Un bébé pour l’Elysée

p. 42-43

Notes de l’auteur

Un bébé pour l’Élysée a été écrit en 2005 pour l’émission Les petits Polars et diffusé, la même année, sur les antennes de Radio-France.

Texte

Ils m’ont conseillé de faire le petit dernier.

En matière de communication, c’est le genre de truc qui vous booste une cote de popularité. Sondages d’opinion en main, ils m’ont bien expliqué. L’Aigle, (c’est comme ça qu’on appelle mon mari, en politique), l’Aigle avait déjà réussi à rassurer les plus de soixante ans en stigmatisant les jeunes des banlieues, à séduire les rentiers par ses mesures fiscales et à flatter l’électorat sécuritaire en flirtant avec les extrêmes. Et ça avait marché ! Propulsé à la tête de son parti, il venait d’être intronisé devant un parterre de journalistes sinon acquis à sa cause, au moins fascinés par son charisme et son regard incisif. Plus qu’une petite marche pour accéder à la magistrature suprême… Les élections présidentielles se profilaient, formidable tremplin qui pouvait conduire l’impérial volatile au sommet… ou nous pousser à acheter un pavillon plain-pied sur l’île de Ré. Car il restait à conquérir la ménagère de moins de soixante ans, peu convaincue par la méthode forte. Et là, les grands communicateurs avaient eu une idée de génie : un Bébé. Quoi de plus rassurant qu’un bébé babillant dans les bras d’un futur présidentiable, sous l’œil attendri des paparazzis ?

Tout était donc programmé. L’idéal, c’était que j’accouche en été, afin d’exhiber ma grossesse pendant toute la belle saison. Enceinte en hiver, c’est du gaspillage médiatique. Avec les pulls et les manteaux, on ne voit rien du tout ! Alors qu’en avril… Tailleur coquet, ventre rond et seins gonflés, la mode Printemps-Été était déjà toute dessinée. L’accouchement aurait lieu mi-juillet, juste pour le plaisir de voler la vedette au président en poste. Entre carnet rose et défilé vert-de-gris, la presse ne mettrait pas longtemps à faire son choix. Et les Français assimileraient la naissance du petit à une fête nationale. Un nouveau-né, c’est tellement plus photogénique qu’un régiment d’infanterie… À nous les couv’ des magazines, les reportages au 13h et les interviews exclusives. Le bébé allait être très tendance, sur les plages estivales.

Le message était fort :

Faire un bébé, c’est miser sur le futur et l’Aigle a confiance dans l’avenir de la France ! Un véritable concept de campagne. Avec cette naissance, c’était le baby-boom assuré. Quelques photos de l’heureux papa en train de pouponner rendraient obsolète toute politique nataliste. La Nation a besoin de bébés ? L’Aigle n’hésite pas à payer de sa personne.

Et on pouvait miser sur toutes les déclinaisons possibles : L’Aigle, un Père pour la France ! Ou encore : Avec l’Aigle au pouvoir, les hommes retrouvent leur virilité et les femmes le chemin de la maternité. Pas de doute, ça allait plaire.

Les slogans électoraux étaient déjà tracés :

AVEC L’AIGLE,

CONSTRUISONS UN AVENIR FÉCOND !

Un publicitaire un peu échauffé proposa même un :

VOTEZ L’AIGLE POUR UNE FRANCE PLUS VIRILE !

slogan qui ne recueillit cependant pas tous les suffrages. Mais ce que mon mari préférait, c’était le côté : « Jeune papa ». De quoi faire oublier qu’il venait, discrètement, de passer quinquagénaire. Le locataire de l’Elysée allait être vert de rage !

Ils m’ont fait asseoir dans un bon fauteuil, m’ont apporté une tasse de lait chaud et quelques biscuits diététiques. Ils prenaient soin de moi, écrin de leur futur petit bijou médiatique. Dans leurs esprits, j’étais déjà un peu enceinte et l’Aigle avait le sourire triomphant du type qui sait qu’il va trôner pendant cinq ans, sur les murs des mairies, entre le drapeau tricolore et le buste de Marianne. Un bébé ! Quelle idée excellente ! Il s’en caressait le ventre avec délectation.

