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À la prison, on peut être psychologue embauché par l’Administration pénitentiaire, ou par le ministère de la Santé. J’évoquerai ici ce dernier cas de figure, puisque je travaille au SMPR de Lyon, service de psychiatrie rattaché au CHS le Vinatier, donc au ministère de la Santé.

Les Services Médico-Psychologiques Régionaux, implantés dans les maisons d’arrêt (établissements pénitentiaires recevant les prévenus, c’est-à-dire principalement les personnes ni jugées, ni condamnées ou condamnées à de très courtes peines), existent sous cette appellation depuis mars 1986.

En fait, depuis la fin du xixe siècle, des psychiatres thérapeutes, et non plus seulement des experts, ont exercé en prison, suite à une réflexion sur l’orientation des délinquants présentant des troubles mentaux.

En 1947, s’est créée la première « annexe psychiatrique » à Rennes. Puis d’autres ont vu le jour : quatorze « annexes » avaient pour mission le dépistage systématique des maladies mentales en milieu carcéral. L’annexe de Lyon a été la seule à survivre.

En 1977, une commission mixte Santé-Justice est à l’origine de la création des Centres Médico-Psychologiques Régionaux (CMPR). Les SMPR voient le jour à partir du moment où le système se rattache totalement au dispositif de la psychiatrie publique (notion de psychiatrie institutionnelle et mise en place de la psychiatrie publique de secteur). Chaque région pénitentiaire est alors dotée d’un ou plusieurs « secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire », chacun étant rattaché à un établissement public hospitalier.

Une Antenne Toxicomanies et une Antenne Alcoologie sont rattachées au SMPR.

Cette indépendance de statut par rapport à l’Administration pénitentiaire est un facteur important dans notre pratique en tant qu’équipe psychiatrique.

Les détenus, enfermés contre leur gré, avec un sentiment très fort d’injustice permanente à leur égard, sont soulagés et rassurés de pouvoir identifier le personnel médical du SMPR de manière claire et différenciée, même si peut persister une ambiguïté du fait de notre implantation au sein de la prison, dont découle une assimilation de tous les personnels à la même entité administrative.

Nos patients sont donc plus libres dans leur démarche de soins, et les membres de l’équipe du SMPR pour négocier avec le personnel pénitentiaire en cas, par exemple, de crise en détention ou de retour en cellule de détention si le patient était « hospitalisé » dans notre service.

La place du psychologue au sein de cette double appartenance prison-équipe psychiatrique est encore plus indépendante lorsqu’on l’envisage du point de vue de la fonction de ce professionnel.

Dégagée de la prescription médicamenteuse, de la réponse urgente à l’état de crise, par conséquent d’une grande partie de la négociation en ce qui concerne la vie carcérale et ses aléas, je me consacre plus particulièrement à tenter d’établir tout d’abord un espace de communication avec les détenu(e)s que je rencontre.

« Mes » patients arrivent jusqu’à moi selon des voies différentes : ils m’écrivent directement, ayant envie de parler avec une psychologue ou parce qu’ils ont entendu dire qu’il y a des psychologues dans la prison ; ou bien ils me sont adressés par un psychiatre, une infirmière, une assistante sociale…

La plupart du temps, la demande des patients n’est pas définie clairement pour eux-mêmes. Ils savent simplement qu’ils ont envie, besoin de parler, faisant la différence entre « le psychiatre qui soigne les fous, je suis pas fou moi » et « le psychologue qui écoute… qui va plus profond dans la personnalité ».

Certains attendent de ce dernier qu’il leur donne des conseils, qu’il leur dise qui il est d’une manière magique et ce au terme d’une demi-heure d’entretien : « je vous ai tout dit, alors qu’est-ce que vous en pensez, vous qui êtes psychologue ? » D’autres parlent de « cours de psychothérapie » à la place d’entretiens.

Souvent, le mot « urgent » est inscrit sur le papier de la demande. Tout ceci nous montre déjà une partie du mode de fonctionnement psychique de nos patients : la dépendance, une profonde intolérance à toute frustration, l’énorme difficulté à s’exprimer et à savoir dire ce qu’ils ressentent, l’utilisation des mécanismes de défense que sont la projection, le clivage et le déni.

