Malaise des étudiants : comment intervenir à temps ?

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Notes de la rédaction

La conférence du Docteur Pommerau a été donnée dans le cadre de l’Action prévention Suicide organisée par l’Université Lumière Lyon 2.

Texte

Pour m’en tenir à des propos brefs, je vais donner quelques pistes de réflexion sur cette question en vous proposant d’échanger ensuite en termes d’options, de choix, de stratégies, de prises en charge et je voudrais donc dans un premier temps, vous communiquer quelles sont les bases sur lesquelles nous nous proposons d’élaborer ensuite des réponses thérapeutiques ou des réponses préventives.

Quel que soit l’âge de la personne qui pense au suicide, adolescent, adulte d’âge mûr ou personne âgée, il nous semble important de dire que l’expérience clinique amène à penser qu’il s’agit toujours d’une question de place et d’identité non reconnues. Il est très important, de prendre en compte ces mots-clefs, parce que cette question de place et d’identité prend diverses formes. Cela peut être par exemple, une question d’identité et de place sociale, et nous savons bien en ce moment combien certains d’entre nous sont en difficulté de ce point de vue-là. Cela peut être aussi une place et une identité au sein de la famille. Cela peut être enfin une question de place et d’identité dans les représentations psychiques que nous pouvons en avoir, et là, certains malades mentaux sont particulièrement menacés par le suicide au cours de l’évolution de leur maladie. Je fais référence en particulier à certaines formes de dépressions et à certaines formes de psychose où l’on observe ce sentiment que ressent le sujet malade à un moment de son parcours.

Ce serait probablement, si je devais compacter au maximum mes propos, cette question de l’existence que je poserais en priorité. Je ne connais pas de suicidaires qui ne soient pas en réalité portés par un besoin impérieux de se sentir exister. C’est mourir pour exister et c’est autour de ce paradoxe, terrible pour l’entourage du sujet en détresse et bien entendu pour le patient, mais qui n’en a pas toujours conscience et qui croit vouloir, par exemple, disparaître, qui dit « J’en ai assez de la vie, la vie ne m’apporte rien, me menace, je ne me sens pas bien, donc je me suicide, je disparais, je laisse les autres se débrouiller sans moi ». C’est le discours conscient, c’est ce que le suicidaire se représente.

Ceci correspond à la partie visible de l’iceberg et à l’heure où l’on parle beaucoup de Titanic, je voudrais vous dire qu’il reste 9/10e des problèmes sous l’eau. Les 9/10e immergés, c’est que le sujet ne sait pas lorsqu’il prévoit de se suicider, qu’en réalité, il va désespérément revendiquer sa place, son existence à travers son acte suicidaire, y compris en acceptant l’idée de graver sa trace dans la mémoire de ceux qui restent, d’exister peut-être finalement à travers la place et l’identité qui lui seront reconnues dans la tombe, dans le caveau de famille. C’est cela qui est terrible mais c’est aussi cela qui permet d’envisager une prévention des conduites suicidaires. On voit bien qu’à l’intérieur de ce projet mortifère est finalement contenue une formidable énergie de vivre. Il s’agit d’une revendication de vie, il s’agit de dire « Regardez, acceptez de me faire une place et de me faire une identité, acceptez de m’aider à me reconnaître, acceptez de me reconnaître ».

À partir du moment où nous, que nous soyons acteurs professionnels, bénévoles ou tout simplement êtres humains en contact avec d’autres êtres humains, acceptons ce principe, alors, si nous voulons bien reconnaître la souffrance de l’autre, reconnaître sa souffrance, nous pouvons chercher à aider le sujet à trouver une autre issue que celle fatale et désespérante de mourir sans savoir que c’est une revendication d’exister.

Ceci étant dit, nous sommes ici pour parler des étudiants. Et, justement, la question de place et d’identité lorsqu’on est étudiant, se pose de plusieurs manières.

Tout d’abord, en tant que sujet en devenir, en adolescence ou en jeune âge adulte, qui comme tout adolescent ou jeune adulte va connaître des difficultés affectives ou de positionnement et va devoir, qu’il le veuille ou non, qu’il en ait conscience ou non, s’interroger sur le « D’où viens-je ? Qui suis-je ? et Où vais-je ? ». Personne n’échappe à ces trois interrogations existentielles qui tourbillonnent autant et qui dansent une terrible sarabande dans la tête de toutes les personnes suicidaires. Ces trois interrogations existentielles fondamentales peuvent également concerner les études universitaires. Il serait sûrement utile d’aider certains étudiants à repérer qu’à travers certaines de leurs revendications d’orientation, se cache en réalité une grande détresse, un grand désarroi de se situer sous le regard des proches et d’avoir à se mettre en quelque sorte à la hauteur du regard de l’autre, présupposé insuffisant.

Citer cet article

Référence papier

Xavier Pommereau, « Malaise des étudiants : comment intervenir à temps ? », Canal Psy, 39 | 1999, 14.

Référence électronique

Xavier Pommereau, « Malaise des étudiants : comment intervenir à temps ? », Canal Psy [En ligne], 39 | 1999, mis en ligne le 27 août 2021, consulté le 17 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=2107

Auteur

Xavier Pommereau

Psychiatre des hôpitaux et responsable de l’unité médico-psychologique de l’adolescence et du jeune adulte au CHU de Bordeaux

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