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L’école fut l’une des premières institutions qui fit appel aux psychologues dès le début du xxe siècle. Ce besoin de psychologues dans l’école fut en quelque sorte l’une des conséquences de la loi de Jules Ferry sur l’obligation scolaire (1886). En effet avec cette loi, de nombreux enfants venus de toutes les classes sociales de notre société se retrouvèrent à l’école confrontés à un système scolaire unique empreint de l’esprit démocratique de la IIIe République. L’objectif humanitaire au-delà des apprentissages, était « d’uniformiser les manières de vivre et de penser de l'enfant, de lui donner un statut social » sous-entendu le même pour tous. Très rapidement, à peine trente ans après, les responsables du système éducatif durent constater que bon nombre d’enfants ne suivaient pas et n’étaient donc pas conformes au modèle de l’écolier que la société attendait.

Fascinée par l’intelligence, l’institution scolaire de ce début de xxe siècle pensa que les difficultés de ces enfants étaient liées à une insuffisance intellectuelle. Cette vision réductrice conforta l’école dans sa mission, elle décida alors d’exclure ceux qu’on pressentait déjà comme des anormaux pour les intégrer dans des classes spécialisées. Une commission fut chargée d’organiser le tri des enfants. Pour ce faire, elle fit appel à un psychologue : Binet, qui travaillait à l’étude d’une échelle d’intelligence. Même si celui-ci tenta de souligner la complexité de la tâche qui lui était demandée, tout alla très vite et les difficultés d’adaptation scolaire de l’enfant ne furent pas pensées autrement qu’en termes d’intelligence.

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’Éducation nationale, créa ses premiers postes de psychologue. Leur mission, bien que mal définie, était encore centrée sur le repérage des enfants déficients.

Dans les années 60 et 70, alors que de profondes mutations sociales brouillaient les marques traditionnelles de la société, et que l’école devenait la plaque tournante de la réussite sociale, le problème grandissant des enfants en échec scolaire inquiéta, interrogea, questionna. Peu à peu l’idée s’affirma que les troubles scolaires n’étaient pas forcément inhérents à l’enfant, qu’on pouvait les comprendre autrement et qu’ils pouvaient être transitoires, momentanés. Pour mieux s’adapter aux besoins de l’enfant et prévenir les inadaptations, différentes mesures vont être prises : des réformes pédagogiques mais aussi la création de structures de prévention (les Groupes d’Aides Psycho-Pédagogiques qui seront remplacés en 1990 par les Réseaux d’Aides Spécialisés). Ces GAPP, composés de rééducateur(trices) et de psychologues, nécessitèrent la création de nombreux postes de psychologues.

Aujourd’hui, l’Éducation nationale emploie trois mille psychologues. Chaque psychologue est rattaché à une circonscription départementale. Il travaille auprès de plusieurs groupes scolaires primaires et maternels ce qui représente un secteur de deux mille à quatre mille enfants selon les cas. Ses missions très vastes ont été redéfinies par la circulaire d’avril 1990. Parmi les axes principaux on relève : le travail institutionnel, l’aide aux enfants en difficultés dans le cadre des réseaux, les examens cliniques et psychométriques, le suivi psychologique…

Le recrutement et la formation officiels des psychologues dans l’école demeure un sujet épineux (cf. l’article de F. Forestier) et, dans l’état actuel, oblige le psychologue à quelques prouesses pour travailler selon l’éthique et le code de déontologie des psychologues.

