Les difficultés en lecture : l’apport des nouvelles technologies

DOI : 10.35562/canalpsy.2030

p. 21-23

Plan

Texte

Un défi social : réduire les difficultés

De nombreuses enquêtes nationales et internationales réalisées sur de larges échantillons font régulièrement état des faibles performances en lecture et des compétences associées des élèves français (pour une synthèse, voir Ecalle & Magnan, 2015). La presse rapporte régulièrement les résultats fournis par Le ministère de l’Éducation Nationale selon lequel un enfant sur cinq en 6e est en difficultés de lecture. Bien que, dans le domaine de la compréhension de l’écrit, les résultats de la France soient en moyenne stables entre 2000 et 2012, l’étude PISA 2012 (Programme International de Suivi d’Acquis des élèves) réalisée auprès d’adolescents de 15 ans révèle qu’il y a un accroissement significatif depuis 2000 du nombre d’élèves de faibles niveaux (15,2 % vs. 18,9 %) et de hauts niveaux (8,5 % vs. 12,9 %) de compétences. En 2013, 9,6 % des participants à la Journée Défense et Citoyenneté (JDC) rencontrent des difficultés en lecture. Parmi les 8,6 % qui maîtrisent mal la lecture, la moitié (4,1 %) sont en très grandes difficultés1.

La lutte contre ces difficultés constitue un véritable défi social et politique. Comment agir ? Deux types d’interventions peuvent être distingués au sein de l’École :

1/proposer un enseignement de la lecture qui s’inspire des travaux scientifiques sur le domaine tant en termes de prévention auprès des enfants de maternelle que des apprentis lecteurs et 2/renforcer les temps de lecture dans les classes pour ceux qui sont les plus en difficultés.

La construction d’outils informatisés : une approche scientifique

C’est dans le cadre d’une approche « raisonnée » (evidence-based approach), c’est-à-dire en s’appuyant sur ce que décrit la littérature scientifique internationale des processus impliqués en lecture, que nous avons construit deux logiciels d’aide à la lecture pour enfants et adolescents en difficultés.

Qu’est-ce que lire ?

L’activité de lecture est composée de deux ensembles de processus, ceux qui sont liés à l’identification de mots écrits (IME) et ceux qui en sous-tendent la compréhension. L’IME, spécifique à la lecture, consiste à mettre en correspondance les représentations orthographique, phonologique et sémantique d’un mot afin d’accéder à sa représentation stockée dans le lexique mental. L’autre composante, non spécifique à la lecture, se rapporte aux processus sémantiques et syntaxiques engagés dans la compréhension d’un texte. Selon « The Simple View of Reading », la Lecture est décrite comme le produit de l’interaction entre des processus de Reconnaissance de mots écrits et de Compréhension (L = R * C). Cette description a conduit à distinguer deux grands types de difficultés en lecture, des difficultés spécifiques à l’identification de mots écrits et des difficultés spécifiques en compréhension et ainsi à décrire trois profils d’enfants en difficulté de lecture, les bons identifieurs-faibles compreneurs, les faibles identifieurs-bons compreneurs et les faibles identifieurs-faibles compreneurs qui cumulent des difficultés dans les deux composantes de la lecture.

Chez l’enfant qui possède un bon niveau de compréhension à l’oral les processus d’identification et de compréhension sont liés : les performances en compréhension à l’écrit dépendent du niveau d’automatisation en identification de mots. En effet, au cours de l’apprentissage normal de la lecture, l’automatisation des processus d’identification libère progressivement des ressources cognitives qui deviennent disponibles pour la compréhension. Toutefois, la compréhension ne découle pas simplement de l’identification des mots, c’est une activité cognitive complexe, multidimensionnelle. Outre la précision et la fluence d’identification des mots, la capacité à comprendre un texte écrit dépend du niveau de langage oral (vocabulaire, notamment) et des capacités inférentielles. On distingue les inférences de cohérence (connecter des idées dans un texte, une phrase) et les inférences de connaissances (connecter les informations fournies par le texte et les connaissances que le lecteur possède sur le monde).

