Une méthode projective : le dessin dʼenfant

DOI : 10.35562/canalpsy.2485

p. 8-9

Texte

À notre époque, il n’est rien de plus banal que la pratique du dessin d’enfant et son interprétation psychologique. Dans les nombreux ouvrages traitant ce sujet, il y a divergence de sens ; selon que la méthode employée relève de la psychologie projective ou de la thérapie.

Malgré sa grande utilisation, le dessin apparaît tabou : on a peu parlé de « l’adulte normal dessinant » ; cette passion humaine se trouve reléguée à certaines couches de la population : les enfants, les fous, les vieillards, les artistes. Ma tâche n’est, ici, cependant pas de polémiquer sur ce vaste sujet.

J’introduirai l’acte de dessiner chez l’enfant comme acte créateur et acte de communication, avant de développer le dessin comme support à la méthode projective.

La définition du Petit Robert souligne le caractère humain du dessin : « Le dessin est trace, marque laissée par le passage d’un être ».

Le dessin de l’enfant a engendré de nombreux mythes, notamment celui de la spontanéité de la création, enviée par les adultes « avant je dessinais comme Raphaël mais il m’a fallu toute une existence pour apprendre à dessiner comme les enfants » (Picasso).

Le dessin, comme le jeu, est une activité privilégiée de l’enfant jeune, entre 4 et 10 ans, il paraît ressentir devant ses productions graphiques, une joie intense qui s’apparente à celle de l’artiste. Le dessin, par la rapidité de sa réalisation, satisfait l’impatience de la forte impulsion affectivo-émotionnelle. Chez le jeune enfant, le plaisir de créer correspond à la « nécessité primitive d’être » (Varenka et Olivier Marc). Un dessin reste un des objets qu’il offre le plus volontiers à l’adulte qui lui est sympathique, et il est difficile de faire la part du sens du message graphique de son support (papier) qui devient lui-même un message signifiant : par exemple : « Je t’aime bien… ». L’enfant encore embarrassé dans les pièges de la langue parlée ou l’inaccessibilité à la langue écrite, trace avec rapidité et facilité les quelques traits indispensables à la création graphique. Le dessin précède l’écriture ; l’image est plus archaïque que la parole.

À l’origine du langage, on trouve une émission vocale (gazouillis) qui doit procurer à l’enfant une sensation agréable puisqu’il le prolonge et le répète. Mais ce dernier « bruit » spontané est mis à profit par l’entourage pour constituer le plus commun des outils d’échange.

Nous retrouvons un processus identique concernant l’évolution du dessin.

À partir du gribouillage effectué et répété avec joie, l’enfant se trouve conduit vers le graphisme, moyen de communication ; cela par suggestion directe ou indirecte. Le jeune enfant cherche à imiter ce qu’il voit autour de lui. D’autre part il est encouragé en permanence par l’attitude de l’adulte qui complimente systématiquement, cherche à comprendre le moindre gribouillage et feint d’y réussir s’il n’y parvient pas…

Le dessin est vite apparu comme l’expression de la personnalité tout entière, il constitue un lieu de projection privilégié au même titre d’ailleurs que toute œuvre d’art. La société, la famille et l’école vont exploiter cette tendance. Les psychologues vont entreprendre de nombreuses recherches. D’abord analysé en termes de manque par rapport au dessin de l’adulte (Luquet) puis utilisé pour l’évaluation du Q.I., le dessin fait aujourd’hui l’objet encore de nombreuses critiques. Si son rôle est important dans la pratique, son statut reste subalterne ; je l’explique en partie parce que le dessin n’appartient pas comme « outil » spécifique au psychologue comme d’autres épreuves : Rorschach, T.A.T.

J’utilise, depuis de nombreuses années, le dessin comme épreuve projective ; il offre de nombreux avantages : il n’est pratiquement pas refusé, sa passation est simple et rapide. Je peux émettre des hypothèses, il me sert comme instrument diagnostic et thérapeutique. Dans toute pratique clinique on ne peut dissocier la démarche d’investigation psychologique de la démarche thérapeutique ; il est important d’évaluer les différentes modalités du fonctionnement psychique d’un enfant pour répondre à sa souffrance.

C’est ici que se situe la différence entre le dessin d’enfant spontané et celui pour lequel on demande d’insérer tel ou tel élément dans un dessin. (Les enjeux transféro-contre-transférentiels ne pourront être abordés ici.) Le dessin est reconnu comme reflet de la personnalité tout entière, le graphisme sur la feuille blanche de papier est miroir où se profile le moi. Je choisis un exemple détaillé d’une épreuve : le D 10 de J. Lemen que j’utilise associé à deux autres épreuves qui viennent solliciter l’imaginaire : « le pays de la joie et le pays de la peur », et l’AT 9 d’Yves Durand que je ne pourrai malheureusement pas présenter ici.

Le D 10 fut primitivement conçu pour les psychologues scolaires et relevait d’une passation collective. Son but tel que son auteur le définissait était « l’exploration de la personnalité et des rapports sociaux et familiaux par un dessin à dix éléments ». Son utilisation en clinique individuelle nous permet souvent d’avoir d’emblée un aperçu de la problématique du sujet, étayée sur l’entretien ou une autre épreuve thématique.