L’enfant et les apprentissages

Nous savons que la capacité d’apprendre est tributaire d’un équipement intellectuel suffisant mais qu’elle est avant tout fondée sur un désir c’est-à-dire sur quelque chose qui dépasse les processus cognitifs. Ce désir d’apprendre présuppose une curiosité ; curiosité à découvrir et à rendre intelligible le monde dans lequel nous vivons. C’est pourquoi contre vents et marées, la plupart des enfants s’accommoderont des différentes situations d’apprentissage qu’ils rencontreront à l’école tant leur désir de savoir, de connaître, de comprendre et le plaisir qui en découlera sera grand. Cette remarque souligne à quel point tout apprentissage est marqué par le signe du narcissisme et implique la capacité de chacun à éprouver le plaisir de son propre fonctionnement. Cette expérience, si elle s’actualise à l’école, engage les premières relations de l’enfant avec son environnement et la qualité des premiers soins, des premières habitudes, et des premiers liens éducatifs qui se sont tissés avec ses premiers éducateurs à savoir ses parents. Ainsi, très tôt l’enfant confronté à l’éducation et à travers elle à des apprentissages précoces (propreté, règles et rythmes de vie…) va devoir vivre le renoncement à sa toute-puissance et se soumettre au principe de réalité. Pour qu’il structure sa personnalité et s’inscrive dans le processus de socialisation, l’éducation devra répondre à une double nécessité, à la fois donner des limites à l’enfant mais aussi satisfaire son monde pulsionnel pour conforter son narcissisme. Cela requiert de la part de ses parents mais aussi de tous les éducateurs qui auront à s’occuper de l’enfant une certaine forme d’empathie, de malléabilité et un rayonnement identificatoire accessible pour l’enfant. Si cela est possible alors l’enfant partira à la conquête du monde, des autres et son désir de grandir, sera le garant et le moteur de son désir de savoir et donc d’apprendre. Si des avatars adviennent lors de ce long processus d’autonomisation, l’enfant risque d’être bloqué, inhibé dans son désir de savoir dans ses capacités à penser, à manipuler les pensées. Par contrecoup l’acte d’apprendre pourra être chargé d’inquiétude, d’angoisse et les objets scolaires ne pourront plus être investis.

Nous devons donc constater que l’école n’est pas un lieu neutre pour l’enfant. Elle est un lieu de conflit, en ce sens qu’elle interroge sa personnalité, le confronte inexorablement à l’image de soi, lui impose de grandir… Ces violences faites à l’enfant seront éphémères et même structurantes si à l’image des parents, elle peut se montrer suffisamment bonne, c’est-à-dire si quels que soient les problèmes de l’enfant elle lui permet de faire des expériences positives et narcissiquement gratifiantes.

À ce sujet, je pense que l’une des tâches du psychologue à l’école, est, peut-être, de contenir l’expérience scolaire pour que l’école soit ou soit pensée comme suffisamment bonne par les différents protagonistes qui y vivent afin que les jeux identificatoires et ceux du désir, s’y organisent et structurent la relation pédagogique.

Les demandes faites au psychologue dans l’école

Le psychologue dans l’école, comme la plupart des psychologues, travaille à partir des demandes qui lui sont adressées. L’originalité tient peut-être à la diversité de ces demandes parmi lesquelles nous en repérerons trois essentielles.

La demande institutionnelle

Elle s’origine à partir d’un projet d’orientation vers une structure d’éducation spécialisée pour les enfants qui présentent des troubles graves de la personnalité et/ou de la sphère cognitive. La commission chargée d’étudier le cas de ces enfants fait appel au psychologue un peu comme à un expert. Elle lui demande de l’éclairer sur le fonctionnement intellectuel et affectif de l’enfant. Au-delà de l’examen psychologique que cela présuppose cette demande institutionnelle implique pour le psychologue un travail d’accompagnement des familles pour leur permettre d’élaborer ce projet et pour parler les inévitables déceptions ou blessures toujours présentes lors d’une réorientation scolaire.

La demande enseignante

Cette demande dépend en partie du seuil de tolérance de chaque enseignant, elle émerge au moins à trois niveaux.