Enfin, depuis une vingtaine d’années, de nombreux travaux montrent qu’en Français, si l’enseignement du code alphabétique est essentiel pour apprendre à lire et décoder les mots nouveaux, la syllabe est une unité fonctionnelle de reconnaissance des mots écrits (voir Ecalle & Magnan, 2015). Pour résumer, l’apprentissage des relations lettres-sons doit être maîtrisé mais pour traiter les mots écrits le lecteur utilise des unités plus larges, les syllabes.

Deux logiciels d’aide à la lecture

Avec le logiciel Chassymo, il s’agit de traiter des syllabes à l’oral et à l’écrit insérées dans des mots. La tâche pour l’enfant est relativement simple : il entend une syllabe, 500 ms après, celle-ci apparaît sur l’écran, puis 500 ms après un mot est entendu. Il doit alors cliquer avec la souris sur le chiffre correspondant à la position de la syllabe dans le mot vu et entendu (Figure 1).

Figure SEQ Figure \* ARABIC 1 : Copies d’écran du logiciel Chassymo.

Figure SEQ Figure \* ARABIC 1 : Copies d’écran du logiciel Chassymo.

Le second logiciel vise à stimuler les processus de compréhension en lecture. Le logiciel de compréhension de textes (LoCotex) se caractérise par la possibilité de présenter des textes en double modalité, orale et visuelle, des réponses aux questions en format « texte » et/ou « image » et des textes de complexité croissante. Trois modules d’entraînement sont disponibles : l’un stimule le processus littéral consistant à récupérer les informations directement disponibles dans le texte, un second stimule les inférences de cohésion et un troisième les inférences de connaissances (Figure 2).

Figure SEQ Figure \* ARABIC 2 : Copies d’écran du logiciel d’entraînement à la compréhension (LoCoTex).

Figure SEQ Figure \* ARABIC 2 : Copies d’écran du logiciel d’entraînement à la compréhension (LoCoTex).

Les deux logiciels ont été testés en classe auprès de différentes populations, enfants apprentis lecteurs en primaire et au collège en SEGPA (Section d’Enseignement Général Professionnel Adapté).

Un ensemble de résultats prometteurs

Pour tester l’efficacité des logiciels, un dispositif classique a été utilisé : pré-test/entraînement/post-tests. Il est constitué des phases suivantes :

  1. sélection des enfants en fonction des processus préservés et déficitaires dans les composantes de la lecture,
  2. affectation aléatoire des enfants dans deux groupes, expérimental et contrôle,
  3. mise en place d’un entraînement pour le groupe expérimental bénéficiant du logiciel adapté aux difficultés,
  4. mise en place d’une intervention non ciblée sur le processus déficitaire pour le groupe contrôle avec un autre logiciel,
  5. même durée d’entraînement dans les deux groupes et
  6. examen de l’impact de l’entraînement dans le groupe expérimental comparé au groupe contrôle en mesurant l’éventuel effet sur le court terme (juste après l’entraînement) et/ou sur le moyen terme (quelques semaines ou mois après) et/ou sur le long terme (un an ou plus après). Enfin dans nos recherches, le dispositif consiste à proposer un entraînement intensif d’une dizaine d’heures à raison de 30 minutes quotidiennes sur 5 semaines consécutives.

Nous avons d’abord testé auprès d’enfants en difficultés en CP si un entraînement grapho-syllabique comparé à un entraînement à la lecture globale des mots pouvait s’avérer plus efficace. C’est ce que nous avons obtenu dans une première étude longitudinale sur 9 mois (Ecalle, Magnan & Calmus, 2009). Puis au cours d’une autre étude longitudinale sur 16 mois (Ecalle, Kleinsz & Magnan, 2013) réalisée auprès de faibles identifieurs de CP, nous avons comparé les performances en lecture d’un groupe expérimental entraîné avec Chassymo à celles d’un groupe contrôle bénéficiant d’un entraînement grapho-phonémique. L’effet sur les performances en lecture a été testé à long terme en proposant plusieurs post-tests après entraînement. Les courbes d’évolution des performances sur plus d’un an montrent qu’en fin de CE1, les enfants ayant bénéficié d’un entraînement grapho-syllabique en CP ont des performances supérieures en lecture silencieuse, en lecture à voix haute et en compréhension écrite. Sur ce dernier point, on fait l’hypothèse que les progrès observés en lecture de mots rendent compte de processus d’identification de mots écrits moins coûteux cognitivement libérant ainsi des ressources allouées à la compréhension.