Matériel et consigne : la consigne est imprimée sur la feuille : « dessiner un paysage avec : un homme, une route, une femme, des montagnes un garçon, une maison, une fille une rivière, un animal, une auto ». Ce test doit être dessiné au crayon, sans gomme, ni règle. La disposition des éléments est libre, les ajouts sont permis.

Une fois le dessin terminé, on demande d’identifier les personnages : Se connaissent-ils ? Comment ? Que font-ils ?

L’entretien fait avec l’enfant s’apparente à l’enquête d’autres épreuves projectives ; sa nature et les questions posées seront en relation, non seulement, avec l’âge, la situation de l’enfant mais aussi avec le référent théorique utilisé, la théorie psychanalytique ; cet échange de vues, permet de confronter réalité, désir et expansion imaginaire, les systèmes de défenses, la présence d’angoisse, autant de symptômes qui ont peut-être déjà été observés au moment de la fabrication du dessin. L’enfant se conforme-t-il à la consigne ? Dans quel ordre les éléments ont-ils été dessinés ? Quel soin et combien de temps consacre-t-il à la réalisation de tel ou tel personnage ?

Le paysage ainsi effectué va susciter une analyse du dessin à plusieurs niveaux :

  1. Une étude de la grapho-motricité : la précision du trait, la qualité, la force, les noircissements…
  2. Une étude de l’attitude de l’enfant durant la passation : impulsivité, réflexion, anxiété et commentaires.
  3. Une étude du mode de construction de l’espace en référence à Piaget et Sami-Ali. Le minimum de « fond » dans un dessin établit et rejoint le problème de la constitution de la peau psychique et de son double feuillet (Anzieu).
  4. Une étude des facteurs affectifs : elle intègre le symbolisme de la scène, des éléments, les ajouts et les oublis. Elle est d’une grande richesse, je n’en donnerai ici que quelques illustrations.
    • La maison dans sa double dialectique de vie intérieure familiale, personnelle et d’ouverture vers les autres, la maison « écorce du moi ».
    • La rivière, intérieur fluide du moi, symbole de la vie affective.
    • Les personnages, projection d’une famille dans laquelle le sujet projette son alter ego.

Il est impossible dans un aperçu aussi bref de noter toutes les composantes de résultats que l’on peut trouver dans cette épreuve, mais sa pratique nous a permis d’en découvrir d’autres utilisations :

  • A) Il sert de pivot à la synthèse finale par la vue qu’il apporte des structures mentales, mais aussi par l’image qu’il donne de l’importance actuelle des affects dans l’économie psychique globale et enfin par le raccourci projectif qu’il offre de la façon dont le sujet vit le monde dans le moment présent.
  • B) Il nous apparaît particulièrement important au moment de poser une indication thérapeutique à la suite d’une demande concernant un membre de la famille ; il nous permet d’avoir une évaluation de la tolérance familiale à l’individuation et à l’autonomie.
    Comme je l’ai dit plus haut, associé au « pays de la joie et de la peur » (la demande à l’enfant de dessiner successivement un pays où tout le monde aurait peur, puis un pays où tout le monde serait heureux), il nous permet d’évaluer la relation d’objet, le type d’angoisse et les mécanismes de défense. Le diagnostic tient compte à la fois de l’approche groupale familiale et de l’organisation de la personnalité de l’enfant pour qui la consultation a été demandée ; c’est ce diagnostic qui va déterminer s’il y a nécessité d’un traitement et lequel. Celui-ci pourra être de type individuel (psychothérapie, rééducation orthophonique, psychomotricité) ou de type familial psychanalytique.

En conclusion, je dirai que lire, comprendre et interpréter ce qui est communiqué à travers le dessin, par l’enfant, demande des connaissances dans de nombreux domaines et une méthodologie adaptée.

Dans chaque cas, il appartient au psychologue de se référer à une réflexion théorique : chaque signe devant être réfléchi et interprété dans le contexte qui a permis ou sollicité sa réalisation.

Il ne faut pas perdre de vue que le dessin produit par l’enfant n’est qu’un moment isolé d’un être en perpétuelle évolution.

L’analyse du dessin d’enfant est avant tout une méthode d’approche (comme toutes les méthodes projectives), jamais une fin.

Pour une autre lecture psychanalytique du Rorschach, nous renvoyons également le lecteur à l’ouvrage de Henri Jidouard, Le Rorschach, une approche psychanalytique (PUL, Lyon, 1988) et au commentaire qu’en fait le Bulletin de Psychologie (no 396, XLIII, 1990, juillet-août, 14-17, p. 766).

Citer cet article

Référence papier

Martine Drevon, « Une méthode projective : le dessin dʼenfant », Canal Psy, 18 | 1995, 8-9.

Référence électronique

Martine Drevon, « Une méthode projective : le dessin dʼenfant », Canal Psy [En ligne], 18 | 1995, mis en ligne le 09 septembre 2021, consulté le 22 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=2485

Auteur

Martine Drevon

Docteur en psychologie, psychologue clinicienne, chargée de cours à l’Université Lumière Lyon 2

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