Expérience clinique autour d’une médiation : le dessin d’enfant et d’adolescent

DOI : 10.35562/canalpsy.1232

p. 12-13

Texte

Il n’est rien de plus banal que la pratique du dessin d’enfant et son interprétation. Dans les nombreux ouvrages traitant de ce sujet, il y a divergence de sens selon que la méthode employée relève de la psychologie projective ou de la thérapie.

Malgré sa grande utilisation le dessin apparaît encore « tabou » en dehors de son utilisation dans le cadre analytique. Pourtant il est produit, le plus souvent, à la première rencontre avec un enfant et sa famille, il peut être aussi présenté, avec des adolescents, comme médiation, instance de communication, de relation permettant un travail psychique sur le mode de la création.

Ce sera l’objet de notre présentation : le dessin utilisé comme médiation : est-ce un endroit pour une rencontre ?

Depuis de nombreuses années l’utilisation des médiateurs est au cœur d’un certain nombre de pratiques thérapeutiques individuelles et groupales mais ce n’est que récemment que ce terme est mis à l’ordre du jour, est-ce un effet de la mode, d’avancées théoriques concernant la symbolisation ou est-ce l’effet de la précarité actuelle des espaces de rencontre humaine dans notre société ?

Que ce médiateur soit un objet concret (eau, terre, pâte à modeler, peinture, dessin) ou concerne une technique particulière (contes, musique, projectifs), la nécessité d’introduire dans la relation un tiers médiateur nous a conduit à nous interroger sur une technique de dessin utilisée comme médiation en tant que lieu favorisant le déploiement de l’activité représentative.

Généralement on définit la médiation, souvent en référence au médiateur utilisé, comme ce qui réunit et articule. Si nous nous référons au dictionnaire, en ancien français, le mot prend le sens de « division » au xiiie siècle. Plus tard au xvie siècle il devient, prenant sa valeur moderne, « entremise destinée à concilier des personnes, des partis », d’abord en religion dans une relation entre l’homme et Dieu, puis surtout en droit et en diplomatie. Par extension, il s’applique au fait de servir d’intermédiaire, dans des emplois didactiques et particulièrement en philosophie.

« S’interposer entre » est donc bien la définition étymologique du mot médiation. Dans médiation, il y a l’idée d’un « objet médium » qui s’interpose entre le psychologue et l’enfant, l’adolescent, et qui a pour fonction première de déplacer les effets d’attirance réciproque en direction d’un élément de cadre. Dans ce cas, il vise à instaurer une triangulation psychologue-patient-dehors.

Depuis de nombreuses années, j’utilise le dessin comme méthode projective (AT9) et médiateur de relation avec des adolescents. Il offre de nombreux avantages, il n’est jamais refusé, sa passation est simple et rapide. Je peux émettre des hypothèses, il me sert comme instrument diagnostic et thérapeutique.

Dans toute pratique clinique nous ne pouvons dissocier la démarche d’investigation psychologique de la démarche thérapeutique : il est important d’évaluer les différentes modalités du fonctionnement psychique d’un adolescent pour répondre à sa souffrance. Surtout lorsque nous travaillons dans des secteurs où les familles n’ont pas de demande concernant leur adolescent, ce dernier n’ayant pas grand-chose à dire non plus.

Je vais présenter cette médiation mise en place pour simuler une théorie de l’imaginaire.

Avant d’aborder la théorie, il n’est pas inutile de vous présenter l’épreuve en question. Habituellement avec les groupes en formation, j’implique directement mon auditoire en donnant aux participants les consignes de cette épreuve et en les invitant à effectuer une ébauche d’exécution. Ainsi par la suite, chacun peut situer sa production dans l’ensemble des catégories de réponses présentées.

L’AT9 a été mis au point par Yves Durand sur la base des travaux de Gilbert Durand son homonyme – et non parent ! – dans une perspective d’exploration de l’imaginaire par le dessin avec l’anthropologique-test est à 9 éléments, d’où sa dénomination. L’épreuve se présente de la façon suivante : on remet au sujet une feuille à dessin de format 21x27 cm. En haut de la page l et horizontalement est indiqué le texte suivant : « Composez un dessin avec : une chute, une épée, un refuge, un monstre dévorant, quelque chose de cyclique (qui tourne, qui se reproduit ou qui progresse), un personnage, de l’eau, un animal (oiseau, poisson, reptile ou mammifère), du feu ». Sur la page 2 est mentionné : « Expliquez votre dessin sous forme d’une histoire ». Lorsque le dessin et le récit sont terminés on remet un questionnaire permettant d’obtenir des données complémentaires sur les processus, de symbolisation et d’implication du sujet dans la réalisation de son œuvre.

 

 

Si nous situons rapidement la théorie d’où est partie Y. Durand, il s’est basé sur celle que développe G. Durand dans un ouvrage intitulé Les structures anthropologiques de l’imaginaire. Pour cet auteur, c’est le temps mortel, la mort, qui constitue le processus originel de l’imaginaire.

