Soutenir et accompagner l’enfant en milieu scolaire

Témoignage d’une psychologue clinicienne en institution scolaire

DOI : 10.35562/canalpsy.1847

p. 31-35

Plan

Texte

Très tôt, l’Enseignement Catholique a reconnu l’intérêt de la prévention et de l’écoute de la souffrance psychique au niveau des élèves, et ce, au-delà d’une visée normative et/ou du primat de l’orientation. La tradition chrétienne soutenait en effet que « la Pastorale » (l’aumônerie en tant qu’elle spécifie l’enseignement privé catholique) accompagne l’enfant d’un point de vue « spirituel », sans exclure la dimension psychique. Certains établissements ont ainsi mis en place depuis longtemps des lieux d’écoute (psychologue, infirmerie, pastorale) afin que les enfants soient à même de déposer et transformer leur souffrance en retrouvant de la disponibilité pour les apprentissages.

Quelques repères historiques

Les psychologues qui œuvrent dans les établissements scolaires sont témoins des mutations sociales, et notamment des changements accélérés qui affectent la famille. Les « nouvelles » modalités de souffrances dans un monde incertain et insécure viennent se scénariser sur la scène scolaire. Si le fait n’est pas nouveau, ce qui change c’est la facilité avec laquelle les enfants de tous âges viennent d’eux-mêmes parler de ce qui ne va pas : chez eux, en eux, à l’école, ou avec les autres. Le(s) psychologue(s) stagiaire(s) sont ainsi régulièrement surpris par le nombre important de demandes spontanées de rendez-vous au sein de l’établissement. Ces demandes ont lieu sans démarche spécifique à l’égard des parents, pour les plus âgés. Si en effet l’autorisation parentale est nécessaire pour les enfants scolarisés en primaires, pour les adolescents l’accord parental se fait lors de l’inscription de l’élève, et avec l’annonce de ce service aux parents. La confidentialité des entretiens fait partie de la déontologie du travail du psychologue.

Les différents textes qui définissent les missions des psychologues au sein des établissements scolaires ont une référence commune à la psychologie clinique ; ceci dans un milieu dont la tâche primaire est l’éducation et la transmission des apprentissages.

Quelques précisions historiques : le statut et la fonction de « Psychologue de l’Éducation » (selon la dénomination initiale) dans l’Enseignement Catholique (E.C.) existent depuis 1983. Elle avait été reconnue par le Comité National de l’Enseignement Catholique (CNEC) dès 1975, et approuvé en 1979 avec un texte spécifiant l’organisation des services de psychologie dans l’EC, et la mise en place d’une convention collective1.

Les psychologues cliniciens travaillent dans des Directions diocésaines (DEC) ou sont rattachés directement à des établissements scolaires employés par les organismes de gestion des établissements (Ogec) et les directions des établissements.

Il existe une association nationale des psychologues de l’enseignement catholique (ANPEC), créée en 1965. Elle se réunit rituellement tous les ans pour une semaine de travail et de formation, semaine à l’issue de laquelle le Secrétariat général de l’enseignement catholique (SGEC) et les instances dirigeantes sont sollicités. L’ANPEC peut dès lors repositionner le rôle du psychologue au sein des écoles (primaire, collège, lycée) et échanger avec les dirigeants sur les politiques éducatives qu’ils souhaitent mener et la place qu’ils entendent donner aux psychologues.

Soutenir et accompagner l’enfant et l’adolescent

Je travaille pour ma part depuis plus de vingt ans dans un établissement d’environ 2000 élèves (primaire, collège, lycée, post-bac). Ma fonction de clinicienne a évolué au fil des demandes parentales et de celles de l’institution, en lien avec l’évolution sociale et médicale des entraves liées à l’apprentissage.

Le quotidien de la clinique en milieu scolaire vise à soutenir l’enfant en l’aidant à se dégager des étiquettes « je suis dys, précoce, hyperactif… », afin d’entendre le Sujet et sa famille d’un point de vue psychodynamique et intersubjectif.