  1. Face à un constat d’échec dans les apprentissages, l’enseignant envisage une aide pour l’enfant en dehors de la classe et veut en parler avec le psychologue ;
  2. pour une meilleure compréhension des difficultés de l’enfant et pour une élucidation de sa propre difficulté dans sa relation à l’enfant. « Il n’y arrive pas, il ne s’intéresse pas, pourtant il n’est pas bête, qu’est-ce que je peux faire ? » ;
  3. lorsque la situation est devenue insupportable, invivable : « Je ne sais plus quoi faire, je ne le supporte plus, il dérange trop la classe. ».

Dans tous les cas le psychologue est interpellé comme le régulateur d’une situation qui interroge l’enseignant ou qui est conflictuelle. De fait, les difficultés de l’enfant et la souffrance qu’il peut en exprimer renvoient souvent l’enseignant à un doute, voir à un vécu d’échec sur ses propres capacités à enseigner. C’est alors la question de son identité professionnelle qui est en jeu et il y a bien de quoi être troublé. Ce questionnement, s’il est trop envahissant, outre le malaise, le désarroi qu’il peut provoquer chez l’enseignant, peut déstabiliser la relation enseignant-enseigné en provoquant des mouvements de désinvestissement de dépression ou au contraire d’exclusion. Lorsque l’enseignant à une représentation dévalorisée teintée d’impuissance de son activité professionnelle, « je suis mauvais, je n’y arrive pas », le risque pour l’enfant est d'être confronté à un vide relationnel : l’enseignant n’est plus disponible pour l’investir et pour créer des situations pédagogiques adaptées. Face à un enseignant qui s’absente psychiquement, l’enfant peut avoir des conduites réactionnelles d’agressivité, d’instabilité ou de repli comportemental, intellectuel. Dans d’autres cas l’inconfort identitaire du pédagogue peut se retourner contre l’enfant par le jeu des mécanismes projectifs, « ce n’est pas moi qui suis mauvais c'est l'enfant » d’où des mouvements de rejet, de désintérêt qui là encore peuvent provoquer l’engluement de l’enfant dans ses problèmes.

Dans la demande enseignante, il y a donc un sens latent à analyser. Ce travail de recul permet au psychologue d’aider l’enseignant chaque fois que cela est nécessaire, à mieux analyser les enjeux de la relation, à se décentrer de la situation pour avoir une compréhension autre, plus élaborée parfois plus objective, moins passionnée. Souvent ces échanges permettent à l’enseignant de redynamiser sa relation à l’enfant et de trouver par lui-même de nouveaux dispositifs pédagogiques, ce qui n’exclut pas, bien sûr, d’envisager d’autres aides spécifiques pour l’enfant si cela s’imposait.

La demande parentale

Cette demande est toujours ambiguë, complexe, car l’école est un enjeu narcissique pour les parents, et il n’est jamais facile pour eux de venir parler des difficultés de leur enfant.

Très souvent lors de la première rencontre, les parents vont rabattre tous les problèmes de l’enfant sur le scolaire. De fait, ils arrivent avec un discours déjà organisé et qu’ils présupposent être le bon en fonction du lieu où ils trouvent : l’école. « Il bloque sur la lecture ; il ne retient pas ses leçons… » Le rôle du psychologue est d’accompagner les parents pour qu’ils ne parlent pas seulement de l’écolier mais de l’enfant et de l’enfant en relation avec son environnement. D’autres troubles peuvent alors être évoqués : énurésie, jalousie par rapport à un cadet, à un parent… Ceci nous conduit ensemble à nous réinterroger sur tous ses troubles, à identifier ce qui est de l’ordre du symptôme pour en comprendre le sens caché. Ce travail d’étayage, de mentalisation permet aux parents d’entendre, de reconnaître la souffrance existentielle de l’enfant si c’est le cas. Cela redynamise la communication familiale et permet que les troubles s’estompent ou disparaissent. Si les troubles sont trop profonds ce travail de mise en sens permet aux parents de mieux comprendre la nécessité d’une aide spécifique pour l’enfant. Cette étape est importante car l’enfant dépend matériellement et affectivement de ses parents et il serait vain de lui proposer une aide qui ne serait pas comprise et soutenue par sa famille.

