Témoignage… Cheminement…

p. 9-10

Notes de la rédaction

Pour ceux qui souhaitent découvrir FPP (Formation à Partir de la Pratique, v. encadré p. 10) et les particularités de l’expérience qu’implique ce processus de formation, à partir du vécu propre de ceux qui ont fait ce parcours, voici le témoignage précieux d’une ancienne étudiante.

Texte

Cinq ans déjà se sont écoulés ! En cette fin d’année universitaire 1996, j’ai obtenu ma maîtrise en psychologie et j’ai encore de la difficulté à y croire. Résonnent encore en moi les mots tenus par Alain-Noël Henri lors de la présentation du premier jour : « Tous ceux et celles qui pensent que FPP est un moyen d’obtenir une maîtrise au rabais se trompent ! Ils ont même intérêt à quitter la salle aujourd’hui ! » Je ne pensais pas qu’il disait si vrai et si juste.

FPP c’est à la fois fascinant et épuisant… Passionnant et décourageant… Stimulant et lassant… FPP, c’est une sorte de marathon où tenir le rythme est plus important que « sprinter ». J’ai dit fascinant, Passionnant, stimulant… Les mots forts sont lâchés, mais de quoi parlent-ils ?

La proposition de base faite à FPP est celle de partir d’une question surgie dans la pratique afin de l’interroger, de la tourner et retourner à la lumière des diverses théories existantes à ce sujet. Voilà déjà posé, au centre de la méthodologie FPP, l’idée première de la nécessité d’un projet pour ouvrir une aire de motivations. Il s’agit là d’un point d’appui fondamental pour mobiliser le désir d’une recherche. Comme dit Meirieu, on ne peut qu’être d’accord avec la conclusion d’Archimède : « Donnez-moi un point d’appui et je soulèverai le monde1. » Ainsi, mon point d’appui est ma question. La formuler devant le groupe et devant l’enseignant, essayer d’associer quelques thèmes pouvant s’y rattacher, faire surgir de cette question première d’autres questions : voici une première étape de pré-élaboration de mon travail. Membres du groupe et enseignants se mettent quelques instants à ma disposition pour faire à leur tour des associations et me donner d’autres pistes et quelques idées bibliographiques. Ce partage associatif met en route mon « appareil à penser » et commence à se dessiner à l’intérieur de moi un pré-projet de plan que j’aurai loisir de rediscuter avec l’enseignant ou d’autres membres du groupe si besoin s’en fait sentir. À partir de là commence le marathon-lecture. À la différence des coureurs qui, eux, connaissent le nombre de kilomètres à parcourir, j’ignore, quant à moi, le nombre de textes à découvrir. En effet, mon ignorance sur la question m’a parfois amenée à aborder des sujets complexes et difficiles. J’avance à mon rythme : telle lecture me renvoie à telle autre qui me renvoie à son tour à un nouvel auteur et ainsi de suite. Ma curiosité est piquée au vif. Toutefois, je rencontre, par moments, le vertige de l’ampleur de ma question. Devant l’étendue de la connaissance à parcourir, je m’essouffle et pourtant l’intérêt éveillé me pousse à poursuivre. Vient le jour où je dois me rendre à l’évidence que plus mes connaissances augmentent, plus je suis en contact avec mon ignorance. Tant d’idées, de visions et de points de vue différents sur le même sujet ! Comment faire dialoguer tous ces auteurs ? Comment rendre leurs ressemblances et leurs différences, leurs points communs et leurs divergences, voire même leurs contradictions ? Et moi, au milieu de ce « magma » de pensées, ai-je encore quelque chose à dire, quelque chose à penser ? Je ne suis qu’une étudiante ! Ils parlent si bien, eux, Messieurs les auteurs ! Et pourtant, de ma place d’étudiante, ancrée dans la pratique, je peux oser, moi aussi, me mettre à penser, oser une position personnelle qui rejoint tel auteur ou m’éloigne de tel autre.

Réfléchir, penser silencieusement, prendre quelques notes… Mais tout cela ne suffit pas ! Cette réflexion nécessite une mise en forme. Me voilà avec une pile de résumé et devant l’angoisse de la feuille blanche. Car l’étape suivante est l’épreuve incontournable de l’écrit. « Écrire, dite Marguerite Duras, c’est l’inconnu qu’on porte en soi… » Écrire, à FPP, c’est donc prendre le risque de rencontrer cet inconnu. C’est aussi prendre le risque d’être renvoyée à moi-même noir sur blanc puisque mon objet d’étude est l’humain. Parfois ma feuille est restée blanche plusieurs heures, voire plusieurs jours avec le goût amer au fond de la gorge que je n’y arriverai pas… Ou encore le sentiment d’une grande confusion en moi. Je n’ose pas m’y lancer ! Je prétexte n’importe quelle urgence à faire pour échapper à ce face-à-face. Puis vient le moment du pas décisif. En me mettant à écrire, je fais la découverte extraordinaire que les mots coulent au bout de ma plume. Ils viennent sans se bousculer. C’est l’étonnement, presque l’émerveillement en effet, je méconnaissais, avant de l’écrire, le travail qui s’était accompli à l’intérieur de moi tout au long de mes lectures. Cette mise à l’extérieur me fait prendre conscience de ce qui a lentement mûri à l’intérieur. Apprendre, c’est prendre du dehors pour mettre dedans. Mais c’est aussi malaxer suffisamment cette chose du dehors à l’intérieur de soi afin de le faire sien et de pouvoir alors en donner, en quelque sorte, sa propre version.