– L’idéal, a dit un consultant, ce serait de faire une fille. C’est joli, les filles. C’est doux.

Aussitôt, ils ont organisé un brainstorming pour analyser le concept de fille. Et ça fusait de tous côtés. Gentillesse, docilité, maman, charme, abnégation, dévouement, madone, sacrifice, soumission : les mots ne manquaient pas pour dire toutes les représentations que ces hommes cultivés se faisaient du sexe féminin. J’ai bien entendu aussi quelques nichons et autres gros-lolos suivis de ricanements mais l’ensemble était très politiquement correct…

– Va pour une fille ! a dit mon mari en me regardant comme si cela dépendait de moi.

Aussitôt, il a nommé un conseiller spécialement chargé de choisir le prénom et un autre pour me relooker en jeune mère épanouie, icône de la France victorieuse. Il restait quelques détails à régler, comme les photos officielles qui circuleraient pendant la campagne : notre fille en robe de Baptême (pour rassurer les religieux), notre fille faisant ses premiers pas entre papa et maman (pour rassurer les psys), notre fille devant les jardins de l’Elysée (pour faire enrager le vieux !)

Ils étaient tous très contents de leur réunion. Avant de partir, l’un des consultants m’a confié un petit calendrier sur lequel il avait entouré les dates optimales de fécondation, histoire d’aller à l’essentiel. L’avenir de la France reposait sur mes épaules. J’ai compris qu’il situait les épaules un peu plus bas, quelque part entre la vessie et l’intestin grêle.

– Comptez sur moi ! ai-je dit en redressant fièrement mon buste qui n’a rien à envier à celui de Marianne. J’ai le sens du sacrifice.

Il m’a serré la main, visiblement ému.

Ils sont tous partis et mon mari avec eux. Il devait intervenir aux assises de son parti et prévoyait d’être absent quelques jours.

– Prends bien soin de toi, m’a-t-il dit en m’embrassant comme une future parturiente.

J’ai laissé la porte se refermer, je ne savais pas si je devais rire ou pleurer. Une femme, ça parle, ça exprime des sentiments, ça consent ou ça refuse, ça gémit ou ça hurle, mais un utérus ? Ça donne son avis, un utérus ?

Machinalement, j’ai déplié le petit calendrier. La période propice commençait le soir même. J’ai hésité à rappeler l’Aigle sur son portable et finalement, j’ai téléphoné à un ami. Youssou Traoré est un sculpteur sénégalais que j’ai rencontré lors d’un vernissage. L’artiste m’avait impressionné par sa maîtrise, l’homme par sa douceur et son humanité. En l’attendant, j’ai préparé un peu de café.

Youssou a bien aimé mon café.

Et le reste.

Avant de repartir, il m’a fait la bise :

– Si tu as encore besoin de moi, n’hésite pas à m’appeler. J’adore rendre service !

Oui, j’avais remarqué. J’ai reboutonné mon corsage en songeant à ses belles mains brunes sculptant ma peau…

– Fais-moi confiance, ai-je dit avec gourmandise. Je saurai m’en souvenir…

Ha ! J’ai connu des sacrifices plus désagréables que ça, croyez-moi ! Vivement le 14 Juillet, qu’on voit la tête du bébé… et celles des journalistes !

Citer cet article

Référence papier

Françoise Guérin, « Un bébé pour l’Elysée », Canal Psy, 119 | 2017, 42-43.

Référence électronique

Françoise Guérin, « Un bébé pour l’Elysée », Canal Psy [En ligne], 119 | 2017, mis en ligne le 08 janvier 2021, consulté le 20 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=1732

Auteur

Françoise Guérin

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