En milieu scolaire, la demande parentale est souvent mal définie, voire inexistante. Les parents ont pris rendez-vous, « on leur a dit de venir » (l’enseignant, le médecin, la rééducatrice…). Ils viennent donc sous la pression d’un tiers et se réfugient derrière lui pour parler. Eux ne savent pas ou ne sont pas vraiment inquiets. Cela doit interroger le psychologue surtout si les troubles de l’enfant sont graves : qu’est-ce qui fait qu’ils les supportent si bien, ou qu’ils les banalisent ? Mon expérience montre qu’il y a souvent chez ces parents ou chez l’un d’eux, des failles narcissiques et que la non-reconnaissance des troubles de l’enfant leur permet de préserver un équilibre psychique fragile ou d’éviter l’émergence d’un sentiment de culpabilité. Le psychologue devra alors prendre le temps de travailler avec les parents sur ces zones d’ombre. Dans d’autres cas, il sera souhaitable de travailler sur la communication, de permettre un va-et-vient entre l’école et la famille, de rétablir les liens de la pensée et de la représentation, en proposant par exemple à la famille de refaire le point avec « l’envoyeur », éventuellement d’en parler ensemble.

Dans d’autres situations, les parents souhaitent voir le psychologue pour qu’il leur donne un conseil : « je ne sais plus comment m’y prendre avec mon enfant, il ne veut plus venir à l’école, il est agressif… » Parfois, c’est une situation douloureuse (séparation, décès, maladie…) qui poussera les parents à venir demander un conseil. S’il est tentant pour le psychologue de répondre à cette demande, je crois qu’il est préférable de différer notre réponse et là encore d’aider les parents à retrouver des possibilités de penser leur relation à l’enfant de se repositionner comme parents face à leur enfant alors qu’une réponse immédiate de la part du psychologue aurait pu entretenir chez eux l’idée de ne pas être capable d’occuper cette fonction.

Ces quelques exemples montrent la diversité des demandes parentales. Chaque situation, chaque histoire est singulière et doit être entendue dans sa singularité. Je rajouterai que lors de cette première rencontre, l’enfant sera un interlocuteur privilégié reconnu comme sujet à part entière avec ses soucis, ses conflits, ses désirs. Il est important de parler avec lui de ce qu’on dit de lui, de ce qu’il pense, ressent, imagine de ses difficultés. Ces échanges, permettront à l’enfant de questionner la réalité extérieure et sa réalité psychique. L’espace original qui lui sera proposé s’inscrira dans un champ qui, comme le dit O. Lescarret, maître de conférences à Toulouse II, n’est ni dans le champ du pédagogique, de l’éducatif, ni dans le champ du soin mais dans celui de la clinique.

Pour conclure, je dirai que c’est l’accueil, l’analyse et l’élaboration de la demande qui fonderont le cadre de travail qui s’engagera ultérieurement. Enfin, d’une façon plus générale, je pense que l’une des tâches premières du psychologue en milieu scolaire consiste en référence aux travaux de Winnicott, à créer des espaces transitionnels qui rendront possibles l’écoute, la parole, la pensée, et favoriseront finalement une meilleure prise en compte et une meilleure prise en charge de la réalité psychique de l’enfant par l’institution et par sa famille.

Citer cet article

Référence papier

Laurence Jadot, « Le psychologue dans l’école », Canal Psy, 21 | 1995, 4-6.

Référence électronique

Laurence Jadot, « Le psychologue dans l’école », Canal Psy [En ligne], 21 | 1995, mis en ligne le 27 août 2021, consulté le 23 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=2530

Auteur

Laurence Jadot

Psychologue en milieu scolaire, chargée de cours à l’Université Lumière Lyon 2

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