Le roi Richard au pays des images

Un enfant autiste dans un atelier de collage

DOI : 10.35562/canalpsy.1799

p. 14-17

Plan

Notes de l’auteur

Ce texte est un extrait retravaillé d’une présentation faite au forum du Grepsy Conférences (CH St Jean de Dieu) en 2013 avec Bruno R, éducateur spécialisé et Claire O, stagiaire psychologue. Le titre choisi est en lien avec une demande continuelle de Richard, au cours de la dernière année de prise en charge, de jouer un lion tout-puissant.

Texte

L’expérience de collage de Richard, dans un groupe thérapeutique, en hôpital de jour, offre un exemple particulier de travail psychique et physique d’un enfant autiste avec les images. La spécificité de cette médiation, qui fait appel à un processus de déconstruction-reconstruction, est particulièrement adaptée pour des enfants en souffrance de symbolisation (Rogelet, 2001) et dont les processus de dé-liaison sont au premier plan (Petit J.-P., 2000).

Richard a 8 ans quand il débute sa participation au groupe de collage, celle-ci durera 3 années. À cette période, il vit avec sa maman, Mme T et son demi-frère âgé de 3 ans ½. La maman a fui un état de guerre dans son pays d’origine. Elle a rencontré, en France, le père de Richard qui était déjà marié. Ses deux parents sont originaires du même pays africain et n’ont jamais vécu ensemble. Mme T raconte que son fils a eu un développement normal jusqu’à l’âge de 2 ans ½. Quand Richard a 3 ans, elle part, avec lui, vivre à Londres, hébergée par des membres de sa famille, son fils étant scolarisé dans une école spécialisée pour trouble envahissant du développement. Elle revient en France 1 an plus tard.

Le soin, en hôpital psychiatrique, débute quand Richard a 4 ans. Il parlait peu et parfois dans un jargon incompréhensible. Il était en retrait vis-à-vis des autres enfants mais sollicitait l’adulte dans un rapproché corporel. Il pouvait faire des crises importantes, hurler, taper au moment des séparations et également quand une limite lui était donnée.

Richard intègre le groupe avec deux autres enfants, Jérôme et Jean-Marie, 8 ans, se situant, quant à eux, sur un versant psychotique.

Séances de collage

La septième et la huitième séances de groupe sont représentatives des mouvements, des attitudes de Richard et des soignants au cours de la première année de prise en charge.

Bruno R, l’éducateur spécialisé, va chercher les trois enfants dans leur groupe de vie et j’attends dans la salle. Richard se met à hurler devant la porte « non, non, je veux sortir, aidez-moi » ! Une forte détresse est perceptible. Bruno R le contient physiquement puis dans un second mouvement, il initie un jeu de « Tam-tam » sur son propre torse associé à un bruit rythmique de la bouche.

Tout se passe comme si nous assistions à un concert de percussion et de voix. Richard sourit et s’apaise. Les deux autres enfants partent dans une excitation importante qui va envahir toute la séance. Il sera nécessaire d’être dans un côte-à-côte pour que chacun puisse s’apaiser, feuilleter, choisir, découper des images.

Richard, comme à chaque début de séance, au cours des premiers mois, va écrire au tableau blanc, avec beaucoup de soin, un mot en lettre majuscule « ARSENAL ». Un mot aux multiples sens mais qui m’évoque d’emblée l’aspect militaire. Des armes qui servent à se défendre ou à attaquer. Ce temps-là d’écriture, assez ritualisé, lui est nécessaire et semble faire le lien entre les différents lieux et temps du soin. Ce mot « Arsenal » est, en effet, écrit par Richard sur le tableau de son groupe de vie et réalisé également en pâte à modeler.

Nous présentons la consigne aux enfants : créer une histoire, avec des images, qui commence par « il était une fois… ». Il s’ensuit une discussion sur les contes. Jérôme crie, et, à ce moment-là, nous associons sur « les peurs », les contes qui peuvent faire peur. Richard part se cacher dans le placard et dit que Jérôme « a peur des noirs ». Je fais un lien avec la séance précédente et une phrase prononcée par Jérôme : « je veux pas le noir, j’aime pas le noir », en parlant d’un stylo « weleda ». Je signifie à Richard ce lien en lui parlant de la différence entre la couleur de la peau et un stylo. Il sort du placard et part vers l’interrupteur. Un mouvement de va-et-vient entre éteindre et allumer la lumière se met en place pendant plusieurs minutes. Nous accompagnons ce temps-là en disant : « jour/nuit », et « on se voit/on se voit plus ». Cela évoque-t-il la transition entre l’état de veille et le rêve en lien avec la consigne ?