Le premier temps de notre rencontre est donc, comme je le disais, d’établir un espace de confiance qui ouvre à la communication. Aider le patient à apprendre à parler de lui, en racontant son histoire, des souvenirs, ses cauchemars, ses angoisses, est déjà le premier pas vers la démarche introspective, à l’opposé de l’identification projective.

Si ce pas est ébauché, il y a déjà processus psychothérapique. Les questions quant à ses passages à l’acte, à la récidive, à la culpabilité, à son mode de relation à autrui viendront ensuite, et se dévideront selon un rythme propre à chacun.

Cette notion de rythme m’amène à parler de celle du temps, qui me semble si importante.

Outre le fait que pour réfléchir sur soi-même, il faut du temps, et qu’il faut prendre son temps, exercer en prison nous confronte à un temps spécifique. En effet, le détenu souffre de manière très paradoxale, d’un temps qui passe trop vite, et du temps qui s’éternise, vide de sens, « mort, perdu ».

Passer ses journées et ses nuits (les détenus dorment très peu la nuit) à attendre – de sortir de cellule, d’être appelé par l’avocat, ou à l’infirmerie, au parloir près de sa famille, du courrier, d’être convoqué par le Juge d’Instruction, le jugement, d’être fixé pour sa condamnation puis sa libération – passer tout ce temps à attendre, sans savoir à quoi s’attendre, tout en s’ennuyant à longueur de temps, fait que les prisonniers perdent effectivement leurs points de repère et leurs capacités à investir psychiquement quelque chose de positif.

Tenter un travail psychothérapique (au sens très large du terme) en prison, exige, peut-être plus que dans d’autres institutions, une grande modestie, une capacité certaine à faire avec… la frustration ! S’installer dans une relation et apprendre du jour au lendemain que son patient est transféré dans un autre établissement, ou est sorti en liberté provisoire, est très frustrant ! Le temps de séjour moyen chez la plupart des prévenus est de quelques mois ; c’est dire que nous partons dès le départ avec l’idée – et paradoxalement – que nous avons très peu de temps.

On peut alors être tenté d’idéaliser le soin psychologique, en ce lieu attractif et fascinant, favorisant tellement tous les fantasmes.

Confronté à une grande misère, à l’exclusion d’individus le plus souvent victimes de nombreuses violences dès leur enfance, on a envie d’aider, voire de sauver. Le prisonnier étant avide de contacts, il est aisé de le rencontrer et de s’imaginer que notre relation est la meilleure là où plein d’autres ont échoué.

À l’inverse, on peut se sentir blessé si le patient nous échappe, s’en va.

Tout se passe donc comme s’il nous appartenait.

Le milieu carcéral favorise, plus qu’ailleurs me semble-t-il, les tendances mégalomaniaques de chacun d’entre nous, le surinvestissement de la fonction de l’Idéal du Moi.

Se parler au sein de l’équipe pluridisciplinaire que nous sommes est alors primordial, afin d’éviter de tomber dans ces travers de la toute-puissance exercée sur l’autre, ou à l’opposé, de la déception qui est une négation de l’existence de l’autre.

Tout ceci étant dit, travailler en milieu carcéral n’est, évidemment, en rien différent fondamentalement de la pratique du psychologue en d’autres milieux et avec d’autres populations.

Aider un patient, quel qu’il soit, d’où qu’il vienne, à mieux se connaître, à comprendre ses échecs ou ses difficultés, à se sentir mieux, à s’exprimer, à s’ouvrir à autrui et au monde, est la fonction générale du psychologue.

References

Bibliographical reference

Élisabeth Clavairoly, « Milieu carcéral », Canal Psy, 18 | 1995, 11-12.

Electronic reference

Élisabeth Clavairoly, « Milieu carcéral », Canal Psy [Online], 18 | 1995, Online since 09 septembre 2021, connection on 18 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=2487

Author

Élisabeth Clavairoly

Psychologue clinicienne, expert auprès des tribunaux

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