Il est plus classiquement demandé aux psychologues de soutenir les dossiers notifiés par la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) et d’être présents aux différentes réunions de mise en place d’individualisation des parcours scolaires (PPRE). La loi de 2005 sur « l’égalité des chances » a en effet considérablement modifié le paysage scolaire dans l’intérêt de l’enfant, mais le risque de surmédicalisation des troubles de l’apprentissage comme des problèmes comportementaux, a parfois mis en porte à faux le regard psychodynamique sur l’enfant (S. Morel, 2014, P. Landmann, 2015).

Le psychologue est dès lors en menace d’être instrumentalisé par les parents, par des demandes de bilans sollicités par les centres de références hospitaliers – centres avec lesquels le partenariat est rarement possible.

Si la demande institutionnelle a évolué avec les bilans cognitifs souvent confiés à ces mêmes centres de références, ou à des neuropsychologues, sur le terrain, le psychologue est tenu de participer aux réunions avec l’enseignant référent sur la mise en place des adaptations nécessaires aux apprentissages.

Simultanément la demande parentale s’est modifiée en cherchant des alliances pour une individualisation des parcours ; l’école est bien souvent le lieu d’enjeux narcissiques et les parents se mobilisent beaucoup autour des questions de scolarité, surtout dans le privé.

Les rencontres avec le psychologue permettent aux parents de retrouver des possibilités de penser la relation à leur enfant, d’un point de vue cognitif ou symptomatique, et de penser l’accompagnement de l’enfant. La dimension symptomatique n’est pas uniquement l’expression d’un dysfonctionnement cognitif ; elle révèle l’existence d’un conflit psychique, et le clinicien va tenter de permettre au sujet d’entendre ce qui s’exprime si douloureusement en lui, « à faire parler » le symptôme (qui, contexte oblige, peut prendre l’allure de « l’échec scolaire »).

Ainsi de Louis, que nous avons accompagné pendant quelques années : cet enfant de CM2 avait été renvoyé d’une autre école, du fait de son comportement provocateur et agressif, tout à la fois à l’égard de ses pairs et de sa maitresse. Se présentant comme assez suffisant lors du premier rendez-vous, il lance que « ce n’est pas de ma faute, car j’ai été testé précoce et hyperactif par de nombreux psys et médecins (au moins 10), [et malgré un saut de classe, le CE2] l’école m’ennuie ». « Ce n’est pas la peine d’écrire, car il y a des ordis et la prof d’anglais est tellement nulle qu’il n’y a pas de raison de ne pas l’agacer ». Il se cache dans le placard, marche à 4 pattes pour énerver son enseignante, etc.). « Je suis encore allé voir un “psymachin” mais un jour mes parents diront que je leur coûte trop cher, ils feraient mieux d’arrêter, ils feraient des économies. J’ai juste envie d’arrêter l’école, de devenir pilote de F1. »

Les parents sont dépassés et impuissants « Ils sont tellement paumés mes parents », et font confiance aux professionnels, tout en étant fascinés par le culot de leur fils « La maitresse je la commande des fois ». Louis les amuse et les mobilise, les amenant à se déplacer jusqu’à l’école alors même qu’ils sont dévorés par leur carrière professionnelle. Les sanctions scolaires, blâmes d’une part et médicaments (Ritaline) d’autre part ne modifieront pas le comportement de l’enfant. Louis viendra toutefois parler librement au psychologue de façon régulière. Il y a là tout à la fois une demande d’être contenu, et de pouvoir exprimer des sentiments dépressifs « Même plus le temps de jouer » ; sentiments recouverts par une façade de toute puissance du type « même pas peur de l’adulte ». Il jouait ainsi à mimer le Directeur et les autres adultes avec justesse, en visant leurs points de vulnérabilité.

Le psychologue a été associé à l’équipe afin d’aider ce préadolescent à ne pas être renvoyé du Collège, et à rencontrer un père fuyant dans ses rapports à son fils. Nous avons préparé le suivi familial afin qu’une thérapie familiale se mette en place à l’extérieur. Les parents déniaient au départ la dimension psychoaffective des manifestations symptomatiques, et notamment du désintérêt pour les apprentissages, du fait de la qualification de leur fils de « précoce » : raison suffisante et réductrice explicative de son mal-être. Durant le Collège, Louis s’est peu à peu apaisé pour s’orienter vers une section professionnelle de son choix.