Pour les enfants ayant des difficultés de compréhension, nous avons proposé le logiciel de compréhension. Dans une première étude (Potocki, Ecalle & Magnan, 2013), nous avons observé une amélioration significative des performances des faibles compreneurs de CE1 entraînés avec LoCoTex en compréhension orale et écrite contrairement à celles d’un groupe contrôle. De plus, un effet à long terme, un an après l’entraînement a été mis en évidence. Par ailleurs, le vocabulaire et la capacité à détecter des incohérences dans un texte ont également été stimulés lors de l’entraînement. Dans une seconde recherche (Potocki, Ecalle & Magnan, 2015a), nous avons étudié l’effet de l’entraînement avec LoCoTex auprès de faibles compreneurs aux caractéristiques spécifiques en relevant leurs déficits dans les trois processus, litéral et inférentiels (de cohérence et de connaissances). Ces faibles compreneurs pouvaient avoir un ou plusieurs processus déficitaires en compréhension. Nous avons observé que les performances en inférences de connaissances et de cohésion des enfants, faibles avant entraînement, augmentaient significativement après entraînement et s’approchaient de la moyenne du groupe de référence. Les faibles compreneurs éprouvant des difficultés dans les trois processus voyaient leurs performances augmenter significativement seulement pour les réponses aux questions littérales.

Enfin l’étude menée auprès des adolescents de 13-14 ans de SEGPA montre à nouveau l’efficacité des deux logiciels (Potocki, Magnan & Ecalle, 2015b). Un premier résultat attendu montre que les faibles identifieurs entraînés avec Chassymo ont vu leurs performances augmenter significativement en fluence ; pour les faibles compreneurs entraînés avec LoCoTex, ce sont leurs performances en compréhension orale et écrite qui ont significativement augmenté. Un autre résultat, inattendu, révèle que l’entraînement avec LoCoTex permet une progression des scores en identification de mots écrits, ce qui suggère que lire des textes (et les entendre) de façon régulière renforce l’identification de mots écrits.

Conclusion

De nombreuses études de la littérature scientifique ont mis en évidence l’efficacité des outils informatisés pour apprendre (Computer Assisted Learning ou CAL) et leur intérêt pour favoriser les premiers apprentissages en lecture chez les lecteurs débutants. Trois propriétés caractéristiques des CAL, l’interactivité, le feed-back immédiat et l’adaptabilité, ont souvent été soulignées pour justifier le recours à un outil informatisé. Nous ajouterons que pour la lecture, la présentation en double modalité, auditive et visuelle du matériel linguistique (syllabes, mots, textes) constitue un autre avantage.

L’ensemble de nos travaux nous a conduit à préconiser la mise en place d’Ateliers de Réduction des Difficultés en Lecture (ARDiLec ; Ecalle et Magnan, 2015) dans les écoles et collèges. Ils s’articulent en trois temps, évaluation, entraînement, réévaluation, en s’appuyant sur des outils d’évaluation et d’aides informatisées. Après avoir évalué les processus en lecture et les compétences associées puis déterminer les profils de lecteurs et les processus déficitaires (et préservés), des interventions ciblées devraient être mises en œuvre de façon répétée et intensive sur une période déterminée (par exemple quelques semaines). Puis, une évaluation (quantitative) serait réalisée pour examiner les gains obtenus et les éventuelles résistances à l’intervention (« non repondance ») afin de continuer à proposer d’autres interventions toujours mieux ciblées et adaptées. Bien sûr, la qualité de l’engagement de l’enfant et son accompagnement pédagogique dans ce type d’activités sont essentiels.

Enfin, une dernière question liée à l’utilisation des technologies en classe se pose. Des travaux récents révèlent que l’introduction d’outils informatisés dans les pratiques pédagogiques pourrait être intéressante à condition de former les enseignants et de leur proposer un soutien lors de l’utilisation d’un logiciel. Autrement dit, la qualité de l’implémentation des logiciels éducatifs dans les classes constitue un élément explicatif (parmi d’autres) de leur efficacité en termes d’apprentissage.

