire de sa vie, de ses souffrances, de ses échecs, de son amertume ou de son désespoir, sente qu’il devient pour quelqu’un d’autre une personne qui, en ce moment, a un prix, une valeur unique et irremplaçable. Ainsi peut-il saisir une chance de reprendre l’estime de lui-même et une confiance en sa capacité de trouver, par lui-même, la force de faire face à ses problèmes.

La neutralité

La neutralité de l’écoutant découle tout naturellement des deux principes précédents. L’indépendance de SOS Amitié de tout mouvement politique ou confessionnel garantit à l’appelant le respect de ses propres opinions et la liberté de les exprimer sans être jugé.

Ces diverses règles pourraient apparaître contraignantes, mais l’écoutant comprend bien vite que les principes de la charte, tout comme l’invitation à un effort permanent de formation et d’évaluation de sa pratique, sont, pour lui comme pour l’appelant, la plus sérieuse garantie contre les risques de « dérapage » qu’une grande bonne volonté, une excessive compassion, une recherche exagérée de compréhension pourraient entraîner : risque de débordement d’affectivité, risque de substitution d’un lien de dépendance à la relation égalitaire qui pourrait seule favoriser la reconstitution d’une personnalité déstructurée par la vie.

L’écoute de la souffrance psychique

Et ceci apparaît comme particulièrement important dans le cas d’appels de personnes faisant état de souffrance psychique ou laissant apparaître des troubles mentaux divers. De tels appels paraissent devenir plus fréquents avec l’évolution des traitements psychiatriques, en particulier avec la réduction du nombre de lits pour l’hospitalisation à plein temps et l’augmentation du nombre de patients soignés en « hôpital de jour ». Rendus à eux-mêmes le soir… et la nuit jusqu’au lendemain matin, les patients atteints de crises d’angoisse cherchent et trouvent à s’exprimer auprès de SOS Amitié dans ces moments-là.

Un atelier du Congrès de Nantes s’était consacré à une réflexion en profondeur sur l’écoute de la maladie mentale. Les participants ont unanimement reconnu que face à un discours confus, parfois incohérent, ce n’est pas le rôle de l’écoutant de mettre un nom sur ces états, de formuler un diagnostic.

Mais ces appels « psychiques » nous obligent à faire le deuil d’une quelconque toute-puissance, nous sont une école de patience et de tolérance. Soucieux de ne pas nous laisser piéger par une recherche d’identification ou la tentation de « jouer le psy », nous pouvons offrir un lieu particulier d’accueil de la maladie mentale, où l’on peut entendre différemment un discours, où il est permis d’expérimenter une autre manière de dire que dans le cabinet du psychiatre : certains appels n’iraient jamais ailleurs, et nous pensons qu’il peut être bienfaisant pour l’appelant d’être ainsi accueilli dans ce moment-là. Sous la réserve expresse et fondamentale qu’en aucun cas nous ne nous permettrons d’émettre un jugement ou d’accueillir complaisamment une critique du patient sur le traitement thérapeutique engagé par le spécialiste. Bien au contraire, nous pouvons parfois, au terme d’une telle écoute, aider l’appelant à prendre conscience qu’il a besoin d’une prise en charge par un professionnel et dédramatiser l’hypothèse d’une prise de rendez-vous au cabinet d’un psychiatre ou auprès d’un centre de consultation médico psychologique.

Il est donc clair que cet accueil, proposé sans aucune prétention au soin, a pour seule ambition d’offrir à un appelant la seule chose que nous puissions lui donner : une écoute attentive, et la reconnaissance de son droit à être aimé.

Conclusion

Après quarante ans d’existence, SOS Amitié pourrait s’interroger sur le bien-fondé de son action à une époque où les services d’assistance spécialisée se sont multipliés, reprenant souvent un sigle « SOS », et où, par ailleurs, l’évolution des techniques pourrait paraître relativiser l’importance du téléphone comme moyen de communication entre les personnes. Et depuis un an, sur impulsion de notre Fédération, toutes nos Associations sont en recherche pour redéfinir avec plus de rigueur, la « cause » que nous désirons servir et la spécificité de notre mission.

En soulignant la nécessité des services rendus par de nombreuses organisations ou associations spécialisées dans l’aide apportée aux personnes en difficulté (sida, alcool, femmes battues, etc.) et sans prétendre d’aucune manière concurrencer ou suppléer le remarquable dispositif de soins prodigués par les professionnels du monde médical et psychiatrique, nous croyons que SOS conserve un rôle particulier au service des personnes en situation de détresse.

Spécialistes… de l’écoute généraliste (si nous pouvons risquer cette formule), nous répondons à une angoisse par l’affirmation d’une présence, permettant aux appelants de mettre en mots ce qu’ils peuvent ressentir.

Nous savons bien que nous n’apportons pas de solutions, que nous ne sommes pas des « sauveurs ». Mais nous essayons d’être là, disponibles, pour cet autre qui peut-être, va avoir besoin de nous appeler, pour se sentir exister.

Bibliography

Charte de SOS Amitié.

Hoestland B., Weber D., Elchardus J.M., La médiation téléphonique, de la prestation de service à l’engagement thérapeutique dans l’urgence, Service de médecine légale psychiatrique des urgences, Hôpital E. Herriot, Place d’Arsonval, 69437 Lyon Cedex 03.

Livre Blanc de la Formation - SOS Amitié France, 11 rue des Immeubles Industriels, 75001 Paris.

Montheil, M. (dir.), « Écouter l’angoisse », L’Esprit du temps, 1997.

Revue SOS AMITIÉ, 4 numéros par an, abonnement 120 F par an, 11 rue des Immeubles Industriels, 75011 Paris.

References

Electronic reference

Association SOS Amitié, « Quelle place pour un accueil non thérapeutique de la souffrance psychique ? », Canal Psy [Online], 43 | 2000, Online since 06 juillet 2021, connection on 23 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=1217

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Association SOS Amitié

Lyon

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