Le psychologue en milieu scolaire a ainsi toute latitude pour accompagner l’enfant « troublé » dans ses apprentissages, et se positionner comme un interlocuteur privilégié des familles. Partie intégrante de l’école, il incarne la dimension psychique et singulière du Sujet derrière l’élève, tout en soutenant l’enfant dans son désir de grandir.

Dans son établissement le psychologue est concerné par la totalité des cycles scolaires et par l’ensemble des enfants. Il s’agit là de l’une des particularités et de la richesse de cette position ; elle permet en effet un suivi des enfants sur le long cours, et confronte une grande diversité des demandes.

Selon François Gaillard (Université de Lausanne) « la coresponsabilité du psychologue de l’éducation se fonde sur l’observation longitudinale de la personne de l’enfant ; le psychologue est à la fois cette personne de référence capable d’empathie et cet expert qui a une vision prospective et rétrospective du développement de l’enfant ». Le soutien psychologique en milieu scolaire n’a pas pour vocation de remplacer la thérapie, qui peut être mise en place à l’extérieur (lorsque la situation le requiert), elle peut toutefois contribuer à la préparer.

Le travail de prévention

Comme nous le mentionnions précédemment, très tôt dans l’Enseignement Catholique le psychologue a pu être reconnu dans sa spécificité, et a pu proposer des Points écoute et mettre en place des rendez-vous sur le temps scolaire. Reconnu par l’institution un tel lieu demeure confidentiel. Les jeunes accompagnent souvent leurs amis et cette collégialité, entre autres, permet d’éviter les moqueries, car ce lieu est suffisamment respecté par tous ; les enseignants conseillent en effet très facilement aux élèves et à leurs parents ce recours au psychologue. Il est ainsi de plus en plus fréquent que les élèves, dès la classe de sixième, sollicitent d’eux-mêmes des rendez-vous par mails (j’en ai été du reste très surprise), du fait que l’ensemble des élèves sont équipés d’I Pads dans le cadre de leur scolarité.

Nous décidons d’orienter la demande vers un soin à l’extérieur (CMP, MDA, prise en charge libérale) ou d’accompagner l’enfant sur l’année pour qu’il se connaisse mieux et reprenne confiance en lui. Ces entretiens au long cours prennent parfois l’allure de préthérapies, car les enfants mêmes très jeunes sentent qu’ils ne sont pas jugés, mais écoutés autrement. Ils perçoivent très tôt la différence avec les autres adultes, car le psy ne cherche pas à les maitriser ni à vouloir quelque chose pour eux (pour leur bien d’ailleurs selon les enseignants et cadres). Ils sentent que nous sommes à l’écoute de l’inconscient et de leur unicité.

« Heureusement que je vous ai eu pour pouvoir parler » : Plusieurs lycéens en fin d’année sont venus nous remercier de notre présence, témoignant de vécus de solitude, parfois très douloureux ; ainsi (par exemple) de rencontres anonymes sur internet se révélant fort décevantes, voire difficiles à « digérer ».

Autre exemple de situation : d’autres lycéens ont pu évoquer leur malêtre et leur addiction au cannabis.

Les adolescents peuvent ainsi se saisir de ce cadre comme d’un médium malléable (Milner 79), mais l’originalité et la force de ce cadre tient entre autres au fait que les groupes de pairs, nous y reviendrons plus loin, peuvent porter le jeune (holding et handling) et l’amener à cheminer vers une réelle demande. Le cadre du psychologue en établissement scolaire va se coconstruire avec l’adolescent dans cet « entre-deux » (D. Sibony, 1991) qui caractérise si bien l’adolescence.