La séance se poursuit. Jérôme alterne entre des moments où il court autour de la table et des moments où il feuillette une revue en s’excitant sur des images de femmes en maillot de bain. Jean-Marie se pose devant le miroir en déchiquetant, en morcelant des pages entières de magazines sans lien, sans fin. Richard quant à lui se saisit d’un livre des 101 dalmatiens posé sur une pile de revues. Les dalmatiens, ces chiens au pelage noir et blanc et qui me font associer, après-coup, sur la couleur de la peau de Richard, sur la couleur du feutre et sur le tableau blanc. Il ne feuillette pas le livre, il l’ouvre et reste comme fasciné par des images. L’image semble être médusante : « Méduse aux pouvoirs captivants et à la séduction dans laquelle il serait impossible d’échapper » (Tisseron, 1998). Nous avons le sentiment à ce moment-là de ne plus exister.

Les autres enfants s’agitent, s’excitent beaucoup. Nous parlons à Richard mais il est comme coupé du monde extérieur. Je tente alors de l’inciter à choisir des images en théâtralisant quelque peu ce qu’il nous fait vivre : « allo Richard, ici la terre… nous demandons Richard sur la terre ! ». Il me regarde, rigole et répond en disant « quoi ! Comment ! Qu’est ce qui se passe ! ? ». En restant proche de lui et en le sollicitant beaucoup, il fait le choix de deux images de dalmatiens dont l’une représente un homme jouant du piano entouré de dalmatiens (collage n° 1). Nous retrouvons ici le noir et le blanc représenté par les touches de piano.

Il prend beaucoup de soin et de temps pour découper les images directement sur la page (il ne déchire pas la page avant de découper comme les deux autres enfants).

Dans cette séance et les séances suivantes, nous sommes confrontés à l’agitation constante de Jérôme, au morcellement de Jean-Marie et au repli de Richard. Les échanges éventuels entre les enfants se font principalement sur le mode de l’excitation.

Les images choisies par Richard sont en lien avec le sonore et le visuel. Nous retrouvons le rythme du jeu de tam-tam du début de séance engagé avec Bruno R.

Puis, en fin de séance, Richard s’excite et « fait semblant » de se faire mal en se cognant sur le tableau blanc à plusieurs reprises. Je propose de le soigner, Bruno R accompagne ce mouvement. Les deux autres enfants font une demande identique mais, au final, ils vont « mourir » de ce soin. Il va s’ensuivre une tentative de jeu de « réanimation ».

Avant la fin de la séance, nous décidons de fabriquer une enveloppe pour chacun des enfants afin qu’ils puissent déposer leurs images, découpées ou déchirées, à l’intérieur. Puis chaque enfant range son enveloppe dans sa propre pochette. La séance se termine.

La séance suivante Richard arrive avec des difficultés dans la salle. Il répète un mouvement plusieurs fois de suite : il tombe de sa chaise en rigolant et criant « au secours !! » et se redresse (comme s’il tombait dans un précipice). Nous jouons à nouveau, comme dans la séance précédente, au « jeu du médecin qui va venir voir si tout va bien et soigner si cela est nécessaire ». Puis, il entame un concert de tam-tam (mouvements et rythmes initiés la séance précédente par Bruno R) sur plusieurs supports.

Il faut que nous le sollicitions et que nous soyons au plus près physiquement pour qu’il puisse coller ses images sur un support. Ce temps de liaison, de symbolisation est difficile pour Richard. Il prend son temps pour coller ses 3 images sur un support non cartonné

Puis, chacun présente son collage au groupe. Richard dit : « il était une fois des chiens noirs et blancs. Ils sont sales. Ils écoutent le piano. Il joue. Il a mal à l’œil » (collage n° 1). La séance se termine après la présentation des collages.

Collage n° 1

Collage n° 1

Agrippement à l’image et au corps

Au cours des premières séances, Richard a beaucoup de difficultés à venir au groupe et à quitter les constructions en pâte à modeler qu’il réalise sur son groupe de vie. Il se met à hurler, crier et veut repartir en courant quand Bruno R va le chercher avec les autres enfants.

C’est en théâtralisant, en mettant en scène, en se mettant en scène que nous sommes parvenus à apaiser Richard qui pouvait parfois pousser des cris.

La première année de collage est marquée par une fixation sur des images de personnages de dessins animés qui reviennent sans cesse dans les collages de Richard (« Le Coyote », « Bugs Bunny »…) et notamment des personnages devant trouver leur chemin à l’aide de cartes, de pistes tracées (évocation du passage pour aller d’un endroit à un autre).

Comment ne pas se perdre pour aller d’un endroit à un autre ? (collage n° 2)

Collage n° 2

Collage n° 2

Nous avons le sentiment, au cours des séances, que Richard se perd dans les images, comme s’il n’y avait pas de fond d’écran. La vision, la pulsion scopique est pleinement engagée dans la recherche d’images. Ces images semblent l’aspirer, l’englober dans un monde où il ne fait plus qu’un, dans un monde dominé par la sensation et très probablement par l’auto-sensualité. Richard parait dans un collage sensoriel à l’image, dans un agrippement. Le fond d’écran, « l’espace en arrière » (Haag, 1988b), la « toile de fond […] sur laquelle les contenus psychiques s’inscrivent comme figure » (Anzieu, 1985) semble ne pas être constituée ou ne pas tenir.