En résumé, la conception des outils numériques doit être sous-tendue par les connaissances scientifiques sur la lecture (et son apprentissage). En outre, ils devraient avoir fait l’objet systématiquement de validation scientifique avant d’être diffusés. C’est dans un tel temps de la recherche (certes plus lent que celui du marché !) que les aides informatisées en lecture (logiciels ou applications pour tablettes2) devraient être conçues et pourraient contribuer à la réduction des difficultés en lecture.

1 Les actions de rééducation orthophonique auprès de populations en très grandes difficultés relèvent du domaine paramédical.

2 Des applications sur tablettes pour l’apprentissage de la lecture sont en cours de développement au sein de notre équipe.

Bibliographie

Ecalle, J., Kleinsz, N., & Magnan, A. (2013) « Computer-assisted learning in young poor readers: The effect of grapho-syllabic training on word reading and reading comprehension ». Computers in Human Behavior, 29(4), pp. 1368-1376.

Ecalle, J., & Magnan, A. (2015). L’apprentissage de la lecture et ses difficultés (2e édition réactualisée). Paris : Dunod.

Ecalle, J., Magnan, A., & Calmus, C. (2009). « How computer assisted learning using ortho-phonological units could improve literacy skills in low-progress readers ». Computers & Éducation, 52(3), pp. 554-561.

Ecalle, J., Magnan, A., & Jabouley, D. (2010). Chassymo : un logiciel d’aide au traitement syllabique. Châteauroux : Adeprio Diffusion.

Ecalle, J., Potocki, A., Jabouley, D., & Magnan, A. (2013). LoCoTex : logiciel de compréhension de textes. Châteauroux : Adeprio Diffusion.

Potocki, A., Ecalle, J., & Magnan, A. (2013). « Effects of computer-assisted comprehension training in less skilled comprehenders in second grade: A one-year follow-up study ». Computers and Education, 63, pp. 131-140.

Potocki, A., Ecalle, J., & Magnan, A. (2015a). « Computerized comprehension training in young readers: For whom and under which conditions is it efficient? » Journal of Computer Assisted Learning, 31(2), pp. 162-175.

Potocki, A., Magnan, A., & Ecalle, J. (2015b). « Computer based trainings in four groups of struggling readers: Specific effects on word reading and comprehension ». Research in Developmental Disabilities, 45-46, pp. 83-92.

Notes

1 Les actions de rééducation orthophonique auprès de populations en très grandes difficultés relèvent du domaine paramédical.

2 Des applications sur tablettes pour l’apprentissage de la lecture sont en cours de développement au sein de notre équipe.

Illustrations

Figure SEQ Figure \* ARABIC 1 : Copies d’écran du logiciel Chassymo.

Figure SEQ Figure \* ARABIC 1 : Copies d’écran du logiciel Chassymo.

Figure SEQ Figure \* ARABIC 2 : Copies d’écran du logiciel d’entraînement à la compréhension (LoCoTex).

Figure SEQ Figure \* ARABIC 2 : Copies d’écran du logiciel d’entraînement à la compréhension (LoCoTex).

Citer cet article

Référence papier

Jean Ecalle et Annie Magnan, « Les difficultés en lecture : l’apport des nouvelles technologies », Canal Psy, 115 | -1, 21-23.

Référence électronique

Jean Ecalle et Annie Magnan, « Les difficultés en lecture : l’apport des nouvelles technologies », Canal Psy [En ligne], 115 | 2016, mis en ligne le 08 janvier 2021, consulté le 19 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=2030

Auteurs

Jean Ecalle

Laboratoire EMC Étude des Mécanismes Cognitifs (EA 3082), Université Lyon 2/LabEx Cortex ANR-11-LabEx-0042 Université de Lyon

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Annie Magnan

Laboratoire EMC Étude des Mécanismes Cognitifs (EA 3082), Université Lyon 2/LabEx Cortex ANR-11-LabEx-0042 Université de Lyon/Institut Universitaire de France

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