Bien des difficultés sont désamorcées par des rencontres avec les familles, avec les enseignants, mais également avec les groupes d’élèves quand surgissent des problèmes relationnels (conflits, harcèlement, rumeurs, etc.). Ce travail se fait en association et en complémentarité avec le responsable de niveau (CPE). En institution scolaire le psychologue peut dès lors se retrouver dans une place surinvestie et être sursollicité ; l’enjeu étant bien entendu de répondre autrement à la demande implicite de normalisation pour entendre le Sujet derrière l’élève et l’expression de sa souffrance sur la scène scolaire (N. Gaillard, 2007).

Penser le lien social, prévenir la violence

Une part de la construction de l’enfant se joue aussi, bien entendu, dans le groupe classe et dans le lien à l’institution. Ceci passe par la rencontre du sujet avec le collectif, et ceci, dès la maternelle. La scolarisation contribue de ce fait à l’organisation de la vie psychique de l’enfant. Elle entraîne une mise à l’épreuve de la capacité de l’enfant à se séparer de son milieu familial, et de se construire une sécurité de base « suffisante ».

Pour l’enfant, prendre place, construire une place, fait écho, et prend appui sur la rivalité fraternelle et œdipienne, ceci dans une confrontation avec les exigences de l’école. Le fratricide doit en effet s’amenuiser en compétition, et autoriser des liens de complémentarité. C’est aux enseignants également qu’il revient d’être conscients des enjeux œdipiens qu’ils favorisent par exemple lorsque les enfants disent que « le prof a ses chouchous, il ne m’interroge jamais ».

Sans entrer trop avant dans des considérations sociologiques, il convient de mentionner que ces dernières années ont été marquées par les différentes directives au sein de l’Éducation Nationale (ex : Loi de 2013 pour la Refondation de l’école de la République qui prévoit la lutte contre toute forme de harcèlement comme une priorité dans chaque établissement scolaire) ; elles ont montré l’impact important du climat scolaire sur le développement affectif et la réussite des élèves. La lutte contre le harcèlement scolaire a sans doute constitué un pas important dans la prise en compte de la mission éducative centrale des enseignants dans la prévention de la violence.

Dans l’institution où j’exerce, il m’a été demandé, il y a 12 ans de cela (bien avant les directives ministérielles) de penser un dispositif afin de permettre aux enseignants d’aider les jeunes à réguler leur violence autrement que par les sanctions et le rappel au règlement intérieur.

En France les travaux de J.-P. Bonnafé-Schmitt (J.-P. Bonnafé-Schmitt, 2000), Génération Médiateurs, B. Gaillard, l’Association Amely à Lyon, ont fait suite aux études anglo-saxonnes sur le « school bullying ». Nous avons ainsi formé une cinquantaine d’élèves volontaires, en tant que médiateurs par les pairs (il s’agissait de collégiens de niveau 4e et 3e) ceci afin de proposer des médiations de conflits durant les temps périscolaires et les récréations.

Cette mission éducative encadrée par les pairs et une surveillante s’est ainsi pérennisée pendant plus de 12 ans. Elle se poursuit encore avec beaucoup de succès et de sérieux2.

Ainsi les élèves diront : « Je ne pensais pas que l’on pouvait avoir une telle responsabilité en tant qu’élève. » (Milan) « Il n’y a pas beaucoup d’occasions comme celles-là à l’école, cela aide l’école à devenir un lieu vivable. » (Océane) « Cette expérience va nous servir au-delà de l’école, ça montre que l’on peut compter sur nous. » (Lucas). D’autres adolescents tel qu’Antoine, rejeté depuis de nombreuses années par ses camarades du fait de ses comportements agressifs et de son sentiment de supériorité, surprotégé par sa mère à cause de son diabète, a pu faire l’expérience en tant que médiateur de son image sociale ; la surveillante l’a ainsi aidé toute l’année à se connaître grâce aux retours des autres enfants sur sa conduite (également suffisante comme médiateur) ; il a pu être surpris et enfin accepter de se remettre en question. Il a pu également dire que pour la première fois de sa vie (il a 14 ans) qu’il avait des amis grâce au groupe de médiateurs par les pairs. D’autres jeunes apprennent ainsi à s’ouvrir aux autres et à écouter. Cette prise de conscience est irréductible à la thérapie individuelle, mais est complémentaire de cette dernière, car l’enfant se transforme par les évènements de vie et les rencontres, ici médiatisées par la surveillante.