À certains moments, nous avons la sensation de ne plus exister, ou d’être dans un mouvement de confusion, notamment dans les rapprochés corporels de Richard physiquement et visuellement.

Ces rapprochés corporels et visuels ont été les plus présents au cours des séances avant la séparation des vacances. Il devient très proche physiquement de Bruno R, se colle à lui, pendant toute la séance, dans un mouvement d’identification adhésive.

Au cours d’une autre séance, son regard s’est agrippé au mien de manière quasi hypnotisante, comme s’il cherchait à pénétrer dans ma tête, comme si tout était confondu. Mon vécu contre transférentiel a été très particulier, presque sans mots pour l’exprimer : je me suis sentie très mal à l’aise, comme aspirée, avec la sensation de devoir faire un effort pour reprendre mes esprits, et sans doute ma tête. Je n’ai rien pu faire sur le moment que me mettre à rire, un rire certainement très défensif face au trouble qui m’envahissait et qui a provoqué également le rire de Richard.

G. Haag parle « d’interpénétration des regards » (1988b). Il s’agirait pour l’enfant autiste dans ces moments de regard intense ou de collage corporel de supprimer l’espace entre les deux corps. Les orifices sensoriels tels que la vue et la peau semblent hyperinvestis par Richard.

Pour se décoller de l’autre faut-il devoir aller se réfugier sur la lune ? (collage n° 2)

Découpage-collage : une adhésivité

Le travail de découpage et de collage des images de Richard semblent également figurer les différents vécus archaïques internes de cet enfant.

Richard engage difficilement un mouvement de découpage des images comme si le « tout image » ne devait pas être séparé, scindé. Il semble faire corps avec les images. Son découpage des images est effectivement très spécifique par rapport aux autres enfants du groupe. Il découpe avec soin l’image en faisant attention au contour pour ne pas amputer l’image (collages n° 1, 2). En revanche, lors de certaines séances, avant les vacances, les images peuvent être coupées, séparées en deux, donnant une impression de cassure, de rupture, d’arrachage (de la peau ?) (collage n° 4).

Collage n° 4

Collage n° 4

Le collage est très précis. Il prend soin de mettre de la colle sur toute la surface de l’image puis il la colle sur le support. Cette impression d’adhésivité ressentie par les animateurs du groupe devient plus forte quand, il entoure l’image (dans certaines séances) avec du scotch (collage n° 3). Nous associons ceci avec le collage physique à l’adulte dans les séances.

Le travail de découpage engage le sujet à réagir face au monde extérieur, quelque peu agressivement, avec un mouvement de prédation, car il faut déstructurer, découper les images et se risquer à récréer. Découper une image, c’est faire un choix, s’engager, s’approprier une image parmi un grand tout, se séparer d’un ensemble pour reconstruire différemment. L’image matérielle (prise dans des revues) ou l’image de l’autre ne peuvent pas être attaquées, détournées du modèle que Richard a en tête. Les images proches du rêve (condensées, déstructurées, retouchées…) sont difficilement acceptables pour cet enfant.

Collage n° 3

Collage n° 3

Perspectives thérapeutiques

Face au repli de Richard, à sa grande rigidité et à ses crises au moment d’entrée dans le groupe, nous avons tenté, au fil des séances, de mettre du jeu, de créer un espace dans lequel la relation, le lien devenaient possibles.

Pour tenter de signifier, de donner du sens et de transformer ce qui se passe dans l’ici et maintenant de la séance, nous nous sommes mis à mimer, à théâtraliser, à passer par le corps, le rythme. G. Haag (1988a) parle de « mimodrame interprétatif ».

Mettre du rythme en théâtralisant, et en ouvrant ainsi un autre espace de jeu où le corps associé à la parole et à l’image sont mis en avant, comme dans les premières relations entre la mère et son bébé. « À l’aube des images, il n’y a pas de figuration mais du rythme et celui-ci déjà symbolise » (L. Khan, 2001, 2012).

Cette clinique des enfants psychotiques et autistes m’a amenée à repenser, à inventer un nouveau dispositif associant « jeu de rôles » et « travail de collage ». J’ai ainsi expérimenté, dans ma pratique clinique actuelle en CMP, l’association de ces deux médiations dans différents groupes thérapeutiques avec des enfants présentant une instabilité psychomotrice. Ce qui va s’éprouver avec le corps dans le jeu de rôle semblerait constituer un premier contenant, un premier feuillet nécessaire pour pouvoir rêver, fantasmer à partir des images et entrer dans un espace intermédiaire d’expérience, un trouvé-créé.

Illustrations

Collage n° 1
Collage n° 2
Collage n° 4
Collage n° 3

Citer cet article

Référence papier

Alexandra Rogelet, « Le roi Richard au pays des images », Canal Psy, 120 | 2017, 14-17.

Référence électronique

Alexandra Rogelet, « Le roi Richard au pays des images », Canal Psy [En ligne], 120 | 2017, mis en ligne le 01 mai 2020, consulté le 28 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=1799

Auteur

Alexandra Rogelet

Psychologue clinicienne, docteur en psychologie

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