Plan

Notes de la rédaction

Propos recueillis par Monique Charles.

Texte

Quand le livre devient trop lourd…

Je suis devenue conteuse il y a six ans, lorsque je suis entrée à l’Association des Bibliothécaires d’Hôpitaux. En 1987, on s’est rendu compte qu’on prêtait de moins en moins de livres aux malades, en gériatrie surtout où il y avait de plus en plus de monde et qui restait de plus en plus longtemps. Il fallait qu’on garde contact avec cette population pour laquelle le livre était devenu trop lourd, sa typographie trop petite. C’est alors qu’on a rencontré un conteur qui nous a proposé une formation. La découverte du monde du conte a été décisive. J’ai eu la révélation de toute la richesse humaine dont est porteuse une histoire en apparence anodine.

Le cercle de parole

Le cercle de parole se tient une fois par mois et réunit 15 à 20 personnes âgées qui ont exprimé le désir de venir. Nous venons conter à deux. Nous avons des styles, des voix, des contes différents et il y a plus de chance pour que des histoires parviennent à l’auditoire, les touchent. Le personnel soignant dit que chez les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, ce qui manque, ce sont les émotions. Alors, notre objectif, c’est de garder le contact avec les personnes âgées, même celles qui semblent absentes et hors d’atteintes et de réveiller les émotions pour que la personne puisse se dire.

Le conte : une parole qui réchauffe la mémoire

Je me souviens d’une vieille dame, Marie-Jeanne, qui était l’auditrice idéale, parce qu’elle était tonique, réagissait et participait beaucoup. Brusquement, elle est tombée dans un état d’apathie et a assisté durant six mois au cercle de parole en étant complètement absente. Puis, un jour, elle est arrivée de nouveau éveillée et présente. Je lui ai dit que j’étais tellement heureuse de la voir ainsi que j’allais lui donner un conte tout neuf, encore jamais raconté. Et je commence le conte rouge. Au milieu du conte, Marie-Jeanne m’arrête, affirme connaître ce conte et, sur ma proposition, le termine. Au retour, j’ai vérifié qu’effectivement ce conte avait déjà été dit et que j’avais raconté cette histoire pour la première fois lorsque Marie-Jeanne était arrivée dans un état de léthargie. Elle avait donc, contre toute apparence, tout enregistré. Ce qui est précieux, c’est qu’elle ait pu me le dire. C’est cette sorte de témoignage qui nous tient et nous montre que même chez les personnes qui semblent hors d’atteinte, le conte peut faire un chemin qu’on ignore.

… en secret

Une autre fois, c’est une dame dont on n’avait jamais entendu le son de sa voix, qui nous a surprise. Ma fille m’accompagnait à l’alto et, entre deux contes, jouait « À la claire fontaine ». Les doigts de la vieille dame se sont mis à tapoter sur le rebord de son fauteuil puis elle a commencé à dire les notes de cette chanson. Après coup, j’ai appris de la surveillante que cette femme avait été un premier prix de conservatoire.

C’est ce type d’expérience qui m’a fait accepter un nouveau projet : conter auprès de malades dans le coma. Il n’y aura pas de retour mais on peut se dire qu’on ignore le chemin qu’une voix pourrait faire chez ceux qui sont là, sous leurs machines.

De quoi a envie une femme enceinte qui a des envies ?

Un conte propose une réponse. Il est question d’une jeune femme enceinte qui a tellement envie des salades, des raiponces, qui poussent dans le jardin d’une sorcière qu’elle en dépérit. La sorcière menace de mort quiconque voudrait manger les « réponses » interdites. Le mari, inquiet de l’état de sa femme, va se livrer à des larcins réitérés pour livrer les salades convoitées à son épouse. La troisième fois, la sorcière ne manque pas d’être là et le surprend…

Le conte : une histoire qu’on fait sienne…

Le premier conte que j’ai eu envie de raconter, je l’ai reçu du conteur qui nous a formé. Ce conte, j’ai eu l’impression qu’il était fait pour moi. Puis d’autres contes sont venus. J’attends qu’un conte me saute au cœur, puis je travaille. Je garde la trame et je m’exerce à le raconter en me guidant sur les images qui me viennent, sur ma façon d’être et ma sensibilité. Après cette phase, je laisse le conte décanter, mûrir et lorsque je le sors, il est comme épuré. Au départ, je viens de la traduction. Dans la traduction, on a un texte ou des paroles qu’on doit respecter. Dans le conte, on est porteur d’une histoire qu’on fait sienne.

Une histoire qui passe entre…

Lorsque je raconte, j’ai toujours l’impression d’avoir une pellicule transparente qui passe entre ceux qui écoutent et moi-même. C’est l’histoire qui défile. À partir de la trame que je conserve, je place des mots sur ce que je vois passer entre ceux qui écoutent et moi-même. On sent la présence de l’histoire qui passe dans les personnes. Je suis intimement convaincue que le conte parle à quiconque. On a tous été petit. On a tous grandi. On a tous eu des coups de griffe de la vie et le conte parle de cela. Chacun s’y retrouve.

Citer cet article

Référence papier

Évelyne Pugeat, « Le conte en gériatrie », Canal Psy, 32 | 1998, 8.

Référence électronique

Évelyne Pugeat, « Le conte en gériatrie », Canal Psy [En ligne], 32 | 1998, mis en ligne le 16 juillet 2021, consulté le 23 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=2229

Auteur

Évelyne Pugeat

Conteuse à l’Association des Bibliothèques d’Hôpitaux de Lyon et de la Région

Autres ressources du même auteur

  • IDREF

Droits d'auteur

CC BY 4.0