L’institution reconnait ainsi les compétences relationnelles et le rôle actif par les élèves dans la vie de l’établissement (par un diplôme « médiateur » de l’école et les bulletins scolaires). Les adolescents ont ainsi le sentiment d’être véritablement acteurs et responsables de l’établissement, ce qui accroit aussi le sentiment d’appartenance. Être en lien en étant responsable, se construire socialement nourrit le sentiment d’exister.

Groupalité

Dans le monde scolaire la groupalité a été et reste le parent pauvre, sauf à la penser dans les apprentissages par le tutorat, ou en dans quelques matières (TPE, sport, etc.).

Le groupe est subi et ressenti négativement, rarement comme un facteur positif de collaboration et de connaissance de soi.

Lors d’une intervention dans l’établissement, Albert Jacquard (A. Jacquard, 2005) avait mis en garde nos lycéens sur les dangers de la rivalité. Son interrogation portait alors sur le fait que nous ne pouvons penser la « petite société » qu’est l’école, qu’en termes de Bien commun, si on souhaite le bien être individuel. François Flahaut (F. Flahaut 2011) énonce à ce propos : « l’existence dépend de la coexistence ». L’intelligence relationnelle et la mise en partage sont ainsi largement sollicitées, mais demandent une prise de conscience sur les valeurs qui sous-tendent l’institution.

Un travail sur la « Bienveillance » dans l’ensemble des classes de 4es a mobilisé les enseignants pendant 4 ans, ce qui a conduit le Directeur à souligner que « Le défi de l’école est d’intégrer et de formaliser le travail relationnel et l’intelligence sociale comme une donnée contextuelle de la qualité de l’enseignement, non pas à coups de règlement intérieur, mais de travail du collectif ».

Le psychologue participe très largement de ce travail de prévention.

Le partenariat

Le partenariat est aussi une caractéristique essentielle des modes d’intervention du psychologue avec enseignants, familles, chefs d’établissements, et responsables institutionnels, de même que la préservation des liens avec les partenaires extérieurs. Il est de ce fait en position d’interface entre tous ces acteurs.

À la différence du psychologue travaillant en CMP ou IME par exemple, le psychologue à l’école est seul et n’appartient pas à une équipe soignante même s’il développe un partenariat privilégié avec l’infirmière scolaire ; il doit être à même de prendre du temps pour clarifier les demandes, tenir sa position clinique et la conserver malgré toutes les intrusions du monde réel.

Il est également sollicité en tant que membre du personnel scolaire à participer aux conseils d’établissements, instance qui réfléchit aux grandes orientations scolaires et aux valeurs sous-tendues par l’institution.

Ses missions sont ainsi extrêmement variées, et ce, en fonction des établissements, des contextes et des évolutions historiques des établissements. (Ainsi, certains collègues se sont spécialisés dans l’orientation et les motivations des lycéens).

Face à la « psychologisation » de nombre de problèmes de société, il est parfois demandé au psychologue des éclairages individuels et de se positionner par rapport aux modes inhérents à la consommation et aux modèles d’apprentissage, ce qui indique la crise de sens que peut traverser l’école face aux attentes sociétales et aux espoirs des parents pour l’avenir de leurs enfants.

Être psychologue dans une institution scolaire suppose donc d’aider les enseignants et les équipes à faire du lien, à prendre du recul afin de changer le regard sur l’enfant et de permettre un investissement autre (l’enseignant est moins angoissé et grâce au travail d’équipe il se sent plus créatif en s’ajustant à l’enfant).

La demande des enseignants est donc comme toute demande, à analyser de manière à éviter les mouvements de rejets, de dépression, et permettre de redynamiser la relation à l’enfant et d’individualiser son parcours.

