Lʼadultère au féminin et son roman

p. 15

Notes de la rédaction

Propos recueillis par Monique Charles.

Notes de l’auteur

Nous avons rencontré Annik Houel, professeur à l’Institut de psychologie à l’Université Lyon 2 à l’occasion de la parution de son dernier livre : Annik Houel, L’adultère au féminin et son roman, Armand Colin, 1999.

Texte

Canal Psy : Comment situez-vous cette étude relativement à la publication antérieure, Le Roman d’amour et sa lectrice, une si longue passion, l’exemple Harlequin ?

Annik Houel : Les choses se sont en fait déroulées dans un ordre inverse d’une certaine logique, car la démonstration que contient ce dernier livre sur l’adultère est à la base de mon analyse des romans Harlequin. Les aléas de l’édition font paraître ce deuxième livre après, alors qu’il va plus au fond de la démonstration au niveau des enjeux psychologiques que j’ai voulu mettre en évidence, sur la base d’un matériau plus classique : il s’agit de romans écrits sur la question de l’amour par les grandes auteures de la littérature française : Marie de France, Madame de Lafayette, George Sand, Colette, et Simone de Beauvoir. Or la question de l’amour est traitée par elles avant tout en mettant en scène un adultère, féminin bien sûr !

Canal Psy : Autour de quelles questions votre livre est-il organisé ?

Annick Houel : Mon analyse a comme point d’appui un aspect de la théorie freudienne sur la sexualité féminine peu exploité, celui qui porte plus particulièrement sur l’adultère féminin, en lien avec un autre aspect qui est resté aussi peu exploité par ses successeurs, hommes et femmes, l’importance du lien mère-fille dans la psyché féminine (cf. ses articles de 1931 et 32). Dans plusieurs de ses textes, les premiers en particulier, Freud envisage l’adultère comme une des issues possibles à l’insatisfaction féminine. Idée peu reprise en général, idée assez dangereuse évidemment ! Quelques vingt ans plus tard, il accorde une place grandissante dans la psyché féminine au lien originaire à la mère, malgré le refoulement particulièrement inexorable, précise-t-il, dont il est l’objet : le lien œdipien au père ne réussirait pas à se substituer complètement au lien pré-œdipien à la mère. C’est à partir de cette autre question laissée en suspens que je me suis demandé ce qui se passait dans l’adultère féminin : quelle place respective occupent donc ces deux imagos, paternelle et maternelle, dans le double choix d’objet sexuel inhérent à l’adultère féminin ? En réponse à une insatisfaction conjugale, j’ai supposé que l’adultère offrait une dualité compensatrice où amant et mari non seulement coexistent mais se complètent, chacun étant la condition nécessaire de l’autre.

Canal Psy : Qu’avez-vous voulu particulièrement mettre en valeur ?

Annik Houel : J’ai voulu montrer que comme la fillette se réfugie dans l’œdipe après la tempête de la relation préœdipienne à la mère, la femme adultère, plutôt que de changer de mari, l’utilise comme un port d’attache. Il est rassurant, pendant que l’amant satisfait l’aspect passionnel de la relation à la mère. Sous l’aile protectrice du mari, la relation adultère peut être vécue dans ses composantes les plus régressives, sans courir vraiment les risques d’une passion « fatale ».

Canal Psy : En quoi la figure de l’amant, sa permanence comme son évolution, a valeur d’indicateur ?

Annik Houel : J’ai trouvé des traits remarquablement constants au fil des siècles. Ces romans en appellent chacun à leur façon aux mêmes images d’un amant idéal dont le référent reste l’amant adultère, parce qu’il entraîne dans le monde bienheureux d’une jouissance primaire, celui d’un état narcissique, élationnel, de fusion avec et dans le sein maternel. La liaison adultère répète une liaison première, le lien primordial mère-fille, et en la rejouant, permet de la dépasser. Je préciserai en disant que si les conditions sociohistoriques de l’amour et du mariage ont bien changé, la nécessité du refoulement du lien mère-fille quant à lui continue à perdurer. En tout cas, il est certain que la misogynie conséquente dont peuvent témoigner les femmes entre elles aide très certainement à maintenir la paix sociale entre les sexes !

Canal Psy : Quel rôle attribuez-vous à la première relation de la fille à sa mère dans la construction de son lien de couple et de l’imaginaire dont il est porteur ?

Annik Houel : À l’heure d’une relative égalité sexuelle, les femmes apparaissent pourtant toujours comme les plus désillusionnées au niveau amoureux, si l’on en juge par l’important nombre de divorces qu’elles demandent. Si Freud, de son temps, disait que les seconds mariages sont souvent bien meilleurs pour les femmes, satisfaisant en quelque sorte leur double choix d’objet, le pauvre premier mari ayant passé son énergie à essuyer les aléas de la relation mère-fille, on peut penser qu’actuellement la solution reste au minimum la même, un deuxième mariage, mais pourquoi pas autre chose, comme un adultère ?

Canal Psy : Et maintenant, quels sont vos projets ?

Annik Houel : L’indulgence des jurys d’assises envers ce que la presse appelle le « crime passionnel » semble montrer que si la loi a changé, l’adultère féminin ne semble pas pour autant absous dans les mentalités. Malgré l’évolution des mœurs, l’homme jaloux est toujours « compris », si ce n’est excusé. La notion de culpabilité, même si elle est réfutée, peut se retrouver du côté de la victime, sous la plume en tout cas des journalistes. C’est ce que nous avons constaté, Patricia Mercader, Helga Sobota et moi-même, dans le cadre de l’étude que nous menons actuellement sur le crime dit passionnel. Ajoutons que, « coupables » ou innocentes, elles sont de toute façon deux à trois fois plus souvent victimes de leur compagnon jaloux que l’inverse. On voit que si la loi a changé, la double morale sexuelle dénoncée par Freud continue de s’exercer. C’est pourquoi ce nouveau travail est pour moi tout à fait dans la même lignée.

Citer cet article

Référence papier

Annik Houel et Monique Charles, « Lʼadultère au féminin et son roman », Canal Psy, 43 | 2000, 15.

Référence électronique

Annik Houel et Monique Charles, « Lʼadultère au féminin et son roman », Canal Psy [En ligne], 43 | 2000, mis en ligne le 20 septembre 2021, consulté le 22 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=1220

Auteurs

Annik Houel

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