Il définit l’imaginaire comme un champ de réponses différenciées face à la mort – identifiée au Temps mortel. L’imaginaire est conçu comme le lieu où se développent des processus d’anti-destin et où s’élaborent des moyens – représentatifs, symboliques, rhétoriques, rationnels – ayant pour but d’échapper à la fatalité de la mort.

Au départ de cette argumentation il y a une sorte de reconnaissance de la temporalité mortelle comme processus originel de l’imaginaire.

C’est pourquoi, si le travail de G. Durand vise à démontrer comment « fonctionne » l’imaginaire – en faisant l’inventaire des groupements d’images (qu’il ordonne en « structures ») aptes à résoudre le problème de la mort – il consiste préalablement à analyser le registre des images représentatives de la mort.

Ces images se répartissent, selon lui, en trois grandes catégories : thériomorphes (images se rapportant à l’animalité inquiétante et angoissante), nyctomorphes (images qui renvoient au noir et à la nuit) catamorphes, (images qui concernent la chute).

Les grandes catégories structurales décrites par la théorie se retrouvent dans l’inventaire fait par Y. Durand à savoir les thèmes héroïques, mystiques et synthétiques : suggérées par des mots symboliques, ces catégories émergent selon des micro univers mythiques, parfois complexes, mais sémantiquement non-arbitraires et localisés dans un champ imaginaire conforme aux données théoriques.

L’AT9 en passant d’un modèle de mise à l’épreuve d’une théorie est devenu un test psychologique apte à permettre le repérage des particularités de la représentation imaginaire, chez des sujets pour lesquels les processus mortifères sont devenus envahissants.

C’est en tant qu’espace « d’un ailleurs », espace du lieu de la réunification du symbolon que l’AT9 rappelle d’un point de vue topique, le rôle joué par le préconscient qui, comme l’explique R. Kaës (1984) « introjecte ce qui vient de l’inconscient pulsionnel et ce qui vient de l’extérieur : les perceptions transformant ceci de manière à ce qu’il soit présenté comme “qualités psychiques” à la conscience, qui réagira par le plaisir ou le déplaisir ».

C’est par la rencontre d’une réalisation avec une pré-organisation psychique que le sujet peut subjectiver ce qui était en souffrance d’élaboration.

Cette épreuve en tant qu’espace transitionnel permet à l’adolescent de réaliser une expérience transitionnelle où se déploie la créativité du jeu, de la fantaisie et par là même le je.

Expérience de continuité par le jeu qui consiste à mettre en rapport la réalité du dedans, c’est-à-dire, les affects, les pulsions, les conflits objectaux, avec la réalité du dehors : ses plaisirs et ses catastrophes. Il se crée un aller-retour de l’objet qui devient alors représentable.

Cette expérience permet à l’adolescent de trouver un support, un écran a la projection répétitive des lacunes de son moi.

L’AT9 réalise là véritablement un pont entre les deux parties symboliques complémentaires. C’est par le mouvement de « va » et « vient » précédemment évoqué, rendu possible par la distance qui sépare le dedans du dehors, que pourra s’établir la représentation. Le travail de la représentation s’apparente plus généralement au travail de la mentalisation, et vient établir un lien « entre une présence qui s’est absentée et une absence représentée » (R. Kaës, 1984).

L’AT9 en tant que médiation permettant l’activité représentative, apparaît bien comme un objet transitionnel, objet qui fait lien entre le sujet et l’autre ; objet à la fois interne et externe qui s’apparente à l’idée du double ; en tant que double il permettrait au sujet de se reconnaître et en même temps de se séparer.

Avec les adolescents nous sommes condamnés à l’inconfort, voire à l’invention, lorsqu’ils nous sollicitent, pour entendre un discours sans paroles et contribuer à la remise en « je » que constitue, comme certains ont pu le dire, l’accès à la vie adulte. C’est en cela que l’AT9 nous sert de passage pour penser la crise et articuler une rupture, n’est-ce pas le but de l’utilisation de toute médiation ?

Bibliographie

Anzieu A. et coll., Le travail du dessin en psychothérapie de l’enfant, Paris, Dunod 1996.

Decobert S. et Sacco F., Le dessin dans le travail psychanalytique avec l’enfant, Ramonville-Saint-Agne, Érès, 1995.

Kaës R., Contes et divan, Paris, Dunod, 1984.

Illustrations

Citer cet article

Référence papier

Martine Drevon, « Expérience clinique autour d’une médiation : le dessin d’enfant et d’adolescent », Canal Psy, 42 | 2000, 12-13.

Référence électronique

Martine Drevon, « Expérience clinique autour d’une médiation : le dessin d’enfant et d’adolescent », Canal Psy [En ligne], 42 | 2000, mis en ligne le 27 mai 2021, consulté le 22 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=1232

Auteur

Martine Drevon

Psychologue clinicienne, chargée de cours à l’Université Lyon 2

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