Le milieu scolaire est bien sûr travaillé par ce que J.-P. Pinel a désigné comme « l’homologie fonctionnelle » qui a à voir avec les mouvements (très largement inconscients) que les adolescents peuvent induire chez les enseignants en écho avec leur propre subjectivité. Nous pouvons ainsi régulièrement être témoins des rivalités entre enseignants d’une même discipline « cette collègue passe sa vie ici et n’a que ça dans sa vie ».

Nous sommes ainsi sollicités à plusieurs niveaux dans ce partenariat, individuel, interpersonnel, institutionnel en donnant peut être l’impression d’être partout. C’est justement l’intérêt de cette place référent de la complexité des enjeux psychiques que nous incarnons pour proposer un regard différent de celui des enseignants.

L’institution scolaire renvoie inconsciemment tous les acteurs à des positions de maitrise et de jugement et produit des effets sur la relation à l’autre.

Ainsi lors d’une prérentrée scolaire le Directeur avait convié par courrier les enseignants par deux phrases : tel jour « rentrée des fauves », autre jour « rentrée des dompteurs » voulant faire de l’humour, mais également rappelant l’autorité voire les fantasmes de maitrise sur l’autre.

Transitionnalité, créativité

Certains psychologues de l’éducation ont ainsi proposé des groupes d’analyse de la pratique pour les enseignants pour mieux accompagner les élèves ; nous le proposons au cas par cas en fonction des demandes.

L’une des visées de ce travail de transitionnalité consiste à ralentir une temporalité, qui n’en finit pas de s’accélérer, et de permettre à l’enfant de se poser, afin de pouvoir se dire. Faire des liens, donner du sens aux évènements vécus par l’enfant. Ceci participe dès lors d’une volonté de résistance face à la désubjectivation de la société, de son malaise et de son « malêtre » (R. Kaës, 2012).

Ainsi le psychologue en institution scolaire peut être un facilitateur et fonctionner dans un « trouvé/créé » en étant créatif. Cette année j’ai proposé un travail sur les émotions en partant des difficultés ressenties par les enseignants pour certaines classes de 6e bien agitées émotionnellement en partant des besoins ressentis de la communauté scolaire.

Le psychologue accompagne ainsi avec la spécificité de son écoute l’institution qui lui demande en retour son regard spécifique et sa différence pour apporter de la complémentarité à l’équipe enseignante.

Les tensions sociales et la violence du monde ont notamment incité mes collègues à écrire des ouvrages pionniers il y a une décennie sur la gestion des drames en milieu scolaire (J.-L. Pilet, 2009) et ces références ont permis une reconnaissance encore plus grande de nos missions en milieu scolaire.

Déjà en 1947 les pionniers de la psychologie scolaire, Wallon et Zazzo, écrivaient « le psychologue à l’école est là pour aider l’enfant à se révéler » ; « [il] devrait être là pour tous les enfants ». En 1994 B. Jumel (reprenant Y. Compas et J.-P. Aublé) en parlait en ces termes : « la psychologie scolaire a besoin de se forger sa propre doctrine. » Dans le champ du scolaire, la clinique est amenée à se développer ; sa théorisation demande à être mise au travail dans sa spécificité liée au contexte de manière à aider l’enfant à grandir, dans ses liens à l’autre et dans son humanité.

 

 

Creative Commons.

1 ECD no 219 « Psychologues dans l’enseignement catholique », déc. 1997.

2 Cf. articles et témoignages « Paroles d’élèves », ECA, no 345 et 368.

Notes

1 ECD no 219 « Psychologues dans l’enseignement catholique », déc. 1997.

2 Cf. articles et témoignages « Paroles d’élèves », ECA, no 345 et 368.

Illustrations

 

 

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Citer cet article

Référence papier

Nathalie Gaillard, « Soutenir et accompagner l’enfant en milieu scolaire », Canal Psy, 121 | 2017, 31-35.

Référence électronique

Nathalie Gaillard, « Soutenir et accompagner l’enfant en milieu scolaire », Canal Psy [En ligne], 121 | 2017, mis en ligne le 01 septembre 2020, consulté le 19 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=1847

Auteur

Nathalie Gaillard

Institution Saint Charles, Vienne