Une fois la chose écrite, ouf ! Ai-je pensé satisfaite et contente du travail accompli. Quelle ne fut pas ma surprise, lorsque deux semaines plus tard, en reprenant mon écrit, au vent de satisfaction succéda un vent de déception : comment ai-je pu écrire cela ? Mes tournures de phrases sont incorrectes et pas françaises ! Tel autre chapitre souffre de répétitions ! Tel autre ressemble à une pelote enchevêtrée ! Le fond y est mais la forme est à reprendre ! J’ai ainsi retravaillé certaines pages et parfois des chapitres entiers pour la deuxième, voire même la troisième version. Perte de temps ? Travail inutile ? Non, la remise en forme, l’éclaircissement de la chose dite permet l’intégration de cette matière complexe qu’est la psyché humaine. Clarté pour soi, clarté pour l’autre. Mais quel autre ? Et oui, car il y a bien un autre dans cette histoire ! Autre que j’ai presque oublié durant l’élaboration de mon travail. Autre néanmoins bien présent puisqu’il fait partie de la troisième étape de ce marathon : le jury.

Qu’en dire ? C’est une épreuve… Une confrontation entre ce que j’ai produit et ce que cet autre pense de cette production. À ce niveau-là, la dimension narcissique est fragilisée, ébranlée, inquiétée. Mais il me semble important de ne pas en rester là, car un jury, c’est aussi une confrontation de pensées et d’idées sur le sujet choisi. Qui dit dossier dit forcément incomplétude. Dans mon travail de recherche, je n’ai pu éclairer que certains angles de la question. D’autres sont forcément restés dans l’ombre. En cela réside la richesse de l’échange : il y a mes propres questions surgies dans l’après-midi de ce travail et celles amenées par la réflexion des jurés. D’un temps de confrontation, nous passons à un temps d’élaboration ouvrant sur d’autres champs à explorer.

J’ai surtout évoqué jusque-là les parcours des trois étapes d’un travail de recherche. Je voudrais encore souligner l’effet surprise de chacun de ces dossiers. J’ai entrepris certains champs tel que le social ou la biologie avec beaucoup d’appréhension, voire même un côté obligation : il faut bien passer par là ! Mais en fait, ce qui a toujours pris le dessus c’est, au fur et à mesure de mes lectures, une sorte de curiosité éveillant en moi un intérêt pour ce sujet jusque-là ignoré. La psychologie connectée à d’autres champs m’en agrandissait la vision et l’espace. Fascinant de se laisser prendre au jeu de cette curiosité soudainement émergée.

Quant au groupe de travail du samedi, il m’est apparu comme essentiel dans le travail d’intégration. J’ai considéré la conférence du matin comme une stimulation intellectuelle plus ou moins riche, plus ou moins intéressante, plus ou moins questionnante ou bousculante. Le groupe de travail de l’après-midi a été une véritable ressource. Qu’il s’agisse du temps donné à reprendre et requestionner la conférence, du temps réservé au petit groupe ou de celui passé en grand groupe à participer à la réflexion de l’élaboration d’un travail de recherche de l’un des membres… Tous ces moments ont eu pour moi quelques effets magiques. Moi qui si souvent pensais ne pas savoir grand-chose… Ou encore croyais avoir tout oublié… Ou pire encore était habitée par la douloureuse impression de mélanger ces concepts psychologiques si complexes, me voilà obligée d’avoir recours à mes connaissances. En effet, dans un premier temps, le silence de l’enseignant m’oblige à aller rechercher à l’intérieur de moi ce que je peux dire ou penser sur tel sujet. Il s’agit d’essayer de penser à haute voix et de prendre le risque de se tromper ou de « bafouiller ». Mais prendre ce risque c’est aussi me permettre de m’entendre et de contacter le travail d’intégration qui se poursuit à l’intérieur de moi au fil des années. La reprise de chaque sujet par le professeur me clarifie et m’aide à sentir la mesure de ce qui reste flou et peu sûr. Cette pédagogie que j’ai envie de nommer « active » me stimule. Elle m’ouvre sur d’autres horizons et me propulse, sans me paniquer, dans le vertige de tout ce qui me reste à découvrir.

Je ne saurais m’arrêter sans faire l’éloge de mon petit groupe de travail. Il s’y est construit une solidarité soutenante. Contrairement à une dynamique de compétition basée sur l’individualisme, il s’est développé entre nous une dynamique de collaboration, d’échange, de soutien et d’écoute, les plus anciens se mettant volontiers à la disposition des nouveaux pour répondre à leurs questions. L’énergie déployée pour s’entraider et se soutenir était conséquente. Cette disponibilité mise au service d’un autre pour l’aider dans la construction de sa recherche a toujours nourri mes propres réflexions au sujet de mon travail.

Ainsi, dans sa globalité, la méthodologie FPP permet de vivre ce paradoxe dont parle Meirieu au sujet de la relation éducative dans la pédagogie. Il écrit :

« La relation éducative requiert que l’éducateur (j’ai envie d’écrire ici l’enseignant) soit perçu comme, à la fois, très proche et très lointain : assez proche pour que l’on puisse un jour devenir comme lui, assez lointain pour que l’on ait envie de devenir comme lui. Cette reconnaissance d’un espace à investir, d’un lieu et d’un temps où être, où croître, où apprendre fait naître la force du désir d’y arriver, moteur indispensable pour avancer et mener à bien le travail2. »

Mais si, au début de ce texte, j’ai dit fascinant, passionnant, stimulant, j’ai aussi dit épuisant… Décourageant… Lassant… Qu’en est-il ?

En effet, FPP a son prix à payer. J’allais écrire son prix de souffrance. Le mot est-il trop fort ? Chacun se chargera de le nuancer. En quoi consiste ce prix ?

En premier lieu, il s’agit, dans un laps de temps relativement long, d’occuper plusieurs places en même temps : celle du professionnel que je suis, celle de ma vie quotidienne (famille et amis), et enfin celle de l’étudiant qui a le projet de devenir un autre professionnel. Cette dernière place génère des conflits aussi bien internes qu’externes. Si, pour certains, ce passage d’une profession à l’autre est déjà largement amorcé, il n’en va pas de même pour d’autres qui rencontrent doutes, inquiétudes, remises en cause, attachement et loyauté à la profession encore pratiquée durant le temps des études. C’est une position de l’entre-deux forcément déstabilisante.

L’un de mes collègues du petit groupe disait récemment : « FPP, c’est une maîtresse exigeante ! » C’est là un deuxième point de souffrance, car en effet, « cette maîtresse » demande du temps et j’ai envie de dire beaucoup de temps. Alors ce temps, où le prendre, puisque tout ce que j’investissais déjà (profession, famille, amis) reste identique ? La 25e heure n’existe pas. Nous devons nous rendre à l’évidence qu’il va falloir dérober des heures au sommeil, en extirper dans les soirées chaleureuses passées avec les amis, en voler sur les loisirs des week-ends et des vacances, détente pourtant bien méritée, voire même nécessaire. Il y a donc, dans cette forme d’étude, tout un pan de « renoncement ». Les sollicitations des amis continuent d’affluer et je suis obligée de trier, de faire des choix qui ne vont pas sans douleur. Par conséquent, comment, dans cette période de frustration, ne pas être en contact avec ma situation d’étudiant vieillissant ? Comment, par moments, ne pas être submergé par un sentiment de temps qui s’écoule et d’années qui passent, années remplies, trop remplies de travail ? Comment, par instant, ne pas être pris dans la tourbillonnante question : « à quoi tout cela sert-il ? Quel sens donné à tant d’investissement ? »

Enfin, le troisième point de souffrance que je soulignerai est celui d’une position de solitude. Les temps de rencontre avec tous ces autres embarqués dans le même bateau que moi sont rares. Les échanges entre enseignant et étudiants sont espacés eux aussi. Dans mon marathon, je suis un coureur de fond solitaire qui s’accroche à sa rigueur, à sa volonté et heureusement à l’intérêt éveillé par ce parcours autodidacte.

Vous avez dit FPP ? Je persiste et signe : fascinant et épuisant… Passionnant et décourageant… Stimulant et lassant ! Je terminerai par ce texte de Saint Augustin dans son livre Les confessions :

« Où étaient mes connaissances, et pourquoi, lorsqu’on m’en a parlé, les ai-je reconnues et ai-je déclaré : “Parfaitement, cela est vrai” ? Point d’autres raisons que celle-ci : elles étaient déjà dans ma mémoire, mais si loin et enfouies dans de si secrètes profondeurs que, sans les leçons qui les en ont arrachées, je n’aurais pas pu peut-être les concevoir. »

Formation à Partir de la Pratique

FPP est une formation du DEUG à la maîtrise, proposé par le Département Formation en Situation Professionnelle de l’Institut de Psychologie de l’Université Lumière Lyon 2.
Renseignement au 04 78 69 70 23 (le matin).

Notes

1 Ph. Meirieu, Apprendre… Oui, mais comment, p. 43.

2 Ph. Meirieu, Apprendre… Oui mais comment, p. 93-94.

Citer cet article

Référence papier

Marité Genoud, « Témoignage… Cheminement… », Canal Psy, 31 | 1997, 9-10.

Référence électronique

Marité Genoud, « Témoignage… Cheminement… », Canal Psy [En ligne], 31 | 1997, mis en ligne le 09 juillet 2021, consulté le 22 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=2256

Auteur

Marité Genoud

Droits d'auteur

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